L’insertion socioprofessionnelle de travailleurs autochtones au sein d’une ORGANISATION non autochtone : caractéristiques et effets d’une expérience d’accompagnement en stage



ÉMILIE DESCHÊNES Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue



Dans ce texte sont décrits des caractéristiques et des effets d’un stage d’entrée en fonction de travailleurs cris de la Baie-James dans un contexte interculturel. Les données proviennent d’une recherche sur leur insertion socioprofessionnelle dans le cadre d’un programme de formation et d’emploi au sein d’Hydro-Québec.

CONTEXTE GÉNÉRAL

Plusieurs collectivités autochtones du Québec sont affectées par de grands projets pétroliers, gaziers, forestiers et miniers que le Canada vit. Les débats sur les pipelines ou les pressions pour la création d’une stratégie nationale en matière d’énergie rend indiscutable le rôle fondamental des Autochtones dans la valorisation de l’exploration du territoire et de l’exploitation des ressources naturelles, ce qui rend cruciale l’étude de leur insertion socioprofessionnelle au sein des organisations qui tirent parti de ces ressources.

Dans ce contexte fortement politique, des gouvernements et des organisations visent le développement économique et social des communautés autochtones qui habitent les territoires concernés. Grâce à différentes négociations multipartites, des ententes spécifiques permettent l’usage du territoire et l’exploitation des ressources contre des avantages pour les communautés autochtones concernées. Les données utilisées pour rédiger ce texte proviennent d’une recherche qui visait à faire le bilan de la mise en œuvre d’une entente de « nation à nation » ayant mené à des accords particuliers entre le gouvernement québécois, les Cris de la Baie-James et Hydro-Québec (lentente sest échelonnée de 2002 à 2017). Parmi les clauses, lune consistait à créer des emplois au sein dHydro-Québec pour des membres de la nation crie et permettait la création d’un organisme autochtone, la Société Niskamoon, dont la mission allait entre autres porter sur l’insertion socioprofessionnelle de travailleurs cris chez Hydro-Québec. Après quelques années, les partenaires ont mis en place un dispositif d’accompagnement, un stage d’une durée de six mois, accompagné par un « coach », afin de faciliter l’insertion.

OBJECTIFS DE LA RECHERCHE INITIALE ET DU PRÉSENT TEXTE

Nous distinguons ici les objectifs originaux de la recherche et ceux de ce texte, dans lequel nous ne présentons qu’une partie des résultats. Trois objectifs ont fondé le développement de la recherche et des moyens mis en œuvre pour la réaliser. Elle portait sur l’ensemble de l’expérience de formation et d’emploi des travailleurs cris, une expérience inscrite dans le programme de formation et d’emploi qui relevait de l’entente entre le gouvernement québécois, le Grand Conseil des Cris et Hydro-Québec1. Il s’agissait de documenter et d’analyser :

De cette recherche d’envergure de plus de trois ans, ce texte rend compte d’une partie seulement des résultats, celle portant sur la mise en œuvre par Hydro-Québec d’un dispositif de stage d’entrée en fonction avec coaching créé pour les travailleurs cris.

CADRE CONCEPTUEL

Afin de rendre compte des réalités complexes et diverses de l’insertion abordées dans les sections suivantes, cette section présente des ancrages conceptuels qui ont balisé la démarche. D’abord, le concept central de l’insertion socioprofessionnelle s’inscrit dans l’optique de l’articulation entre la formation et la pratique et dans celle de la rencontre entre des perspectives diverses du travail et du secteur industriel et au sein d’une relation interculturelle.

L’insertion socioprofessionnelle fait référence à l’aboutissement du processus, à la réussite ou à la fin du stage, puis à l’intégration du travailleur dans son équipe de travail et dans un nouvel environnement professionnel. Elle est « un phénomène caractérisé par un changement détat qui sopère par un processus intermédiaire, où les notions détat initial et détat final sont essentielles » (Cardu et Bouchamma, 2013, p. 3). En ce sens, le travailleur « est considéré comme un sujet actif qui passe par () un état initial à la prise dun emploi à un () état final » (idem, p. 4). Cet état final porte sur le bien-être au travail et à la suffisance des connaissances et des compétences afin de permettre au travailleur d’effectuer son travail selon les attentes de l’organisation.

Ce texte aborde cette idée de l’identité professionnelle selon le modèle de Charlier et Donnay (2006) qui présente quatre dimensions (identités professionnelle, personnelle, organisationnelle et culturelle) et qui permet aux travailleurs de se situer dans l’organisation tout en prenant en considération des éléments liés à l’exercice de leur métier. Ces dimensions permettent le développement des agirs-compétents liés à sa fonction et à ses tâches, dans un contexte et un milieu donné. La dimension du développement de l’identité personnelle nous intéresse particulièrement, puisqu’elle permet au travailleur d’apprendre à s’approprier différentes structures sociales, culturelles ou organisationnelles au regard de caractéristiques ou de traits personnels, telles que ses croyances, valeurs, conception de sa carrière ou représentation de soi. Dans le contexte des travailleurs cris qui s’insèrent dans un milieu non autochtone, peut-être faut-il présumer qu’elle prend une relative importance avec l’identité culturelle, très pertinente, qui permet de se situer culturellement au regard des caractéristiques propres à son organisation et à son milieu.

Dans le contexte d’un stage, le développement de l’identité socioprofessionnelle peut être soutenu par un accompagnement. Le concept d’accompagnement au travail s’inscrit dans la pensée de Wittorski (2013) qui considère l’accompagnement comme « un dispositif visant à la fois une articulation forte entre les deux espaces du travail et de la formation () et une efficacité plus grande dans la mise au travail dun sujet (quand il est utilisé à des fins dinsertion professionnelle) » (p. 2). Il sagit dun dispositif dont la fonction première est laide à l’insertion en emploi, de manière à augmenter son efficacité (Wittorski, 2013).

Même si l’accompagnement dans ce contexte peut se rapprocher d’une logique basée sur l’action, sur la réflexion seule ou sur les deux, l’idée de la logique de la traduction culturelle par rapport à l’action semble la plus juste et la plus intéressante à développer dans ce contexte de travail (Wittorski, 2013). Ainsi, l’accompagnement est défini comme « une fonction de transmission de savoirs, une fonction de mise à distance de laction, de modification des façons de voir et de penser laction et la situation (…), mise en œuvre (…) par des institutions à destination d’une partie de leurs salariés en vue de les aider à voir autrement leur travail pour le réaliser plus efficacement (…). » (Wittorski, 2013, p. 4).

PROBLÉMATIQUE

Au Québec, de façon générale, les Autochtones2 constituent un important bassin de main-d’œuvre sous-représenté sur le marché du travail qui peuvent et qui veulent contribuer de façon importante au développement notamment économique du pays ou de leur région. Leur participation à l’emploi et leur insertion socioprofessionnelle favorisent l’amélioration de leurs conditions de vie et de leur situation socioéconomique, participent à l’essor socioéconomique et contribuent à la résolution du défi lié au vieillissement de la population et à l’équilibre du marché de l’emploi en régions éloignées (Beaudoin et al, 2015; Caron et Asselin, 2018; Comité consultatif des Premières nations et des Inuit sur le marché du travail [CCPNIMT], 2016; gouvernement du Canada, 2017; gouvernement du Québec, 2017; Théberge et al., 2019).

Pourtant, des écarts existent entre la participation d’Autochtones au marché du travail local et régional, comparativement à la population active des non-Autochtones. Ils sont entre autres liés à l’indisponibilité des emplois et limités par différentes réalités, qui nuisent à l’accès à des emplois à temps plein et qui engendrent des difficultés en matière d’insertion socioprofessionnelle. Dailleurs, les Autochtones font partie des groupes les plus susceptibles de rencontrer des obstacles dans leur insertion en emploi (Administration régionale Kativik [ARK], 2011; Caron et al., 2018; Caron et Asselin, 2018; CCPNIMT, 2016; Ciceri et Scott, 2006; Deschênes, 2022; gouvernement du Québec, 2017; gouvernement du Canada, 2017; Moar, 2009).

Ces obstacles sont liés à différents facteurs, comme l’éloignement géographique et lobligation pour ces personnes dêtre mobiles sur le territoire pour obtenir un emploi, mais avec peu de soutien réellement adapté pour ce faire (Bougie et coll., 2013; Calver, 2015; Deschênes, 2022; gouvernement du Québec, 2017). Certaines politiques gouvernementales teintent les relations et les parcours professionnels des Autochtones, comme leur histoire. Puis, la discrimination, la marginalisation et le racisme systémique sont toujours présents (Bougie et coll., 2013; Calver, 2015; Ciceri et Scott, 2006; CRV, 2015; Deschênes, 2022). Le choc culturel de travailleurs autochtones, lié à des valeurs et des modes de coopération ou de travail différents, intervient dans ces relations, comme une connaissance insuffisante de l’histoire, des réalités et des cultures autochtones, de même qu’un manque de compétences interculturelles chez des employeurs. Des difficultés et des barrières systémiques empêchent aussi des Autochtones d’accéder à des emplois, de s’y insérer et d’y rester. Des auteurs expliquent ces situations par une inadaptation des milieux aux besoins des Autochtones ou par une adaptation moins grande des actions, des interventions et des stratégies des organisations qui les accueillent (AADNC, 2015; Caron et al., 2018; CCPNIMT, 2016; Deschênes, 2022; gouvernement du Canada, 2017; gouvernement du Québec, 2017; Théberge et al., 2019).

Pour contrer des obstacles, des employeurs proposent des outils, comme des encadrements structurés par un accompagnateur ou des évaluations moins formalisées et plus fréquentes (Caron et al., 2018; Deschênes, 2022; gouvernement du Canada, 2017; gouvernement du Québec, 2017). Toutefois, leur aplanissement commande l’instauration d’approches interculturelles renouvelées. Par exemple, la diversité culturelle et l’établissement de relations dans ce contexte font appel à la reconnaissance de la légitimité de l’autre, de la confiance (Deschenes, 2020) et de la négociation culturelle (Fontaine, 2010). L’implication de nombreux partenaires, dont des organismes autochtones et des collaborations multipartites cohérentes sont inévitables pour parvenir à résoudre ces problématiques complexes (Caron et al., 2018; Caron et Asselin, 2018; CCPNIMT, 2016; Deschênes, 2023; gouvernement du Québec, 2017). Lentente signée entre les Cris, le gouvernement québécois et Hydro-Québec en est un exemple.

Or, malgré la mise en œuvre de certaines pratiques renouvelées, des difficultés demeurent: des travailleurs autochtones éprouvent des difficultés d’insertion socioprofessionnelle et des employeurs réussissent peu à instaurer des stratégies qui permettent de mieux les insérer et de les retenir.

En somme, cette situation nécessite une attention particulière et rend pertinentes la documentation des expériences et l’étude de la mise en place d’adaptations et de mesures spécifiques et innovantes, afin de surmonter ces difficultés d’insertion pour ces travailleurs et pour les autres membres de l’organisation qui les accueillent.

Le cas rapporté dans ce texte porte précisément sur une pratique d’insertion qu’Hydro-Québec a mise en place : un dispositif d’accompagnement en insertion en emploi. Aujourd’hui, dans les corps de métier visés par l’entente, un travailleur sur neuf est cri. La compréhension, la flexibilité et la réactivité dont a fait preuve le milieu en instaurant ce système d’accompagnement se révèlent des objets de recherche particuliers et fort constructifs dans une conjoncture politique régionale qui favorise l’embauche de personnes autochtones.

CADRE MÉTHODOLOGIQUE

Le caractère imposé du contexte lié à l’entente qui a eu lieu entre le gouvernement québécois, la nation crie et Hydro-Québec conduit à décrire l’historique en introduction. L’entente balise les mesures mises en œuvre, puisqu’elles visent à rencontrer des éléments spécifiques de cette entente tripartite. Elle permet d’ailleurs de mieux comprendre les composantes de la méthodologie mise en action pour collecter les données qui ont servi à la rédaction de ce texte. D’abord, quinze ans avant l’entente, Hydro-Québec avait tenté une expérience similaire avec des communautés cries, mais les résultats escomptés n’avaient pas été atteints. Cette réalité a marqué la mise en œuvre du stage, puisqu’il devait cette fois-ci mener à une meilleure insertion et à une rétention plus importante des travailleurs cris.

Aussi, l’embauche et l’accompagnement des travailleurs cris étaient encadrés par des clauses de l’entente tripartite. Elle constitue d’ailleurs un contexte particulier immédiat de l’expérience d’accompagnement et aide à la compréhension de certaines décisions managériales en insertion des Cris. Il s’agit notamment de :

La conformité à ces clauses a impliqué différentes mesures que les parties prenantes de l’expérience ont dû créer, élaborer et mettre en place. Le dispositif de stage qui est rapporté dans ce texte en fait partie.

Enfin, en dépit des efforts fournis par les partenaires, l’entente a pris fin sans que l’ensemble des postes dédiés aient été pourvus.

Récit de la démarche méthodologique réalisée en contexte

La nature de la mission du mandataire et bailleur de fonds, la Société Niskamoon, l’appropriation des besoins qu’il a exprimés, puis les caractéristiques notamment culturelles des travailleurs rencontrés commandaient l’élaboration d’un cadre dans lequel pouvaient s’articuler des méthodologies de recherche occidentale conventionnelle et autochtone. Une approche occidentale en recherche peut apparaître, pour des personnes autochtones, dans sa structure comme dans son idéologie, comme une façon d’encarcaner des idées et des expériences dans un seul « lieu » et de minimiser ainsi des possibilités de « déborder du cadre », vers des visions autochtones, ce qui peut imposer des limites importantes à une recherche de ce type qui interroge d’abord des expériences de participants autochtones. Nous avons voulu nous assurer de pouvoir intégrer des éléments qui iraient jusqu’à donner une nouvelle idée du cadre lui-même, avec le plus grand recul possible. Cette partie présente la double posture épistémologique et des éléments de méthodologie mis en action pour documenter les questionnements de recherche.

C’est dans un contexte fort complexe et parfois paradoxal de la recherche avec des Autochtones que nous avons opté pour un cadre innovant et une méthodologie également complexe, qui respecte les divers protocoles de recherche autochtone4.

L’approche privilégiée prend en compte les travaux d’organismes autochtones (APN, RCAAQ…) et ceux d’auteurs autochtones (Kovach, 2009; Scharch, 2004; Smith, 2021; Wilson, 2008) qui ont contribué à la conceptualisation, compréhension et description des méthodes de recherche autochtones sur lesquelles se base cette recherche. Cette approche a permis de coconstruire des relations en cours de recherche entre des personnes et des idées dans une recherche implicite d’harmonie et d’équilibre dans chacun des milieux (Kovach, 2009; Wilson, 2008), mais également entre les milieux autochtones et non autochtones (Deschenes, 2020). Elle a aussi rendu possible une compréhension plus juste des réalités des personnes et des contextes autochtones, même si des limites méthodologiques s’imposaient du fait de ne pas être nous-même autochtone.

Orientation philosophique et épistémologique

L’orientation philosophique et épistémologique est basée sur le constructivisme et l’interprétativisme (Avenier et Gavard-Perret, 2012; Girod-Séville et Perret, 1999; Glaserfeld, 2001; Guba et Lincoln, 1989, 1998), puis sur lintersubjectivité de circonstances ponctuelles. La pertinence d’avoir comme point de départ des perceptions que des travailleurs cris avaient de leur situation était sans équivoque. De même fallait-il considérer celles des personnes qui gravitaient autour d’eux et qui participaient à leur insertion. La visée d’une telle démarche consistait à reconstituer des configurations révélatrices et des idéaux types des dynamiques interactionnelles et sociales du déroulement du stage.

Dans le cadre d’une réflexion nécessaire quant à la façon de conduire une recherche dans un contexte qui concerne des personnes autochtones et leur relation avec des personnes et des structures organisationnelles, institutionnelles ou éducatives, nous avons considéré la perception de la subjectivité qu’une perspective occidentale pouvait entraîner sur les personnes, puis directement sur la recherche elle-même et ses résultats. Cette subjectivité perçue rend compte d’enjeux de pouvoir dans les relations et des impacts de la colonisation toujours présents (CVR, 2015). La perspective soutenue est donc aussi tirée d’études décoloniales (Restrepo et Rojas, 2010) et soutient que les institutions et structures occidentales continuent à marginaliser les Autochtones en influençant des relations interculturelles, dont celles directement liées à l’insertion socioprofessionnelle.

Pour minimiser ces aspects, l’épistémologie autochtone sous-jacente à l’approche conduisait à l’implication de personnes autochtones dans la recherche. Dans ce cas, la Société Niskamoon a été présente et très impliquée dès le départ. Elle a validé les objectifs et les moyens de les atteindre à toutes les étapes. Cette riche collaboration a permis de faire correspondre la recherche aux besoins du milieu et des personnes, notamment grâce à :

Type de recherche

L’étude était exploratoire des perceptions des participants intervenant dans l’insertion socioprofessionnelle des travailleurs cris (Savoie-Zajc, 2006). La recherche utilisait plus particulièrement l’étude de cas à travers laquelle une analyse transversale des entrevues a été effectuée (Boutin, 1997). Elle a permis de faire le pont entre des concepts théoriques et pratiques tels que des expériences vécues, puis à démontrer de quelle façon l’identité, l’appartenance culturelle ou les relations interculturelles et l’insertion socioprofessionnelle étaient liées dans ce cas. Enfin, elle a illustré diverses nuances du développement professionnel dans un contexte interculturel particulier d’insertion, dont des limites et succès potentiels d’un dispositif innovant dans ce contexte.

Population et échantillon

La population concernait l’ensemble des personnes ayant collaboré, participé ou étant intervenues dans le cadre de la mise en œuvre du programme pendant toutes les années qu’a duré celle-ci. L’échantillon retenu comporte 123 personnes, dont 98 étaient parties prenantes de la réalisation du stage. Le tableau suivant présente le nombre, la fonction, l’origine et le genre de ces personnes. Le choix des participants a été fait dans le cadre d’une collaboration entre le CA, la DFE et la conseillère en intégration des Cris chez Hydro-Québec, qui nous a suivie et épaulée pendant toute la recherche.

TABLEAU 1. Nombre, origine et genre des personnes interrogées dans le cadre de la recherche



Non-autochtones

Autochtones



H

F

H

F

HYDRO-QUÉBEC

Cadres intermédiaires / supérieursa

6

1



Membres du personnel (conseillers à l’intégration des Autochtones, conseillers relation avec les Autochtones, conseillers en relation de travail)b

2

3



Gestionnaires d’équipes intégrant des Autochtones

8




Chefs d’équipes intégrant des Autochtones

13


1c


Travailleurs au sein d’équipes intégrant des Cris

10




Travailleurs cris ayant réalisé un staged



26

18

SOCIÉTÉ NISKAMOON

Membres autochtones du CA



1

2

Membres de la DFEe


1

1

1

Psychologue industriel

1




Psychothérapeute


1



Consultante en formation continue des Autochtones


1



Avocat

1





TOTAL

41

7

29

21

a Deux étaient membres du CA.

b Un était membre du CA.

c Certains ont quitté; les départs sont volontaires ou non.

d Ces travailleurs ont débuté par le stage, puis grimpé les échelons.

e Les trois personnes couvrent une période totale de 13 ans.



Collecte des données

La collecte des données s’est effectuée sur deux ans pendant lesquels des blocs d’une à deux semaines de rencontres toutes les six semaines environ étaient prévus6. Les entrevues (50 à 170 minutes) avec les intervenants à la Société Niskamoon, et la majorité des entrevues avec les travailleurs cris se sont déroulées au bureau de la Société Niskamoon à Rouyn-Noranda, un lieu considéré sécuritaire culturellement par les personnes cries rencontrées qui le fréquentaient régulièrement. Le personnel d’Hydro-Québec a été rencontré au siège social de Montréal ou de Rouyn-Noranda.

Le guide était non dirigé, encadré par des thèmes qui ont été coconstruits avec la Société Niskamoon. Il portait sur des thèmes de base et les questions étaient ouvertes (par exemple, pour les travailleurs : « Parle-moi de ton expérience avec ton coach lors de ton stage. »; pour les coachs : « Parle-moi de ton expérience comme coach avec les travailleurs cris. »). Les données sont principalement issues des thèmes suivants :

Notre approche privilégiait l’écoute, l’empathie et le respect des silences et permettait d’entendre ce que les gens avaient à dire au moment de la rencontre. En plus des entrevues, plusieurs notes de terrain ont été rédigées. Le contexte en est un où nous voyagions sur le territoire avec les travailleurs, partagions les repas tous les jours et cohabitions sur les sites de travail avec eux, ce qui a engendré plusieurs discussions informelles très riches.

Enfin, des contraintes géographiques et temporelles ont modulé l’exercice de collecte de données. D’abord, des centrales éloignées géographiquement n’ont pas été visitées. Puis, des rencontres déterminées dans un temps et un lieu donné et prévues environ toutes les heures et demie ont généré deux limites quant à la profondeur de quelques entrevues, interrompues par manque de temps, et la fatigue et la surcharge cognitive liées aux déplacements.

Analyse des données

Les données collectées ont été traitées, catégorisées et codées7. Les informations ont été retranscrites de façon intégrale. Les cadres théorique et conceptuel ont servi dans un premier temps à coconcevoir le guide d’entrevue, puis à créer des grilles d’analyse, qui ont subi quelques ajustements après une première série d’analyses. L’analyse thématique de contenu a permis de regrouper les données collectées en catégories (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette méthode consiste à l’étude qualitative compréhensive (Paillé et Mucchielli, 2012; Poupart et coll., 1997), dans la mesure où elle décrit ce que ce type de démarche sous-entend, soit létude dacteurs parlant, agissant, interagissant et pensant, ce qui rejoint aussi des principes d’une épistémologie autochtone (Wilson, 2008). L’interprétation et la compréhension du phénomène (le stage) ont considéré les raisons d’agir et d’interagir fournies par les acteurs eux-mêmes. Elles ont ensuite été mises en perspective en gardant comme prérogative la double orientation de la recherche.

RÉSULTATS

Les résultats portent sur la description de caractéristiques et d’effets du dispositif d’insertion socioprofessionnelle, notamment afin d’illustrer son originalité. Ils ne prétendent pas à la représentativité de tous les Cris ou de toutes les nations du Québec ou à une quelconque généralisation.

Principalement, le dispositif consistait à un accompagnement individualisé entre un coach et un nouveau travailleur cri. Ce duo travaillait en équipe pour une période de six mois, avec des horaires en alternance. Les objectifs des coachs consistaient à initier les travailleurs à divers aspects du travail, dont des activités professionnelles spécifiques non apprises en formation (par exemple des entretiens sur des machines uniques à la production d’hydroélectricité). Il s’agissait donc d’un accompagnement technique dans l’exécution de nouvelles tâches, mais aussi d’aide pour la réalisation de tâches administratives. Le coachinitiait la personne à différents cercles sociaux : d’abord au sein de l’équipe, puis au sein des membres du même corps de métier, du syndicat, etc.

Le stage visait une adaptation réciproque, puisque l’équipe s’adaptait à la personne et à son rythme de travail. Même s’il avait été d’abord instauré pour permettre un accompagnement technique, il permettait le renforcement de compétences douces (habiletés en communication et en langue, organisation et planification des tâches et du travail, leadership, gestion de la pression dans un contexte de haute performance…). Ces compétences à atteindre sont les mêmes pour tous les travailleurs, autochtones ou non, mais elles semblent plus importantes à renforcer chez les travailleurs cris en formation. «Ils partent d’un endroit différent, explique la DFE, alors quand ils arrivent, ça prend plus de temps pour les mener au même endroit que les non-Autochtones, mais ils y arrivent.»

Malgré l’obtention du diplôme dans le métier, des travailleurs arrivaient en stage « sans être tout à fait prêts sur le plan technique » (coach, Hydro-Québec) à occuper leur emploi, et ce, pour différentes raisons que des participants lient aux difficultés de larticulation entre la formation et lemploi et à celles du transfert des apprentissages : « Au centre de formation, ils ne travaillent pas sur les mêmes machines. Quand ils arrivent ici, les machines sont différentes et beaucoup plus grosses! Cest impressionnant, même intimidant » (cadre de maîtrise, Hydro-Québec). Puis, des travailleurs cris rapportent qu’il était difficile en formation de faire des liens entre ce qu’ils connaissaient de leur milieu et ce qu’ils apprenaient. De là l’importance du stage et du coach, qui jouait le rôle de courroie de transmission. Le processus de sélection du coach a varié d’une équipe à l’autre et d’un secteur à l’autre. Certaines caractéristiques personnelles et professionnelles étaient recherchées : le niveau d’autonomie et de débrouillardise, l’aisance dans le travail, le sérieux, la patience, mais surtout, la volonté de participer à un tel programme qui visait aussi à faire le pont entre deux cultures. « Normalement, explique un membre de la haute direction chez Hydro-Québec, le coach était là pour l’intégration dans l’équipe, pour faire un pont culturel. (…) on voulait des gens qui voulaient s’investir pour la diversité, intégrer des Cris, qui sont des gens qui n’ont pas la même culture qu’eux » (Hydro-Québec, haute direction).

Parfois, une instabilité relative du coach a nui à certains travailleurs dans leur insertion: plusieurs ont signalé avoir changé de coach à différentes reprises, sans comprendre pourquoi. Ces changements ont été perçus comme un rejet et certains comprenaient de cette situation qu’ils n’étaient « pas compétents », « pas capables au début » ou « pas à la hauteur ».

Bref, l’initiative d’introduction de ce dispositif visait à offrir un accompagnement post-formation qui serait adapté aux profils des personnes embauchées et qui permettrait de combler des lacunes estimées. Or, elle s’est révélée complexe dans son implémentation, notamment en lien avec des aspects liés à l’interculturalité, que l’accompagnement du coach a su minimiser. La prochaine section porte sur cette réalité.

DISCUSSION

Nous avons choisi de nous concentrer ici sur la relation entre le travailleur cri et son coach, notamment sur la dimension interculturelle de la relation, qui est sans contredit celle qui a émergé le plus souvent des entrevues avec les travailleurs. Cette dimension permet de rendre compte de la grande complexité de la mise en œuvre du dispositif d’accompagnement.

Les expériences d’accompagnement qui semblent avoir le mieux réussi dans ce contexte interculturel ont été balisées par des pratiques que des coachs ont intégrées progressivement. Il semble que des enjeux de l’insertion s’inscrivent moins dans l’articulation entre la formation post-emploi et la pratique ou dans celle de la rencontre entre des perspectives diverses du travail ou du secteur industriel. Plutôt, les données suggèrent qu’ils s’inscrivent d’abord au sein de la relation interculturelle.

D’abord, il semble que le coach jouait un rôle de passeur culturel entre la culture à l’intérieur de l’organisation et celle du travailleur cri (Zakhartchouk, 2006)8. Pour plusieurs, ce rôle a été déterminant pour leur réussite. Au-delà du travail et des tâches, le coach devenait la référence pour toutes les questions portant sur des aspects culturels des Québécois, notamment des façons de faire, des attitudes ou des comportements attendus, ou ceux de la culture de l’organisation, incluant des valeurs, des normes ou des rituels partagés. D’ailleurs, plus l’expérience que le coach a accumulée avec des travailleurs cris avant son accompagnement est importante, plus la dynamique relationnelle entre le coach et le stagiaire semble favorisante pour les deux.

La nature des relations entre le coach et le travailleur cri, un accompagnement fondamentalement contextuel (Paul, 2009), est influencée par des éléments aussi divers que le lieu de résidence du travailleur cri (communauté crie ou zone urbaine québécoise), son expérience précédente en formation et au travail, sa facilité à s’exprimer en français, son âge, de même que l’origine du travailleur non cri, son expérience antérieure avec des Cris ou au sein des communautés cris, son âge et des éléments liés à la personnalité. Or, il apparaît peu probable de lier directement le succès ou l’échec du stage à la culture ethnique, et ce, même si un tel accompagnement doit être conçu dans la diversité (Paul, 2009).

Des difficultés en stage dues au contexte interculturel de la relation entre le coach et le travailleur cri sont liées à la communication de façon générale (Boutinet, 2010) et de la communication en français (CCPNIMT, 2016; Deschênes, 2022) ou à des incompréhensions ayant comme prémisses des éléments culturels comme certaines visions du travail ou des façons de s’exprimer. Ces incompréhensions liées à la différence culturelle ont parfois mené à des difficultés en cours de stage. D’autres portent sur la conformité des travailleurs cris à des règles ou à des normes formelles (administratives, syndicales…) ou implicites au sein de l’organisation (utilisation du téléphone au travail…). L’explicitation de ces règles et de ces normes semble une pratique facilitante pour le travailleur cri et son coach. Aussi, l’inférence du comportement et des attitudes (liées ou non à la culture d’appartenance) de l’autre apparaît comme un facteur favorisant la construction d’une relation de confiance entre les travailleurs, puisque, ainsi, l’autre agit selon des règles et des normes connues pour les deux partis. En stage, cette pratique minimise chez le travailleur cri l’impression fréquente que, pour être accepté, il doit modifier son comportement. Pourtant, la constitution d’équipes multiculturelles devrait réduire les pressions de conformité caractéristiques des équipes de travail composées de travailleurs qui partagent la même culture (Schneider et Barsoux, 2003). Cette observation semble imputable au fait que les relations positives entre les travailleurs cris et leur coach aient été largement basées sur la clarification des attentes réciproques en lien avec des comportements et des attitudes attendus.

Or, des difficultés relationnelles vécues entre des travailleurs cris et leur coach semblent aussi liées à un rapport à soi et à l’autre qui transcende le contexte interculturel ou l’ethnicité seule et qui tend plutôt vers des éléments d’interprétation de la culture organisationnelle. Entre autres, des travailleurs cris ont perçu une obligation de se conformer à des normes organisationnelles qui sont propres à la culture de l’organisation et moins à la culture des personnes. En effet, si des différences semblent attribuées au contexte interculturel, d’autres semblent aussi liées à la culture organisationnelle particulière du milieu : une organisation dont les membres, des «hydro-québécois», ont une appartenance très forte, des caractéristiques démographiques et culturelles assez homogènes (âge moyen, culture, genre, etc.) et des croyances, des valeurs et des normes formelles et implicites auxquelles ils adhèrent en grande majorité. Cette culture organisationnelle, dans un sens, demande à tout nouveau travailleur de s’adapter afin de faire partie du groupe.

Or, ces travailleurs cris semblent avoir confondu cette obligation de s’assimiler ou de s’adapter à la culture de l’organisation à une obligation de s’assimiler à la culture (ethnique) dominante (plutôt homogène dans le contexte des centrales de la Baie-James d’Hydro-Québec) au sein de l’organisation. Pendant le stage, cette confusion a engendré des conséquences sur le plan relationnel, comme des réticences à s’engager avec l’autre ou l’acceptation mutuelle des membres de l’équipe. Ainsi, des façons de fonctionner, d’agir et d’être dans l’organisation par rapport, par exemple, au travail à faire, aux dynamiques entre collègues et entre équipes ou au respect d’un type de hiérarchie organisationnelle ont été perçues comme une demande implicite de se conformer à des règles et à des normes perçues comme appartenant à un groupe culturel (ethnique) spécifique. Pourtant, comme au sein d’autres organisations, ces demandes implicites de conformité à une culture organisationnelle sont faites à l’ensemble des travailleurs, peu importe la culture ethnique. L’homogénéité forte des caractéristiques des travailleurs chez Hydro-Québec a pu contribuer à cette perception. Dans ce contexte, le rôle du coach prend une importance capitale : certains, conscients qu’il existe une perception potentiellement négative liée à cette confusion, ont pu la désamorcer dès le départ. D’ailleurs, pour eux, des aspects influençant les relations et les interactions entre des travailleurs cris et les autres travailleurs sont préalables à son arrivée en stage. Il s’agit d’autant de préjugés et de stéréotypes entretenus de part et d’autre qui réaffirment la méconnaissance de l’histoire des Autochtones ou des Québécois, de façon générale, puis de celle liée à la colonisation ou à leur connaissance et expérience respectives de la post-colonisation (CVR, 2015). La relation interculturelle interviendrait davantage en dehors des caractéristiques de l’organisation et serait ramenée non intentionnellement dans des relations au sein de l’organisation en créant des tensions.

Aussi, la relation interculturelle entre le travailleur cri et son coach a semblé engendrer le besoin de négocier, voire de justifier le sens de ses actions et ses interventions. L’inconfort résultant de cette dynamique a demandé un ajustement personnel important, afin de se sentir adéquat et compétent dans son rôle d’apprenti ou d’accompagnateur. Ce rapport a parfois sous-entendu une confrontation « culturelle » dans laquelle des caractéristiques d’une culture organisationnelle très homogène ont rendu difficile l’intégration de la différence (culturelle ethnique).

Tant l’origine que le traitement de ces tensions sont complexes, notamment parce qu’une grande part n’appartient ni à l’organisation ni à ces représentants. Bien que des perceptions d’injustice, de non-réciprocité et de partialité auraient teinté certaines relations, le stage a plutôt permis le développement d’un sentiment de confiance entre le travailleur cri et l’organisation non autochtone, réputé difficile à construire, « à travers » le travail du coach.

Au sein des relations entretenues, il semble que des processus assouplis et clarifiés permettent un meilleur arrimage entre les personnes, cest-à-dire la négociation dobjectifs communs, le compromis d’intérêts parfois contradictoires et l’élaboration de processus de communication standards, considérant les enjeux linguistiques, afin de construire des rapports de confiance dans un contexte interculturel. Plutôt que de s’enfermer dans un modèle ou dans des pratiques universelles de gestion, des mesures organisationnelles ont permis de répondre à différents besoins; le stage sinscrit dans cette perspective de négociation dintérêts paradoxaux, comme des enjeux fondamentaux, souvent liés au type de relation (hiérarchie organisationnelle, termes d’un contrat de travail, contacts affectifs, voire intimes et individuels) entretenue, à ses contraintes ou à des circonstances conjoncturelles. Par exemple, le rapport du travailleur cri à son coach au travail était déterminé en partie par leurs rôles respectifs spontanés ou normés et en partie par la nature de leur contact, avant d’être liés à leur culture respective. Ainsi, plusieurs des questions soulevées par les participants, toutes origines confondues, sont fortement liées à l’identité, l’altérité ou l’appartenance à un groupe social, lesquels éléments doivent être pris en considération par l’organisation.

Pour le travailleur cri, le «changement détat» lié au développement de son identité professionnelle semble avoir pris forme en partie aussi grâce au développement de ses représentations de sa relation à soi et à l’autre (Cardu et Bouchamma, 2013). Avec l’aide de son coach, le travailleur a acquis des capacités stratégiques qui lui ont permis de transformer et d’intégrer ces représentations (de sa compétence, de ses habiletés sociales ou professionnelles, etc.) pendant son processus d’insertion (Boutinet, 2014) et de se situer dans l’organisation tout en développant des éléments liés à l’exercice de son métier dans un contexte culturel différent pour lui (Cardu et Bouchamma, 2013). Cette nouvelle identité professionnelle située (Charlier et Donnay, 2006) n’aurait peut-être pas été développée de la même manière dans un autre contexte ou sans accompagnement.

La relation créée avec le coach a facilité chez le travailleur cri l’appropriation de différentes structures (sociales, culturelles, organisationnelles…) qu’il aurait peut-être moins bien réussies à s’approprier seul. Pour ce faire, la relation développée avec le coach lui a permis de s’ajuster entre ses croyances et valeurs et celles véhiculées par l’organisation.

L’accompagnement, bien qu’il visait au départ l’articulation entre les deux espaces que sont la formation et le travail, s’est révélé un instrument fort de l’articulation entre des espaces culturels : ethniques, puis organisationnels, voire liés à des métiers. Aussi, la logique de la traduction culturelle par rapport à l’action (Wittorski, 2013) semble toujours la perspective la plus juste dans ce cas, puisque des travailleurs cris ont besoin de se « mettre à distance » de laction et de situations afin de modifier leurs façons de voir et de penser l’action. En revanche, il semble pertinent dans ce contexte interculturel entre l’accompagnant et l’accompagné, de se mettre aussi à distance afin d’observer des échanges culturels. Si des travailleurs autochtones sont réputés apprendre des gestes techniques en imitant et en reproduisant un comportement (Deschenes, 2022), il semble que ce mode d’apprentissage pourrait aussi s’avérer intéressant pour l’acquisition de compétences sociales (lors de l’observation des comportements sociaux adoptés par le coach). En somme, l’apprentissage des éléments qui balisaient la relation entre le coach et lui a servi de modèle au travailleur cri pour le développement des autres relations pendant et à la suite du stage.

Enfin, l’accompagnement s’est révélé être un dispositif efficace d’insertion socioprofessionnelle, dans lequel le coach a joué un rôle crucial, dans un cadre où ses rôles et responsabilités étaient plus ou moins définis. Aussi, cette flexibilité de la structure et de la mise en œuvre du dispositif, volontaire ou non, a porté fruit et a permis aux coachs de s’adapter aux travailleurs cris.

CONCLUSION

Grâce à une méthodologie qui implique l’élaboration d’un cadre dans lequel pouvait s’articuler des méthodologies de recherche occidentale conventionnelle et autochtone, la recherche a permis d’aborder des données sur un dispositif d’accompagnement visant l’insertion socioprofessionnelle des travailleurs cris au sein d’une organisation non autochtone. Au-delà de la description des caractéristiques et des effets du dispositif, le texte aborde la place et l’importance de la dimension relationnelle entre le travailleur cri et son coach.

Les réflexions qui en émergent portent sur les particularités organisationnelles et interculturelles des relations spécifiques à la rencontre de ces deux acteurs. Les résultats sont prometteurs pour de futures expériences et évoquent l’importance de considérer la réalisation d’un stage dans le cadre de l’insertion socioprofessionnelle de travailleurs autochtones. La capacité de l’organisation à sortir de son modèle, à s’adapter et à dépasser le cadre de sa zone de confort en offrant un tel dispositif est probablement garante du succès de l’insertion socioprofessionnelle des travailleurs autochtones dans ce contexte.

Enfin, la réflexion doit être poursuivie quant aux moyens à mettre en œuvre pour développer les compétences de toutes les personnes impliquées dans l’insertion socioprofessionnelle et permettre une meilleure articulation, peut-être entre la formation préalable à l’embauche et le travail, mais certainement entre des représentations culturelles (ethniques et organisationnelles) de deux groupes aux caractéristiques distinctes.



Notes

  1. L’entente avait pour nom Apatisiiwin. Elle fait partie d’une partie de l’entente de la Paix des Braves (2002).

  2. Dans ce texte, «Autochtones» fait référence aux Premières Nations et aux Inuit (qui sécrit sans «s» au pluriel).

  3. Le choix a été fait par des représentants cris au moment des discussions menant à la signature de l’entente. Il s’agit de technicien en automatisme (3 % des travailleurs cris actuels) ou en télécommunication (3 % des travailleurs cris actuels), de mécaniciens d’appareillage (31 % des travailleurs cris actuels) et d’électricien en appareillage (63 % des travailleurs cris actuels).

  4. Le chapitre 9 de lÉnoncé de politique des trois Conseils (EPTC2, 2018), les principes PCAPMD (Schnarch, 2004); le Protocole de recherche de l’APNQL (2014) et les Lignes directrices en matière de recherche avec les femmes autochtones (2002).

  5. Ce comité est composé d’un représentant cri, de la conseillère à l’intégration des Cris, de représentants des cadres et des parties syndicales. Son objectif consiste à assurer une intégration réussie des Cris au sein d’Hydro-Québec.

  6. À Rouyn-Noranda, Val-d’Or, Amos et dans des installations d’Hydro-Québec de la Baie-James (La Grande [LG] 1, LG2, LG2-A, LG3, LG4, Laforge-1, Eastmain 1, Eastmain 1-A).

  7. Un codage thématique a été fait sur la presque totalité du corpus, avec accords interjuges entre la DFE et un expert des thèmes abordés.

  8. Le concept de passeur culturel tel que discuté par Zakhartchouk (2006) en éducation est réinvesti ici. Nous le concevons comme l’effort du mentor pour adapter la culture organisationnelle aux besoins et aux capacités des travailleurs et pour les amener à faire face aux exigences de cette culture organisationnelle.

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