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Analyse des savoirs mobilisés par des stagiaires en enseignement pour évaluer leurs élèves

Nicole monney et Alexandra Simard-Côté Université du Québec à Chicoutimi

Jennifer Smith Université du Québec en Outaouais

Andréanne Gagné Université de Sherbrooke



LES difficultés des futurs enseignants à évaluer les apprentissages des élèves

Au Québec, la formation à l’enseignement adopte la perspective de la professionnalisation en proposant le développement de 12 compétences professionnelles (MEQ, 2020). Une de ces compétences concerne l’habilité du futur enseignant à « Développer, choisir et utiliser différentes modalités afin d’évaluer l’acquisition des connaissances et le développement des compétences chez les élèves » (p. 58, MEQ, 2020). Afin de développer leurs compétences, les futurs enseignants suivent des cours universitaires et participent à un minimum de 700 heures de stage en milieu scolaire (Portelance, 2008). Les activités de stage leur permettent de contextualiser les savoirs et les pratiques acquis durant les cours universitaires, de mobiliser un ensemble de ressources et, ainsi, de développer leurs compétences professionnelles. Or, le pont entre ce qui est acquis dans les cours universitaires et ce qui se vit en stage ne se fait pas aussi facilement (Desjardins, 2013). La façon dont les stagiaires ancrent les différents savoirs dans la réalité ne correspond pas nécessairement à ce qui est visé par la formation des enseignants (Monney, L’Hostie, Fontaine, 2018). Le cas de l’évaluation formative en est un exemple. L’évaluation formative est reconnue comme un des leviers pour la réussite éducative (de Champlain, 2011; Stiggins, 2009). Elle vise avant tout des rétroactions explicites à l’élève durant la séquence d’apprentissage (Black, 2016; Hadji, 2012). Les rétroactions de l’enseignant ont un impact positif et efficace sur l’apprentissage de l’élève (Hattie et Timperley, 2007). Dans le cas des futurs enseignants, il semblerait qu’ils s’appuient plutôt sur leurs propres expériences vécues en tant qu’élèves (Skamp, 2001) ou, encore, sur leurs croyances (Boraita et Crahay, 2013; Monney et al., 2018) pour enseigner et évaluer. Plusieurs études ont mis en lumière le manque de préparation des futurs enseignants par rapport aux pratiques évaluatives (Monney et Fontaine 2016; 2018; Fontaine et al., 2011). Il y a lieu, donc, de poursuivre la réflexion autour de cette problématique du développement de la compétence à évaluer chez nos futurs enseignants.

le développement de la compétence à évaluer et les stages en milieu scolaire

Selon Le Boterf, qui a beaucoup travaillé du côté du développement des compétences professionnelles dans différentes professions et métiers, être compétent, c’est :

« savoir agir en situation professionnelle en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources internes personnelles (connaissances, savoir-faire ou habiletés, aptitudes, émotions…) et externes (ressources de l’environnement) et en faisant appel à l’usage de fonctions de guidage » (p.57, Le Boterf, 2018)

Cette définition nous semble pertinente pour bien saisir ce qu’est une compétence professionnelle et les différents éléments qui la constituent. Par conséquent, lorsqu’il est question de la compétence à évaluer, elle se manifeste nécessairement en situation réelle. C’est en classe que le futur enseignant pose des actions pour évaluer ses élèves, pour rétroagir avec eux et pour remédier à l’enseignement. Les stages durant la formation initiale jouent donc un rôle essentiel pour pouvoir observer la manifestation de cette compétence. Cependant, être en situation n’est pas suffisant pour assurer le développement de la compétence professionnelle en évaluation. Il est nécessaire d’accompagner le futur enseignant par la pratique réflexive pour qu’il puisse prendre acte des savoirs qu’il a mobilisés et décider des actions futures qu’il posera (Buysse et Vanhulle, 2009). Cette pratique réflexive permettra d’amorcer un réel processus de développement professionnel (Uwamariya et Mukamurera, 2005) en contextualisant les savoirs acquis à l’université et en consolidant les pratiques développées en stage. Au Québec, la personne qui accueille le stagiaire dans sa classe, et qui a la responsabilité de l’accompagner dans sa réflexion, est l’enseignant associé (EA) (Gervais, 2006). C’est lui qui accueille le stagiaire, l’aide à se planifier, l’accompagne dans son enseignement et le guide dans l’évaluation des apprentissages selon les orientations ministérielles (Portelance et al., 2008). L’EA possède un baccalauréat en enseignement. Il est titulaire d’une classe et il a développé des savoirs expérientiels, ou des pratiques évaluatives, tout au long de sa carrière (Morrissette et Nadeau, 2011). Il possède donc l’expertise nécessaire et a un intérêt pour accompagner le futur enseignant dans le développement de la compétence à évaluer. C’est dans ce contexte qu’une recherche a été menée auprès de cinq stagiaires finissantes en éducation préscolaire et en enseignement primaire et de leurs EA respectifs. Cet article présente une partie des résultats de cette recherche, à savoir, l’analyse des savoirs mobilisés par des stagiaires finissantes en situation réelle en classe.

Cadre théorique : l’évaluation formative et les savoirs mobilisés dans la compétence à évaluer

Afin d’analyser les savoirs mobilisés par les stagiaires dans l’évaluation, deux concepts centraux se doivent d’être définis dans cet article : l’évaluation formative et la compétence à évaluer. La politique d’évaluation des apprentissages met de l’avant deux fonctions de l’évaluation : l’aide à l’apprentissage et la certification (MEQ, 2003). Ainsi, lorsque les stagiaires sont en classe avec les élèves, ils évaluent dans une fonction d’aide à l’apprentissage plutôt que de certification. C’est pour cette raison que le cadre conceptuel de cet article se concentre sur les savoirs mobilisés en évaluation ayant comme fonction l’aide à l’apprentissage et communément appelée évaluation formative.

L’évaluation formative

L’évaluation dite formative est intégrée à la dynamique des apprentissages de l’élève et fournit une information diagnostique pour guider l’enseignement et l’apprentissage (Laurier, 2014). Le but est d’amener l’élève à faire des liens entre ce qu’il connaît et les nouvelles connaissances qu’il construit (Scallon, 2008) par le biais de rétroactions en continu. Cette définition permet de distinguer la démarche de soutien à l’élève durant l’enseignement de la démarche certificative qui vise à sanctionner les apprentissages à la fin d’une séquence (Dunn et Mulvenon, 2009). Par conséquent, l’évaluation formative n’intègre pas uniquement des examens sous format écrit, mais propose également des gestes évaluatifs plus informels comme l’observation, le questionnement et la rétroaction à l’élève (Diedhiou, 2013; Mottier-Lopez, 2015). Elle s’inscrit ainsi dans l’activité d’enseignement-apprentissage (Williams et al., 2012). Stiggins (2009) propose aux enseignants quelques gestes potentiels d’évaluation formative : partager les buts d’apprentissage avec les élèves, donner une rétroaction formelle ou informelle sur le travail de l’élève, apporter des propositions d’amélioration, offrir à l’élève des outils ou des stratégies d’autoévaluation.

La compétence à évaluer

La compétence à évaluer selon le MEQ (2020) se définit ainsi : « Développer, choisir et utiliser différentes modalités afin d’évaluer l’acquisition des connaissances et le développement des compétences chez les élèves » (p. 58). Par conséquent, il s’agit pour le stagiaire de mobiliser un ensemble de ressources, telles que des savoirs, qui lui permettront d’évaluer l’acquisition des connaissances et le développement des compétences chez les élèves dans une fonction d’aide à l’apprentissage. Mais, de quels savoirs parle-t-on? Morrissette et Nadeau (2011) se sont intéressés aux savoirs mobilisés par les enseignants en exercice lors de l’évaluation formative. Leur typologie intègre six types de savoirs : les savoirs stratégiques, les savoirs sur le processus de travail, les savoirs sur les conditions de la pratique, les savoirs sur les relations, les savoirs sur la posture et les savoirs théoriques. Morrissette et Nadeau (2011) définissent chacun de ces types de savoirs :

Ainsi, lorsque les stagiaires évaluent dans une vision formative, ils mobilisent ces différents types de savoirs.

Méthodologie : L’entretien d’autoconfrontation pour faire émerger les savoirs

Cette recherche s’inscrit dans un cadre constructiviste en sciences de l’éducation qui vise à produire de nouvelles représentations de la réalité (Fourez, 2003) pour une meilleure compréhension du point de vue des acteurs. Il s’agit donc d’une recherche qualitative-interprétative (Savoie-Zajc, 2011) où appréhender la compétence à évaluer du stagiaire dans une perspective interprétative et observer le retour de l’EA demande d’avoir accès à l’activité du stagiaire en cours d’action et à son point de vue sur ses actions. L’entretien d’autoconfrontation simple (Clot et al., 2000; Theureau, 2006) répond à ces conditions puisqu’il s’agit d’une méthode qui intègre à la fois des observations filmées dans des situations réelles et des entretiens d’autoconfrontation entre l’acteur principal et l’action filmée. Cette méthode amène l’acteur à interpréter son action et le chercheur à mieux comprendre les dynamiques particulières de la situation vécue. Dans le cas de cette recherche, l’autoconfrontation consiste à placer le stagiaire accompagné de son EA devant l’observation filmée. L’idée étant de voir quelles seront les interprétations du stagiaire de son action lors du visionnement et de l’échange avec son EA.

Une fois la certification éthique de l’institution d’attache obtenue, les participants ont été recrutés. Un message d’invitation a été envoyé dans quatre commissions scolaires différentes. Cinq EA volontaires, ainsi que leurs stagiaires finissantes du baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire, ont accepté de participer à la recherche. Les EA répondaient à trois critères : avoir suivi les formations spécifiques dispensées par le bureau de la formation pratique, se préparer à accueillir un stagiaire finissant et être intéressés par la problématique de l’évaluation des apprentissages. Les stagiaires étaient toutes des femmes entre 23 et 27 ans. La collecte de données s’est déroulée sur l’ensemble du stage de 12 semaines durant lequel la stagiaire a la prise en charge complète de la classe. Le tableau 1 présente le déroulement de la collecte de données et les contenus qui ont été observés.

Tableau 1 : Déroulement de la collecte de données et contenus observés

Stagiaire

Niveau d’enseignement au primaire

1re observation

Février 2019

2e observation

Avril 2019

Date

Contenu enseigné

Date

Contenu enseigné

1

2e année

5 février 2019

Écriture

5 avril 2019

Écriture

2

3e et 4e année

7 février 2019

Plan cartésien

3 avril 2019

Analyse de phrase

3

6e année

26 février 2019

Analyse de phrase

2 avril 2019

Art dramatique

4

Préscolaire 4 ans

4 février 2019

Conscience phono.

1er avril 2019

Conscience phono.

5

6e année

6 février 2019

Art dramatique

2 avril 2019

Éthique et culture religieuse



Ainsi, les stagiaires ont été filmées à deux reprises en février et en avril. Après chaque séquence filmée, un entretien d’autoconfrontation avait lieu entre l’EA et le stagiaire. Le canevas de l’entretien a été conçu par la chercheure principale et intègre les catégories liées à l’évaluation formative telle que définie plus haut (partage des buts avec les élèves, rétroaction formelle ou informelle, propositions d’amélioration, offre d’outils ou de stratégies d’autoévaluation) et à la typologie du savoir-évaluer (Morrissette et Nadeau, 2011). Le but de l’entretien d’autoconfrontation est de laisser le participant choisir les séquences qui l’interpellent pour pouvoir exprimer ses pensées et sa vision de la situation. Ainsi, la chercheure principale ne définit pas au préalable les questions de l’entretien mais s’appuie sur les catégories du canevas pour relancer les échanges lorsque la stagiaire s’exprime.

L’analyse des observations et des entretiens d’autoconfrontation est qualitative. Elle consiste à développer le cours de l’action comme le rapport qui s’instaure entre les visées d’un sujet, face à une situation qu’il interprète, en rapport à ses acquis dont émerge une représentation partielle et subjective (Van der Maren et Yvon, 2009). Ainsi, dans une première étape, les observations et le contenu des entretiens d’autoconfrontation ont été retranscrits et intégrés dans le logiciel NVivo. Comme le proposent les démarches de Van der Maren et Yvon (2009) et de Miles et Huberman (2002) pour l’analyse du contenu écrit, nous avons suivi les étapes suivantes : 1) sélection des données pertinentes pour chaque entrevue, 2) identification des unités de sens, 3) classement des unités de sens dans chaque catégorie de savoirs mobilisés et 4) regroupement des unités de sens selon des thèmes communs. Une logique inductive qui consiste à utiliser le cadre théorique comme guide du processus d’analyse (Savoie-Zajc, 2011) a été préconisée. L’analyse de contenu s’est réalisée en deux temps. Le premier temps consistait à décrire le cours d’action des observations et à coder des séquences selon les unités de sens qui correspondaient aux gestes d’évaluation formative (annoncer les objectifs, rétroactions, etc.). Dans un deuxième temps, l’analyse de contenu a porté sur la nature des propos recueillis durant les entrevues d’autoconfrontation, et ce, afin de dégager la diversité des perceptions des participants sur les aspects ciblés. Ces interprétations ont ensuite été mises en relation avec les données issues des observations pour une analyse thématique (Negura, 2006).

résultats : De l’activité aux savoirs mobilisés des stagiaires

La présentation des résultats décrit chacune des périodes observées pour chacune des stagiaires ainsi que des extraits de l’autoconfrontation.

Stagiaire 1 : la difficulté à cibler les objets d’apprentissage

La première stagiaire (ST1) enseigne dans une classe de 2e année primaire. La première activité observée consiste à colorier un personnage et à le décrire au moyen de cinq phrases. On peut comprendre que le but est de travailler les différentes constituantes de la phrase. La stagiaire commence l’activité en présentant une image. Elle demande aux élèves de décrire le personnage (ses vêtements, ses couleurs, etc.). Les élèves partagent leur vision. Ensuite, la stagiaire verbalise ainsi la consigne de ce qui est attendu :

« Il y a plein de choses à dire sur le bonhomme de neige, mais moi je veux surtout que l’on parle de ce que vous vous allez ajouter sur votre bonhomme de neige. Alors, selon ce que vous allez colorier, vous allez inventer des phrases et des modèles de bonshommes de neige. »

En d’autres mots, chaque élève doit colorier son dessin, puis composer quatre phrases pour le décrire. Cependant, la stagiaire ne fait pas un retour sur les constituantes de la phrase et sur les stratégies que les élèves peuvent utiliser pour rédiger les phrases. Elle passe donc à côté de l’objet d’apprentissage. Durant l’activité, les élèves rencontrent des difficultés importantes face à la réalisation de la tâche demandée. La stagiaire remarque la situation et propose quelques rétroactions : « Est-ce que tu as compris ce que tu dois faire? Non? Tu dois mettre de la couleur sur ton bonhomme de neige []. Sur quoi on fait nos phrases sur notre bonhomme de neige? On le laisse comme ça et on écrit des phrases? ». Dans ce cas, la stagiaire ne voit pas les difficultés des élèves et ne se réajuste pas. Elle dit d’écrire des phrases, mais ne donne aucune stratégie pour y arriver. Enfin, malgré un certain travail, plusieurs élèves n’ont pas réussi à réaliser la tâche.

Lors de l’autoconfrontation, la stagiaire a rapidement constaté que sa stratégie d’enseignement ne permettait pas aux élèves de comprendre les visées de l’activité :

« Je leur montrais et je leur expliquais que j’avais mis de la couleur à tel endroit et tout ça, mais j’aurais aimé ça leur parler quand même d’une phrase pour qu’ils voient que ce que j’ai écrit est en lien avec mon bonhomme ».

Elle a donc conscience de l’absence d’exemples de phrases et du manque d’arrimage entre l’objet d’apprentissage et la consigne donnée. En lien avec les savoirs stratégiques, on peut questionner sa planification et ses routines qui n’intègrent pas nécessairement une cible d’apprentissage claire. On perçoit le but d’écrire une phrase, mais la structure didactique pour en arriver à écrire une phrase demeure absente. La stagiaire remet ensuite en question le niveau d’autonomie des élèves face à l’utilisation de leurs outils de travail (dictionnaires, affiches, etc.). « Il y a eu beaucoup de questions. On dirait qu’ils ne sont pas encore assez autonomes avec les outils ».

En lien avec les savoirs sur les processus de travail, la stagiaire constate les questions des élèves, mais à aucun moment elle ne remet en question sa consigne ou la structure didactique de son activité. Au contraire, elle remet la responsabilité sur l’élève. La stagiaire semble ne pas maitriser les étapes nécessaires à la rédaction d’une phrase. Dans un troisième temps, certains élèves avaient besoin d’un accompagnement soutenu. Par exemple, un élève allophone devait réaliser la même activité que les autres. La stagiaire identifie clairement la difficulté de l’élève, mais en reste au fait qu’il n’a pas le niveau suffisant en français. Donc, en termes de savoirs sur les procédures ou, encore, de savoirs sur les relations, on peut constater que la stagiaire n’a pas planifié cette difficulté chez cet élève et n’a pas considéré la possibilité de différencier la tâche et d’intégrer l’accompagnement de l’orthopédagogue.

La deuxième observation porte sur une activité de même type où les élèves doivent rédiger des phrases qui décrivent un œuf de Pâques décoré. Tout comme la première observation, la stagiaire passe à côté des cibles d’apprentissage en lien avec les constituants de la phrase. Cependant, les élèves semblent mieux réussir la tâche. L’hypothèse étant qu’ils connaissent mieux ce type de tâche. Lors de l’entretien d’autoconfrontation, la stagiaire s’exprime très peu. C’est l’EA qui prend le leadership en la questionnant sur les différents éléments. La stagiaire acquiesce aux commentaires.

En somme, cette stagiaire semble peu maitriser les éléments de la didactique de l’écriture. Cela semble avoir une influence sur la planification de son activité et sur la cible d’apprentissage (savoirs stratégiques). Sa cible étant abstraite, il est très difficile de rétroagir auprès des élèves et de les orienter vers des stratégies gagnantes (savoirs sur les conditions de la pratique). De ce fait, il s’avère aussi difficile d’intégrer l’orthopédagogue et de convenir avec lui d’une stratégie pour accompagner les élèves en difficultés dans leur tâche.

Stagiaire 2 : l’absence de prise en compte des signes d’incompréhension

La stagiaire 2 enseigne dans une classe multiâge de 3e et 4e années. La stagiaire commence l’activité par un rappel en plénière du plan cartésien abordé la veille en classe pour la première fois. Elle dessine un plan cartésien au tableau. Les élèves doivent 1) tracer un chemin entre deux destinations du plan cartésien et 2) identifier les coordonnées. L’activité se réalise collectivement en demandant aux élèves de venir au tableau pour expliquer leurs stratégies dans les différentes étapes. La stagiaire en profite pour clarifier certaines notions : construction du plan (axes des X et des Y), graduations et coordonnées. Toutefois, le tout est réalisé rapidement, ce qui n’apporte pas les précisions attendues par les élèves. Par ailleurs, ses exemples sont souvent incomplets. Voici un exemple de la situation où un élève se rend compte des incohérences :

Stagiaire : « Est-ce qu’il y en a qui ne comprennent pas? »

Élève : « Tu as oublié tes x et tes y. »

Stagiaire : « Oui. J’ai juste fait une partie. Vous avez raison, j’ai fait ça rapidement. Je n’ai pas fait mes axes comme il faut. »

Donc, l’exemple donné au tableau est incomplet et la stagiaire s’attend à ce que les élèves fassent le lien entre ce que devrait être le plan cartésien et ce qui se passe au tableau. Ensuite, la stagiaire remet un examen écrit aux élèves. L’examen créé par la stagiaire s’avère beaucoup plus complexe que ce qui avait été présenté au préalable. Les élèves doivent retrouver un objet dans le plan cartésien au moyen d’une résolution de problème complexe. Plusieurs élèves se découragent et ne réussissent pas à résoudre la tâche demandée, et ce, malgré l’accompagnement et les tentatives d’éclaircissement fournis par la stagiaire en individuel et en plénière. Cet échange met de l’avant l’incompréhension des élèves, mais, aussi, le fait que certaines connaissances ne sont pas acquises.

Stagiaire : « Ça s’écrit avec une parenthèse et des chiffres. Je veux que tu écrives tes coordonnées. Est-ce que tu comprends? Où sont tes réponses? »

Élève : « Je ne sais pas. »

Stagiaire : « Tu ne sais pas comment elle s’appelle? Réfléchis. »

Plusieurs élèves ne comprennent pas. Il importe ici de rappeler que le plan cartésien avait été vu la veille et que les connaissances travaillées étaient moins complexes que ce qui est attendu dans l’examen.

Lors de l’entretien d’autoconfrontation, la stagiaire reconnait que les élèves n’étaient pas prêts et que l’examen était trop difficile :

« Je pensais que ça allait être beaucoup plus facile parce qu’on l’avait fait hier […] En préparant l’évaluation, je m’étais dit qu’elle était quand même dure, mais qu’ils allaient être capables. »

Elle est donc consciente que ça ne fonctionne pas. Et, elle s’en rend compte lorsqu’un de ses élèves performants ne réussit pas. Il y a donc un lien avec les savoirs sur les conditions de la pratique. Dans la fonction d’une évaluation pour aider l’apprentissage, l’évaluation devrait permettre d’identifier les difficultés des élèves pour que la stagiaire puisse modifier son activité et revoir ses stratégies d’enseignement. Dans cet exemple, la stagiaire reconnait le problème, mais ne se donne pas la liberté de modifier son activité peut-être en raison d’un manque de confiance ou de connaissances par rapport aux savoirs liés aux conditions de la pratique. En lien avec les savoirs théoriques, la stagiaire considère que si l’évaluation est prévue à un moment x, elle doit nécessairement être réalisée. Au terme de l’entretien, la stagiaire met de l’avant sa représentation de l’évaluation formative :

« Je ne ferais pas l’évaluation maintenant. Je me serais servie de ça comme un exercice parce que les élèves n’étaient pas prêts. Cela devrait être comme une évaluation formative. »

La stagiaire maintient donc l’exercice malgré le fait que les élèves n’y arrivent pas. Elle ne remet donc jamais en question son activité et, surtout, le besoin de revoir ces notions dans d’autres activités avant d’arriver à l’évaluation. Notons également que, pour elle, l’évaluation formative consiste en la passation d’un examen qui ne compte pas. Il y a là un lien à faire avec les savoirs sur la posture. Elle ne considère pas son rôle comme la personne qui décide ou non de faire l’évaluation en regard de la progression des élèves.

La deuxième activité observée est une activité d’analyse de phrases. Les élèves analysent collectivement une phrase écrite au tableau. L’enseignement est magistral et dure 45 minutes. Au fil de l’activité, elle questionne les élèves un à un sur les groupes de mot dans la phrase, le genre et le nombre, l’accord, les classes des mots, etc. Parmi les questions posées, on dénote : « Quel est mon verbe conjugué? », « Pourquoi tu me dis que cest au présent? », « Quel est ton noyau? » et « Est-ce que c’est pluriel ou singulier? »

Durant l’entrevue, la stagiaire fait émerger certains savoirs stratégiques par rapport à la planification des différentes activités.

« Hier, quand on a fait de l’écriture et qu’ils faisaient de la correction, je leur demandais s’ils avaient regardé leurs phrases. […] Je me suis rendu compte que la correction n’était pas nécessairement géniale! Fait que là, j’ai fait une phrase avec des fautes dans le groupe du nom. »

Malgré une intention didactique voulant développer chez les élèves des stratégies de corrections, la période de questionnement proposée aux élèves a mobilisé plusieurs autres notions grammaticales (genre du nom, temps verbaux, classe de mots, etc.). Elle reconnait aussi que l’activité devrait être modifiée et que l’approche serait plus active. Elle met en évidence certains savoirs théoriques comme le temps d’attention d’un élève.

En somme, la stagiaire 2 semble plus à l’aise avec les savoirs stratégiques. Elle planifie les objets et elle répond aux attentes didactiques. Par contre, elle a plus de difficultés à être à l’écoute des signes envoyés par les élèves. Elle ne détecte pas les signes d’incompréhension et surtout, ne modifie pas son activité pour mieux l’adapter. Il est donc question de ses savoirs sur le processus de travail. Les savoirs théoriques en lien avec le rôle de l’évaluation formative ainsi que sa posture en tant que personne responsable du moment de l’évaluation semblent également être en cause dans les problèmes détectés.

Stagiaire 3 : Bien cibler ses apprentissages pour mieux orienter son activité didactique

La stagiaire 3 enseigne dans une classe de sixième année. La première observation est une causerie où les élèves sont amenés à identifier la température extérieure sur un thermomètre de classe. La stagiaire anime : « Est-ce qu’on met le ressenti sur le thermomètre? Pourquoi? » En s’adressant à l’élève au tableau : « Pourquoi tu l’as placé là? Explique-le-nous. » Les élèves participent activement. La deuxième partie de la période est consacrée à l’activité de la phrase du jour. Plus précisément à partir de mots à l’étude de la semaine précédente, la stagiaire dicte une phrase aux élèves. Ces derniers doivent l’écrire individuellement sur une feuille. Une fois écrite, un retour en grand groupe est proposé et des élèves volontaires partagent leurs réponses en vue de se mettre en accord sur la bonne orthographe : « Le premier mot, comment je l’écris? Je prends tous les choix possibles! Toi, comment l’as-tu écrit? » Bref, tout au long de l’animation, la stagiaire amène les élèves à justifier l’orthographe qu’ils proposent. Même si cette activité rejoint celle de la stagiaire 2, la stagiaire 3 identifie clairement ses intentions aux élèves. Elle prend aussi toutes les occasions pour rétroagir auprès des élèves en proposant des stratégies ou, encore, en demandant aux élèves de verbaliser leurs rétroactions.

Dans le cadre de l’entretien, il a notamment été question des savoirs liés au processus de travail majoritairement mobilisés dans le cadre de l’activité de la phrase du jour. La stagiaire a continuellement fait verbaliser aux élèves leur raisonnement grammatical. Elle insiste : « Qu’est-ce qui s’est passé dans leur tête? Je veux qu’ils disent pourquoi c’est comme ça. ». Les savoirs théoriques liés à la motivation de l’élève, à l’estime de soi, ont aussi été abordés. « Je voyais qu’elle (une élève) n’était pas certaine. Je me disais qu’on est là justement pour se tromper et pour voir pourquoi on se trompe et comment on peut corriger ça. »

Il y a là aussi un lien à faire sur les savoirs par rapport à la posture. Le rôle de l’enseignant est d’accompagner l’élève dans son rapport à l’évaluation. La stagiaire souhaite que les élèves comprennent que l’erreur est constructive et qu’elle permet de se réajuster.

La deuxième activité observée est une activité d’art dramatique où les élèves apprennent à communiquer de façon non verbale. La stagiaire revient sur les apprentissages réalisés préalablement en lien avec les techniques de mime avec le port du masque. Elle forme des équipes et demande à chacune d’entre elles de piger un thème (sujet de l’improvisation) et de se consulter pour préparer la saynète. Comme il s’agit d’une situation d’évaluation, la stagiaire présente les critères aux élèves. Une fois organisés, les élèves présentent, tour à tour, une saynète devant la classe dans le but de faire deviner le thème pigé aux autres élèves. Au fil des présentations, des rétroactions générales sont fournies aux élèves sous la forme d’encouragements :

« C’est bon! On voyait vraiment que tu voulais qu’il regarde quelque chose en particulier et tu n’as pas juste pointé. En faisant le geste avec les yeux, on voyait vraiment que c’était là que tu voulais qu’on attire l’attention, puis c’était bien. »

Durant l’entretien, la stagiaire questionne sa façon de poser son jugement professionnel lorsqu’elle rétroagit auprès des élèves. En somme, cette stagiaire mobilise des savoirs stratégiques pour bien planifier l’évaluation et s’assurer de guider les élèves pour qu’ils puissent réussir. Il s’agit également de la seule stagiaire qui met de l’avant les critères d’évaluation dans sa planification. Cela semble l’aider pour mieux rétroagir et choisir des activités mieux arrimées entre la didactique et l’évaluation.

Stagiaire 4 : La difficulté à bien saisir le contexte du préscolaire

La stagiaire 4 est placée dans une classe de préscolaire quatre ans. Lors de la première activité observée, une boîte est placée au centre de la classe. Elle contient une lettre adressée aux enfants de la part d’un personnage nommé Rico qui les invite à en apprendre davantage sur les cinq sens. La stagiaire commence par nommer et décrire les cinq sens en donnant des exemples de leur utilité. Elle fait répéter les enfants un à un et les questionne :

« Elle sert à quoi ta langue, elle? Elle te sert à goûter les aliments […]. Un sens, c’est ce à quoi on se sert avec les parties de notre corps. Tu vois ici, il y a un gros œil. Il sort ici vraiment très gros. Est-ce que tu vois bien? Ça, ça s’appelle la vue. Qu’est-ce que l’on peut faire avec notre œil et la vue? »

Ensuite, la stagiaire invite les élèves à être attentifs à une trame sonore proposant des sons d’animaux à identifier. Pour les aider, une feuille avec des images est remise aux élèves, mais avec peu d’explications :

« Regarde bien! Par exemple, on fait notre X sur cette image. Si, par exemple, tu te trompes et tu entends un bruit du chien, mais que tu as coché la vache… Regarde bien! Tu vas pouvoir frotter et ça efface ! Tu vois, ça enlève notre petite barre et tu vas pouvoir recommencer et cocher la bonne chose. D’accord? »

En cours d’activité, des élèves présentent des difficultés à identifier certains sons complexes (ex. la vague) ou encore, à réaliser les étapes de l’activité (écouter et cocher l’image). La stagiaire tente de les guider, mais pas toujours avec succès. Enfin, dans un souci de terminer l’activité avant la fin de la période, la stagiaire adopte un rythme plus rapide d’écoute. Certains élèves ne réussissent pas à compléter l’activité.

Lors de l’entretien, la stagiaire s’exprime peu et ne semble pas réussir à identifier les moments difficiles. Dans l’exemple suivant, on peut constater qu’elle maitrise peu de connaissances sur le développement des élèves de quatre ans et qu’elle n’a pas pris conscience de la difficulté pour un élève de gérer à la fois son attention, le papier, le crayon, l’ouïe, etc.

« Il faudrait faire une activité préparatoire sur les cinq sens pour peut-être plus l’apporter et approfondir chacun des sens. Moi, je voulais apporter un sens spécifique, mais peut-être faire une approche pour tester les connaissances des enfants ».

Il appert dans cet extrait que, par rapport aux savoirs sur les conditions de la pratique, elle n’a pas réagi in situ. Car, son activité aurait pu être transformée en activité préparatoire. Dans le propos suivant, on comprend qu’elle met beaucoup d’importance sur le fait de finir l’activité. Ce n’est donc pas l’apprentissage qui prime, mais plutôt la gestion du déroulement de l’activité.

« C’est surtout que je n’avais pas le temps d’entrer plus en profondeur. À la fin, je voyais le temps passer… Je me disais que j’allais manquer de temps et que ça allait être plus saccadé. J’aurais peut-être dû mettre moins de sons, mais en même temps, ma carte de jeu était faite. »

La deuxième activité observée consiste à découvrir la lettre « R ». À partir d’une mise en situation réalisée à partir d’une boite à histoires, les élèves découvrent la lettre « R », première lettre du prénom du personnage à qui elle appartient. Elle poursuit son activité en abordant le son. Elle questionne les élèves et tente de dégager le son de leurs prénoms. La stagiaire propose ensuite une activité portant sur le tracé de la lettre « R » majuscule. Avant de débuter le travail individuellement, elle invite quelques élèves au tableau interactif et les guide dans leur tracé. Une fois revenus à leur place, les élèves débutent le bricolage en lien avec la lettre du jour. Il s’agit d’un raton laveur (sous la forme d’un R) à découper, à colorier, puis à compléter par le tracé de la lettre. Tout au long de l’activité, la stagiaire circule et commente le travail des élèves. Cependant, en ce qui concerne le tracé des lettres, il s’agit d’un r en minuscule. Les élèves interrogent d’ailleurs la stagiaire sur cette lettre qu’ils ne connaissent pas. La stagiaire leur répond de « faire un petit r ». Certains élèves vont rédiger un « R » majuscule en petit format. Là, on constate l’incohérence entre ce qui a été présenté en collectif et ce que l’élève doit faire seul.

Lors de l’entretien d’autoconfrontation, la stagiaire identifie son intention comme :

« C’est quand même se familiariser avec l’écrit un petit peu d’écrire des lettres… Reconnaître des lettres de l’alphabet, des conventions propres à l’écriture… Démontrer de la conscience phonologique comme on disait que le R est présent dans certains mots. Sinon, ça peut toucher quand même à d’autres choses comme le développement physique et moteur, la motricité fine à écrire, à colorer. Après ça, ça peut aller avec réagir avec fierté, on en a vu certains élèves qui étaient fiers d’eux. »

Cet extrait permet de mettre en évidence que la stagiaire n’a pas une intention claire sur les cibles d’apprentissage. Elle connait les différentes dimensions qui peuvent être travaillées cependant, elle ne cible pas ses priorités (savoirs stratégiques). Il y a également une méconnaissance des attentes du préscolaire quatre ans qui n’intègrent pas le tracé des lettres (savoirs théoriques).

Stagiaire 5 : quand l’EA s’inscrit dans une logique normative

La stagiaire 5 enseigne dans une classe de sixième année. L’activité proposée ressemble à celle de la stagiaire 3 et consiste à jouer des saynètes en mimant avec un masque. Pour introduire le tout, la stagiaire fait un retour sur le fait de porter un masque et sur les gestes à privilégier dans les mimes. Avant de débuter la séance de mimes, la stagiaire émet quelques conseils importants aux élèves :

« N’oubliez pas de diriger votre regard vers l’avant. Pointer le nez, un regard loin, des gestes qui sont significatifs et des mouvements qui sont représentatifs de ce que vous voulez faire. Pas des mouvements trop exagérés si vous n’en avez pas besoin. Faites-nous ressentir les émotions avec votre corps. »

Les élèves se placent en équipe de quatre afin de discuter de l’idée qu’ils souhaitent mimer devant la classe. Pendant ce temps, la stagiaire circule et s’assure que tous travaillent bien. Cinq minutes plus tard, les équipes présentent le fruit de leur travail l’une à la suite de l’autre. À la suite de chacune des présentations, les élèves de la classe tentent de deviner l’histoire de leurs camarades. La stagiaire, à quelques occasions, offre de la rétroaction aux élèves en revenant sur ses critères d’évaluation. En fin de période, la stagiaire annonce aux élèves qu’ils revivront l’expérience dans une période future.

Lors de l’entretien, la stagiaire mentionne avoir eu de la difficulté à consigner des traces en lien avec les performances des élèves. Elle fait valoir ses savoirs théoriques en reconnaissant que les critères sont primordiaux pour faire des rétroactions. Cependant, dans les savoirs en lien avec les conditions sur la pratique, elle soulève la difficulté d’observer et de consigner les notes. Finalement, la stagiaire 5 est celle qui s’exprime le moins. Son EA donne beaucoup de commentaires et ne laisse pas le processus d’autoconfrontation se faire.

La deuxième activité observée porte sur la lecture d’un album jeunesse ayant pour thème l’immigration. Elle présente la page de couverture aux élèves et leur demande de commenter la couverture et le contexte. La stagiaire débute la lecture de l’album à voix haute. À quelques moments, elle s’arrête et questionne les élèves en lien avec des extraits : « Il fuit la guerre… c’est quoi qui te permet de dire ça? Dans l’histoire, qu’est-ce qu’ils font de négatif avec eux? Qu’est-ce que ça veut dire toute cette phrase-là? Quels mots tu connais? »

Elle propose ensuite aux élèves une activité d’éthique et de culture religieuse sous la forme de compréhension de lecture où les élèves doivent réagir au texte. Elle aborde les premières questions de la feuille d’activité en plénière. Après une dizaine de minutes, elle demande aux élèves de continuer le travail de manière individuelle. Pendant ce temps, elle les observe travailler et répond à plusieurs questions. Aussi, certains élèves ont beaucoup de difficultés à réaliser l’activité. Elle va d’ailleurs jusqu’à donner des réponses aux élèves qui ont de la difficulté à terminer l’activité. Les résultats seront donc biaisés.

Lors de l’entretien, l’EA reprend le contrôle. Il est très difficile de cerner les savoirs mobilisés par la stagiaire. La discussion tourne surtout autour de la gestion de classe. Cependant, la stagiaire explique que sa planification visait à travailler avec la progression des apprentissages et qu’elle avait ciblé les attitudes et les actions. Elle a donc mobilisé ses savoirs stratégiques pour mieux orienter son enseignement. Cela lui a aussi permis de valider la compréhension des élèves durant l’activité et, par conséquent, de mobiliser certains savoirs sur les conditions de la pratique.

Discussion ET CONCLUSION

Les résultats de cette recherche mettent en évidence qu’il est difficile pour les stagiaires de mobiliser les savoirs en évaluation et, à la lumière des observations, une des premières raisons est que les objets d’apprentissage ciblés semblent parfois confus. Par conséquent, l’activité s’arrime mal aux objets d’apprentissage et les rétroactions ne peuvent être centrées sur l’apprentissage. Ces éléments, faisant partie des savoirs stratégiques, ont un impact direct sur les savoirs en lien avec le processus de travail et avec les conditions de la pratique. En effet, les stagiaires ne sachant sur quoi rétroagir, ne peuvent ajuster leur enseignement en regard des signes de compréhension de l’élève ou encore, de leurs réactions verbales et non verbales. Dans les faits, les stagiaires perçoivent les réactions des élèves. Cependant, l’interprétation qu’elles en font se fait sous la lunette de la gestion des comportements. Par exemple, un élève qui dérange est en trouble de comportement. Le fait qu’il a déjà compris et qu’il s’ennuie ne rentre pas en considération.

L’analyse portée sur les différents savoirs nous amène à questionner les savoirs théoriques et les savoirs sur la posture qu’ont les stagiaires. Les résultats mettent de l’avant que les stagiaires voient l’évaluation comme le moment à la fin d’un enseignement pour vérifier les acquis des élèves. Elles ne considèrent pas l’activité comme un levier pour évaluer et rétroagir auprès des élèves et, au besoin, modifier l’activité. Il y a là une posture de l’enseignant qui transmet la connaissance par le biais de l’activité et qui la vérifie au terme de celle-ci. Or, le rôle de l’élève comme apprenant, qui réfléchit, se questionne et régule ses apprentissages, ne semble pas être pris en compte.

La stagiaire 3 est la seule qui semble avoir une planification axée sur les objets d’apprentissage ciblés et qui a réussi à créer des activités visant la rétroaction. Ces premiers constats nous amènent à proposer un modèle qui permette une appropriation des savoirs en évaluation pour favoriser l’évaluation qui accompagne l’apprentissage.

Une proposition de modèle pour structurer les moments d’acquisition des différents savoirs

Dans un premier temps, il semble que les savoirs sur la posture et les savoirs stratégiques sont les savoirs à la base de l’intervention en classe. Selon la posture du stagiaire et sa compréhension théorique de l’évaluation, elle va opter pour des interventions différentes. Par exemple, la stagiaire 3 semble déjà bien au fait de l’importance de réguler l’apprentissage durant l’activité et considère son rôle comme étant la personne qui accompagne les élèves dans leurs apprentissages. Elle va donc opter pour une activité plus pédocentrée et s’assurer de bien identifier les cibles d’apprentissage. Alors que, pour la stagiaire 1, le rôle de l’enseignant est d’expliquer des concepts pour que les élèves les mémorisent. Selon elle, l’évaluation sert à valider les acquis des élèves à la fin des explications. Elle ne donne pas de temps d’appropriation aux élèves, propose peu d’activités de manipulation, et semble favoriser un enseignement magistrocentré. C’est pourquoi il semble que les savoirs sur la posture et les savoirs théoriques sont à la base de ce qui vient ensuite en classe. L’acquisition de ces savoirs et la réflexion autour de ceux-ci devraient être la responsabilité des cours universitaires.

Ensuite, comme observés, les savoirs stratégiques ont une incidence directe sur les savoirs en lien avec les conditions de la pratique, les savoirs sur les processus du travail et les savoirs sur les relations. Sans objet bien ciblé, difficile de rétroagir, de prendre en compte les élèves et de collaborer avec les différents intervenants pour bien cibler les besoins des élèves. Ces différents savoirs s’acquièrent dans l’action, donc durant les stages et en collaboration avec l’EA.

La figure 1 illustre le modèle sous-jacent à la réflexion émergeant des résultats.





















Figure 1 : Modèle sur la relation entre les différents savoirs et les moments d’acquisition

Selon le modèle, la plupart des savoirs se réalisent en stage, il importe donc de revoir le rôle de l’EA et de lui proposer quelques pistes de réflexion qui permettront au stagiaire de mobiliser ses savoirs en évaluation pour mieux arrimer ses activités à l’objet d’apprentissage ciblé et, ainsi, pour rétroagir de façon plus efficace.

Aider les stagiaires à structurer et mobiliser les savoirs en évaluation des apprentissages

L’EA a le rôle d’aider le stagiaire à analyser les différents types de savoirs mis en place durant l’évaluation et à réguler ses savoirs. Il est donc nécessaire d’accompagner dans la réflexion selon la logique d’intervention dialogique (Leclercq, Oudart et Marois, 2014). Selon cette logique, l’EA échange avec le stagiaire pour réfléchir autour de questions communes, de dégager des solutions et de permettre au stagiaire de développer ses compétences professionnelles. Comme constaté pour les stagiaires 2 et 5, les EA prenaient beaucoup le contrôle durant l’autoconfrontation. Cela a eu pour effet de ralentir la réflexion du stagiaire et de nuire à l’émergence de ses savoirs en évaluation des apprentissages. Pour favoriser un accompagnement plus dialogique, la typologie des savoirs de Morrissette et Nadeau (2011) sert de structure à des questions résumées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Pistes de questions pour aider à la mobilisation des savoirs en évaluation après une intervention en classe

Types de savoirs

Questions pour orienter l’échange entre l’EA et le stagiaire autour de la mobilisation des savoirs en évaluation

Stratégiques

Quels étaient nos objets d’apprentissage?

Quels critères d’évaluation nous permettaient de déterminer l’atteinte de ces objets?

Comment l’activité nous permet de mettre en pratique ces critères d’évaluation?

Quels étaient les obstacles à l’apprentissage?
Quelles étaient les activités pour remédier à ces obstacles?

Quelles questions nous ont permis d’observer l’atteinte des critères d’évaluation?

Processus de travail

Quels signes de compréhension des élèves nous ont guidés dans la poursuite de l’activité?

Quels signes d’incompréhension nous ont amenés à modifier l’activité?

Comment aurions-nous pu ajuster l’activité?

Conditions de la pratique

Quelle est notre perception de la réaction de X?

Pourquoi pensons-nous qu’il a réagi?

Quelles sont nos stratégies pour aider les élèves à autoréguler leurs apprentissages?

Relations

Que savions-nous déjà de l’élève X?

Comment allons-nous assurer le suivi avec l’intervenant X?

Comment pourrions-nous intégrer l’intervention de l’orthopédagogue pour favoriser l’apprentissage de X?



Ce tableau, loin d’être exhaustif, propose des pistes qui peuvent être améliorées et enrichies et qui permettent de favoriser un meilleur arrimage entre l’objet d’apprentissage, l’activité didactique et l’activité évaluative.

L’objectif de cet article était de présenter une partie des résultats d’une recherche portant sur l’analyse du type d’accompagnement offert par les EA pour développer le savoir-évaluer du stagiaire. Au terme de l’analyse de la première partie des résultats, il a été possible de réaliser un portrait des savoirs en évaluation mobilisés par cinq stagiaires en classe réelle. L’analyse des résultats met en évidence les difficultés des stagiaires à mobiliser les savoirs stratégiques qui ont une incidence sur les autres types de savoirs. Une des hypothèses s’avère que les stagiaires auraient des savoirs théoriques et des savoirs sur la posture qui découlent d’une conception de l’évaluation qui se réalise à la fin d’une activité, et ce, dans une fonction de vérification des acquis. La suite du projet visera donc à mettre en évidence l’influence des interventions des EA sur le type de savoirs mobilisés par les stagiaires (Monney et Veve, 2022).

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