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Regards croisés sur les pratiques de différenciation pédagogique favorisant l’inclusion scolaire des élèves doués au primaire



Claire Baudry, Massé Line Université du Québec à Trois Rivières

Claudia Verret Université du Québec à Montréal

Jeanne Lagacé-Leblanc, Véronique Primeau, Isabelle Martineau-Crète, Caroline Couture Université du Québec à Trois Rivières

Marie-France Nadeau Université de Sherbrooke

Jean-Yves Bégin Université du Québec à Trois Rivières

Linclusion scolaire des élèves ayant des besoins particuliers en classe ordinaire est promue par la plupart des pays industrialisés (Jackson et coll., 2018). Parmi les élèves ayant des besoins particuliers, les conditions qui favorisent l’inclusion scolaire des élèves doués sont peu documentées. Cela est d’autant plus vrai au Québec où ils ne sont pas reconnus officiellement comme une population scolaire ayant des besoins particuliers (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec [MELS], 2007), contrairement à la plupart des autres provinces canadiennes (Kanevsky, 2011a; Kanevsky et Clelland, 2013). Un seul document ministériel récent en fait mention, soit la Politique de la réussite éducative (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2017). En ce qui concerne l’inclusion scolaire des autres élèves ayant des besoins particuliers, il est bien documenté que les pratiques des enseignants, notamment celles favorisant la différenciation pédagogique, jouent un rôle clé dans son succès (Rousseau et coll., 2015). Qu’en est-il de l’éducation des élèves doués ? Cet article se penche sur les pratiques des enseignants qui favorisent ou nuisent à l’inclusion scolaire des élèves doués ou à leur scolarisation au primaire, en particulier celles liées la différenciation pédagogique, selon le point de vue des acteurs clés, soit les élèves eux-mêmes, leurs parents et leurs enseignants.

Définitions des élèves doués

Avant d’aller plus loin, il importe de définir ce que l’on entend par élèves doués. Il n’y a pas de consensus sur les terminologies utilisées pour désigner cette population ni sur leurs définitions. Alors qu’en Europe francophone, le terme « haut potentiel » est utilisé, c’est plutôt le terme « douance » (giftedness) qui est communément employé au Canada (Labouret, 2021). On retrouve deux catégories de définitions de la douance. La première catégorie contient des définitions restrictives qui limitent la douance à l’intelligence telle que mesurée par les tests de quotient intellectuel (QI) et comportent des seuils cliniques plus élevés. La douance est alors souvent définie par un QI supérieur ou égal à 130, ce qui correspond à deux écarts types au-dessus de la norme et à environ 2,5 % de la population (Brasseur et Cruche, 2017). La deuxième catégorie regroupe des définitions plus larges qui considèrent un plus grand éventail de domaines de performances que celles mesurées par les tests de quotient intellectuel, mais surtout qui se basent sur des seuils moins restrictifs. Parmi ces définitions plus larges, celle de Gagné (2015b) domine. Elle a notamment été retenue par la National Association of Gifted Children (NAGC, 2010a), association américaine la plus respectée dans le domaine de l’éducation des élèves doués. La douance correspond à des domaines d’habiletés naturelles innées, mais qui se développent, en particulier pendant l’enfance, à travers les processus de maturation et l’exercice. Gagné (2015b) reconnait six domaines de douance, dont quatre liées aux habiletés mentales (intellectuelles, créatrices, sociales et perceptuelles) et deux liés aux habiletés physiques (musculaires et contrôle moteur). Pour être reconnu « doué », un individu doit manifester l’une ou l’autre de ces habiletés à un degré tel qu’elles placent l’individu parmi les 10 % supérieurs de ses pairs sur ces aspects. Selon Gagné (2018), une personne sera considérée comme douée dans un domaine si ses habiletés dans ce dernier se situent dans les 10 % supérieures. Ainsi, si on considère seulement les habiletés intellectuelles, ce taux de 10 % correspond à un QI de 120 et plus.

Éducation inclusive

L’éducation inclusive suppose que c’est l’environnement scolaire qui doit s’ajuster à l’hétérogénéité des élèves en diversifiant les pratiques pédagogiques et en repensant à l’organisation scolaire (UNESCO, 2015). Une recension des écrits regroupant 51 recherches portant sur l’intégration ou l’inclusion scolaire (Rousseau et coll., 2015) fait ressortir les différentes conditions liées à l’enseignant identifiées par la recherche comme étant favorables ou défavorables à l’inclusion scolaire des élèves ayant des besoins particuliers. Parmi les conditions favorables, on retrouve la présence d’enseignants qui adoptent une relation positive avec les élèves ainsi qu’une posture de guide et d’accompagnateur et qui font preuve de flexibilité et d’ouverture d’esprit en posant un regard sur l’individualité de chaque élève plutôt que sur le libellé de sa difficulté. Par ailleurs, les conditions défavorables s’avèrent également liées à la posture des enseignants. Les attitudes négatives à l’égard des services à offrir aux élèves et une centration sur les difficultés de ceux-ci plutôt que sur leur potentiel sont reconnues comme un frein au déploiement de pratiques inclusives. Il en est de même pour le manque de flexibilité dans l’enseignement ayant pour effet de rendre plus difficile la création d’espaces d’apprentissage non traditionnels en plus de limiter le développement d’une bonne connaissance des élèves par l’enseignant. Ainsi, la différenciation de l’enseignement en classe ordinaire pour tenir compte des besoins diversifiés des élèves s’avère également un élément clé favorisant l’inclusion scolaire des élèves ayant des besoins particuliers (MEES, 2017), dont les élèves doués (Hughes et coll., 2011; Robertson et Pfeiffer, 2016).

Modèle de différenciation pédagogique

Afin d’étudier certaines conditions liées à l’enseignant, en particulier en ce qui a trait aux pratiques éducatives, le modèle de différenciation pédagogique de Tomlinson a été retenu (Tomlinson, 2018). La section qui suit présente sommairement ce modèle pour ensuite dresser une courte synthèse des principaux éléments retrouvés dans la littérature concernant les élèves doués.

Tomlinson propose un modèle de différenciation pédagogique qui illustre une manière à la fois organisée et souple d’ajuster les situations d’apprentissage pour répondre aux besoins des élèves (Sousa et Tomlinson, 2013). Les besoins des élèves pour lesquels les enseignants peuvent différencier leurs méthodes pédagogiques se rapportent notamment aux intérêts personnels des élèves, à leurs préférences d’apprentissage, à leurs capacités et à leur rythme d’apprentissage. Les enseignants peuvent ajuster ou différencier, selon quatre grandes composantes du modèle, les contenus présentés aux élèves, les processus d’apprentissage, les productions escomptées ou le climat d’apprentissage de la classe.

La différenciation des contenus concerne ce sur quoi la tâche va porter, c’est-à-dire les intentions pédagogiques déployées dans la situation d’apprentissage. Elle renvoie donc aux compétences et aux connaissances que les élèves doivent développer selon le programme de formation, aux informations et aux faits qui sont présentés, au matériel didactique qui soutient la tâche ainsi qu’au niveau de complexité ou de difficulté planifié (Caron, 2002).

La différenciation des processus d’apprentissage réfère aux interventions sur le « comment » de la tâche. Ils correspondent aux possibilités qu’ont les apprenants de comprendre le contenu à partir de cheminements différents, ce qui repose, entre autres, sur les diverses manières d’apprendre des élèves ainsi que sur les stratégies employées par l’enseignant pour faire apprendre, notamment ses stratégies d’enseignement et d’organisation (Tomlinson et McTighe, 2010).

Les productions sont les résultats de la tâche, c’est-à-dire les différentes modalités permettant à l’élève de faire la démonstration de leurs apprentissages et des compétences développées ainsi que les façons de les communiquer ou aux outils de démonstration. Dans une perspective de différenciation pédagogique, les élèves peuvent faire des choix sur les moyens, le moment de l’évaluation, les modes de communication et les modalités d’évaluation (Caron, 2002).

La dernière composante du modèle correspond au climat d’apprentissage et à l’environnement d’apprentissage qui permet de prendre en compte l’environnement d’apprentissage, les émotions et les besoins socioaffectifs des élèves. Elle s’appuie sur l’ouverture et l’empathie de l’enseignant qui apprécie la valeur de chaque élève. Le fondement de cette composante se base sur la relation positive, progressive et intentionnelle qui lie l’enseignant aux élèves dans un climat d’apprentissage fondé sur le respect et le soutien mutuels.

Besoins éducatifs des élèves doués

L’ennui est le problème le plus souvent rapporté par les élèves doués au primaire, ce qui peut entrainer de l’inattention ou d’autres problèmes de comportement, en particulier chez les garçons doués, pouvant aller jusqu’à un désengagement scolaire (Little, 2012) ou à de la sous-performance (Snyder et Linnenbrink-Garcia, 2013). Kanevsky (2011b) s’est penché sur les préférences des élèves doués du primaire concernant les pratiques recommandées pour ces élèves. Il rapporte que les mesures ayant trait au rythme d’apprentissage étaient les plus appréciées par rapport aux autres mesures d’enrichissement. Il note aussi que les élèves doués préféraient apprendre des sujets plus complexes, sophistiqués ou hors programmes, comparativement aux autres élèves non identifiés comme doués. Ils préféraient aussi travailler plus souvent seuls comparativement au travail en équipe et choisir le format de leurs apprentissages et le type de production. Les recherches montrent que plusieurs élèves doués maitrisent de 40 à 50 % du matériel présenté en classe avant qu’il ne soit abordé et que plus de 85 % vivent très peu de différenciation pédagogique en classe (Reis et Hebert, 2007). Les recherches montrent également qu’ils retiennent de nouvelles informations ou qu’ils développent de nouvelles habiletés beaucoup plus rapidement et qu’ils requièrent moins de répétitions que les autres enfants du même âge (Rogers, 2007).

Pratiques de différenciation pédagogiques adressées aux élèves doués

Les pratiques recommandées au primaire pour les élèves doués s’articulent essentiellement autour de deux paradigmes : l’enrichissement et l’accélération scolaire (Gagné, 2015a; NAGC, 2010b). En ce qui concerne lenrichissement, on en retrouve principalement quatre formes : en densité (contenus élagués et vus plus rapidement), en difficulté (contenus plus complexes), en profondeur (contenus approfondis) et en diversité (contenus qui ne sont pas au programme) (Gagné, 2015a). L’enrichissement est intimement lié à la différenciation pédagogique, puisque pour approfondir l’expérience éducative de l’élève, l’enseignant doit apporter des ajustements à la présentation des contenus, aux méthodes pédagogiques utilisées, aux moyens d’action et d’expression proposés aux élèves ainsi qu’aux modes d’évaluation (French, 2009; Kaplan, 2009). Quant aux modalités daccélération scolaire recommandées au primaire, elles se regroupent en deux grandes catégories (Colangelo et coll., 2010) : a) celles basées sur la vitesse à laquelle une nouvelle matière est présentée (cours par correspondance, crédit sur examen, mentorat, placement avancé pour une matière, etc.)et b) celles basées sur lavancement des élèves dans leur parcours scolaire (ex. : classes combinées, progrès continu, entrée précoce à l’école, saut de classe, etc.).

Plusieurs études montrent que peu de différenciations pédagogiques sont faites en classe ordinaire pour répondre aux besoins des élèves doués (Maguire, 2008; Marotta-Garcia, 2011; Nowikowski, 2011; Persson, 2010; VanTassel-Baska et Stambaugh, 2005). Les enseignants qui ont des attentes plus élevées à légard des élèves doués et qui utilisent lévaluation formative mettent en place de meilleures pratiques à légard de ces derniers (Missett et coll., 2014). Malgré les nombreux bénéfices associés à l’accélération scolaire pour les élèves doués et les faibles coûts impliqués, les mesures d’accélération sont peu utilisées dans les différents réseaux scolaires, que ce soit aux États-Unis (Colangelo et coll., 2004) ou au Canada (Kanevsky, 2011b; Kanevsky et Clelland, 2013).

Objectifs de recherche

Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’une étude plus vaste visant à dresser un portrait québécois des attitudes et des pratiques enseignantes québécoises envers les élèves doués. Cet article présente les résultats visant à documenter les perceptions d’élèves doués, de leurs parents et de leurs enseignants. Les conditions favorables et défavorables liées à l’enseignant qui contribuent à l’inclusion scolaire des élèves doués sont présentées. Ces données permettront de proposer des pistes d’actions susceptibles de guider les praticiens dans l’instauration d’une école plus inclusive pour ces élèves.

Méthode

La méthodologie de cette étude s’inscrit dans une approche qualitative interprétative. Le choix d’utiliser le point de vue de ces acteurs a été privilégié afin de leur permettre de transmettre des informations détaillées quant à leur perception des facteurs liés à l’enseignant qui influencent positivement ou non la scolarisation des élèves doués. Leurs propos permettent de comprendre ces conditions et de proposer des stratégies d’intervention susceptibles d’être réinvesties dans les milieux (Chen et Turner, 2012). Les sections suivantes présentent une description détaillée des participants à l’étude ainsi que la démarche de collecte et d’analyse de données réalisée.

Participants

Cette recherche rassemble 71 entrevues réalisées auprès des répondants concernés de 14 écoles primaires de la grande région de Montréal (Québec, Canada). L’échantillon se compose de 24 élèves doués âgés de 6 à 11 ans (M = 8,88, ÉT = 1,65) présentant un QI supérieur ou égal à 120 selon le WISC-5CND-F (Wechsler, 2015), de leurs parents (n = 23) et de leurs enseignants (n = 21). Un parent n’a pas pu réaliser l’entrevue ne maitrisant ni le français ni l’anglais. Deux enseignants avaient plus d’un élève doué dans leur classe. Les enseignants avaient en moyenne 14,1 années d’expérience (ÉT = 8,4); aucun navait reçu de formation sur léducation des élèves doués dans le cadre de leur formation initiale et seulement 27 % en avaient reçu en cours demploi (= 2,5 heures de formation, ÉT = 4,8). Le Tableau 1 présente une synthèse des caractéristiques sociodémographiques des participants.

Tableau 1 : Caractéristiques des participants


Élèves

n (%)

Parents

n (%)

Enseignants

n (%)

Genre




Masculin

13 (54)

4 (19)

3 (14)

Féminin

11 (46)

18 (82)

18 (86)

QI Global




120 ≤ QI < 130

13 (54)



QI ≥ 130

11 (46)



Cycle




Préscolaire/1er cycle

5 (21)


3 (14)

2e cycle

13 (54)


11 (52)

3e cycle

6 (25)


7 (33)

Type de classe




Ordinaire

20 (83)


19 (90)

Spéciale

4 (17)


2 (10)

Difficultés d’adaptation1




Aucune difficulté

4 (17)



À risque

7 (30)



Cliniquement significatif

13 (54)



Indice de milieu socio-économique de l’école2




Défavorisé

15 (63)



Moyen

4 (17)



Favorisé

5 (21)



1 Présence d’une difficulté d’adaptation selon au moins un évaluateur selon le BASC-3CND rempli par les parents et les enseignants.

2 Selon les indices de seuil de milieu socio-économique (IMSE) fournis par le ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MEES, 2019) pour chacune des écoles du Québec.

Déroulement

Après l’acceptation par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières, le projet a été entériné par le centre de sercices scolaire partenaire. Les élèves doués ont été recommandés par les services de douance de la commission scolaire. Les parents ont été contactés afin d’obtenir leur autorisation pour participer au projet de recherche ainsi que celle de leur enfant. Par la suite, tous les enseignants des élèves dont leurs parents avaient donné leur accord ont été invités à leur tour à participer au projet. Tous les participants ont signé le formulaire d’information et de consentement avant la réalisation des entretiens.

Instrumentation

Évaluation intellectuelle. Tous les enfants ont été évalués à l’aide du WISC-5CND-F (Wechsler, 2015) afin d’établir leur niveau d’habiletés intellectuelles. Cette évaluation a été réalisée par deux assistantes de recherche au doctorat en psychologie ayant reçu une formation à ce sujet et les résultats ont été analysés à l’aide du logiciel Q-GlobalTM (Pearson, 2016) et contrevalidés par une psychologue.

Évaluation socioaffective. Les difficultés d’adaptation des élèves ont été évaluées par les parents et les enseignants à l’aide de l’instrument Système d’évaluation du comportement de l’enfant, BASC-3 (Reynolds et Kamphaus, 2015a, 2015b). La version des enseignants comporte 139 items et celle des parents 160 items répartis dans différentes échelles liées notamment aux difficultés intériorisées ou extériorisées (α = 0,77 à 0,88). Un score T de 70 et plus à une des échelles indique une difficulté cliniquement significative, un score ≤60 < 70, un risque de difficulté d’adaptation, et un score <60 aucune difficulté significative. Les résultats ont été analysés à l’aide du logiciel Q-GlobalTM (Pearson, 2016).

Questionnaire sociodémographique. Tous les participants ont rempli un questionnaire sociodémographique dont les questions variaient selon leur statut (ex. : genre, âge et niveau scolaire).

Entretiens semi-structurés. Dans chacune des écoles, des entretiens individuels semi-dirigés ont été réalisé auprès des élèves et des enseignants. Des entretiens téléphoniques ont été effectués auprès des parents. Selon la catégorie de participant, la durée des entrevues variait de 20 à 90 minutes. Les entretiens ont été réalisés par deux des chercheurs de l’équipe. Un guide d’entretien a été rédigé pour chacun des groupes de participants. Les thèmes et les questions ont été définis à partir de l’objectif de la recherche à savoir les conditions favorables et défavorables à l’inclusion des élèves doués en classe ordinaire inclusive et le parcours scolaire des élèves. Les entretiens ont été enregistrés et transcrits dans le respect de l’anonymat et de la confidentialité des données.

Analyse des données

La confidentialité des participants a été assurée lors de la transcription dans un document Word par un code confidentiel pour chacun d’eux. À partir des verbatim anonymisés des entretiens, l’analyse de contenu a été réalisée à l’aide du logiciel NVivo11.4.3 (Qualitative Solution and Research Software [QSRS], 2017), à partir d’un système de catégorisation thématique mixte (Miles et coll., 2014), puisque certaines catégories ont préalablement été établies en fonction de nos objectifs de recherche et des modèles théoriques et d’autres ont émergé des données à la suite d’une première analyse. Les propos des participants ont été analysés et découpés selon des unités de signification préétablies et des liens ont été faits entre ces unités en leur attribuant des codes représentatifs de leur importance conceptuelle. Ces unités ont également été analysées selon certains attributs des élèves (p. ex. : genre, niveau d’habiletés intellectuelles et cycle scolaire). Ce processus s’est effectué selon les quatre grandes étapes du modèle de L’Écuyer (1988) : 1) lecture préliminaire de la mise en commun du corpus des entretiens individuels et de groupes afin d’acquérir une vue d’ensemble et d’évaluer si le corpus permet de répondre à la question de recherche (Fortin et Gagnon, 2016, p. 360); 2) assemblage et définition des unités de classification selon les catégories prédéterminées; 3) catégorisation et classification des énoncés en fonction de leur degré dappartenance à lune ou lautre des catégories préexistantes : en s’appuyant sur l’Écuyer qui souligne que l’analyse de contenu est « avant tout une recherche de sens (p. 60) », un énoncé pouvait être classé dans plusieurs catégories lorsqu’il renfermait plus d’un sens clairement exposé par le participant; et 4) fidélité de la codification des énoncés vérifiée par la recherche d’un consensus entre deux des chercheurs et trois assistantes de recherche au cours de six rencontres.

Des rapports écrits de chacune des catégories ont été produits afin de sélectionner les citations qui représentent le mieux les perceptions des acteurs pour illustrer les résultats. Celles-ci comportent un code permettant d’identifier certaines caractéristiques des participants (ÉL = élève; F = féminin; M = masculin; P = parents; et EN = enseignant).

Résultats

Le Tableau 2 présente la répartition des énoncés traités selon les composantes de différenciation pédagogique et leur importance au sein du corpus selon la fréquence des personnes qui les ont abordées ou leur fréquence d’apparition. Un ensemble important du corpus porte sur le climat et l’environnement d’apprentissage. En effet, 57 % des propos des élèves abordent cette condition en faveur de leur inclusion tout comme les propos de leurs parents et de leurs enseignants. Pour cette même variable, l’ensemble des propos de ces répondants aborde cette condition négativement lorsque le climat et l’environnement d’apprentissage sont peu favorables. À l’inverse, le corpus concernant les contenus présentés s’avère plus négatif que positif.

Tableau 2 : Répartition des énoncés du corpus selon les catégories

Conditions

Favorisent

N Participants (%)

N Citations (%)

Nuisent

N Participants (%)

N Citations (%)


ÉL

P

EN

ÉL

P

EN

Contenus présentés

9 (37,5)

4 (17,4)

3 (12,5)

9 (37,5)

9 (39,1)

5 (20,8)

13 (7,9)

6 (7,9)

4 (8,3)

18 (25,7)

17 (32,1)

9 (40,1)

Processus d’apprentissage

12 (50)

10 (43,5)

4 (16,7)

6 (25)

4 (17,4)

1 (4,2)

22 (13,4)

21 (38)

6 (12,5)

7 (10)

6 (11,3)

1 (4,5)

Productions escomptées

9 (37,5)

7 (30,4)

6 (25)

1 (4,2)

0 (0)

0 (0)

12 (7,3)

10 (13,2)

10 (20,8)

1 (1,4)

0 (0)

0 (0)

Climat et environnement d’apprentissage

22 (91,7)

15 (65,2)

9 (37,5)

18 (75)

11 (47,8)

4 (16,7)

93 (56,7)

35 (46,1)

27 (56,3)

43 (61,4)

21 (39,6)

5 (22,7)

Caractéristiques de l’enseignant

14 (58,3)

3 (13)

1 (4,2)

1 (4,2)

8 (34,8)

5 (20,8)

24 (14,6)

4 (5,3)

1 (2,1)

1 (1,4)

9 (17)

7 (31,8)

Total

24 (100)

23 (100)

24 (100)

24 (100)

23 (100)

24 (100)


164 (100)

76 (100)

48 (100)

70 (100)

53 (100)

22 (100)



La présentation des résultats est organisée selon les dimensions de la différenciation pédagogique. À cela s’ajoute une section portant spécifiquement sur certaines caractéristiques des enseignants.

Contenus présentés

Les élèves et leurs parents abordent l’approfondissement dans un domaine ou une matière comme un facteur aidant. Les élèves doués, spécialement ceux présentant un risque ou des difficultés d’adaptation, affectionnent particulièrement aller plus loin dans leur apprentissage lorsqu’ils abordent de la matière.

On avait chaque jour un programme qui s’appelle « Sobi ». C’est un extraterrestre et il fallait reconstruire sa fusée par des énigmes, mais là c’était écrit pendant toute l’année. Il y avait quand même pas mal de textes et j’aimais ça parce que ça me donnait la chance de lire beaucoup. Puis c’est ma passion. (ÉLM112)

À l’inverse, un peu plus du tiers des élèves (37,5 %) perçoivent que les contenus trop faciles ou le manque d’approfondissement de la matière engendrent de l’ennui et de l’attente, notamment suite à la réalisation d’une tâche. La moitié des parents quant à eux rapporte la trop grande facilité des tâches proposées aux élèves comme un facteur entrainant un désengagement scolaire chez leur enfant.

Moi, je trouve ça facile. Alors, quand on le fait, ben, j’ai fini vite, puis là j’ai comme, c’est plate, parce qu’il faut que j’attende puis je ne peux pas faire la prochaine page ou quelque chose comme ça. (ÉLF126)

Elle trouve que ce n’est pas stimulant et qu’il y a beaucoup de répétitions puis que c’est long. (P231)

Cela est d’autant plus vrai pour les élèves qui présentent un plus haut potentiel et pour les enfants plus vieux pour qui le besoin d’enrichissement et d’approfondissement apparait plus saillant.

Quand elle [l’enseignante] explique une matière et que quelqu’un lui pose une question, elle oublie la matière qu’elle faisait et elle passe à une autre matière de quatrième année, alors qu’on est juste en deuxième année et troisième année. C’est intéressant les choses qu’elle enseigne. Des fois, elle enseigne quelque chose et elle apprend elle aussi quelque chose, des choses qu’elle enseigne. (ÉLF120)

Pour les élèves doués qui présentent un risque ou une difficulté d’adaptation, le fait d’être occupés et engagés dans une tâche fait en sorte qu’ils ont moins de comportements dérangeants.

Certains enseignants rapportent que la diversité des contenus explorés en classe répond aux besoins des élèves doués. « Ben, je pense que la diversité des sujets et des façons d’apprendre proposées fait qu’il est allumé. » (EN318).

Pour occuper les élèves doués lorsqu’ils ont terminé leur tâche, la majorité des enseignants leur offre la possibilité de lire. Facile à mettre en place et efficace dans un premier temps, la lecture peut devenir lassante pour les élèves qui rapportent trouver ennuyeux de lire pendant de trop longues périodes. Près de la moitié des enseignants propose également des cahiers d’exercices qui sont appréciés des élèves lorsqu’ils présentent un contenu différent de celui abordé en classe. Dans le même sens, pour certains élèves, le fait d’éviter la redondance en éliminant certains exercices jugés inutiles à l’apprentissage est nommé comme pratiques gagnantes aussi bien par les enseignants que par les élèves.

Processus d’apprentissage

La moitié des élèves rapporte certains processus d’apprentissage comme favorisant leur inclusion scolaire (50 %), surtout en ce qui a trait au respect de leur rythme d’apprentissage et à la possibilité de réaliser des projets personnels. Ce sont les élèves issus de milieux défavorisés ainsi que les garçons davantage que les filles qui tendent à percevoir ces processus d’apprentissage comme favorisant leur inclusion. Certains garçons mettent alors de l’avant les projets qui leur sont offerts et les ressources auxquelles ils ont accès.

Il m’a beaucoup supporté avec le jeudi pendant le diner. On faisait plein de recherches, on avait accès à l’ordinateur. Il faisait plein de trucs pour nous aider comme ça. Il me mettait plein de ressources à notre disposition. (ÉLM112)

Une majorité de parents et d’enseignants rapportent aussi les effets bénéfiques des projets sur l’engagement scolaire des élèves doués. Certains enseignants nomment que faire participer des élèves à des compétitions peut être un moyen facile à mettre en place pour engager l’élève dans un projet.

C’est comme le bonheur total pour lui […] Il prend ses responsabilités, il sait ce qu’il a faire, puis ça l’a stimulé beaucoup, parce que tous les autres travaux à l’école, il fallait qu’il les finisse avant son projet personnel que lui il avait décidé et ça le stimulait. (P207)

J’ai trouvé que quand ils ont commencé les projets, son attitude était vraiment comme il avait envie d’être à l’école! (P222)

Il adore les projets de création, ce qui peut laisser aller son imagination. […] Il a toujours un beau gros sourire franc quand il est en projet. (EN322)

Près de 50 % des parents soulignent que l’apprentissage par problème ainsi que la variété des outils proposés pour réaliser les tâches soutiennent la motivation des élèves doués, en particulier pour les élèves à très haut potentiel. Selon eux, d’une part la complexité des tâches proposées vient stimuler l’intérêt, la curiosité et l’implication de l’élève concernant la tâche, et d’autre part, dans d’autres cas, le fait d’enlever une tâche maitrisée par l’enfant en lui offrant de faire autre chose lui permet de ne pas perdre son temps et de développer le sentiment de se réaliser dans une autre activité qu’il peut approfondir à son gré. Les enseignants partagent l’ensemble de ces points de vue. Les parents dont leur enfant est à risque de présenter ou qui présentent des difficultés d’adaptation rapportent plus souvent ces éléments.

Je sais que tout ce qui est SAÉ [situation d’apprentissage et d’évaluation], ça fonctionne très très bien. De dire par exemple, t’as un jeu de société à créer, t’as tant de pièces, de formes géométriques à faire, t’as tant de questions, tu vas avoir comme, une tâche complexe. (P206)

Puisqu’il avait tout le temps tout bon, il a été exempté de la dictée. Donc c’est arrivé une fois qu’il l’a donné, mais je pense que ce n’est pas ce qu’il préférait. Puis après ça, il pouvait aller dans le coin lecture pour lire ou lire à sa place. Les élèves comprenaient pourquoi aussi, je leur avais expliqué. (EN301)

Un tiers des élèves rapportent cependant un manque d’ouverture de la part de certains enseignants par rapport au respect de leur rythme d’apprentissage plus rapide.

C’est que quand j’étais plus jeune, je savais déjà écrire en lettres attachées. On m’interdisait de faire ça. Je n’avais pas le droit de le faire, je devais aller au même rythme que les autres. Et je devais apprendre les syllabes ba, be, bi, bo, bu, fa, fe, fi, fo, fu. Ça, c’est une des choses qui vraiment m’ennuyait. (ÉLF105)

Ce sont les élèves des milieux plus favorisés ainsi que leurs parents qui le soulignent comme tel, mettant en lumière comment l’obligation de suivre le même rythme que tout le groupe les pénalise et les ennuie.

Elle était obligée de suivre le même rythme. Sa prof lui avait carrément dit : « Mais écoute ma petite, si tu penses tout savoir là, je vais te montrer que tu ne sais pas tout. ». Puis à moi-même, elle mavait dit : « Vous savez elle pense quelle sait tout, mais mon but cest de lui montrer quelle ne sait pas tout, quelle a sa place en 1re année. ». Donc ça a été une année de souffrances inutiles pour l’enfant et puis pour nous. (P205)

Le tiers des enseignants rapporte que l’utilisation d’un tableau de programmation facilite le respect du rythme d’apprentissage des élèves de la classe dont les élèves doués.

Nous, comme je vous dis, on a un tableau de programmation. En début de semaine, en début de journée, les enfants ont une idée, ils savent ce qu’ils ont à faire dans la semaine, ce qu’il est urgent, ce que je dois faire, ce que je peux faire. Là, les élèves vont voir. […] Il va dire : « Ok, je suis rendu là. » […]. Il ne va pas toujours me demander quoi faire. (EN314)

Productions escomptées

Les commentaires relevés au sujet des productions escomptées portent surtout sur les méthodes de communication pour démontrer les compétences des élèves. Un tiers des enfants rapporte que la liberté de choix pour les productions escomptées joue un rôle positif pour leur engagement scolaire (37,5 %). Les parents et les enseignants les perçoivent également de la même façon (respectivement 30,4 % et 25 %). Les différents répondants mettent tous de l’avant le besoin de l’élève doué de pouvoir faire appel à sa créativité et sa liberté de choisir une méthode grâce à laquelle il va parvenir à produire ce qui est attendu ainsi que la façon dont il va être évalué.

Aux apprentissages c’est très variable. Donc, c’est les deux extrêmes. Soit elle déteste, soit elle adore. Donc ça revient à ce que l’on disait tantôt, si c’est une activité où il y a une possibilité créative ou… puis par créative, je ne veux pas nécessairement dire artistique, mais juste d’interpréter ou avoir la chance de donner sa teinte de personnalité à une activité, ça ça va super bien. (P231)

Quand c’est lui qui choisit, là il performe bien, puis c’est ça qui l’intéresse le plus, donc je m’arrange souvent pour qu’il pense que c’est son choix. (EN307)

Les enseignants spécifient que cela est encore plus le cas pour les élèves présentant un haut potentiel. Une fois de plus, ce sont les garçons qui rapportent cette condition comme favorable à leur inclusion plus que les filles.

J’aimerais qu’on ait plus de liberté dans nos actions. Comme dans les compositions, j’aimerais qu’on ait plus de liberté dans ce que l’on peut écrire. (ÉLM114)

Seuls les enfants perçoivent que les productions pourraient à l’inverse jouer un rôle plus négatif dans leur inclusion scolaire nommant combien le sentiment de liberté et de choix, lorsqu’il est absent, peut leur paraitre pénalisant.

Climat et environnement d’apprentissage

Un nombre important des acteurs souligne l’importance de la relation enseignants-élèves comme un élément clé dans leur inclusion scolaire (91,7 % des élèves et respectivement 37,5 % et 65,2 % des enseignants et des parents). Les élèves mettent l’accent sur le soutien affectif reçu lorsqu’ils rencontrent des difficultés ou qu’ils deviennent anxieux, en particulier pour les élèves doués présentant des difficultés d’adaptation. Les parents et les enseignants mettent de l’avant le besoin d’une relation positive et de confiance entre l’élève et l’enseignant pour favoriser le bon fonctionnement en classe de l’élève doué, en particulier en ce qui concerne les garçons. « Donc, quand elle y a un bon lien, elle fonctionne bien. » (EN305). Les enseignants de milieux défavorisés insistent aussi davantage sur cet aspect.

Plus de la moitié des élèves considère la gestion de la discipline comme un facteur favorisant leur inclusion scolaire (68 %). Un encadrement et une discipline juste et flexible adoptés par l’enseignant vis-à-vis de tous les enfants de la classe sont perçus positivement surtout par les élèves/filles. Les parents et les enseignants quant à eux, le nomment davantage pour les garçons référant au bien fait des attentes claires et d’un encadrement structuré notamment sur le fonctionnement comportemental des garçons.

Il avait une prof qui était très rigoureuse, très encadrante, très stricte et ça, c’était quelque chose que 112 a beaucoup aimé. (P212)

Il ne faut pas le lâcher, il faut rapidement déceler quand ça ne va pas pour intervenir rapidement, parce qu’il n’a pas toujours lui, la capacité de s’arrêter. Dans son comportement, quand il commence à être irrité, ça peut dégénérer rapidement. (P214)

La discipline rigide ou jugée injuste vis-à-vis des élèves est perçue négativement par près de la moitié des élèves (42 %) et plus spécifiquement par les élèves qui présentent des risques ou des difficultés d’adaptation. Par exemple, dans certaines classes, les règles veulent que l’ensemble des élèves soient punis si l’un d’eux commet une erreur, générant un sentiment d’injustice chez l’élève doué qui est particulièrement sensible.

Les élèves et les parents nomment que l’aménagement de classe joue un rôle dans l’inclusion scolaire (25 % pour les deux). Les élèves présentant des risques ou des difficultés d’adaptation ainsi que leurs parents y sont plus sensibles notamment lorsqu’il offre des espaces confortables et enrichissants, pensés pour les élèves en ayant besoin au sein de la classe plutôt qu’à l’extérieur de celle-ci.

L’enseignante avait aménagé un espace pour quand il sentait que c’était beaucoup là, beaucoup de bruit, beaucoup de stimuli, il pouvait aller là, puis finir ses choses par lui-même. Donc ça, c’est un aménagement qui fonctionne. (P214)

C’est sûr que le fait que sa classe, il peut bouger et se déplacer, interagir. Pour lui, ça fait en sorte qu’il n’a pas à vivre la frustration de rester assis et de ne pas bouger. (P216)

De plus, le fait d’avoir des ordinateurs en classe facilite l’enrichissement permettant à l’élève d’avoir accès à des activités d’apprentissages ou à un ensemble de connaissances.

Caractéristiques de l’enseignant

La moitié des enfants souligne que les compétences démontrées par leur enseignant dans les sujets qu’il aborde en classe sont un élément important favorisant leur inclusion en classe (58,3 %). Ce sont surtout les garçons, les élèves plus âgés et ceux avec un plus haut potentiel qui apprécient la capacité de l’enseignant de répondre aux besoins éducatifs de chaque enfant et d’expliquer les choses de différentes façons afin que tout le monde puisse comprendre la matière enseignée.

Elle nous fait bien apprendre, puis quand quelqu’un ne comprend pas, elle l’aide. Elle aide tout le monde. Comme ceux qui comprennent, ils vont d’un bord, puis ceux qui ne comprennent pas… elle réexplique jusqu’à tant qu’ils comprennent tout et qu’ils repartent tous à leur bureau. Puis quand quelqu’un lève la main, elle va l’aider. (ÉLM114)

Elle nous expliquait bien les choses. Elle ne faisait pas juste dire des choses et un peu n’importe comment. Quand on ne comprenait pas, elle nous expliquait en profondeur. (ÉLM118)

J’aime quand les professeurs ont des anecdotes qu’ils peuvent dire comme des histoires parce que ça nous fait vraiment comprendre qu’est-ce qu’ils veulent dire sans qu’on ait besoin de l’étudier. (ÉLM115)

Il en est de même pour le dynamisme de l’enseignant que les élèves perçoivent comme une condition favorisant leur inclusion (25 %) d’autant plus lorsque le milieu est favorisé sur le plan socio-économique et que les élèves présentent des risques ou des difficultés d’adaptation.

Il était beaucoup plus dynamique, il amenait des objets. (ÉLM115)

Il y a des choses que j’ai aimées dans la façon qu’elle a enseigné des fois […] par exemple le matin, on faisait des genres de petits quiz de maths. [...] Il y avait des façons que j’aimais plus comment elle enseignait que de juste faire des exercices dans un cahier. (ÉLF127)

Discussion et conclusion

Dans un contexte où la reconnaissance des besoins des enfants doués fait défaut davantage au Québec que partout ailleurs au Canada (Kanevsky, 2011a; Kanevsky et Clelland, 2013), lobjectif de cet article était de documenter, selon les regards croisés des élèves, des parents et des enseignants, les pratiques éducatives qui favorisent ou qui nuisent à l’inclusion scolaire des élèves doués au primaire dans une perspective de différenciation pédagogique. De façon originale, les résultats révèlent que plusieurs pratiques pédagogiques mises en place par les enseignants favorisent la motivation et l’inclusion scolaire des doués alors que d’autres entrainent de l’ennui et un désengagement des élèves pouvant se traduire par des difficultés comportementales.

Les résultats de l’étude montrent que le contenu enseigné joue un rôle important dans le niveau d’appréciation des élèves et des parents lorsqu’ils évaluent favorablement le contenu pédagogique. L’approfondissement de la matière et le niveau de complexité des contenus présentés, comme d’autres l’ont déjà souligné (VanTassel-Baska et Stambaugh, 2005), sont garants de l’intérêt et de l’engagement cognitif de l’élève doué face aux apprentissages. Négliger ces deux éléments lors l’enseignement d’une matière et aborder un contenu trop facile conduisent l’élève au désintérêt d’autant plus que l’élève doué maitrise déjà près de la moitié du contenu enseigné avant que celui-ci ne soit abordé en classe et ce dès le début de l’année (Reis et Hebert, 2007). Cela est d’autant plus vrai pour les élèves plus âgés et dont le bagage de connaissances est plus grand. Perçus comme très positifs, les projets personnels sont largement appréciés par plus de la moitié des élèves et notamment des garçons qui sentent alors une liberté de production. Recommandé dans les mesures de différentiation, le fait de pouvoir choisir les méthodes de travail et d’évaluation rejoint l’ensemble des élèves qui en sont très satisfaits.

Le besoin de respecter le rythme d’apprentissage de l’élève doué ressort clairement puisque abordé par un grand nombre de parents et d’enfants. Le respect du rythme considéré comme favorable lorsqu’il est soutenu peut aussi être nuisible s’il n’est pas considéré et que l’élève se retrouve à ne rien faire pendant de longues périodes entrainant démotivation, comportements dérangeants et possiblement sous-performance (Ladd et Burgess, 2001). Le manque de considération envers les besoins d’apprentissage à un rythme plus soutenu encore aujourd’hui se matérialise par l’absence de mesures à ce sujet. Les enseignants préfèrent offrir de l’enrichissement à l’aide d’activités supplémentaires ou de projets, faciles à mettre en place, plutôt que de considérer la progression continue ou l’accélération scolaire comme alternative. Bien que certains utilisent un tableau de programmation permettant aux élèves de progresser à leur propre rythme pour réaliser les activités proposées, très peu évoquent le fait de couper des contenus déjà maitrisés ou encore de couper des exercices non nécessaires à la maitrise des contenus.

Sur le plan du climat et de l’environnement de l’apprentissage, la relation enseignant-élève joue un rôle central sur le sentiment d’inclusion d’un grand nombre d’élèves. Cela est particulièrement vrai chez les élèves doués dotés d’une grande sensibilité et pour qui les relations positives et chaleureuses prennent une autre signification, alors qu’elles sont fondamentales à leur bon fonctionnement et leur sentiment de bien-être en milieu scolaire (Kesner, 2005; Pianta et Stuhlman, 2004). Largement reconnus par lensemble des répondants de létude, tous sentendent aussi pour dire que le soutien affectif offert par lenseignant accroit le sentiment de reconnaissance et de compréhension quéprouvent les élèves lorsqu’ils sont à l’école tout en favorisant leurs apprentissages comme l’ont déjà souligné d’autres chercheurs (Croft, 2003; Pianta et Stuhlman, 2004). Il est important de rappeler que le soutien affectif ne consiste pas seulement à écouter les préoccupations de l’élève, mais aussi de considérer le besoin de partager ses intérêts et ses pensées avec une personne qui peut alimenter sa réflexion, sa pensée critique et ses connaissances. Ces échanges positifs permettent aux élèves de mieux réguler leurs émotions et leurs comportements (Roorda et coll., 2011) et de s’engager plus activement dans leurs apprentissages (Malmberg et Hagger, 2009).

Conclusion

Somme toute, il est très encourageant, considérant qu’aucun des enseignants interrogés n’avait reçu de cours sur les élèves doués lors de leur formation initiale, de constater que la majorité d’entre eux rapportent utiliser certaines pratiques de différenciation pédagogique recommandées et efficaces dans leur enseignement quotidien auprès des élèves doués. Les pratiques de différenciation pédagogiques promues pour l’ensemble des élèves, notamment dans la politique sur la réussite éducative (MEES, 2017), permettent de répondre à plusieurs des besoins des élèves doués. Parmi les éléments de différenciation pédagogique, le rythme d’apprentissage semble toutefois le moins pris en compte par les enseignants alors qu’il apparait fondamental tant pour les parents que pour les élèves pour soutenir leur inclusion scolaire.

L’échantillon de petite taille constitue une limite à l’étude ainsi que le fait que l’échantillon provient d’une seule commission scolaire, qui de plus est la seule au Québec à détenir une politique de douance, ce qui a pu influencer les pratiques utilisées par les enseignants. Par contre, la saturation empirique a été atteinte. De plus, comme Miles, Huberman et Saldaña (2014) le soulignent, avoir entre 20 et 30 cas est suffisant pour obtenir une fine perception de la situation étudiée. Aussi, la triangulation des données, confrontant le point de vue des élèves, des parents et des enseignants, bonifie de façon significative la qualité des résultats comme le souligne Chen (Chen et Turner, 2012).

Remerciements

Les auteures tiennent à remercier le Fonds de recherche sur la société et la culture (FRQSC) et le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) pour leur soutien financier ainsi que les participants pour leur collaboration à ce projet de recherche.

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