ÉVALUER DES APPRENTISSAGES AU SECONDAIRE EN ÉQUIPE COLLABORATIVE



ANDRÉ C. MOREAU Université du Québec en Outaouais

NANCY GRANGER Université de Sherbrooke

FRÉDÉRIQUE GINGRAS Université du Québec à Rimouski

CYNTHIA LAVOIE VEZEAU Commission Scolaire des Patriotes

ConteXte et Problématique de recherche



L’étude se déroule dans une école qui fonctionne en communauté d’apprentissage professionnelle (CAP) qui s’est implantée lors d’un projet d’équipe-école et qui s’est poursuivie l’année suivante. Ce fonctionnement d’école en CAP s’actualise par des rencontres régulières d’équipes collaboratives (ÉC) de membres du personnel regroupés par cycles d’enseignement ou par groupes ciblés d’apprenants. L’ÉC s’intéresse à une problématique à laquelle les membres cherchent une solution (Moreau et al., 2014). « Dans notre cas, nous cherchions à trouver un moyen d’engager l’élève dans sa réussite, qu’il devienne proactif4». La composante évaluation des apprentissages a donc été le point central d’une innovation afin de rehausser l’engagement des élèves dans les tâches scolaires et, indirectement, dans la réussite de leur apprentissage. Le fonctionnement en ÉC mène à développer un langage commun ainsi que des pratiques5 validées par les ÉC, tout en permettant de construire collectivement des attentes et des actions portant sur l’évaluation des apprentissages. Dans ce fonctionnement, l’approche par résolution de problème agirait à titre de modérateur social. Elle assurerait une plus grande cohérence, un meilleur alignement entre le curriculum prescrit, les activités d’apprentissages en classe et les tâches évaluatives (Mottier Lopez et al., 2012). Elle aurait aussi pour effet « de développer les compétences professionnelles des enseignants à formuler des jugements d’évaluation. » (Mottier Lopez et al., p. 163).

En contexte québécois, l’implantation de programmes inspirés de l’approche par compétences (ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2003) a conduit à une évolution des données de la recherche portant sur la réussite des élèves. Ces recherches ont mené vers une approche préventive qui privilégie l’intégration de l’évaluation des apprentissages à toute démarche d’enseignement-apprentissage (MEQ, 2003); idée qui a été réaffirmée dans un rapport récent du Conseil supérieur de l’éducation (2018) en précisant que l’évaluation doit « contribuer de façon concrète à l’apprentissage ». Selon Allard (2016), cette approche préventive est adoptée et implantée dans plusieurs écoles québécoises. Elle consiste à évaluer de manière continue les progrès de l’élève, tandis que l’enseignement et les interventions basées sur les données de recherches sont implantés et différenciés de manière à répondre aux besoins de l’ensemble des élèves, qu’ils aient des difficultés ou non. Elle implique de faire le dépistage des acquis et des difficultés au début de l’enseignement, ainsi que le pistage des apprentissages régulièrement afin d’être en mesure d’opérer des actions de régulation pendant l’enseignement. Des mesures particulières peuvent se greffer à ces interventions pour soutenir les élèves qui n’arrivent pas à atteindre les performances ciblées. Ces pratiques préventives permettent à l’élève de réguler ses actions et de les ajuster pour vivre une réussite.

Or, l’évaluation comme activité d’amélioration de l’apprentissage constitue une pratique qui n’est pas nouvelle en éducation. Cependant, l’attention accordée à cette pratique par les acteurs pourrait être davantage mise en valeur (voir données internationales du Conseil national d’évaluation du système scolaire, CNESCO, 2014). L’enquête internationale (OCDE, 2014), qui regroupe 27 pays, pointe que les enseignants manquent de formation et se disent insuffisamment ou pas former à planifier des évaluations intégrées à l’enseignement-apprentissage. Certains auteurs expliquent ce manque d’intérêt pour cet objet d’étude par le flou ou les confusions entre les termes évaluation, mesure, finalité, intention, pratique d’évaluation ou contrôle (Portelance et Caron, 2017). D’autres éléments rajoutent à cette confusion, notamment certains changements d’orientation ministériels en éducation qui sont peu ou pas compris (Fontaine et Savoie-Zajc, 2013), ou des « zones d’ombre» dans les discours sur les pratiques d’enseignement.

Cadre conceptuel



La visée praxéologique de l’étude a mené à traiter des concepts théoriques dictés par les participants. Nos interactions avec ces derniers nous rappellent l’influence sur leur pratique de l’évaluation selon l’approche par compétences dans différents domaines (Jonnaert, 2017; Tardif, 2006), dont la littératie. Ces chercheurs abordent l’évaluation de ces compétences dans des perspectives renouvelées et proposent des méthodes d’évaluation variées. En enseignement et en apprentissage, le terme évaluation peut être défini ou compris de plusieurs façons. Traditionnellement, l’évaluation réfère au jugement porté sur les apprentissages ou sur les acquisitions7. Au fil des progrès en recherche, le terme a évolué selon diverses influences des paradigmes cognitivobéhavioral, cognitiviste, socio cognitiviste, ou des théories en apprentissage et en enseignement. Ces paradigmes théoriques et empiriques impactent l’évaluation tels que les paradigmes objectifs, subjectifs, ou interactifs (Rodrigues, 2006). Lorsqu’il est croisé avec l’élève, les parents, les spécialistes des difficultés d’apprentissage, ou même en relation avec un processus d’enseignement-apprentissage, ce terme prend différentes définitions selon les finalités ou les fonctions visées. Marcoux et al. (2014) expliquent que l’évaluation, loin de porter un jugement, mène à fonder une prise de décision au regard d’une finalité du processus d’évaluation, au sein de la classe ou de l’école. D’autres le définissent selon une typologie d’évaluation, dont Abejehu (2016) lorsqu’il précise les termes « formative assessment, summative assessment » (voir Allen et Bergeron, 2015 et le pionnier Scriven, 1967 et). Cette diversité de définitions se reflète dans les décisions ministérielles.

Beckers et al. (2014, p. 65) soulignent que l’évaluation, selon l’approche par compétence, nécessite « la mise au point de nouveaux outils et de nouvelles stratégies d’évaluation des apprentissages, tant pour répondre aux finalités formatives et sommatives que pour communiquer ses résultats au bulletin scolaire ». Pour ces derniers, les résultats de l’évaluation des compétences doivent avoir été obtenus régulièrement, et ce, dans une variété de situations, pour être fiables. Leurs propos rejoignent ceux d’autres sources qui se préoccupent de l’évaluation des apprentissages et d’évaluation formative continue (Gouvernement de l’Ontario, 2006; MEQ, 2003; Monney et Fontaine, 2016).

Fonctions de l’évaluation comme moyen d’améliorer l’apprentissage



Pour Lepareur et Grangeat (2018 : inspirés de Wiliam, 2011), les fonctions de l’évaluation des apprentissages (apprentissage dans une visée formative) visent à (a) clarifier les critères de réussite; (b) organiser les activités-tâches menant à documenter des données d’apprentissage; (c) fournir une rétroaction sur la progression de l’élève; (d) soutenir celui-ci dans son engagement et sa réalisation d’apprentissage; et (e) l’inciter à être une ressource pour ses pairs. À cet égard, ces activités de réflexion à haute voix et de rétroaction à l’élève en utilisant les données d’apprentissage réduiraient l’écart entre la performance de l’élève et celle souhaitée.

En outre, l’évaluation des apprentissages avec et pour l’élève vise à soutenir et à promouvoir l’apprentissage (Black et Wiliam, 2007). Elle intègre systématiquement une rétroaction « feedback in assessing » et renseigne sur l’avancement de l’activité et de l’apprentissage (Miranda et Hermann, 2015). Pour ces derniers auteurs, cette évaluation des apprentissages (formative assessment) fournit à l’enseignant des informations sur la progression de chaque élève qui lui permettent de modifier ou d’ajuster son enseignement en temps réel et d’améliorer sa planification. Au fil des évaluations des apprentissages, l’enseignant est davantage en mesure de bonifier ses activités d’enseignement dans le but d’aider ses élèves à contribuer à leur propre apprentissage. Cette évaluation permet de réguler à la fois l’enseignement et la démarche d’apprentissage de l’élève (Fontaine, 2013). Au Québec, l’évaluation des apprentissages répond à la Politique de l’évaluation ministérielle (MEQ, 2003) qui l’intègre à la démarche d’enseignement-apprentissage pour soutenir et pour aider l’élève dans son apprentissage. Cette évaluation met en perspective les acteurs (apprenant – enseignant) qui s’activent ensemble au cours de la situation d’apprentissage afin d’intégrer l’évaluation lors du processus pédagogique; apprenants et enseignants sont « intimement liés dans l’acte d’évaluation » (Portelance et Caron, 2017, p. 87). Il s’agit entre autres d’un retour par l’élève et avec lui sur ses apprentissages, ses connaissances et les ressources/stratégies qu’il mobilise (Hattie et Timperley, 2007). Ces échanges renseignent sur (a) les connaissances acquises et celles qui sont à développer; (b) l’évolution de la compétence et de ses sous composantes – connaissances et habiletés/ressources de la compétence mobilisée; (c) la qualité du jugement de l’élève quant à son travail et aux stratégies d’apprentissage qu’il mobilise pour réussir la tâche à accomplir; (d) la rétroaction et la régulation quant au prochain défi ou problème à surmonter (Gouvernement de l’Ontario, 2006). L’évaluation des apprentissages crée un contexte de partage sur la qualité des activités réalisées et sur les apprentissages objectivés à partir de données qui sont plus descriptives que chiffrées pour une prise de décision (Marcoux et al., 2014). Elle rejoint des finalités qui varient au fil de la démarche d’enseignement-apprentissage.

Démarche d’évaluation des apprentissages avec et pour l’élève



Pour compléter sa planification, l’enseignant documente les acquis des élèves dans la discipline enseignée. Une ou des activités types d’apprentissage, qui intègrent l’ensemble des composantes et des connaissances ciblées, sont réalisées et permettent à l’enseignant de bien situer le profil du groupe et les besoins particuliers d’apprenants. Fort de ces données d’apprentissage, l’enseignant peut planifier les situations d’enseignement à mettre en place, dont les activités types d’enseignement explicite en grand groupe, les activités d’appropriation et celles de transfert en sous-groupe, en individuel, ainsi que celles guidées selon les besoins particuliers d’élèves. Selon Rey (2014), l’évaluation des apprentissages, dans une approche par compétence, exige que les élèves soient confrontés à des tâches inédites et complexes : « complexes en ce sens qu’elles requièrent la combinaison de plusieurs processus, connaissances, ressources et critères. » (p. 27).

De façon concomitante, des activités d’observation ou de collecte de données d’apprentissage à la suite d’un enseignement-apprentissage sont réalisées par l’enseignant – pistage des apprentissages (Prud’Homme et Leclerc, 2014). Ces activités d’évaluation se déroulent dans un climat favorable; elles sont planifiées et organisées par l’enseignant et incluent des observations directes de l’enseignant, des échanges entre enseignants-apprenants, ou des interactions collectives au cours desquelles chaque apprenant peut témoigner de sa compréhension quant à la tâche réalisée. Enfin, ces activités d’évaluation, brèves et fréquentes, permettent de réfléchir sur le sens des données d’apprentissage documentées, de les suivre, de fournir une rétroaction et de préciser les défis à relever par l’apprenant dans l’appropriation de ses compétences. Selon les besoins, elles aident à planifier des interventions ciblées pour soutenir l’élève en difficulté : cela exige une planification de ces temps d’évaluation formative.

Dierendonck et al. (2014) synthétisent des données théoriques et empiriques du concept « compétence » et précisent les nombreuses difficultés liées à l’opérationnalisation de pratiques d’évaluation. À cet égard, Jonnaert (2014) dégage certains renseignements qui guident le choix d’outils d’évaluation des apprentissages. Une compétence se définit selon cinq cadres qui, articulés entre eux, modélisent un espace sémantique d’une compétence : a) le cadre situationnel (famille de situations types que l’apprenant mobilise ses ressources ou surmonte les contraintes de celles-ci); b) le cadre d’expérience (expériences, connaissances ou actions antérieures de la personne quant à la situation); c) le cadre de ressources de la personne (ressources cognitives, conatives ou spécifiques à la situation ou externes hors de la situation); d) le cadre d’actions possibles dans la situation (actions potentielles, contextualisées, leur mobilisation et leur articulation selon la situation); et e) le cadre d’évaluation (types de traitements attendus de la situation et critères d’atteinte) (Jonnaert, 2014). Cette définition interactive de l’évaluation mène à offrir un étayage de l’apprentissage et à préciser la zone de développement proximal de l’élève pour identifier les mesures d’aide appropriées (Prud’Homme et Leclerc, 2014). Ces auteurs suggèrent des outils qui offrent une description des composantes de la compétence ou des critères de la tâche qui sont à documenter. La schématisation des données d’apprentissage soutient les actions de réguler la situation d’apprentissage et d’enseignement; elle illustre mieux à l’apprenant ce qui est appris (composantes, connaissances de la compétence ou critères) et ce qui lui reste à développer – les défis à relever. Comme l’exprime Coulibaly (2017), la régulation est « la charpente » de l’évaluation des apprentissages et désigne les ajustements des actions de l’élève qui le rapprochent le plus « possible d’un standard, d’une attente, afin qu’il soit de mieux en mieux adapté à son environnement. » (Durand et Chouinard, 2012, p. 36). En ce sens, l’élève bénéficie d’informations détaillées sur ses processus pour réguler ses apprentissages et pour progresser vers une réussite. L’enseignant a comme fonction de tout mettre en œuvre pour l’accompagner et pour l’informer sur ses apprentissages (Monney et Fontaine, 2016).

Ces quelques prémisses, croisant les termes utilisés par les participants et les définitions de chercheurs s’intéressant à ces concepts, mènent à une compréhension de l’évaluation des apprentissages ancrée dans une pratique renouvelée. Ainsi, il est pertinent de s’interroger sur les éléments suivants : Que font les enseignants lorsqu’ils mettent en œuvre une démarche concertée d’évaluation des apprentissages dans différentes disciplines au secondaire à savoir, visées, conditions, actions et outils qui caractérisent cette pratique en collaboration? Quelles sont les contributions de cette pratique d’évaluation des apprentissages avec et pour les élèves?

MÉTHODOLOGIE



Les questions soulevées invoquent une méthodologie dite collaborative et descriptive selon une approche praxéologique (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015) qui combine des contributions de la recherche et de la pratique. Cette méthodologie de recherche collaborative implique une démarche de coconstruction entre chercheurs et praticiens (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015). Cette collaboration souscrit à une praxéologie partagée dans le sens d’un savoir-faire (ou praxis) et de la connaissance (logos) qui décrit, explique et justifie une pratique. Une praxéologie en recherche collaborative concerne les réflexions sur les pratiques, sur les concepts, ou sur les hypothèses théoriques qui sont mises à l’épreuve (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015). La praxéologie de cette étude porte sur un dispositif d’évaluation des apprentissages de type technopédagogique8 expérimenté en conditions écologiques, dans le cas qui nous concerne, d’une école fonctionnant en ÉC. Les données qualitatives collectées par cette méthodologie permettent d’analyser les facteurs en jeu, pour mieux comprendre et pour décrire les contributions d’une pratique pédagogique (dispositif d’évaluation des apprentissages).

Coparticipants



Les cinq coparticipants sont des enseignantes et conseillères du secondaire qui ont contribué aux diverses activités de recherche (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015) : problématique, conception, collecte, analyse de données et discussion. Les critères de sélection sont (a) avoir participé à des activités (rencontres, formations) d’ÉC dans une école fonctionnant en CAP; (b) avoir accepté de contribuer à la recherche; (c) et avoir contribué à améliorer les pratiques d’évaluation en interdisciplinarité (enseignants de diverses disciplines et intervenants en enseignement). Ces coparticipants ont entre 11 et 15 années d’expérience dans leur profession et sont : une enseignante en didactique de français, une enseignante en didactique de mathématiques, une orthopédagogue qui intervient auprès d’élèves des mêmes cohortes, une conseillère pédagogique en enseignement du français et une conseillère pédagogique en enseignement des mathématiques.

Méthode de collecte de données et démarche



Pour Fortin et Gagnon (2010), la méthode d’entrevue semi-dirigée « est utilisée pour collecter de l’information en vue de comprendre la signification d’un évènement ou d’un phénomène vécu par les participants » (p. 282). L’entrevue semi-dirigée soulève des interactions verbales entre diverses personnes afin de transmettre une compréhension commune (itérative) d’une situation. Les interactions verbales sont animées de façon souple par le chercheur. Ce dernier se laisse guider par le rythme et le contenu de l’échange pour ainsi aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes généraux et spécifiques qu’il souhaite explorer avec le coparticipant (Savoie-Zajc, 2016). Le schéma d’entrevue se compose des thèmes suivants : la fonction, le rôle joué dans ce projet, l’expérience concernant l’implantation du fonctionnemant en ÉC dans leur école, les objectifs d’équipe et les actions ou activités réalisées pour améliorer les pratiques d’évaluation, outils, démarche d’évaluation ainsi que de l’observation des effets sur les élèves, sur eux (développement professionnel) sur les pratiques d’évaluation et sur le mode de fonctionnement d’équipe. Un premier cycle d’entrevue de 90 minutes a permis de collecter des données : deux entrevues de groupe et une entrevue individuelle. Un deuxième cycle d’entrevue individuelle a permis de collecter les commentaires et les ajouts des coparticipants à la suite de la synthèse des rencontres. Cette démarche de validation du contenu des entrevues s’est répétée à deux reprises par les coparticipants ayant demandé de relire les synthèses.

Démarche de collecte de données, analyse et éthique



À la fin de l’année scolaire, les membres d’une ÉC ont souhaité partager leur expérience positive; l’une des démarches consistait à s’allier à des chercheurs intéressés à documenter leur expérience. Par une démarche de type collaborative, une méthodologie a été proposée afin de documenter l’expérience de cette école fonctionnant en ÉC. Après avoir précisé en commun les objectifs de la recherche, des travaux ont mené à documenter les écrits scientifiques sur l’évaluation des apprentissages en cours d’enseignement et à préciser une méthodologie de collecte de données. Une demande de certificat d’éthique a été déposée et obtenue auprès du comité de l’Université du Québec en Outaouais. La collecte des données s’est amorcée à l’automne 2018. Cette collecte s’est réalisée selon deux cycles : le premier concerne les entrevues semi-dirigées et le deuxième concerne les entrevues de validation des synthèses des données collectées. Une analyse par thèmes issus du cadre conceptuel et ceux émergents a permis de présenter les résultats.

ANALYSE DES RÉSULTATS



Les coparticipantes enseignantes interrogées dans le cadre de ce projet de recherche se sont exprimées sur les différents aspects de l’implantation d’une pratique d’évaluation des apprentissages en cours d’enseignement intégrant un outil de communication et de régulation (nommé par les coparticipants « outil de monitorage » et dans le présent texte désigné « Outil » : voir illustrations en annexe). L’analyse qualitative des données répond aux deux sous-questions de recherche à savoir que font les enseignants lorsqu’ils mettent en œuvre une démarche concertée d’évaluation des apprentissages et quelles sont les contributions de cette pratique.

Implantation d’une nouvelle pratique d’évaluation des apprentissages et limites



De prime abord, les coparticipantes soulignent s’être réunies pour mieux intervenir au regard de la réussite scolaire des élèves. Ces rencontres se sont déroulées, en moyenne une fois par mois, pour développer des conditions et un Outil menant à documenter l’évolution des apprentissages et à faciliter une régulation de l’enseignement-apprentissages. Elles souhaitaient explorer une nouvelle avenue « développer de nouvelles façons de faire » (P1). L’ÉC cherchait « un moyen de documenter les acquis et leur progression des apprentissages et, ultimement, leur réussite scolaire. » (P1) Elles souhaitaient que les jeunes s’engagent davantage et soient plus motivés au regard des activités des élèves dans une visée de réussite scolaire. Les élèves devaient réaliser que les adultes ne « pouvaient pas tout faire pour eux ». (P1)

Au fil des rencontres et des lectures sur l’engagement et sur la réussite des élèves, les membres de l’ÉC ont retenu l’importance de documenter les données d’apprentissage afin de soutenir les élèves et de favoriser la régulation des enseignements. À cet égard, une enseignante mentionne « il fallait faire autrement dans l’apprentissage. » (P4) Pour y arriver, « le livre de Prud’Homme et Leclerc (2014) nous a inspiré pour l’élaboration d’un Outil visuel permettant d’illustrer les forces et les défis des élèves. » (P1)

Après sa création par l’ÉC, l’Outil a été expérimenté. Son utilisation a été modélisée ou ajustée afin que les enseignants se sentent à l’aise de l’utiliser avec leurs élèves et qu’ils voient son potentiel sur la régulation des apprentissages. Selon des coparticipantes, la richesse des discussions et des réflexions ont permis le travail en ÉC, « tout le monde était là avec ouverture; l’implantation n’était possible que si les enseignants acceptent de participer. » (P1) Le travail était d’autant plus significatif pour les enseignants puisque le processus venait d’eux. Une coparticipante mentionne au regard de la modélisation effectuée « […] quand tu participes à une CAP qui a vraiment décidé d’essayer des choses, qu’une première séquence d’enseignement a été vécue, et que tu vois ce qu’est le monitorage, pour voir justement l’évolution, c’est là que c’est enrichissant ». (P4)

Parmi les conditions d’implantation de l’Outil nommées, il importe que les gens qui l’utilisent croient en sa pertinence pour changer leur pratique. Une coparticipante renseigne que l’implantation n’était possible que si les membres acceptaient qu’« il faut que les façons de faire changent. » (P1) Elle insiste sur le fait que les membres de la direction ne doivent pas être seuls, car « […] il faut qu’elle ait une équipe d’enseignants qui va vouloir collaborer […] et prendre un risque. » (P1) L’implantation de l’Outil est, pour elle, un bel exemple de cela. Dans le même sens, cette ouverture des membres se manifeste par le travail en interdisciplinarité : « Dans un cours de français, on travaillait avec le texte du cours d’histoire pour travailler la structure du texte informatif et ainsi pour mener à développer la compétence à écrire. » (P1) Selon les propos colligés, il apparait préférable que les enseignants s’engagent à travailler de concert pour faciliter l’implantation d’un tel Outil, que cela concerne les différentes disciplines ou les différents niveaux scolaires.

Si les coparticipantes voient l’Outil comme une valeur ajoutée, certaines craignent toutefois que des collègues considèrent ce dernier comme un ajout à leur tâche : « Les autres enseignants qui ne l’utilisent pas craignent que si cela leur était demandé, ils trouvent que ça ajoute encore une autre tâche » (P2; P3) : « Souvent, la première réaction que l’on obtient des enseignants, c’est qu’ils nomment qu’ils ont trop d’élèves et qu’ils n’ont pas le temps de faire cela. » (P4) La lourdeur peut venir du fait que les enseignants ont des groupes trop hétérogènes, ce qui rend difficile le fait de donner de la rétroaction individualisée. Les enseignantes soulignent qu’elles-mêmes n’ont pas été en mesure d’utiliser l’Outil à plus d’une reprise en raison de l’hétérogénéité de leur groupe : « Je n’ai pas eu le temps cette année de faire cette rétroaction individuelle. […] Cette année j’ai eu des changements de groupe et je n’ai pas pu l’utiliser. » (P 2; P3) Ainsi, il appert que l’implantation de l’Outil peut être difficile dans un contexte où les enseignants considèrent qu’ils ont déjà beaucoup à faire et qu’ils ont des groupes trop hétérogènes pour faire les suivis adéquats.

Parmi les pistes de solution entrevues, certaines coparticipantes suggèrent que les enseignantes doivent désormais penser l’évaluation des apprentissages différemment. La tendance actuelle chez les enseignants disciplinaires consiste à utiliser les guides pédagogiques réalisés par les maisons d’édition. Selon elles, ces guides sont créés « en fonction de contenus des apprentissages et pas assez en fonction d’une approche par compétences. » (P1) Ce matériel des maisons d’édition incite à suivre les contenus des cahiers et à évaluer les contenus associés. Toutefois, en travaillant avec l’Outil, il est possible de repenser les évaluations en fonction des besoins et des défis des élèves selon une approche différenciée. Une coparticipante soutient qu’« ils [enseignants] croient encore que tout est important. » (P4) En outre, il peut donc être difficile d’implanter une innovation comme cette pratique évaluative si l’équipe ne tient pas compte des défis et des limites rencontrés. Il importe que les intervenants puissent réaliser les limites de cet Outil sur la réussite des élèves, mais aussi les contributions.

Contributions de la démarche intégrant un Outil de communication et de régulation



Les propos tenus par les coparticipants révèlent que le travail en ÉC a été une occasion pour chacun de réfléchir à leur pratique d’évaluation des apprentissages. Ils ont pu établir des liens entre l’utilisation de l’Outil et les différentes fonctions de l’évaluation des apprentissages.

Une coparticipante rapporte qu’au départ l’Outil était davantage utilisé pour l’évaluation sommative des apprentissages, alors que l’intention était plutôt de « faire un portrait de classe ». (P1) Toutefois, avec le temps et les discussions en ÉC, la pratique évaluative a évolué et l’utilisation de l’Outil s’est transformée. Les conseillères pédagogiques soulignent d’ailleurs, qu’au début de la démarche, la pratique évaluative intégrant l’Outil n’était pas nécessairement compatible avec une vision de l’évaluation formative. Pour elles, la pratique évaluative intégrant l’Outil, qui s’est développée avec le temps, a permis l’implantation d’une forme d’évaluation différente et à permis d’aller au-delà du cumul de notes ou de reproduire une seule façon de faire. L’ÉC a en quelque sorte repensé les visées possibles pour réfléchir et pour évaluer autrement. L’une des coparticipantes va jusqu’à affirmer que « […] ce n’est pas avec l’évaluation traditionnelle (le cumul de notes) qu’on arrive à avoir un meilleur portrait des élèves et de la classe. » (P5) Le portrait des acquis des élèves réalisé dès le début d’une séquence d’enseignement incitait à réfléchir sur les contenus à apprendre et sur les compétences à développer. Ce travail « a permis de mieux cibler les défis particuliers et de différencier les interventions. » (P1)

Une fois le portrait de classe effectué, l’Outil a favorisé la rétroaction enseignant-élève : « Ce qui engage l’élève, c’est la rétroaction que les enseignantes donnent individuellement à l’élève pour qu’il puisse s’engager dans l’apprentissage d’un contenu qu’il n’a pas maitrisé. » (P3) En fait, toutes les coparticipantes vont jusqu’à dire que, sans la rétroaction, l’Outil ne peut pas avoir les effets souhaités, à savoir soutenir la mobilisation et l’engagement des élèves quant à leurs apprentissages : « Il faut vraiment utiliser cet outil de monito[rage] avec des rencontres de rétroactions si on veut avoir des effets auprès des élèves. » (P2; P3) En ce sens, les coparticipantes conviennent que l’Outil permet de développer « une pratique d’évaluation au service de l’apprentissage en cours d’enseignement. » (P3)

À ce sujet, une coparticipante affirme : « […] on peut l’utiliser à tout moment parce qu’on est toujours en observation et que les compétences évoluent. » (P1) L’Outil devient ainsi un moyen de faire le suivi des apprentissages en continu, et non uniquement à des moments précis et déterminés selon le calendrier scolaire. L’Outil amène à repenser « quand évaluer » et « à identifier des activités cibles pour observer où en sont les élèves » (P3); « il amènera les enseignants à voir la plus-value pas seulement au niveau des évaluations, mais aussi au niveau des apprentissages [...] s’il contribue à varier les dispositifs ce serait déjà une bonne chose. » (P4) Une coparticipante décrit notamment l’exemple d’une enseignante de mathématiques qui a remarqué que ses jeunes avaient de la difficulté avec les fractions, un savoir qu’elle croyait maitriser par eux. Elle a ainsi revu son enseignement et l’accompagnement offert aux élèves pour se concentrer sur les contenus qui étaient moins acquis. Dans cette optique, « [...] régulation et enseignement sont désormais liés. » (P3) Une coparticipante précise : « Ça nous amène à aller chercher les pratiques efficaces, les pratiques probantes pour enseigner, dans le fond pour améliorer le niveau 1 de l’approche de la réponse à l’intervention. » (P1) Pour elle, cette pratique évaluative intégrant l’Outil a quelque chose « d’universel » et facilite aussi la communication entre les différents intervenants scolaires.

En outre, les membres de l’ÉC soutiennent qu’ils perçoivent davantage l’importance d’impliquer l’élève dans le processus d’apprentissage : « Chaque élève doit pouvoir se faire présenter ses forces et ses défis, mais aussi avoir l’occasion de poser un regard sur ses compétences » (P2); une coparticipante va plus loin et suggère que « cette autoévaluation des élèves puisse être utilisée par les enseignants lorsqu’ils portent un jugement sur les compétences des élèves. » (P4) Pour soutenir cette autoévaluation, « l’observation à l’aide d’un graphique apporte du visuel et permet de discuter avec l’élève sur ce qui peut être amélioré. » (P4) Les coparticipants sont d’avis que cette contribution de la réflexion et de la régulation par l’élève peut avoir un effet sur son engagement.

Or, la notion de compétence, malgré qu’il en ait été question tout au long de la démarche collaborative, apparait comme un concept encore peu maitrisé par les membres de l’équipe : « J’aurais besoin qu’on se rassoie avec moi, qu’on m’en reparle et qu’on me réexplique un peu le comment faire. Parce que c’est une transition qui a peut-être été faite un peu vite. » (P1) D’autres abondent dans le même sens alors qu’elles soutiennent que le passage vers l’approche par compétences ne s’est pas actualisé dans les salles de classe québécoises. « On a souvent tendance à évaluer encore les savoirs au lieu de la compétence […] peut-être qu’on n’a pas été, en tous cas je vais parler pour ma part, assez bien préparé à comment évaluer une compétence. » (P3)

Le travail sur la pratique évaluative intégrant l’Outil a permis aux intervenants scolaires de mieux comprendre de quoi relevait l’évaluation des compétences. Dans son discours, une coparticipante explique que, l’enseignant qui utilise l’Outil dans sa pratique d’évaluation, « c’est son jugement professionnel qui est appliqué, ce n’est pas un chiffrage, c’est vraiment par l’observation de l’élève. On pose un jugement sur la compétence. » (P1) Certaines coparticipantes précisent qu’elles exercent davantage leur jugement professionnel lors de l’évaluation des apprentissages : « C’est une évaluation subjective de ma part qui ne correspond pas à la note des évaluations pour le bulletin : en fait, un élève peut avoir 80 sur son évaluation, mais je lui attribue un niveau ‟ orange ” [couleur désignant ‟ en cours d’apprentissage ”], car j’observe que certains éléments essentiels à sa réussite ne sont pas maitrisés; pour un autre, il peut avoir 80 et avoir un ‟ vert ”, car cela correspond au cheminement attendu. » (P3) De plus, cette pratique d’évaluation permet de « sauver beaucoup de temps de consultation ou d’explication entre collègues. » (P3) « Les fiches de monitoring servent d’outils de références lorsqu’on a à intervenir. » (P2) Cette façon d’évaluer aurait aussi une influence positive sur l’engagement des élèves : « depuis la mise en place de l’Outil, je n’ai jamais vu un groupe aussi engagé. » (P3) « En français par exemple, lorsque la fin d’un chapitre arrivait, l’enseignante leur présentait où ils étaient rendus. Ils voyaient où ils avaient du vert et ça les encourageait. » (P4)

Il demeure que la réflexion concernant l’évaluation des compétences est à poursuivre. Toutefois, la pratique évaluative intégrant l’Outil a été au cœur de l’amorce de ces réflexions : « Je pense que l’Outil peut venir aider à formuler un jugement sur les compétences à développer. [...] Lorsqu’on l’a présenté, on a reçu des commentaires constructifs pour faire avancer l’Outil. Pour mieux l’adapter aux besoins des enseignants. » (P1) Les coparticipantes voient qu’il reste encore beaucoup de travail à faire avec les enseignants, mais que ce type de pratique d’évaluation répond davantage à la mobilisation et à l’engagement de l’élève dans ses apprentissages.

Cette pratique évaluative aide à planifier différemment l’enseignement-évaluation afin qu’il ait plus de sens pour les élèves et ainsi favoriser leur engagement au regard de l’apprentissage. Ce changement en enseignement entraine une meilleure communication et une meilleure collaboration entre les enseignants de divers ordres, mais aussi de différentes disciplines ce qui favorise l’interdisciplinarité. « Maintenant les enseignantes s’assoient et planifient ensemble. Elles font aussi des rencontres de concertations pour le passage d’un niveau à l’autre, notamment lorsque les élèves changent d’école entre le 1er et le 2e cycle du secondaire. » (P1) Parmi les pratiques rapportées : « La prof de secondaire trois ne planifiait plus toute seule, mais elle allait chercher la prof de secondaire deux et elle allait rencontrer la prof de secondaire 4 pour faire sa planification plus en harmonie. » (P1) Cette façon de faire, implique une planification nouvelle : « De là à l’articuler, à l’appliquer tout ça, je pense que c’est un beau travail à développer. » (P1) Selon une coparticipante, il faut éviter « l’isolement des enseignants qui sont seuls dans leur discipline; [cette situation] ajoute un sentiment d’isolement et de surcharge au travail. » (P4) En outre, un haut niveau de collaboration favorise le changement de pratique qui s’amorce dès la planification d’un enseignement.

DISCUSSION



Qu’est-ce que cette analyse qualitative permet de comprendre sur ce que font les enseignants lorsqu’ils mettent en œuvre une démarche concertée d’évaluation des apprentissages et sur les contributions de cette pratique? Quatre grandes idées se dégagent de cette analyse.

Difficile pour ces coparticipantes de concevoir une telle implantation et un changement sans une structure scolaire de fonctionnement en ÉC; celui-ci se présente comme une condition incontournable. Cette idée rejoint les résultats de recherches sur ce fonctionnement en ÉC ou en communauté d’apprentissage professionnelle (Fullan, 2015; Moreau et al., 2014). En fait, ce que les coparticipantes expliquent c’est ce travail de collaboration et de concertation entre les membres concernant la visée et les moyens à mettre en place qui a permis cette implantation et ce changement progressif de pratique. Pour se réaliser, l’implantation d’une nouvelle pratique s’inscrit nécessairement dans un fonctionnement d’école où les membres, dans l’horaire scolaire, se donnent du temps de qualité pour travailler en ÉC; les conditions de ce fonctionnement sont bien documentées par les données de recherche (Moreau et al., 2014). De plus pour les coparticipants, l’adhésion (« il faut y croire ») et l’engagement (« les façons de faire changent ») des membres agissent comme levier et comme liant pour réaliser l’implantation de cette pratique évaluative. Ces données d’analyse rejoignent les recherches sur la fidélité d’intervention qui spécifient les critères de la qualité (adhésion et engagement) de la mise en place d’une pratique (Swanson et al. 2013). Ces critères de qualité s’inscrivent également comme condition incontournable à l’implantation d’une nouvelle pratique d’enseignement. Cependant, ces conditions ne sont pas étrangères au temps nécessaire qu’il faut accorder; pour les coparticipants, cela a pris du temps et plusieurs essais et ajustements ou modifications tant conceptuelles que dans les savoir-faire pour que les enseignants puissent observer des résultats.

Une deuxième idée maitresse renvoie au passage d’une évaluation traditionnelle à une évaluation des apprentissages avec et pour l’apprenant. L’implantation d’une nouvelle pratique d’évaluation a impliqué plusieurs rencontres et questionnements pour permettre aux coparticipants de concevoir et de mettre en œuvre des façons de faire à partir d’une pratique d’évaluation traditionnelle vers une évaluation des apprentissages en cours d’enseignement. Ce résultat d’analyse mérite d’être souligné au regard de l’effort que doit investir le personnel enseignant à repenser leur façon de faire sur différents aspects de l’enseignement-évaluation. Cela implique des questionnements et des actions d’aller-retour sur le plan de la planification de l’enseignement-évaluation, du processus de dépistage et de pistage des apprentissages, des contenus, des modalités, des outils à créer et à utiliser de cette pratique évaluative, des meilleures façons de faire en classe, dont les temps de régulation et de rétroaction avec chacun des élèves. Ces divers éléments nommés et documentés dans l’analyse pourraient, en soi, faire l’objet d’une discussion. La documentation scientifique est abondante sur chacun de ces éléments (Desalegn, 2014; Jonnaert, 2014; Wiliam, 2011). Parmi ces éléments clés, soulignons l’importance accordée à la rétroaction donnée à chaque élève en cours d’enseignement-évaluation : pour le personnel c’est ce qui fait la différence dans l’engagement de l’élève. Cette donnée est soulignée par certains auteurs (MEQ, 2003; Monney et Fontaine, 2016). Enfin, pour les coparticipants, il s’agit d’une pratique ayant permis de raffiner leur jugement en évaluation. Le jugement évaluatif fait référence au processus d’inférences subjectives de l’enseignant qui suppose un discernement et une conscience critique sur ses objets observés soit les indices d’apprentissage des connaissances/compétences à enseigner dans un domaine spécifique. Ces connaissances essentielles relatives aux compétences (savoir, savoir-être, savoir agir) devant être mobilisées par l’élève lors de réalisation de tâches spécifiques ou complexes sont les indices représentatifs qui composent le jugement de l’enseignant (Mottier Lopez et Tessaro, 2016). Dans un fonctionnement d’ÉC, ces connaissances et composantes des apprentissages doivent être négociées et précisées (Jonnaert, 2014).

Une troisième idée réfère à la stratégie de documenter les données d’apprentissage par un outil qui permet à l’élève de visualiser ses acquis et sa progression des apprentissages. Cet Outil conçu et expérimenté par les coparticipants porte ses fruits et représente une trace qui marque l’engagement des élèves. Le guide développé par Prud’Homme et Leclerc (2014) explicitent grandement les contributions de cette façon de documenter avec et pour les élèves les apprentissages. Il est le point de départ pour une réflexion et une régulation des apprentissages et de l’enseignement (Coulibaly, 2017).

Une quatrième idée réfère à un ensemble d’affirmations ou d’idées expliquées par les coparticipants en ce qui concerne les contributions de cette pratique d’évaluation d’apprentissage tant pour l’apprenant que pour l’enseignant. Les principales contributions sont : pour les coparticipants, l’engagement observé des élèves s’avère en soi un incitatif pour eux de poursuivre cette pratique d’évaluation des apprentissages, dont l’utilisation d'un Outil documentant les données d'apprentissages. L’utilisation d’un Outil de communication et de régulation permet d’être centré sur l’apprentissage, sur la réussite des élèves. Mottier Lopez et al. (2016) précisent qu’il s’agit d’un aspect central de l’évaluation des apprentissages en cours d’enseignement. Être centré sur les apprentissages permet de créer une relation intersubjective entre enseignants et apprenants (« évaluation subjectivante ») permettant à l’élève de coconstruire son jugement sur ses apprentissages dans un partage équilibré entre enseignant-apprenant; ce que les auteurs désignent par la fonction émancipatrice. Cette relation intersubjective favorise l’autoévaluation de l’apprenant dans le sens où l’élève pose des questions sur ses apprentissages, fait des constats et soulève des hypothèses d’actions. Cette autoévaluation ou cette relation intersubjective constituent une condition favorable et incontournable à l’évaluation des apprentissages et à la régulation. Cette boucle intersubjectivité impose parfois une différenciation de l’enseignement. Autoévaluation, régulation, accompagnement et différenciation sont des termes qui modélisent l’évaluation des apprentissages en cours d’enseignement (Mottier Lopez et al., 2016).

CONCLUSION

Les résultats, de l’implantation d’une pratique d’évaluation renouvelée et de ses contributions, aident à comprendre que celle-ci porte ses fruits dans la mesure où les enseignants se mobilisent en ÉC et créent une pratique d’évaluation appliquée par différents enseignants de disciplines diverses. Ce contexte de réussite éducative a mobilisé les coparticipants à documenter et à expliquer comment s’est construite cette pratique d’évaluation des apprentissages. Comme contribution, cette pratique d’évaluation et de régulation des apprentissages soutient l’apprenant dans son engagement, sinon renforce son processus d’apprentissage et de régulation. Une autre contribution de cette pratique renvoie au fait que celle-ci s’inscrit dans une démarche collective, concertée, et où, les apprenants dans diverses matières scolaires au secondaire peuvent mobiliser avec différents enseignants ce processus évaluatif et régulatif. Des obstacles ont été nommés quant à la pérennité de cette pratique à savoir le leadeurship de la direction souhaitant une organisation scolaire fonctionnant en ÉC et le temps de qualité pour réaliser les rencontres en ÉC. Ces facteurs fragilisent le maintien de cette pratique renouvelée.

Plusieurs limites peuvent être rappelées dans le cadre de cette étude, dont le peu de coparticipants qui ne permet pas d’avoir une saturation des données. Ce protocole ex post facto offre peu de possibilités de préciser la validité externe de la démarche évaluative : il s’agit de données déclarées ce qui limite leur portée. Donc, il faut être prudent dans le transfert de ces données dans d’autres contextes. Cependant, cette étude encourage à développer des recherches qui précisent le sens de résultats documentés pour mieux comprendre les façons d’opérationnaliser cette pratique d’évaluation des apprentissages.

NOTES


  1. Praxélogie / praxéologique renvoie aux recherches des facteurs et leur opérationnalisation au développement professionnel et aux pratiques associées ayant une visée de transformation et d’évolution (Leveuvre et al., 2009).

  2. L’expression équipe collaborative réfère au personnel d’une école fonctionnant d’une façon interdépendante; chaque membre est responsable et garant de l’amélioration des résultats et de la réussite des élèves (Moreau et al., 2014).

  3. Le terme littératie réfère aux domaines d’apprentissage des langues et désigne « la capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes. » (Moreau et al., 2020). Dans le cadre de la présente étude, la littératie intègre également la numératie et les compétences numériques.

  4. Propos d’une coparticipante à la recherche (P1).

  5. Le terme pratique désigne particulièrement les actions singulières et complexes que l’enseignant ou un acteur de l’éducation contribuent à réaliser en classe ou à l’école pour assurer à l’élève des conditions d’apprentissage de qualité menant à sa réussite.

  6. Araújo-Oliveira analyse ces « zones d’ombre » comme un ensemble de sous-entendus, d’incohérences et d’ambiguïtés et parfois des contradictions de discours ministériels sur l’enseignement qui soulèvent des interprétations diverses quant à l’intervention éducative du personnel enseignant (2019, p. 174).

  7. Apprentissage et acquisition : ces deux termes, quoiqu’ils désignent des réalités différentes, réfèrent la même réalité dans le cadre de cet article.

  8. Techno renvoie ici aux tâches données aux élèves et à l’ensemble des activités nécessaire à la réalisation des tâches. Dans la présente recherche, il s’agit de la combinaison de matériels et d’activités planifiées propres au dispositif d’évaluation des apprentissages. La pratique enseignante concerne la conception, la mise en œuvre et l’appréciation de ce dispositif d’évaluation des apprentissages.

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ANNEXE

Illustrations de l’Outil de communication et de régulation des apprentissages et son usage












Illustration d’une fiche vierge




Illustration d’une première évaluation d’un portrait de classe en début d’année




Illustration d’un suivi en fin d’une année scolaire




Illustration d’un enregistrement continu en format papier