La planification dans l’action : Les trois actions du personnel enseignant pour planifier une activité Maker

JEAN-LUC CIOCCA et MEGAN COTNAM-KAPPEL Université dOttawa

Lapproche Maker à l’école, c’est quoi? Avec les technologies numériques et notamment l’impression 3D et la programmation, des personnes d’horizons divers ont aujourd’hui l’occasion de mettre à profit leurs compétences pour produire et partager, seul ou en communauté, des objets issus de leur imagination. Passionnés ou fervents du mouvement faites-le vous-même (Do It Yourself ou DIY en anglais), ces personnes s’identifient comme des concepteurs ou des fabricants plutôt que comme des consommateurs de produits. Le système éducatif canadien s’inspire de ce mouvement (Hughes et Morrison, 2018). Il envisage le potentiel des technologies numériques afin d’offrir aux élèves des environnements et des activités d’apprentissage plus significatifs et authentiques, ceci en favorisant la création et la diffusion de leur travail (Hoechsmann et DeWaard, 2015) ou encore en leur offrant l’opportunité de concevoir et développer des technologies numériques et des programmes informatiques en plus de les utiliser (Eriksson et al., 2018).

Identifié comme un retour à une philosophie du faites-le vous-même, Hughes (2017a) et Hughes et Morrison (2018) reconnaissent la notoriété actuelle du mouvement Maker dans le domaine de l’éducation. Ces auteures qualifient la fabrication associée à ce mouvement d’approche pédagogique. Une approche qui met d’une part l’accent sur l'apprentissage par projets ou par problèmes et d’autre part promeut la réflexion sur la conception en vue de favoriser le développement des compétences requises chez les élèves. En raison de l’engouement du Maker en éducation, il nous a semblé légitime de nous questionner sur cette nouvelle approche en vue de dégager les meilleures pratiques en matière de planification. En effet, les recherches sur le mouvement Maker examinent ses membres, ses espaces, ses outils, ses façons de s’organiser et de fonctionner, ses bienfaits pour les systèmes éducatifs, le manque de formation des enseignants, mais n’explorent pas la planification d’une activité Maker en salle de classe. Comprendre ce type de planification nous paraît essentiel à la formation de tout enseignante ou enseignant désirant se lancer dans une pédagogie Maker. L’article explore comment une enseignante de 6e année et un enseignant en éducation technologique de 11e année conçoivent la planification d’une activité Maker dans leur classe. Pour ce faire, notre question de recherche est la suivante : Comment le personnel enseignant des écoles de langue française de l’Ontario conçoit-il la planification d’activités Maker? Les résultats de notre étude nous amènent à aborder la planification d’activités Maker autour de trois actions réalisées par le personnel enseignant.

Revue de littérature

Dans cette section, nous présentons dans un premier temps trois composantes, ou piliers, souvent associées au mouvement Maker, à savoir la fabrication (Making), l’espace de fabrication (Makerspace) et le fabricant (Maker). Dans un deuxième temps, nous exposons la place de ce mouvement dans un contexte éducatif en portant un regard sur son impact sur les environnements d’apprentissage, la pédagogie et la planification d’activités éducatives.

Les piliers du mouvement Maker

Trois piliers soutiennent le mouvement Maker, à savoir la fabrication en tant qu’un ensemble d’activités, les espaces de fabrication en tant que communautés de pratique et les fabricants en tant qu’identités de participation (Halverson et Sheridan, 2014). La fabrication est basée sur la conception, la constructruction et le partage d’objets et de connaissances. L’accent n’est pas forcément mis sur le produit et sa sophistication, mais plutôt sur le processus de création et le partage (Hughes, 2017a; Martin, 2015) soutenus par l’usage de divers outils et techniques numériques ou traditionnels (Martin, 2015; Papavlasopoulou et al., 2017). Les espaces de fabrication sont des espaces physiques mis à disposition des fabricants et équipés de ressources matérielles (ordinateurs, machines, etc.) favorisant le processus de fabrication (Blackley et al., 2017; Eriksson et al., 2018; Halverson et Sheridan, 2014; Hughes, 2017b; Lallement, 2015). Ces environnements soutiennent le fabricant dans la création, la conception et la construction de nouveaux projets ou de nouvelles technologies (Eriksson et al., 2018; Gershenfeld, 2005). Parfois qualifié de collectifs, Hughes (2017b) les décrit comme des lieux de rencontre pour bricoler, inventer, créer et apprendre, et incitants à la collaboration et à l’engagement. Quant aux fabricants, ce sont des personnes qui conçoivent et fabriquent des objets à leur convenance, et qui tirent leur satisfaction du faire, du bricolage, de la résolution de problèmes, de la découverte et du partage de ce qu'ils ont appris (Hatch, 2014; Martin, 2015). Mais qu’est-ce qu’un fabricant dans un contexte éducatif? Selon Kafai et al (2014), les élèves s’identifient comme fabricants au moment où ils ressentent un sentiment d'apprentissage, de réussite, voire de contrôle sur l'ordinateur lorsqu’ils surmontent des défis, identifient des problèmes et génèrent des solutions. Pour Jones et al (2017), les futurs et nouveaux enseignants développent une identité de fabricant dès qu’ils se sont engagés dans des activités de fabrication qui ont renforcé leur confiance et l’acquisition des compétences avec l’utilisation d’outils et de matériaux. Nous constatons chez les fabricants, élèves ou enseignants, une appartenance envers la communauté Maker qui émerge de leur engagement dans la recherche de solutions et dans leurs façons d’avoir un contrôle sur les objets.

Les activités et pédagogies Maker en contexte éducatif

L’environnement Maker ouvre les murs de la classe sur d’autres espaces et lieux et favorise la promotion des domaines des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM, ou STEM en anglais) (Martin, 2015; Niemeyer et Gerber, 2015), de la collaboration, de l’engagement et de la créativité (Elliott et Richardson, 2017; Hatch, 2014; Hughes, 2017b; Martin, 2015; Rodriguez et al., 2018). Les espaces de fabrication sont ainsi devenus des avenues à explorer dans les écoles dans le but d’impulser chez les élèves un intérêt envers les domaines des STIM. En outre, la pédagogie associée aux activités de type Maker nous semble primordiale à examiner pour développer et planifier des activités Maker. Deux formes pédagogiques semblent être mises de l’avant dans le cadre d’activités Maker. En premier lieu, la pédagogie pratique (hands-on pedagogy) encourage la communauté et la collaboration (a do-it-together mentality) afin de développer chez l’élève sa capacité à regarder de près, à explorer la complexité et à trouver des opportunités (Clapp et al, 2017, p. 128-137). L’élève, en explorant son environnement et les objets qui l’entourent, sera en mesure de créer de nouveaux objets s’intégrant à cet environnement. En second lieu, la pédagogie de création « prend appui sur l’apprentissage par la résolution de problèmes, la pensée de conception […] souvent mis de l’avant par les programmes de compétence médiatique » (Hughes, 2017b, p. 1). Pour cette auteure, appliquer la pédagogie de création en suivant de près les différents programmes-cadres du ministère de l’Éducation de l’Ontario facilite l’apprentissage réfléchi et contextualisé, c’est-à-dire permettant à l’élève de construire des choses utiles, des objets réels, tout en construisant de nouvelles connaissances. Il nous semble légitime de nous demander comment le personnel enseignant des écoles de langue française de l’Ontario conçoit la planification d’activités Maker. La présente étude vise ainsi à combler une lacune majeure dans la littérature sur ce sujet.

Cadre conceptuel

Notre cadre conceptuel s’articule autour de trois concepts, soit 1) le constructionnisme de Papert (1994), 2) les éléments essentiels à la pérennité du mouvement Maker en matière d’éducation de Martin (2015) à savoir les outils numériques, l’infrastructure communautaire et la mentalité du fabricant et 3) la pensée planificatrice de Wanlin (2016).

Le constructionnisme de Papert

La principale théorie d’apprentissage qui sous-tend le mouvement Maker est le constructionnisme de Papert qui partage la conception constructiviste de l'apprentissage de Piaget (Blikstein, 2013; Halverson et Sheridan, 2014; Martinez et Stager, 2013; Stager, 2016). L’originalité de Papert (1994) réside dans le fait que le constructionnisme aide à résoudre un problème, mais « en rendant l’enseignement à la fois meilleur et moins nécessaire » (p. 141). Il soutient que l’éducation traditionnelle a codifié le savoir que tout citoyen doit connaitre, alors que chez le constructionniste, la découverte des connaissances et comment en acquérir davantage sont mis de l’avant. Utiliser ce que l’on a sous la main et savoir improviser sont deux principes de base que Papert (1994) retient en tant que méthodologie pour l’activité intellectuelle. Pour lui, le concept de bricolage est utilisé comme sources d’idées pour réaliser (réparer, améliorer) des constructions mentales. Il soutient qu’il est possible de travailler systématiquement pour devenir un meilleur bricoleur et ceci en trouvant un sens à ce que l’on veut apprendre. Cet auteur est convaincu que la construction réalisée dans sa tête est souvent réussie si une construction dans le monde réel lui fait écho.

Pour un constructionniste, un élève apprend mieux lorsqu'il participe à la planification, à la construction et au partage d’objets importants pour lui. L’apprentissage est plus efficace lorsqu’il fait activement (actively making) dans le monde réel et qu’il tire ses propres conclusions par l'expérimentation (Blikstein, 2013; Hughes, 2017a). Stager (2016) souligne que pour Papert la meilleure façon de s'assurer que les connaissances soient intégrées chez l'apprenant est de construire activement quelque chose qui puisse être partagé. Le partage est une notion essentielle au cœur du constructionnisme. L’élève dit Maker pourrait être vu comme un élève actif, engagé et placé au centre de son apprentissage, privilégiant l’expérimentation et la manipulation d’une variété de matériaux et d’outils durant des activités de conception ou de création d’objets faisant sens pour lui, et qu’il est en mesure de partager. Mais comment une approche pédagogique fondée sur les principes du mouvement Maker offre-t-elle la possibilité de se livrer à des activités éducatives favorisant l’apprentissage, la conception, la construction et le partage d’objets?

Les éléments associés à la pérennité du mouvement Maker en éducation

Nous avons vu dans la revue de littérature que trois piliers (fabrication, fabricant et espace de fabrication) encadrent les questions relatives au mouvement Maker. En plus de ces derniers, nous retenons trois éléments que Martin (2015) juge essentiels pour que ce mouvement puisse avoir un avenir pérenne en Éducation, à savoir : 1) les outils numériques, 2) l’infrastructure communautaire, et 3) la mentalité du fabricant.

Le mouvement Maker s’est démocratisé sous l’impulsion des nouvelles technologies et des outils numériques (Dougherty, 2012). Il fait aussi bien usage d’outils physiques numériques (p. ex. imprimante 3D) que d’outils logiques numériques (p. ex. microcontrôleur, ordinateur monocarte) (Martin, 2015). Le recours à des techniques issues de l’artisanat (Papavlasopoulou et al., 2017) comme la couture et à l’utilisation de matériaux comme outils de soutien (piles, papier, fils conducteurs, fruits, etc.) est courant. Ces outils, numériques, traditionnels ou de soutien, sont considérés comme des ressources nécessaires au développement technologique et à la fabrication numérique (Eriksson et al., 2018). Outre les outils numériques, Martin reconnait l’importance de l’infrastructure de communauté, un moyen de favoriser et soutenir l’émergence d’une communauté. Elle inclut aussi bien des ressources en ligne que des espaces physiques et des événements. Nous considérons l’infrastructure comme un moteur dynamisant la création, l’expansion et le maintien d’une communauté. Dans le cadre de cet article, nous utilisons le terme communauté aussi bien pour faire référence à la communauté de pratique qu’à l’infrastructure de communauté.

La participation à une communauté se caractérise par un ensemble d’attributs qui reposent sur les valeurs, les croyances et les dispositions (Martin, 2015). C’est cet ensemble d’attributs que cet auteur qualifie de mentalité du fabricant (Maker Mindset). Bien que non exhaustifs, la littérature retient plusieurs éléments pour développer une mentalité du fabricant en matière d’éducation, notamment : l'éducation ludique, axée sur les actifs et la croissance, positive à l'échec et axée sur la collaboration (Davidson et Price, 2017; Hughes et Morrison, 2018; Iversen et al., 2015; Kurti et al., 2014; Martin, 2015). Le jeu, le plaisir et l'intérêt sont au cœur du processus de création (Martin, 2015). Une activité Maker doit ainsi être ludique et privilégier la motivation intrinsèque de l’élève. La mentalité du fabricant passe aussi par une activité Maker axée sur les actifs et la croissance, c’est-à-dire qu’une personne peut acquérir de nouvelles compétences en menant son activité où elle le souhaite (Davidson et Price, 2017; Martin, 2015). Dans la mentalité du fabricant, une place est également accordée au droit à l’erreur et à la collaboration. Les élèves sont encouragés à s'engager dans des pratiques d'essais et d'erreurs sur des problèmes mal définis et dans des pratiques collaboratives afin d’apprendre de leurs échecs et de ceux de leurs pairs (Iversen et al., 2015).

Le constructionnisme de Papert et les éléments essentiels à la pérennité du mouvement Maker en matière d’éducation (outils numériques, infrastructure communautaire et mentalité du fabricant) sont des concepts qui sous-tendent le mouvement Maker et ses activités. Rappelons que nous cherchons à cerner comment les activités Maker sont planifiées dans un contexte éducatif, raison pour laquelle la section qui suit présente le concept de pensée planificatrice.

La pensée planificatrice

La planification occupe une place centrale dans le processus de pensée du personnel enseignant (Wanlin, 2016; Wanlin et Crahay, 2012). En effet, enseignement et planification vont habituellement de pairs. En plus de la pédagogie, une place doit être accordée à la création de matériel didactique et d’activités d’enseignement (Eriksson et al., 2018). La recherche sur les processus de la pensée planificatrice du personnel enseignant s’intéresse d’une part aux raisons données par les enseignants pour expliquer pourquoi ils préparent leurs interventions pédagogiques, et d’autre part aux modèles de pensée qu’ils utilisent pour planifier (Wanlin, 2016). Pour cet auteur, les chercheurs s’intéressant aux modèles de pensée

ont longuement débattu sur l’ordre de prise de décision relative aux préoccupations (objectifs pédagogiques, activités et tâches pour les élèves, matériel et supports, etc.) ainsi qu’aux facteurs que les enseignants prennent en compte pour décider de la modulation de ces éléments (performance et résultats des élèves, besoins des élèves, motivation des élèves, programme officiel, etc.) (p. 342).

Il soutient que la recherche a tendance à modéliser les réflexions des enseignants pendant la préparation de leurs cours de deux façons qui s’opposent. Premièrement, une pensée planificatrice qui repose sur un modèle par objectifs, c’est-à-dire que le personnel enseignant part des objectifs pédagogiques pour les traduire en activités à soumettre aux élèves. L’auteur considère que c’est une approche rigide, organisée qui permet au personnel enseignant d’avoir un contrôle sur l’imprévu et de s’assurer d’une certaine cohérence pédagogique. Deuxièmement, une pensée planificatrice qui s'éloigne du modèle basé sur les objectifs et qui privilégie une approche plus souple. Elle permettrait au personnel enseignant de s’adapter à la réalité de leur classe et d’intervenir de manière plus flexible. À ce titre, il commence à rassembler des activités ou des tâches à donner aux élèves et à personnaliser ses interventions afin que les cours répondent au curriculum et aux objectifs pédagogiques qu’il désire poursuivre en classe avec ses élèves. Compte tenu des deux modèles identifiés par Wanlin, il est intéressant de se demander quel modèle de planification est privilégié dans le cadre d’une activité Maker.

Méthodologie

Puisque notre recherche consistait à approfondir la compréhension d’un phénomène assez peu documenté, la méthode de recherche qualitative interprétative a été privilégiée (Karsenti et Savois-Zajc, 2018). Vu la nature exploratoire de notre étude, l’entrevue individuelle semi-dirigée a été retenue afin de comprendre le sens donné à un phénomène par les participants (Baribeau et Royer, 2012; Gauthier et Bourgeois, 2016; Karsenti et Savoie-Zajc, 2018; Savoie-Zajc, 2016). Les entretiens menés s’inspirent de l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2015) puisque notre objectif était, au-delà des opinions et commentaires, de nous informer sur les pratiques, les manières de voir et de concevoir la planification d’une activité Maker, d’avoir accès à ce qui est intériorisé chez nos deux participants. Notre objectif était d’apprendre de leur pratique pour y révéler leur méthode de travail, leur façon d’agir, les actes posés. C’est pour cette raison que nos entretiens visaient à faire expliciter l’action, à aider à mettre en mots le faire chez nos participants. Ainsi, les entretiens menés avaient deux objectifs : 1) s’informer sur la manière dont les participants ont réalisé une tâche particulière, c’est-à-dire recueillir de l’information sur le déroulement du processus de planification d’une activité Maker; et 2) supporter la mise en mots a posteriori de l’action, c’est-à-dire avoir accès à une mémoire d’évocation, de revécu (Vermersch, 2013). Malgré le nombre limité de participants à notre recherche, nous estimons que la profondeur de la conversation amenant nos participants à réfléchir sur leur pratique pédagogique nous a permis de répondre à notre question de recherche. Dans cette section, nous présentons les participants, l’instrument de collecte de données, le déroulement de la collecte et la méthode d’analyse des données.

Participants

Nous avons utilisé un échantillonnage non probabiliste et de choix intentionnel, c’est-à-dire basé sur un choix conscient et volontaire (Baribeau et Royer, 2012; Karsenti et Savois-Zajc, 2018). Cet échantillonnage, qui nous a permis de recruter des participants possédant des caractéristiques en lien avec le cadre conceptuel (Van der Maren, 2004), a été prélevé au sein d’un groupe d’enseignantes et d’enseignants volontaires (échantillonnage volontaire) œuvrant dans des écoles de langue française de l’Ontario et ayant intégré des activités Maker dans leur cours depuis au moins un an. Deux participants répondant à nos critères se sont portés volontaires. Nous les nommons fictivement Michel et Andrée afin de préserver leur anonymat. Michel, enseignant en éducation technologique en 11e année, donne les cours de technologie et de programmation depuis deux ans et demi et intègre l’approche Maker depuis un an. Quant à Andrée, enseignante en 6e année, exerce la profession depuis sept ans et intègre des activités Maker depuis près de deux ans, notamment dans ses cours de sciences. Notons que l’ancienneté dans la profession, l’expertise Maker, les matières et les niveaux enseignés de nos répondants sont différents; cependant, les activités dont ils nous font part sont directement liées aux domaines des STIM.

Le déroulement des entrevues individuelles

Les entrevues, d’une durée moyenne de 55 minutes, ont eu lieu en juin 2018. Nous avons débuté les entrevues avec des questions générales sur le répondant et sur le contexte de l’activité choisie, par exemple : « depuis combien de temps et pourquoi intégrez-vous des activités Maker? » Nous avons continué avec des questions plus spécifiques visant à expliciter la planification, le rôle de l’enseignant, celui des élèves, ce qu’ils ont eu à réaliser. Nous avons poursuivi avec des questions visant l’approfondissement des thèmes liés à notre étude : 1) les outils numériques : « quels sont les outils que vous privilégiez habituellement et ceux planifiés pour l’activité? Pourquoi? »; 2) la communauté : « dans votre planification, quelles ressources sont à disposition pour favoriser les échanges et le partage? »; et 3) la mentalité du fabricant : « pourriez-vous me donner trois mots qui caractérisent votre activité? » Nos répondants ont finalement eu l’opportunité de faire des commentaires.

Méthode d’analyse des données

Afin de donner un sens aux données recueillies lors des entrevues, nous avons appuyé une démarche inductive (Blais et Martineau, 2006; Thomas, 2006) dans la mesure où nous nous inscrivons dans une démarche qualitative et exploratoire en raison du contexte de notre recherche. Nous avons suivi les quatre étapes de codification menant à la réduction des données préconisées par ces auteurs (p. 6-8). Après avoir transcrit les verbatim issus des entrevues (étape 1), nous avons après une lecture attentive et approfondie (étape 2) identifié et décrit un certain nombre de catégories préliminaires (étape 3). Ces catégories ont ensuite été raffinées et simplifiées pour faire émerger cinq thèmes majeurs (étape 4). Ces thèmes sont 1) la place des outils numériques dans la planification, 2) la place de la communauté dans la planification, 3) la place de la mentalité du fabricant dans la planification, 4) la planification dans l’action et 5) les préoccupations du personnel enseignant. En attachant une importance particulière aux actes de nos répondants, notre analyse a fait émerger trois actions : 1) la création d’un esprit de communauté Maker; 2) l’implantation d’une mentalité Maker par les actes; et 3) l’émergence d’une planification dans l’action. La section qui suit présente les deux cas à l’étude, les thèmes majeurs issus de l’analyse et les trois actions mentionnées qui soutiennent la planification Maker.

Résultats

Dans cette section nous présentons les résultats encadrant la planification d’une activité Maker dans un contexte éducatif à partir des activités et actions décrites par nos répondants. Leurs propos, recueillis durant l’entrevue individuelle, illustrent une activité de leur choix. Michel a choisi de nous faire part de la planification d’une activité nommée le robot à roues. Elle s’est déroulée dans son cours de programmation (11e année). Elle visait essentiellement à développer chez l’élève les principes de design et de programmation. Quant à Andrée, elle a décidé de nous faire part de la planification d’une activité utilisant des kits Makey Makey. Ce sont des kits d’invention pour créer, à partir de n’importe quel matériau conducteur, son propre clavier pour contrôler des programmes ludiques sur son ordinateur. L’activité s’est déroulée dans son cours de sciences sur l’électricité (6e année). Elle visait principalement à développer chez l’élève l’acquisition de notions sur les circuits électriques, notamment construire des circuits électriques simples et identifier des matériaux conducteurs et isolants.

Les actions à promouvoir dans un contexte de planification Maker

Durant les étapes de codification menant à la réduction et à la catégorisation des données recueillies, nous avons cherché à comprendre ce que nos répondants font pour assurer une planification Maker. Cette dernière semble s’articuler autour des trois actions citées précédemment (création d’un esprit de communauté Maker, implantation d’une mentalité Maker par les actes et émergence d’une planification dans l’action). Les sections qui suivent les présentent respectivement.

La création d’un esprit de communauté Maker

La planification Maker semble dans un premier temps être soutenue par la préoccupation de créer un esprit de communauté Maker. Nous avons relevé trois variantes complémentaires que nous nommons la communauté-enseignante, la communauté-classe et la communauté-élargie.

Nous avons tout d’abord relevé un esprit de communauté Maker lié à la communauté-enseignante. Andrée explique

[…] on avait, ensemble, en groupe avec mes collègues, décidé vraiment de se lancer plus dans le côté Maker. J’ai commencé à faire un peu des recherches pour savoir qu’est-ce que c’est, puis vraiment mettre plus des mots sur ce que je faisais peut-être déjà un peu [...] on avait sorti les Makey Makey [...] on a dit aux élèves : ok, maintenant impressionnez-nous! Et c’est là vraiment que le côté Maker est entré.

L’esprit de communauté Maker lié à la communauté-enseignante a pris naissance lors de l’élaboration d’une idée d’activité entre l’enseignante et ses collègues.

Nous avons ensuite relevé un esprit de communauté Maker lié à la communauté-classe. Il émerge notamment des interactions en classe durant l’activité. Michel explique que

souvent les élèves vont travailler en équipe […] on est toujours appelé à travailler en équipe […] je vais avoir des rôles [...] un va travailler plus sur la partie rédaction et l’autre plus sur la partie manipulation, créer le circuit […].

Les interactions entre pairs favorisent la création d’un esprit de communauté Maker lié à la communauté-classe. En outre, Andrée rapporte que ses « élèves apprennent beaucoup entre eux [...] si un élève a un problème, je vais dire : ah, va voir tel élève, lui a réussi. Puis là, ils vont observer. » Nous observons un esprit d’entraide. Andrée explique que l’entraide « ce n’est pas copier, c’est s’inspirer, c’est regarder ce qui est déjà fait et aller plus loin [...] les autres élèves sont autant une ressource que l’Internet, que le guide, que moi. » Cette entraide, favorisant un climat de confiance et de collaboration propice à l’apprentissage, promeut également la création d’un esprit de communauté Maker lié à la communauté-classe.

Nous avons finalement relevé un esprit de communauté Maker lié à la communauté-élargie. Il s’exprime lors des interactions et des partages entre la classe et l’école, voire le reste du monde. Par exemple, Michel envisage emmener ses élèves visiter une foire Maker (Maker Faire en anglais), voire un espace de fabrication tel que l’atelier Makerspace Richard L’Abbé situé à l’université d’Ottawa, afin de leur montrer comme il nous le confie « de quoi sera fait le monde de demain ». Andrée privilégie entre autres les expositions d’une journée au sein de son école ou encore les publications sur la plateforme Twitter. Elle explique avoir « fait une exposition dans la classe parce que les autres classes peuvent venir voir ce que l’on a créé » et ajoute qu’« habituellement les projets Makey Makey, on publie ça sur Twitter, leurs petites vidéos qui présentent leurs projets. On reçoit beaucoup de feedback d’autres écoles. C’est intéressant parce qu’on suit d’autres écoles du Canada, puis du monde aussi. » Le partage et la curiosité de ce qui se fait dans le domaine Maker favorisent la création d’un esprit de communauté Maker lié à la communauté-élargie.

L’implantation d’une mentalité Maker par les actes.

Dans un deuxième temps, la planification Maker semble être soutenue par l’implantation d’une mentalité Maker par les actes d’enseignement. Nous avons vu émerger de nouvelles façons d’agir et de concevoir l’enseignement en contexte Maker : l’enseignant ne peut pas tout planifier et connaitre. Lorsque nous demandions à nos répondants s’ils avaient habituellement une planification formelle, écrite et détaillée, Andrée explique

que les autres projets Maker que je fais dans ma salle de classe, non, je n’ai pas vraiment une planification formelle parce que ça va vraiment aller en fonction des intérêts des élèves, en fonction de leurs connaissances antérieures [...] ça change d’année en année. Je pense que c’est difficile à planifier de façon formelle, mais c’est sûr que j’ai des pistes d’exploration, des pistes de questionnement. Je sais où je veux amener mes élèves, mais le chemin que je vais emprunter pour les amener là va différer en fonction du groupe.

L’intérêt de l’élève mentionné par Andrée se trouve également dans les propos de Michel. Il nous raconte qu’un

élève voulait faire une caméra qui filme, détecte et capable de reconnaitre un visage. J’ai dit à cet élève que ton projet est flyé, c’est vraiment une activité de type Maker. Il a bien réussi. Il était capable de détecter un visage et reconnaitre un visage d’un autre, à partir d’un fichier avec données de reconnaissance.

Dans les deux cas, l’intérêt de l’élève est pris en compte pour l’amener à réaliser des objets, des réflexions ou des apprentissages. Le déroulement et le résultat d’une activité changent en fonction de cet intérêt. L’activité n’est pas planifiée dans ses moindres détails pour inviter l’élève à embrasser une mentalité du fabricant et à se dépasser dans ses réalisations.

Nous avons aussi relevé dans les propos de nos répondants une redéfinition de leur rôle d’enseignant et une préoccupation d’encourager le bricolage. Andrée explique qu’elle a « un rôle de guide parce que je ne donne pas la matière aux élèves […] je vais leur offrir une variété de matériel, je vais leur offrir l’accès à l’Internet pour qu’ils aillent fouiller ce qu’il y a déjà ». À l’instar d’Andrée, Michel indique que « mon rôle, c’est purement encadrer, coacher » et ajoute qu’il « aime avoir des questions, y répondre, donner des pistes, des directions, les faire réfléchir ». Dans leur rôle de guide, nos répondants cherchent à offrir aux élèves des moyens pour les rendre actifs et engagés dans leurs apprentissages, notamment en leur permettant de bricoler, d’expérimenter et de manipuler une variété de matériaux et d’outils tout en réduisant l’enseignement magistral. Michel « trouve important pour que ce soit Maker [...] que ça ait un côté hands-on [...] tu vas manipuler quelque chose, voire que t’as l’impression de bricoler quelque chose ». Par ailleurs, lorsque nous leur avons demandé s’ils avaient à refaire la même l’activité, est-ce qu’ils ajouteraient des outils numériques ou en mettraient certains de côté, Andrée « pense que c’est toujours bien d’ajouter; donc peut-être d’offrir une variété plus grande de matériel à mes élèves; ça va aussi en fonction de ce qu’ils découvrent ». Il est important pour nos répondants d’offrir une diversité et un choix de matériel propices à la pratique qui évoluent au rythme des découvertes des élèves.

L’émergence d’une planification dans l’action.

Dans un troisième temps, la planification Maker se veut une planification dans l’action. Celle-ci revêt un caractère flexible, dynamique et situé. Nos résultats indiquent qu’au départ il existe bien des objectifs fixés à atteindre ou encore des outils et des ressources mobilisés à utiliser. Pour Michel, l’assemblage du projet « c’est vraiment une approche graduelle. L’objectif dès le départ est clair, comment y arriver n’est pas clair du tout. » Michel, ancré dans une pédagogie centrée sur la découverte et la construction des savoirs, laisse ses élèves découvrir comment concevoir et assembler leurs projets. Il ne planifie ni n’anticipe les obstacles ou les questionnements des élèves, et s’ajuste au déroulement des projets au fil des unités et des découvertes. Chaque unité est composée d’un projet et d’un objectif de travail pratique en vue de préparer les élèves aux différentes facettes du projet final. Lorsqu’Andrée a débuté son activité, tout ce qu’elle a fait, c’est donner les boites de Makey Makey aux élèves et leur demander s’ils avaient des questions. Celles-ci ont été notées au tableau. Puis, elle a dit « comment est-ce que vous allez pouvoir trouver les réponses; quelles sont les ressources? On a fait une liste des ressources. L’Internet, le guide d’instructions, demander à un ami, madame, YouTube, Pinterest […] Et puis, c’était, “Ok, go, allez-y” ». Ces résultats indiquent, à l’instar de Michel, que les questionnements et découvertes ne sont pas planifiés; ils appartiennent aux élèves et nos répondants continuent à planifier en situation. Nous découvrons que, durant le déroulement de l’activité, ils intègrent à leur planification de départ — dans laquelle un objectif à atteindre est fixé et des ressources à mobiliser sont déterminées — les questionnements et les problèmes rencontrés par les élèves, voire ajoutent de nouvelles ressources matérielles. Andrée ajoute que « quand j’ai commencé à enseigner, je voulais tout contrôler, je planifiais mes leçons, puis je voulais que ça se passe; maintenant, c’est vraiment, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui, où est-ce que vous allez m’amener, puis où est-ce que l’on va aller ». Lorsque nous demandons à Andrée si elle pense que sa planification a changé ou va changer, elle affirme que « c’est sûr, ça va continuer de changer en fonction du groupe que je vais avoir l’année prochaine, en fonction de leurs intérêts, en fonction de la dynamique du groupe ». Nous observons que nos répondants acceptent de ne pas tout anticiper et contrôler, et privilégient l’adaptabilité à la situation.

Après avoir présenté les principaux résultats de notre recherche, examinons dans la section qui suit en quoi ceux-ci contribuent à la compréhension de la planification d’activités Maker.

Discussion

Notre étude cherchait à comprendre comment le personnel enseignant conçoit la planification d’une activité Maker à l’école. Elle a été guidée notamment par les outils numériques, la communauté et la mentalité du fabricant associé au mouvement Maker en raison de leur omniprésence dans la fabrication Maker. Notre étude a permis de révéler trois actions à prendre en compte dans la planification d’une activité Maker, soit la création d’un esprit de communauté Maker, l’implantation d’une mentalité Maker par les actes et l’émergence d’une planification dans l’action. Le Tableau 1 présente des pistes de réflexion pour le personnel enseignant qui souhaiterait planifier une activité Maker en fonction des trois actions qui ont émergé de notre étude.

Tableau 1. Les actions à promouvoir, leurs caractéristiques et implications

Actions soutenant la planification d’une activité Maker

Caractéristiques

des actions

Implications des actions sur la pratique enseignante

Créer un esprit de communauté Maker

Une communauté Maker impliquant :

la communauté-enseignante

la communauté-classe

la communauté-élargie (classe-école / classe-monde extérieur)

Créer des partenariats avec des collègues pour construire collectivement une activité Maker

Renforcer la collaboration entre les élèves en classe

Inciter le groupe classe à partager le résultat de leurs projets à l’extérieur de la salle de classe

Implanter une mentalité Maker par les actes

L’activité Maker se caractérise par trois actions :

privilégier le faire

stimuler le dialogue entre les élèves

stimuler la créativité en favorisant l’esprit de découverte

Organiser des activités orientées vers le faire : jeu, bricolage, recherche, etc.

Renforcer la prise d’initiative, l’esprit critique, le questionnement, l’esprit d’ouverture, etc.

Permettre à l’élève d’apprendre de ses erreurs, considérer l’erreur comme sources d’apprentissage, etc.

Adopter une planification dans l’action

Une planification dans l’action est :

une planification de départ dans laquelle l’enseignant se fixe un objectif à atteindre et détermine des ressources à mobiliser

une planification en situation et qui s’ajuste à la dynamique qui se met en place dans la salle de classe durant l’activité

Pour planifier :

fixer un objectif à atteindre et identifier les ressources nécessaires (aménagement de la salle, outils, etc.)

Pendant l’activité Maker :

continuer à planifier en situation en intégrant les questionnements des élèves, les problèmes rencontrés, etc.

accepter de ne pas tout anticiper et contrôler, privilégiant l’adaptabilité à la situation.


Les implications exposées dans la 3e colonne du tableau peuvent être considérées comme des pistes de réflexion pour atteindre ou adopter une action particulière (colonnes 2 et 1). Elles découlent de l’analyse et de la synthèse de propos exposés par nos répondants. Les sections qui suivent discutent chacun de ces éléments et en révèlent leur rôle dans la planification.

La création d’un esprit de communauté Maker.

Nous avons constaté qu’Andrée et Michel s’interrogent tout d’abord sur le mouvement Maker et sur comment le mettre en pratique en salle de classe. À l’instar de la communauté Maker (Dougherty, 2012), des communautés de pratiques (Dougherty, 2012; Halverson et Sheridan, 2014) et des communautés de construction de connaissances (Martin, 2015; Scardamalia et Bereiter, 2006), nos répondants construisent et partagent avec leurs collègues leurs connaissances sur l’approche Maker. Puis, seuls ou avec leurs collègues, ils se proposent de préparer des activités. Celles-ci sont pensées dans les grandes lignes. Ils cherchent à créer un cours qui réponde au curriculum et à leurs objectifs pédagogiques. Ces lignes font référence au modèle de pensée planificatrice de Wanlin (2016) et à la définition d’objectifs pédagogiques en regard des performances des élèves et du programme officiel. Un premier esprit de communauté-enseignante émerge de cette interaction.

Nos participants n’hésitent pas à se lancer dans l’inconnu. Les questions et les réponses naissent des activités. Elles ne sont ni planifiées ni issues d’un manuel mais découlent des expériences et des découvertes des élèves. Ces derniers, par le travail d’équipe et la réalisation d’activités touchant leurs intérêts, construiront leurs connaissances. De cette collaboration se développe un esprit de communauté-classe qui soutient le bricolage et l’apprentissage. Cet esprit semble s’apparenter à la communauté de construction de connaissances au sens de Martin (2015) et Scardamalia et Bereiter (2006), une communauté née d’une collaboration visant la construction et le partage de nouvelles connaissances dans un état d’esprit d’apprentissage et non concurrentiel. Cet état d’esprit a été relevé dans les propos de nos répondants. Ils nous ont confié qu’ils planifient des activités favorisant le partage, la collaboration, le questionnement et la découverte.

L’esprit de communauté s’accomplit aussi dans les partages physique (exposition-école) ou virtuel (réseaux sociaux) des projets réalisés par les élèves. Ces espaces physiques et ces ressources en ligne représentent ce que Martin (2015) définit comme des infrastructures de communauté qui favorisent et soutiennent l’émergence de communautés. Ces échanges entre une classe et son école ou une classe et le monde extérieur nous amènent à percevoir un troisième système de communauté soutenant les activités Maker, à savoir un esprit de communauté-élargie. Nous avons observé la présence de ces trois types d’esprit de communauté dans les planifications de nos répondants.

L’implantation d’une mentalité Maker par les actes.

Selon nos répondants, les découvertes, les recherches individuelles ou en équipe, la collaboration, l’apprentissage par essai-erreur, l’apprentissage par projets ou par problèmes, la liberté de faire des choix ou le jeu sont mis de l’avant dans un contexte de planification Maker. L’utilisation de ces stratégies abonde dans le même sens que les éléments que divers auteurs attachent à la mentalité Maker, notamment une planification qui est ludique, axée sur les actifs et la croissance, positive à l'échec et axée sur la collaboration (Davidson et Price, 2017; Hughes et Morrison, 2018; Iversen et al., 2015; Kurti et al., 2014; Martin, 2015). Nos répondants, en portant une attention particulière à la façon de mener les activités et amener la matière, implémentent ce que nous nommons une mentalité Maker par les actes. Nous constatons une certaine mise en retrait de l’enseignement au profit notamment de l’autodécouverte et de l’autocréation. L’élève crée des choses qui partent de ses intérêts et qui vont parfois au-delà des attentes de son enseignant. Par exemple, l’élève de Michel construit une caméra qui filme et capable de reconnaitre un visage. Dans la planification de nos répondants, ceux-ci deviennent des ressources pour leurs élèves et ils leur accordent une grande place dans la construction de leurs savoirs par le biais du bricolage. Ces observations sont en phase avec l’approche constructionniste qui partage l’idée que les élèves sont encouragés à apprendre en construisant activement des objets à partir de matériels disponibles (Hughes, 2017a; Papert, 1994; Stager, 2016). Nous avons aussi constaté que tout ne peut être planifié, tout ne peut être connu de l’enseignant, qu’il ne détient pas toutes les réponses aux questions que se pose l’élève. Ce dernier en est conscient. Il est informé de cette manière de fonctionner durant l’activité. Nous avons observé que l’enseignant et l’élève ont la possibilité d’améliorer leurs connaissances à travers l’activité Maker, notamment par un enseignement magistral réduit comme le recommandaient Papert (1994) et sa vision du constructionnisme. Nous relevons donc la prise en compte de comportements nouveaux dans les actes d’enseignement de nos répondants.

L’émergence d’une planification dans l’action

La planification de nos répondants se veut dynamique et flexible. Nous l’avons qualifiée de planification dans l’action, car elle s’accomplit dans un contexte changeant et évolue au gré des interactions avec les élèves. À l’encontre des raisons personnelles et psychologiques, de l’assurance d’une cohérence pédagogique de ses leçons et des raisons administratives et organisationnelles qui incitent le personnel enseignant à planifier (Wanlin, 2016), la planification dans l’action encourage plusieurs actes tels diriger, guider et encourager. Ceux-ci sont réalisés par l’enseignant au cours de l’activité, et non à priori. Autrement dit, il mobilise de multiples ressources pour agir et adapter ses stratégies d’intervention en situation.

Andrée et Michel, effleurant la question de l’atteinte des objectifs de leur curriculum respectif, insistent sur deux points : 1) dans une activité Maker tout ne peut être planifié à l’avance, il faut laisser place à la créativité nécessaire à l’apprentissage; et 2) il n’en demeure pas moins qu’ils puissent atteindre, voire dépasser, certains objectifs. La planification Maker semble ainsi laisser une place à l’improvisation, aux défis, aux questionnements, aux découvertes, à la création. L’enseignant peut planifier ou non ces moments. Bien que nous n’ayons pas anticipé le concept d’improvisation dans l’enseignement, nos résultats corroborent les dires de Wanlin et Crahay (2012) lorsqu’ils mentionnent que « l’improvisation dans l’enseignement est probablement la meilleure, sinon la seule manière pour l’enseignant de prendre en compte les réactions des élèves […] et les événements imprévus de la classe » (p. 20). Cependant, nos répondants n’ont pas fait allusion à l’idée que l’improvisation en enseignement demande ou non une plus ample planification.

Nous constatons que dans une approche Maker, l’enseignant n’a pas peur de se lancer dans l’inconnu et d’en informer ses élèves. C’est ce qu’Andrée appelle « le lâcher-prise ». Même si de prime abord l’inconnu suggérerait une absence de planification, notre analyse révèle un souci d’intégrer dans la planification la majorité des objectifs du curriculum, voire d’aller au-delà de ceux-ci — cependant, les liens entre le curriculum et les différents éléments d’une activité Maker n’étant pas objet à étude requièrent de futures recherches. Comme le soulevait Wanlin (2016), tandis que la définition des objectifs pédagogiques est une décision parmi d’autres, elle n’est pas la première que les enseignants prennent dans la majorité des cas. En dépit du fait que la planification dans l’action semble privilégier un enseignement qui mobilise de multiples ressources et stratégies d’intervention en situation, nous avons constaté une prédominance au fait que les élèves puissent apprendre par eux-mêmes ce que leur enseignant devait leur enseigner.

Les résultats de notre recherche tendent à souligner qu’une forme « hybride » (Wanlin, 2016) de planification — que nous avons nommée la planification dans l’action — semble spécifique aux activités Maker en salle de classe. En effet, nous avons vu que dans la planification d’une activité Maker tout ne peut pas être planifié, anticipé et il semblerait que nos répondants privilégient une planification autour d’une activité plutôt qu’un modèle de planification par objectifs au sens de Wanlin (2016). Ainsi, même s’ils ont « en tête » des objectifs pédagogiques, leur planification se veut souple et évolue en fonction des besoins et des découvertes des élèves.

Limites et futures recherches

En raison du fait que nous avons mené une recherche exploratoire basée sur un petit échantillon, nous aurions besoin de reproduire ce type de recherche dans d’autres contextes. Il s’avérerait utile d’approfondir, de vérifier les résultats de recherche dans d’autres contextes, mais aussi en utilisant d’autres démarches méthodologiques telles que la démarche ethnographique afin de mieux saisir toutes les dimensions de la planification dans l’action.

Conclusion

Trois actions soutenant la planification d’une activité Maker ont été discutées dans cet article. La première action est de créer un esprit de communauté Maker qui se décline par : 1) la collaboration et le partage entre le personnel enseignant (esprit de communauté-enseignante); 2) la collaboration et le partage entre les pairs (esprit de communauté-classe); et 3) la collaboration et le partage entre le groupe classe et une communauté plus large tels que l’école, la communauté locale ou encore les communautés en ligne (esprit de communauté-élargie). La seconde action est d’implanter une mentalité Maker par les actes, par exemple en offrant à l’élève la possibilité de bricoler sous un minimum de supervision et d’être actif en expérimentant et en manipulant une variété de matériaux et d’outils. La troisième action est d’adopter une planification dans l’action, c’est-à-dire une planification en situation qui s’ajuste à la dynamique qui se met en place dans la salle de classe durant l’activité. Par conséquent, cette recherche tend à montrer que de la planification d’activités Maker en salle de classe émerge une forme de planification dans l’action qui fait coexister dans une sorte de modèle « hybride » une planification par objectifs et une planification par activités telles que décrites par Wanlin (2016).

Les résultats de notre recherche soulèvent des enjeux en termes de formation du personnel enseignant qui souhaite intégrer et développer des activités Maker en salle de classe. En effet, ne faudrait-il pas développer des formations plus ancrées dans la pratique, c’est-à-dire les aider à apprendre à planifier en faisant, dans l’action?

Références

Baribeau, C. et Royer, C. (2012). L’entretien individuel en recherche qualitative : usages et modes de présentation dans la Revue des sciences de l’éducation. Revue des sciences de l’éducation, 38(1), 23‑45. https://doi.org/10.7202/1016748ar

Blackley, S., Sheffield, R., Maynard, N., Koul, R. et Walker, R. (2017). Makerspace and reflective practice: Advancing pre-service teachers in STEM Education. Australian Journal of Teacher Education, 42(3). http://dx.doi.org/10.14221/ajte.2017v42n3.2

Blais, M. et Martineau, S. (2006). L’analyse inductive générale : description d’une démarche visant à donner un sens à des données brutes. Recherches qualitatives, 26(2), 1‑18.

Blikstein, P. (2013). Digital fabrication and ‘making’ in education: The democratization of invention. Dans J. Walter-Herrmann et C. Büching (dir.), Fab Lab: Of Machines, Makers and Inventors. Transcript Publishers.

Clapp, E. P., Ross, J., Ryan, J. O. et Tishman, S. (2017). Maker-centered learning: Empowering young people to shape their worlds (1e éd.). John Wiley & Sons.

Davidson, A.-L. et Price, D. W. (2017). Does your school have the maker fever? An experiential learning approach to developing maker competencies. LEARNing Landscapes, 11(1), 102‑120. https://doi.org/10.36510/learnland.v11i1.926

Dougherty, D. (2012). The maker movement. Innovations: Technology, Governance, Globalization, 7(3), 11–14.

Elliott, S. et Richardson, M. (2017). Maker culture and possibilities for attached consumption. Arena Journal, (47/48), 213-231,324.

Eriksson, E., Heath, C., Ljungstrand, P. et Parnes, P. (2018). Makerspace in school—Considerations from a large-scale national testbed. International Journal of Child-Computer Interaction, 16, 9‑15. https://doi.org/10.1016/j.ijcci.2017.10.001

Gauthier, B. et Bourgeois, I. (dir.). (2016). Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données (6e éd.). Presses de l’Université du Québec.

Gershenfeld, N. A. (2005). Fab: The coming revolution on your desktop-from personal computers to personal fabrication. Basic Books.

Halverson, E. R. et Sheridan, K. M. (2014). The maker movement in education. Harvard Educational Review, 84(4), 495‑504. https://doi.org/10.17763/haer.84.4.34j1g68140382063

Hatch, M. (2014). The maker movement manifesto. The Futurist, 48(6), 54.

Hoechsmann, M. et DeWaard, H. (2015). Définir la politique de littératie numérique et la pratique dans le paysage de l’éducation canadienne. HabiloMédias. http://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/definir-litteratie-numerique.pdf

Hughes, J. M. (2017a). Digital making with « At-Risk » youth. The International Journal of Information and Learning Technology, 34(2), 102‑113. https://doi.org/10.1108/IJILT-08-2016-0037

Hughes, J. M. (2017b). La création significative. Comment mettre en place un espace de fabrication collectif dans votre école ou salle de classe. Faire la différence… De la recherche à la pratique, (68). http://www.edu.gov.on.ca/fre/literacynumeracy/inspire/research/meaningful_making_fr.pdf

Hughes, J. M. et Morrison, L. J. (2018). The use of e-textiles in Ontario education. Canadian Journal of Education/Revue Canadienne de l’éducation, 41(1), 356‑384.

Iversen, O. S., Smith, R. C., Blikstein, P., Katterfeldt, E.-S. et Read, J. C. (2015). Digital fabrication in education: Expanding the research towards design and reflective practices. International Journal of Child-Computer Interaction, 5, 1-2. https://doi.org/10.1016/j.ijcci.2016.01.001

Jones, W. M., Smith, S. et Cohen, J. (2017). Preservice teachers’ beliefs about using maker activities in formal K-12 educational settings: A multi-institutional study. Journal of Research on Technology in Education, 49(3‑4), 134‑148. https://doi.org/10.1080/15391523.2017.1318097

Kafai, Y. B., Fields, D. A. et Searle, K. A. (2014). Electronic textiles as disruptive designs: Supporting and challenging maker activities in schools. Harvard Educational Review, 84(4), 532‑556. https://doi.org/10.17763/haer.84.4.46m7372370214783

Karsenti, T. et Savoie-Zajc, L. (2018). La recherche en éducation. Étapes et approches (4e éd.). Les Presses de l’Université de Montréal.

Kurti, R. S., Kurti, D. L. et Fleming, L. (2014). The philosophy of educational makerspaces. Part 1 of making an educational makerspace. Teacher Librarian, 41(5), 8‑11.

Lallement, M. (2015). L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie. Seuil.

Martin, L. (2015). The promise of the maker movement for education. Journal of Pre-College Engineering Education Research, 5(1), 1-10. http://dx.doi.org/10.7771/2157-9288.1099

Martinez, S. L. et Stager, G. (2013). Invent to learn. Making, tinkering, and engineering in the classroom. Constructing Modern Knowledge Press.

Niemeyer, D. J. et Gerber, H. R. (2015). Maker culture and Minecraft: Implications for the future of learning. Educational Media International, 52(3), 216‑226. https://doi.org/10.1080/09523987.2015.1075103

Papavlasopoulou, S., Giannakos, M. N. et Jaccheri, L. (2017). Empirical studies on the Maker Movement, a promising approach to learning: A literature review. Entertainment Computing, 18, 57‑78. https://doi.org/10.1016/j.entcom.2016.09.002

Papert, S. (1994). L’enfant et la machine à connaître : repenser l’école à l’ère de l’ordinateur (traduit par É. Cazin). Dunod.

Rodriguez, S. R., Harron, J. R. et DeGraff, M. W. (2018). UTeach Maker: A micro-credentialing program for preservice teachers. Journal of Digital Learning in Teacher Education, 34(1), 6‑17. https://doi.org/10.1080/21532974.2017.1387830

Savoie-Zajc, L. (2016). L'entrevue semi-dirigée. Dans B. Gauthier et I. Bourgeois (dir.), Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données (6e éd., p. 337-362). Presses de l’Université du Québec.

Scardamalia, M. et Bereiter, C. (2006). Knowledge building: Theory, pedagogy, and technology. Dans Sawyer (dir.), The Cambridge handbook of the learning sciences (p. 97‑115). Cambridge University Press.

Stager, G. S. (2016). Seymour Papert (1928–2016). Nature, 537(7620), 308. https://doi.org/10.1038/537308a

Thomas, D. R. (2006). A general inductive approach for analyzing qualitative evaluation data. American Journal of Evaluation, 27(2), 237‑246. https://doi.org/10.1177/1098214005283748

Van der Maren, J.-M. (2004). Méthodes de recherche pour l’éducation (2e éd.). Les Presses de l’Université de Montréal / De Boeck Université. https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/methodes-de-recherche-pour-leducation/fichiers

Vermersch, P. (2013). Originalité de l’entretien d’explicitation [vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=6of0WwKx73I

Vermersch, P. (2015). Subjectivité agissante et entretien d’explicitation. Recherche formation, 80, 121‑130. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.2515

Wanlin, P. (2016). La planification de leçons : cognitions et pratiques déclarées d’enseignants en formation pour le secondaire. Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften, 38(2), 341‑365.

Wanlin, P. et Crahay, M. (2012). La pensée des enseignants pendant l’interaction en classe. Une revue de la littérature anglophone. Éducation et didactique, 6(1), 946. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1287