MISE À L’ÉPREUVE D’UN MODÈLE INTERACTIONNISTE D’ENSEIGNEMENT EXPLICITE DES STRATÉGIES D’ÉCRITURE

ERICK FALARDEAU, MARIE-ANDRÉE LORD et MARION SAUVAIRE Université Laval

L’ENSEIGNEMENT EXPLICITE DE L’ÉCRITURE

Selon plusieurs méta-analyses, les méthodes d'enseignement d’écriture les plus efficaces reposent sur l'explicitation des stratégies d'écriture et le développement des capacités d’autorégulation des élèves (Graham et Harris, 2017; Graham, Harris, et Chambers, 2016; Gillespie et Graham, 2014; Graham, Harris, et McKeown, 2013; Harris et al., 2012; Rogers et Graham, 2008; Morin, Nootens, Labrecque, et LeBlanc, 2009), et ce, pour des élèves de tous âges, garçons et filles, qui éprouvent ou non des difficultés. Par exemple, dans leur méta-analyse de 2017, Graham et Harris indiquent une taille d’effet de 0,56 pour l’ensemble des méthodes d’enseignement des stratégies d’écriture et de 1,59 lorsque l’enseignement explicite des stratégies est jumelé à celui de l’autorégulation. La forme d’enseignement explicite qui obtient les tailles d’effet les plus élevées porte sur des tâches d’écriture complètes; elle se focalise sur l’appropriation par les élèves de stratégies d’écriture et d’autorégulation, qui constituent alors un objectif d’apprentissage en soi, dont les mécanismes sont exposés, exemplifiés, expérimentés à de multiples reprises. Les élèves reçoivent de la rétroaction à propos de leur utilisation et de leur maitrise des stratégies enseignées plutôt que sur le produit de leur écriture. Ainsi, les stratégies doivent être enseignées explicitement en écriture au même titre que les connaissances langagières, les genres de textes à produire, les auteurs, les courants littéraires, etc.

LE MODÈLE DU « SELF REGULATION STRATEGY DEVELOPMENT »

Les tailles d’effet les plus importantes rapportées dans le paragraphe précédent portent sur le Self Regulation Strategy Development (SRSD), méthode dans laquelle le scripteur qui s’autorégule contrôle mieux la complexité du processus d’écriture, car il est actif métacognitivement, mais aussi motivé à atteindre ses buts d’apprentissage (Hidi et Boscolo, 2006).

Le travail considérable réalisé par Graham et son équipe ont permis d’élaborer un modèle d’enseignement de l’écriture et de nombreuses séquences d’enseignement sur une grande variété de genres de textes. Dans l’ouvrage Writing Better, Effective Strategies for Teaching Students with Learning Difficulties (2005), Graham et Harris présentent des stratégies d’écriture dont l’efficacité a été largement démontrée – il s’agit de routines ayant pour objectif le développement de l’autorégulation dans une phase donnée du processus d’écriture, pour un genre précis. Ces stratégies visent toutes à développer la capacité des élèves à s’autoréguler, c’est-à-dire, progressivement, à se donner par eux-mêmes des buts d’apprentissage, à porter un jugement sur leur performance et leur utilisation des stratégies, à se poser les bonnes questions et à mémoriser les démarches efficaces pour mettre en œuvre les stratégies d’écriture enseignées, puis à devenir capables de se motiver de façon autonome en appréciant leurs progrès et leurs réussites.

L’enseignement explicite selon le modèle du « Self Regulation Strategy Development » présente de façon itérative les six pratiques suivantes en sollicitant toujours les interactions dans la classe, entre l’enseignant et ses élèves et entre pairs : 1. Développement et activation de connaissances pertinentes pour la stratégie à développer et le genre à produire; 2. Discussion sur les apprentissages à faire; 3. Modelage; 4. Mémorisation des stratégies et des connaissances; 5. Pratique guidée; 6. Pratique autonome (Graham et al., 2013). Plusieurs des stratégies développées par l’équipe de Graham sont aujourd’hui largement diffusées, par exemple le PLANS qui vise à amener les élèves à se fixer des buts d’apprentissage en planification et qui signifie « Pick goals; List ways to meet goals; And make Notes; Sequence notes » (Graham et Harris, 2005, p. 51). Chacune des étapes de la stratégie s’inscrit dans l’enseignement explicite et laisse une place importante au développement de l’autorégulation; la mémorisation de l’acronyme joue toujours un rôle important, car l’élève doit apprendre les étapes de la démarche pour les mettre en œuvre de façon autorégulée.

LES RACINES CONSTRUCTIVISTES DU SRSD

Graham et son équipe revendiquent dans plusieurs écrits une influence constructiviste, voire socioconstructiviste, sur leurs travaux : « Literature and research on constructivism […] was a foundational element in the original conception and development of SRSD » (Harris, Santangelo, et Graham, 2008, p. 396; voir aussi pour des propos similaires Pressley, Harris et Marks, 1992 ; Harris et Graham, 1994). Harris et al. plaident pour une approche plurielle qui transcende les luttes théoriques entre constructivistes, cognitivistes et béhavioristes : « Thus, an underlying premise of SRSD is the necessity to thoughtfully integrate diverse, validated pedagogical approaches, regardless of whether their theoretical bases are viewed by some as discordant. » (2008, p. 399) Ils insistent sur l’importance des interactions dans leur travail et incluent les écrits de Vygotski parmi les sources théoriques et empiriques à la base de l’élaboration du SRSD : « the work of Soviet theorists and researchers on the social origins of self-control and the development of the mind (including Vygotsky, Luria, and Sokolov; their work […] has a strong influence on constructivist approaches; e.g., Vygotsky, 1978) » (2008, p. 399). Le SRSD s’inscrit ainsi bel et bien dans une théorie de l’apprentissage socioconstructiviste, notamment en raison de

·       sa centration sur des tâches langagières complexes, complètes, inspirées des pratiques langagières des élèves (Graham et Harris, 2019);

·       sa prise en compte du rythme de développement de l’enfant et de l’adaptation constante de l’enseignement à ce rythme (Graham et Harris, 2019) ;

·       sa démarche axée sur la compréhension du processus plutôt que sur le produit : « Integrating SRSD with the process approach to writing provides a proactive, effective, and more efficient means for addressing these issues [la complexité croissante de l’écriture à l’école]. » (Harris, Graham, et Mason, 2003, p. 4) ;

·       la place centrale accordée à l’appropriation réflexive des savoirs et à l’autorégulation dans la maitrise des stratégies : « Learning new strategies is constructivist because students come to highly personalized understandings and interpretations of the strategies they are taught. » (Pressley, Harris, et Marks, 1992, p. 6) Harris et al. (2003) se réfèrent eux aussi à Vygotski pour expliquer que cette internalisation des savoirs est une transformation des processus externes verbalisés par l’enseignant (p. 7);

·       l’importance accordée à l’étayage et au rôle structurant des interactions dans l’apprentissage : « First, SRSD emphasizes collaborative learning among teachers and students. While the teacher initially provides the necessary degree of scaffolding or support, the responsibility for recruiting, executing, monitoring, evaluating, and modifying strategies is gradually transferred to the student. » (Harris et al., 2003, p. 12) L’écriture collaborative – entre pairs – joue à cet égard un rôle central dans le SRSD en raison de son efficacité pour l’amélioration de la performance et de la motivation en écriture (Graham, Harris, et Chambers, 2016).

NOTRE MODÈLE INTERACTIONNISTE D’ENSEIGNEMENT EXPLICITE DES STRATÉGIES D’ÉCRITURE  

Le modèle d’enseignement explicite que nous avons développé dans nos travaux s’inscrit dans une conception interactionniste de l’enseignement et de l’apprentissage qui repose sur l’étayage, le guidage, le dialogue et la réflexion sur les savoirs, à la suite des travaux sur le SRSD. Nous nous référons au concept d’interactionnisme plutôt qu’à celui de socioconstructivisme, trop marqué politiquement au Québec et dans la francophonie à la suite des réformes pédagogiques des années 2000 – voir par exemple les débats soulevés dans Mellouki (dir. 2010), notamment le chapitre de Cerqua et Gauthier sur l’appropriation par les politiques du terme socioconstructivisme, pour discréditer des approches pédagogiques jugées traditionnelles, donc désuètes. En didactique du français, le courant de l’interactionnisme sociodiscursif est issu des travaux des chercheurs de l’Université de Genève, dont J.-P. Bronckart et B. Schneuwly, qui cherchent « à démontrer le rôle fondateur du langage, et notamment du fonctionnement discursif, dans le développement humain » (Bronckart, 2005, p. 152). Leur approche, inscrite dans une théorie vygotskienne de l’apprentissage, repose donc sur le langage comme outil principal de l’apprentissage et, partant, du développement de l’enfant. L’apprentissage est une activité éminemment sociale, qui repose sur l’enseignement, au cours de laquelle l’enfant intériorise des formes de discours ancrées dans une histoire, une discipline scolaire, des genres de textes : « le développement dépend donc entièrement de l’éducation et de l’enseignement, et plus généralement des formes idéales auxquelles l’enfant est confronté au cours de son développement » (Schneuwly, 2008, p. 41). À partir d’interactions verbales formatrices, l’enfant s’approprie puis intériorise des significations socioculturelles construites dans son entourage; cette intériorisation de discours transforme la psyché en une pensée opératoire et consciente (Bronckart, 2003, p. 132). L’apprentissage repose alors sur la coconstruction des connaissances par les élèves (comme le disent Pressley et al., 1992, à propos de l’enseignement explicite des stratégies de lecture), parce que le langage est d’abord une activité sociale.

L’enseignement explicite interactionniste accorde une place centrale aux formes de discours – les genres – que les élèves lisent et écrivent dans leurs pratiques langagières scolaires et extrascolaires. L’accent est alors mis sur l’apprentissage de processus complexes, dans des tâches de lecture et d’écriture complètes, qui sont au cœur des compétences à développer, non sur la récitation de connaissances. L’enseignant ne peut ainsi prévoir une planification rigide d’exercices que devraient compléter les élèves, en présumant qu’à un moment X ils seront en mesure de passer à un niveau de complexité Y; il doit plutôt adapter constamment son intervention pour que la tâche prescrite corresponde le plus possible aux capacités des élèves, et ce, jusqu’à ce qu’ils aient acquis une certaine autonomie par rapport aux stratégies à maitriser.

L’enseignant doit veiller en somme à construire des tâches qui se situent dans la zone proximale de développement des élèves (Vygotski, 1933, dans Schneuwly, 2008), dans laquelle ils ont une certaine prise sur la tâche à réaliser, mais ont besoin de l’aide d’un pair ou d’un adulte plus compétent pour internaliser – intégrer à leur compréhension de l’activité à maitriser – les processus visés. La rétroaction joue alors un rôle central, et ce, de deux façons (Brookhart, 2018) : 1) de l’élève vers l’enseignant, quand l’élève explicite sa compréhension ou sa mécompréhension des processus à l’étude, pour permettre à l’enseignant d’ajuster son intervention; 2) de l’enseignant vers l’élève, quand l’enseignant met en lumière les difficultés que l’élève doit résoudre pour en arriver à une meilleure maitrise des processus visés, sans faire pour lui. Hattie et Timperley (2007) montrent qu’une bonne rétroaction, qui porte sur une tâche précise, combinée à l’enseignement explicite, a une taille d’effet de 0,93. Selon l’échelle adoptée par Hattie dans son ouvrage Visible Learning (2009), cette taille d’effet très importante indique que la pratique de la rétroaction est susceptible d’avoir un grand effet sur l’apprentissage des élèves – Hattie fixe à 0,4 le seuil d’efficacité d’une pratique pédagogique.

Comme la personne qui émet la rétroaction tire davantage profit de cette activité sur le plan de l’apprentissage que celle qui la reçoit (Crinon, 2012 ; Boscolo et Ascorti, 2004), nous misons beaucoup dans notre modèle interactionniste sur le rôle des pairs : à travers les échanges, le modelage, les questions centrées sur le processus, les élèves intériorisent progressivement la façon dont des personnes plus compétentes utilisent les processus à apprendre. L’explicitation des stratégies à maitriser n’est plus alors du seul ressort de l’enseignant, mais devient une responsabilité partagée par l’ensemble de la classe. Si la rétroaction par l’enseignant a une taille d’effet de 0,87, celle par les pairs est de 0,58 (Graham, Hebert, et Harris, 2015). Cette taille d’effet relativement élevée pour la rétroaction par les pairs s’explique par le fait que les élèves partagent les mêmes difficultés et le même langage; leurs commentaires non directifs mèneraient à une révision plus complexe et à de meilleures performances (Panadero, Jonsson, et Alquassab, 2018). Chacun contribue donc à expliciter, à déplier les processus qui mènent à la maitrise des stratégies. Les élèves verbalisent leurs propres manières de faire en pointant dans le travail des autres les forces et les faiblesses observées à l’aide de critères de réussite qu’ils s’approprient en critiquant les textes de leurs pairs – pour une recension sur la rétroaction par les pairs, voir Panadero et al., 2018.

L’enseignement explicite ne consiste donc pas en une démarche linéaire dont il suffit de traverser les étapes pour que les élèves apprennent des stratégies d’écriture. Il s’agit au contraire d’une démarche itérative, l’enseignant devant constamment être à l’écoute de ses élèves pour s’adapter à leurs capacités pour évaluer l’étayage – le soutien – dont ils ont besoin en cours d’apprentissage, revenir sur certaines explications, redonner des exemples, fournir de l’aide, etc.

Le modèle d’enseignement explicite que nous avons construit à partir de celui de Graham et Harris, mais aussi des travaux sur la lecture de Pressley et Harris (2006), d’Almasi (2003) notamment qui mettent fortement l’accent sur ce caractère interactionniste de l’apprentissage, comporte cinq phases itératives, le questionnement et la rétroaction constituant une pratique incontournable présente en arrière-plan dans chacune des phases. Les flèches de la figure 1 représentent la possibilité de passer à tout moment à n’importe quelle phase en fonction de l’évaluation que fait l’enseignant des besoins des élèves. Chacune des phases contribue à clarifier le fonctionnement des stratégies enseignées et à accroitre l’autonomie des élèves dans leur maitrise des stratégies (voir Auteur, 2012, pour une explication plus détaillée) :




FIGURE 1. Les six composantes de l’enseignement explicite

 

1.      Définir la stratégie et préciser son utilité : La plupart des chercheurs s’entendent sur le fait qu’en début de leçon, les enseignants doivent fournir aux élèves des explications significatives et approfondies sur la stratégie à l’étude en employant un langage suffisamment vulgarisé (Duffy, 2002; Giasson, 1992; Nokes et Dole, 2004; Pressley et al. 1994). L’enseignant doit d’abord nommer et définir la stratégie à l’étude. Il doit ensuite expliquer aux élèves sa valeur instrumentale – les bénéfices qu’ils retireront à l’utiliser.

2.      Modelage : Les recherches montrent que durant la phase d’entrainement, l’enseignant doit fournir une instruction explicite de la stratégie et faire un usage intensif et répété du modelage ; c’est-à-dire qu’il doit rendre visibles pour les élèves les processus cognitifs mis à l’œuvre dans la sélection et l’utilisation d’une stratégie par un scripteur expert (Duffy, 2002; Nokes et Dole, 2004), lorsqu’il tente de planifier, de rédiger, de réviser, de corriger ou de réécrire un texte. Pour ce faire, il doit décrire les processus mentaux qu’il emploie en cours d’écriture et non pas seulement mentionner les étapes du processus. On voit tout l’apport du modelage dans l’enseignement explicite qui présente à l’élève une manière de faire et de penser à reproduire et qui se situe au-delà de ses capacités. Seulement, cette manière de faire ne devra pas qu’être reproduite ; au fil des exercisations, elle devra être intériorisée puis extériorisée à travers le discours de l’élève sur son activité.

3.      Pratique guidée coopérative / étayage : L’étayage (scaffolding) correspond à une pratique guidée de l’utilisation de la stratégie par l’enseignant, un support temporaire qui permet aux élèves d’accomplir une tâche qu’ils ne pourraient réussir sans cette aide (van de Pol, Volman, et Beishuizen, 2010). L’étayage est associé à la zone de développement proximal de Vygotski (cf. Schneuwly, 2008) et est donc adaptatif, en ce sens où son intensité varie en fonction des besoins exprimés par les élèves ou des difficultés identifiées par l’enseignant. Il peut prendre des formes très soutenues ou très discrètes, selon la complexité de la tâche, mais présente toujours ces trois caractéristiques (van de Pol et al., 2010) : ajustement continuel de l’étayage, atténuation du soutien apporté au fil de la tâche et des apprentissages, transfert de responsabilité de l’enseignant vers les élèves. Plus l’élève internalisera les connaissances ou les habiletés visées, plus l’étayage diminuera, ce qui permettra aux élèves d’assumer la responsabilité de choisir, d’appliquer, de gérer et d’évaluer la stratégie. Cette pratique guidée implique la coopération entre les élèves, afin que des conflits sociocognitifs surviennent et qu’ils apprennent à les surmonter en discutant des stratégies à l’étude. Ces échanges favorisent du même coup le renforcement des capacités d’autorégulation (Harris et al., 2008), parce qu’en apprenant à donner de la rétroaction à leurs pairs, les élèves renforcent leur maitrise des stratégies étudiées.

4.      Pratique autonome : Durant cette phase, l’enseignant doit fournir aux élèves de multiples occasions de pratiquer la stratégie sans assistance pour leur permettre de consolider leur apprentissage et de vivre plusieurs réussites. Elle peut être faite en devoir ou lors d’un travail individuel en classe. La pratique autonome est nécessaire pour que les élèves internalisent une stratégie et apprennent à l’utiliser dans différentes situations (Nokes et Dole, 2004).

5.      Réinvestissement : pour renforcer l’automatisation des connaissances apprises, les élèves doivent pouvoir réinvestir ces dernières dans de nouvelles tâches; il importe que le réinvestissement se fasse dans d’autres genres de textes à produire, afin que les élèves conçoivent clairement la souplesse des stratégies apprises. Encore faut-il que l’enseignant accompagne étroitement les élèves pour effectuer ce transfert de connaissances dans d’autres situations d’écriture, car il serait faux de croire que tous peuvent y arriver seuls (Harris, Graham, Mason, et Friedlander, 2008).

6.      Questionnement et rétroaction : Le modèle du SRSD inclut la phase de questionnement et de rétroaction dans les stratégies d’autorégulation. De notre côté, nous en faisons l’arrière-plan de chacune des phases de l’enseignement explicite, car c’est en questionnant les élèves sur leur processus d’écriture que l’enseignant recueille de l’information sur leur niveau de maitrise des stratégies, qu’il peut ajuster son intervention et leur fournir une rétroaction précise et formative. Selon Brookhart (2018), la rétroaction ne doit pas tant porter sur le texte produit que sur la démarche (relation entre ce que les élèves ont fait et la qualité de leur travail, information sur les stratégies de rechange possibles) et sur la gestion des apprentissages (rétroaction sur l’autorégulation qui favorise la connaissance qu’a l’élève de ses propres capacités). Elle implique donc un mode de questionnement en Comment? (la démarche de l’élève), plutôt qu’en Quoi? (le produit) ou en Pourquoi? (les motifs qui ont poussé l’élève à agir, un raisonnement souvent trop abstrait pour les élèves). Enfin, la rétroaction est basée sur des critères (ex. grilles d’évaluation formative et sommative; Philippakos et MacArthur, 2016) ou sur des travaux faits précédemment par l’élève; elle est positive, descriptive et constructive; elle est claire et spécifique1; elle permet à l’élève d’apprendre, de s’améliorer et d’accroitre sa motivation et elle l’aide à prendre en main ses apprentissages et à les gérer.

Ce modèle interactionniste est en somme très proche du SRSD, l’équipe de Graham et Harris insistant beaucoup sur l’importance de l’interaction entre les pairs. Mais les activités qu’ils ont construites dans leurs différents ouvrages et qu’ils ont expérimentées dans des dizaines de recherches et validées dans des méta-analyses reposent en partie sur la mémorisation et l’application de stratégies d’écriture limitées à une phase du processus d’écriture ou à des routines à mémoriser : par exemple, la planification de texte pour la stratégie PLANS présentée plus tôt (Graham et Harris, 2005). Notre approche repose davantage sur la résolution de problèmes d’écriture complexes, qui inclut la mobilisation de diverses stratégies, associées à plus d’une phase du processus d’écriture tel que nous le décrivons dans la section suivante. Elle ne repose donc pas tant sur la mémorisation et la pratique répétée des étapes d’une stratégie centrée sur une phase du processus d’écriture que sur la mobilisation guidée d’un éventail de stratégies pour résoudre un problème d’écriture. Reste à valider si notre choix de ne pas limiter l’enseignement – et la mesure de son efficacité – à une routine de stratégies génèrera des résultats aussi probants que ceux obtenus avec la mise en œuvre du SRSD.

DES OUTILS POUR METTRE EN OEUVRE L’ENSEIGNEMENT EXPLICITE DES STRATÉGIES D’ÉCRITURE

Ce modèle théorique d’enseignement explicite ne pourrait être mis en œuvre dans les classes sans outils didactiques qui en permettent le déploiement. L’équipe de Graham a construit un nombre considérable de séquences d’enseignement qui s’inscrivent dans les programmes d’enseignement américains et qui décrivent minutieusement chacune des étapes du SRSD pour un genre de texte donné – comme le PLANS évoqué dans le dernier paragraphe.

À partir du Programme de formation de l’école québécoise (MELS, 2006) et des modes de discours décrits dans la Progression des apprentissages en français au secondaire (MELS, 2011) – textes narratifs, descriptifs, explicatifs, argumentatifs, justificatifs, poétiques, dramatiques –, nous avons élaboré des outils d’enseignement adaptés pour les élèves québécois. Nous avons transposé pour le primaire les repères construits pour ces modes de discours du secondaire, car ni le programme ni la progression des apprentissages en français du primaire ne comportent de définitions des types ou des genres de textes qui doivent être enseignés; ils n’abordent pas non plus les aspects discursifs que les élèves doivent apprendre à maitriser, si ce n’est pour le texte narratif. Nous avons donc construit des outils pour les textes qui racontent, qui informent et qui donnent une opinion.

Nous avons aussi enrichi le modèle du processus d’écriture sur lequel s’appuie le PFEQ et qui est largement partagé en didactique du français : un processus itératif impliquant plusieurs composantes qui se recoupent : planification, mise en texte, révision et correction (Hayes et Flower, 1980; Hayes, 1995; Reuter, 2000). Le processus d’écriture est une activité cognitive et motrice, mais aussi affective et communicationnelle, pendant laquelle le scripteur mobilise un certain nombre de stratégies d’écriture. Nous avons aussi découpé le travail de révision en deux phases distinctes dans nos outils d’enseignement, selon qu’il porte sur le propos (révision-amélioration2) ou sur la langue (révision-correction). Certes un scripteur expert ne découpe pas ainsi son travail de révision, mais les élèves en apprentissage gagnent à isoler le fond et la forme au moment d’apporter des correctifs à leur texte (MacArthur, 2019), que ce soit en cours d’écriture ou une fois leur texte terminé. Nous avons ainsi construit la figure suivante qui met en exergue l’importance de l’autorégulation et de l’autoévaluation dans le processus d’écriture.













FIGURE 2.3Le processus d’écriture

L’activité d’autoévaluation est au centre de la boucle : le scripteur doit apprendre à poser un regard critique sur chacune des phases du processus d’écriture, lesquelles peuvent être mobilisées à tout moment lors de la production. L’activité de révision est clairement représentée dans sa double finalité, de correction et d’amélioration.

Pour accompagner les élèves dans leur travail d’autorégulation pour l’utilisation de chacune des stratégies incluses dans les phases du processus d’écriture illustré ci-haut, dans les différents modes de discours du programme, nous avons construit des affiches qui visent à favoriser l’autoquestionnement. En d’autres mots, nous avons construit avec des enseignants et des conseillers pédagogiques des exemples de questions que les élèves peuvent apprendre à se poser à travers les différentes phases de l’enseignement explicite, avec le soutien de leur enseignant, mais aussi avec celui de leurs pairs.


FIGURE 3. Affiche portant sur la planification de textes narratifs au 3e cycle du primaire

Ces affiches ont été présentées aux enseignants pendant les journées de formation que nous leur avons offertes dans le cadre de notre recherche. Elles ne sont pas remises aux élèves pour un usage autonome; elles sont utilisées au cours de l’enseignement explicite, dans chacune des phases. L’enseignant les découvre avec eux, explique leur fonctionnement, modèle leur utilisation, questionne les élèves sur la façon dont ils recourent aux stratégies enseignées et sur les bénéfices qu’ils en retirent. L’affiche est donc un soutien à l’autorégulation, comme les acronymes du SRSD.

PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE

Ce long exposé théorique nous est apparu nécessaire pour exposer de façon détaillée comment notre conception de l’enseignement explicite ne s’inscrivait pas en rupture avec les approches socioconstructivistes de l’apprentissage. Bien au contraire, les travaux que nous menons, inspirés entre autres des écrits sur l’enseignement explicite de Pressley, Harris et Graham, proposent une réconciliation théorique d’approches de l’enseignement et de l’apprentissage qui sont loin d’être irréconciliables. Mais cette démonstration requerrait un long développement. Et elle devait se prolonger dans un projet de recherche, une étude de validation, sans quoi les modèles théoriques auraient bien peu de pertinence s’ils n’étaient pas mis en œuvre. Nous présenterons donc dans la suite de cet article la méthode de recherche adoptée dans cette étude et discuterons des résultats obtenus.

UNE FORMATION OFFERTE AUX ENSEIGNANTS

Nous avons offert une formation professionnelle de trois jours sur l’enseignement explicite des stratégies d’écriture aux 39 enseignants qui ont été assignés au groupe expérimental de notre étude. Nous avons regroupé les enseignants du primaire et du secondaire afin de susciter une discussion entre eux sur les ponts possibles entre leurs deux ordres en ce qui concerne l’enseignement de l’écriture. Au cours de ces trois journées, nous avons travaillé les différentes phases de l’enseignement explicite, le processus d’écriture et les stratégies propres à chaque mode de discours, pour le primaire et le secondaire. Nous avons exploré avec eux deux séquences d’enseignement détaillées que nous avons conçues pour la planification d’un texte informatif et pour l’amélioration d’un texte narratif4, sans leur imposer la mise en œuvre de ces séquences dans leur classe. Nous avons aussi construit collectivement des activités qui s’inséraient dans leur planification d’enseignement, afin de faciliter l’adoption des pratiques vues en formation. Nous n’avons donc pas concentré notre propos au cours de cette formation sur un genre de texte en particulier, avec une liste fermée de stratégies à pratiquer. Nous avons plutôt opté pour une couverture large de l’ensemble des phases du processus d’écriture et des modes de discours à enseigner. Ce choix méthodologique offre aux enseignants un éventail plus large de stratégies à enseigner, s’adapte à leurs besoins, à leurs intérêts. Toutefois, sur le plan de la recherche, il rend plus hasardeuse la mesure des effets de l’enseignement, car nous n’avons aucun contrôle sur ce qui sera présenté aux élèves au terme des formations, contrairement aux études de Graham et de son équipe sur le SRSD qui portent sur une stratégie en particulier pour un genre de texte précis (voir par exemple Lane, Harris, Graham, Weisenbach, Brindle, et Morphy, 2008 ; Mason et Shriner, 2008 ; De La Paz et Graham, 2002).

CONSIDÉRATIONS MÉTHOLOGIQUES

Nous avons mené une étude semi-expérimentale en 2016-2017 afin de mesurer l’impact de notre modèle d’enseignement explicite des stratégies d’écriture sur la performance et la motivation en écriture d’élèves francophones du 3e cycle du primaire et du 1er cycle du secondaire. Pour ce faire, nous avons dû retenir une définition de la performance en écriture et de la motivation.

Dans le cadre de notre étude, nous avons défini la performance en écriture à l’aune de ces cinq critères, suivant ceux établis par le MELS (2011) : 1) adaptation à la situation de communication et pertinence des idées ; 2) cohérence du texte ; 3) utilisation d’un vocabulaire approprié ; 4) syntaxe et ponctuation ; 5) orthographe lexicale et grammaticale.

Pour définir nos concepts liés à la motivation, nous nous appuyons sur la théorie de l’autodétermination (Ryan et Deci 2017). Selon cette théorie, la motivation, qui correspond aux raisons pour lesquelles une personne agit, se présente sous la forme d'un continuum. À une extrémité de ce continuum se trouve l’amotivation – l'absence de motivation ou le manque d’intention d’agir –; à l’autre extrémité se trouve la motivation intrinsèque – faire quelque chose par intérêt, pour le plaisir ou la satisfaction qu’on en retire. Entre ces deux extrémités, la motivation est extrinsèque : les motifs qui incitent un individu à agir ne sont pas en lui, mais proviennent de l’extérieur.

ÉCHANTILLION ET OUTILS DE RECHRCHE

Nous avons choisi de réaliser notre étude avec des élèves âgés entre 10 et 14 ans. La complexité du processus d’écriture est particulièrement vive dans la transition primaire-secondaire, où les élèves doivent apprendre à écrire des textes de plus en plus articulés aux différentes disciplines (histoire, sciences, mathématiques, etc.); l’écriture n’est plus travaillée seulement comme objet à apprendre (correspondances graphèmes-phonèmes, morpho-syntaxe , grammaire, lexique, etc.), mais comme outil pour apprendre (Schneuwly, 2003). Dans l’approche par compétences, les élèves écrivent pour expliquer des phénomènes historiques, scientifiques, résoudre des problèmes, s’approprier des connaissances (Blaser et Chartrand, 2009). Au surplus, en arrivant au secondaire, les élèves devront écrire des textes complexes dans des disciplines où on ne leur enseignera pas l’écriture. Ainsi, si les principales stratégies d’écriture étaient davantage consolidées au 3e cycle du primaire, le passage vers le secondaire en écriture constituerait un choc peut-être moins important pour la plupart.

73 enseignants ont participé à la mise à l’épreuve de la démarche d’enseignement explicite que nous avons créée. Il s’agit d’enseignants qui se sont portés volontaires après avoir été approchés par un conseiller pédagogique de leur commission scolaire. Les enseignants d’une même école ont été assignés aléatoirement au groupe expérimental (n =  39 enseignants5, 547 élèves – 321 au primaire et 226 au secondaire) ou au groupe témoin sans formation (n = 34 enseignants, 559 élèves – 425 au primaire et 134 au secondaire). Les enseignants du secondaire choisissaient eux-mêmes un de leurs groupes pour l’étude.

Pour mesurer la performance en écriture des élèves, nous leur avons demandé de composer une suite de texte narratif de 200 mots à partir d’une mise en situation de récit d’aventures – la même pour tous les élèves, mais différente au prétest et au posttest. Ces situations d’écriture ont été corrigées par notre équipe de recherche à l’aide des cinq critères évoqués ci-haut. La correction s’est effectuée en deux temps : une équipe était responsable de l’évaluation des critères 1 à 3 ; une autre effectuait la correction langagière dans un deuxième temps (critères 4 et 5). Un guide de correction détaillé présentait toutes les composantes à vérifier pour chaque critère. Une fois les textes corrigés par chacune des deux équipes, les coordonnateurs de l’équipe de correction jumelaient les deux notes pour attribuer la note finale à chaque texte. Tout texte litigieux était revu par un des deux coordonnateurs. Chaque semaine, les coordonnateurs animaient des réunions de correction au cours desquelles 10% des textes de chaque groupe étaient corrigés collectivement jusqu’à l’obtention d’un consensus, afin de s’assurer que tous les correcteurs appliquent les critères et le guide de correction de façon équivalente tout au long du projet. Comme nous travaillions par consensus sur un échantillon de textes, nous n’avons pas mesuré d’accords interjuges.

Pour mesurer la motivation des élèves, nous avons adapté à l’activité d’écriture les travaux de Ryan et Connell (1989) et de Vallerand, Blais, Brière et Pelletier (1989) – échelle de motivation en éducation – qui nous permettent d’étudier les quatre construits de la motivation autodéterminée. Tous les items ont été validés et ceux pour lesquels l’indice de validité interne n’était pas suffisant au prétest ont été retirés de l’analyse. Les questionnaires ont été distribués en format papier aux élèves.

Pendant le mois d’avril, les enseignants devaient remplir un questionnaire en ligne après chaque cours où ils avaient enseigné l’écriture. Ce questionnaire nous permettait de mesurer la fréquence d’enseignement des stratégies et des pratiques d’enseignement explicite.

Afin de tester l’efficacité de notre formation, nous avons réalisé une analyse de covariance en comparant le groupe expérimental (formé à l’enseignement explicite – GE) et groupe témoin (GT) qui procédait à son enseignement habituel – qui pouvait présenter des pratiques liées à l’enseignement explicite. Les variables dépendantes utilisées sont la performance en écriture et les cinq construits de la motivation autodéterminée. La variable indépendante était la formation à l’enseignement explicite donnée ou pas aux enseignants (groupe expérimental par rapport au groupe témoin). Pour empêcher que les différences observées entre ces deux groupes au posttest soient dues au fait que ceux-ci n’étaient pas équivalents au prétest au regard de leur performance en écriture ou de leur motivation à écrire, des analyses de covariance (i.e. avec contrôle statistique pour les rendre égaux au prétest) ont été réalisées à l’aide de la procédure « Proc MIXED » dans SAS. À titre d’exemple, pour éprouver notre hypothèse voulant que la formation aurait un effet sur la compétence en écriture des élèves au posttest, nous avons estimé simultanément l’effet simple (i.e. la formation ; GE par rapport à GT) et l’effet d’interaction (i.e. formation × compétence en écriture des élèves au temps 1). La même stratégie statistique a été utilisée pour éprouver notre hypothèse liée à une plus forte augmentation de la motivation à écrire dans le GE, la motivation au prétest servant alors de variable de contrôle. Si l’un de ces deux effets s’avérait significatif, démontrant pour le premier l’existence d’un effet du groupe et, pour le second, un effet de groupe variant selon le niveau des élèves au prétest, nous avons procédé à une analyse des effets simples. Seuls les écarts significatifs à un seuil p <0,05 seront rapportés dans cet article.

RÉSULTATS

Pour le primaire, les analyses réalisées n’ont rapporté aucun écart significatif (au seuil de signifiance établi à <0,05) en ce qui concerne les variables motivation et performance. Au secondaire, nous avons observé un seul écart significatif pour le critère 1 (adaptation à la situation de communication) : les élèves du GE s’améliorent davantage que ceux du GT (taille d’effet selon le f2 de Cohen = 0,036). L’enseignement explicite produit donc un effet sur l’apprentissage de la situation de communication : identifier le destinataire, comprendre le cadre de l’énonciation du récit, etc. Les élèves du groupe expérimental ont en moyenne 4,9 points / 25 de plus que ceux du groupe témoin. Nous n’avons obtenu aucun résultat significatif en ce qui concerne la motivation.

Que retenir de ces résultats ?

Nous avions avancé comme hypothèse que l’enseignement explicite aurait un impact sur les apprentissages et la motivation en écriture des élèves. Nous voulions aussi vérifier plus précisément si l’enseignement explicite aurait un effet sur les composantes plus complexes de l’écriture liées à la génération (critère 1) et à l’organisation des idées (critère 2).

Notre étude montre l’efficacité de l’enseignement explicite des stratégies d’écriture au secondaire pour seulement un critère : la compréhension de la situation de communication. On voit pour le critère portant sur le propos que les élèves ayant été exposés à l’enseignement explicite s’améliorent plus que ceux du groupe témoin. L’enseignement explicite a donc un impact sur la prise en compte de la situation de communication pour générer le contenu du texte, mais aucunement sur la construction de la cohérence du texte, la maitrise du vocabulaire, de la syntaxe et de l’orthographe, ni sur la note globale en écriture. Si notre étude n’est pas arrivée à montrer l’efficacité de l’enseignement explicite comme y sont parvenues des centaines d’autres recherches, nous nous devons de porter un regard critique à la fois sur la formation dispensée aux enseignants, sur l’accompagnement qui leur a été offert au cours de l’étude et sur le contrôle que nous avons opéré sur les variables étudiées.

REMISE EN QUESTION DE LA FORMATION OFFERTE ET DE L’ACCOMPAGNEMENT DES ENSEIGNANTS

À la lumière des questionnaires de pratiques d’enseignement que les enseignants participants ont remplis pendant un mois après chaque cours où ils avaient enseigné l’écriture, l’engagement des enseignants dans l’expérimentation s’est avéré inégal, voire insuffisant. 70% des enseignants du groupe expérimental n’ont pas rempli le questionnaire ou ont déclaré n’avoir enseigné aucune fois ou à quelques reprises seulement (1 à 3) les stratégies d’écriture pendant le mois où ils devaient remplir le questionnaire en ligne. Ainsi, la quasi-absence de résultats significatifs obtenus quant à l’effet de l’enseignement explicite nous amène à interroger les modèles de formation et d’accompagnement retenus, pour favoriser l’engagement des enseignants. Par conséquent, suivant les recommandations de Richard, Carignan, Gauthier et Bissonnette (2017) concernant les modèles efficaces de formation continue, l’implantation à large échelle dans une commission scolaire ou dans une école de nouvelles stratégies d’enseignement doit être accompagnée de façon intensive, avec différentes modalités d’accompagnement (suivi individualisé, travail en équipe-école ou en équipe-cycle) avec des personnes ressources expertes, notamment les conseillers pédagogiques qui auront suivi la formation avec les chercheurs. Ce suivi a été réalisé de façon inégale, suivant la volonté et la disponibilité des ressources dans les milieux, sans que nous n’exercions de contrôle. De plus, la formation offerte n’imposait pas de scénarios pédagogiques devant être mis en œuvre par les enseignants, ce qui a surement freiné l’implantation de l’enseignement explicite pour plusieurs – sachant que ces scénarios remis aux enseignants fonctionnent dans les recherches portant sur le SRSD.

LIMITES DU DEVIS DE RECHERCHE RETENU

Ces réserves quant à notre formation sont liées aux limites de notre devis de recherche. Nous avions choisi de former les enseignants à l’ensemble des genres qu’ils étaient susceptibles d’enseigner pendant l’année scolaire; certes ce choix ouvre de multiples possibilités aux enseignants pour exploiter l’enseignement explicite en fonction des genres qu’ils planifient, mais il rendait du même le coup le contrôle des stratégies enseignées beaucoup plus hasardeux. Nos tests d’écriture portaient sur le récit d’aventures; nous n’avons ainsi aucune garantie que les enseignants ont enseigné des stratégies d’écriture liées à ce genre de texte. Nous avons aussi formé les enseignants à l’ensemble des phases du processus d’écriture; cette ouverture rend aussi beaucoup plus difficile le contrôle des phases du processus effectivement enseignées.

Notre étude s’étendait sur toute une année scolaire. Les élèves ont rempli les prétests en septembre, juste avant la formation des enseignants du groupe expérimental. Les posttests ont eu lieu en mai, neuf mois plus tard. Certes, un laps de temps aussi long nous permet de vérifier si les acquis des élèves sont durables et ne sont pas que l’effet d’une intervention intensive, mais ils rendent du même coup la mesure de la progression des élèves beaucoup plus incertaine. Comme les enseignants ont déclaré avoir peu pratiqué l’enseignement explicite pendant le mois où ils ont rempli le questionnaire en ligne sur leurs pratiques, l’effet de la formation neuf mois plus tard ne peut qu’être diffus.

CONCLUSION

Dans les nombreuses méta-analyses qu’il a produites avec son équipe, Steve Graham a démontré l’efficacité du Self-Regulated Strategy Development (SRSD) autant sur la motivation, la perception d’efficacité personnelle que la performance en écriture des élèves (Graham et Harris, 2017; Graham et al, 2016; Gillespie et Graham, 2014; Graham, Harris, et McKeown, 2013; Harris et al., 2012; f et Graham, 2008). Le devis semi-expérimental que nous avons mis en place dans notre étude, même s’il ne démontre pas l’apport de l’enseignement explicite, n’en constitue pas moins un désaveu de cette méthode, quand des centaines d’études rapportées dans ces méta-analyses en démontrent l’efficacité. C’est plutôt à notre avis le devis de recherche choisi, qui visait à respecter une implantation écologique de l’enseignement explicite, soucieuse de se faire la moins intrusive possible, qui explique la quasi-absence de résultats probants. Il nous faut donc sur le métier remettre notre ouvrage, en trouvant un meilleur équilibre entre les contraintes du terrain, qui exige autonomie et période d’adaptation, et celles de la recherche, qui requiert un certain degré de contrôle pour bien isoler les variables influençant les acteurs de la recherche.

NOTES

1.      Ces caractéristiques attendues d’une bonne rétroaction sont néanmoins remises en question selon la nature de la tâche, le contexte de la classe, les capacités des élèves (Jonsson et Panadero, 2018).

2.      Pour les élèves de la fin du primaire et du début du secondaire, nous avons remplacé à la demande des enseignant l’expression « réécriture » par « amélioration », pour éviter que les élèves ne limitent leur réécriture au fait de recopier leur texte au propre, pratique très répandue dans les classes québécoises.

3.      Tous les outils construits dans le cadre de notre projet de recherche sont disponibles en ligne sur le site www.strategieslectureecriture.com. Ils sont reproductibles à des fins pédagogiques avec mention de la source.

4.      Disponibles en ligne au https://www.strategieslectureecriture.com/copie-de-grille-d-eval1er-cycle-du-

5.      Certains enseignants utilisaient le traitement de texte avec leurs élèves au cours de cette expérimentation. Nous n’aborderons pas cette variable dans cette contribution pour nous concentrer sur l’apport de l’enseignement explicite.

6.       L’interprétation du f2 de Cohen se fait comme suit : petit ➔ f2 0.02; moyen ➔ f2 0.15; grand ➔ f2 0.35.

 

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