LES ENSEIGNANTS FORMÉS À L’ÉTRANGER DANS LES ÉCOLES MONTRÉALAISES : DES INTERACTIONS QUI FAÇONNENT DE NOUVELLES REPRÉSENTATIONS OPÉRATOIRES

Joëlle Morrissette Université de Montréal

Sébastien Arcand HEC Montréal

Ben Diédhiou Université du Québec à Montréal

Saïdou Sèguéda Université de Montréal

Pour combler un déficit de main d’œuvre et renouveler sa population, le Québec accueille un grand nombre d’immigrants francophones, dont plusieurs visent à faire carrière en enseignement. Ils sont ainsi des centaines à s’inscrire chaque année à la formation universitaire d’appoint obligatoire et visant à les familiariser avec le système scolaire québécois, telle qu’exigée par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur (MEES) pour l’obtention du brevet d’enseignement, soit l’autorisation permanente d’enseigner. Cette formation vise également à les renseigner sur les particularités des écoles montréalaises où ils sont principalement embauchés, par exemple l’hétérogénéité importante des classes d’élèves sur le plan ethnoculturel et des performances scolaires et l’intégration d’élèves à besoins particuliers.

Même si les enseignants formés à l’étranger (EFE) forment un groupe composé de personnes ayant des expériences très différentes les unes des autres, la majorité d’entre elles ont en commun d’avoir pratiqué leur métier1 dans des systèmes scolaires où est privilégié l’enseignement magistral à des classes pléthoriques. De fait, ils proviennent surtout d’Afrique du Nord, d’Europe de l’Est, et dans une moindre mesure, d’autres pays africains et d’Amérique latine2. La formation qu’ils suivent au Québec, ancrée dans des référents (socio)constructivistes, atteint donc rapidement ses limites, notamment parce qu’elle n’implique pas de stages pour aider à faire les liens théorie-pratique. Ainsi, c’est plutôt à l’épreuve du terrain que les EFE apprennent à exercer leur métier dans les écoles montréalaises, sachant qu’ils ont une pratique déjà établie qui joue dans leurs expériences d’intégration.

Misant sur une recherche ayant examiné leur socialisation dans leur nouveau milieu de travail, nous éclairons dans cette contribution comment les interactions quotidiennes sont le moteur de l’ajustement du savoir enseigner d’EFE qui intègrent les écoles montréalaises. Nous avons mis au jour comment elles deviennent le moteur de la transformation de leurs représentations à l’égard de l’éducation, des rapports au sein de la communauté éducative et de la profession enseignante, leur permettant ainsi d’agir avec pertinence dans une nouvelle culture professionnelle i.e., selon les conventions. Les résultats présentés seront discutés en relation avec des éléments saillants issus de nos analyses qui concernent le rôle différencié joué par divers acteurs de leur écologie professionnelle dans l’adoption de ces conventions du métier.

PROBLÉMATIQUE : UNE VISION DÉFICITAIRE ET INDIVIDUALISANTE DE L’INTÉGRATION PROFESSIONNELLE DES EFE

Le Québec est la province canadienne qui accueille le plus d’immigrants après l’Ontario, en moyenne 52 000 entre 2012 et 2017; 74 % d’entre eux se sont installés dans la région métropolitaine de Montréal (Institut de la statistique du Québec, 2018). Ces cohortes d’immigrants sont constituées en partie d’EFE qui répondent à un besoin de main d’œuvre dans le contexte d’un renouvèlement de personnels causé par plusieurs départs à la retraite depuis les années 2000. Actuellement sévit d’ailleurs une pénurie d’enseignants sans précédent, et les EFE sont vus dans les commissions scolaires de Montréal comme la seule sortie de crise possible3. Les seules données disponibles indiquent que le nombre d’autorisations d’enseigner ne cesse d’augmenter : il est passé de 242 en 2007-2008 à 410 en 2016-2017 (Direction de la formation et de la titularisation du personnel scolaire, 2018), une tendance qui devrait fortement s’accentuer étant donné les nouvelles orientations du gouvernement actuel au pouvoir (2019) en matière d’immigration. Au moyen du projet de loi 9, le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Intégration vise un meilleur arrimage entre les besoins du marché du travail et l’immigration4. Ce contexte sociopolitique conduit à s’intéresser à l’intégration professionnelle des EFE à l’école québécoise.

Tel que relayé dans deux recensions (Morrissette et coll., 2014; Niyubahwe et coll., 2013), les recherches portant spécifiquement sur les EFE ont surtout documenté les différentes mesures d’appui formelles à leur intégration professionnelle (Charara et coll., 2018; Duchesne, 2010; Gravelle, 2018) et leurs difficultés d’accès à la profession (Mujawamariya, 2008; Phillion, 2003). Celles qui se sont penchées plus spécifiquement sur leurs expériences d’intégration peuvent être regroupées en deux tendances. La première met en relief leurs difficultés sur les plans administratif, relationnel et pédagogique (Duchesne, 2008; Jabouin, 2018; Jabouin et coll., 2012; Provencher et coll., 2016; Schmidt, 2010; Wang, 2002). Globalement, les études mettent de l’avant que leur méconnaissance du système scolaire et des codes sociaux nécessaires à des relations harmonieuses au travail pose des obstacles de taille. L’exemple le plus souvent cité concerne leurs conceptions en relation avec des attentes de rapports très verticaux, en particulier avec les élèves, qui se heurtent à des dynamiques relationnelles plus horizontales et réciproques. Également, leurs conceptions de l’enseignement se rapportant au maitre donnant un cours magistral auraient peu d’affinités avec les postulats socioconstructivistes qui sous-tendent le curriculum dans plusieurs contextes nationaux. La deuxième tendance met en lumière ce que font les EFE pour surmonter ces difficultés. Par exemple, ils participeraient à des activités de familiarisation du système scolaire comme des actions bénévoles au sein d’écoles et adopteraient une disposition générale de flexibilité leur permettant de s’aligner sur les pratiques valorisées dans leur milieu de travail d’accueil (Deters, 2006; Jabouin et coll., 2012; Phillion, 2003). Parmi ces études, certaines retracent les changements identitaires qui s’opèrent chez les EFE dans le cadre de leur processus d’acculturation (Duchesne, 2017; Laghzaoui, 2011).

Dans ces travaux, l’accent est souvent mis sur les « écarts » des EFE à la culture d’enseignement des sociétés d’accueil, relayant ainsi les attentes de conformité à la nouvelle communauté professionnelle. Aussi, se focalisant sur l’individu, ils renseignent sur différents modes d’acculturation individuels tels que l’assimilation, la séparation, etc. (Bascia, 1996) ou stades traversés lors des premières années de pratique (Niyubahwe et coll., 2013). Plusieurs de ces travaux étant inscrits dans des référentiels psychologiques, ils tendent à mettre l’accent sur la personnalité des EFE, sur leurs attitudes et stratégies, laissant ainsi dans l’ombre l’ensemble des pratiques sociales dans lesquelles s’inscrit l’intégration professionnelle (Bertheleu, 2012).

Notre contribution s’inscrit dans la suite des travaux qui ont étudié les conceptions des EFE, héritées de leur pays d’origine, tout en nous en distinguant, car c’est le caractère opératoire de ces conceptions que nous retenons. En effet, elles constituent le savoir enseigner des EFE en situation, défini selon une vision pragmatique comme la capacité à se livrer à ses activités quotidiennes de manière pertinente en contexte (Giddens, 1987). Ici, la pertinence ne correspond pas à des prescriptions ou autre norme officielle, mais à la concordance avec ce que les partenaires de travail font lorsqu’ils se livrent à leurs activités quotidiennes.

CADRE THÉORIQUE : UNE PERSPECTIVE INTERACTIONNISTE DU SAVOIR ENSEIGNER

L’angle théorique puise à la sociologie interactionniste selon laquelle la socialisation professionnelle est un processus au cœur des situations de travail par lequel de nouveaux entrants acquièrent des savoir-faire, des routines, des interprétations, des conventions, pertinents dans/pour ces situations. En ce sens, elle consiste moins à assimiler des référentiels explicites et formalisés qu’à s’inscrire dans des organisations et des relations de travail caractérisées par des régulations complexes et à faire l’expérience d’une activité professionnelle irréductible à la combinaison des habiletés qu’elle implique mais considérée comme une activité collective et située (Dubar, 1998 ; Darmon, 2006 ; Demazière et coll., 2019). La pratique des uns et des autres serait façonnée par des ajustements continus dans le cadre des interactions entre membres d’un groupe professionnel, mais aussi entre ces membres et des personnes extérieures, faisant partie de leur écologie professionnelle et étant concernées par la production du travail. Même les profanes contribueraient à l’action collective professionnelle, comme plusieurs travaux l’ont bien montré (Demazière et coll., 2009). Dans cette optique, les savoirs professionnels renvoient d’une part à des manières de « définir les situations » et aux conséquences que celles-ci impliquent pour l’action, tel que l’évoque le théorème de Thomas (1923) qui pose que, pour comprendre les conduites des acteurs, il faut s’intéresser à leurs manières de voir les choses – leurs représentations –, car ils agissent en fonction de celles-ci. D’autre part, les savoirs professionnels sont vus non pas comme des donnés, mais des ressources mobilisées en action et des composantes du travail négociées en situation (Baszanger, 1986; Becker, 1982/2006; Bucher et coll., 1961).

Comme invitent à le considérer les travaux plus particuliers de Becker (1982/2006), les savoirs professionnels, en tant que produits émergeant des interactions situées au sein d’un réseau d’inter-influence, se rapportent aux « compréhensions partagées » ou « conventions », soit les manières communes de définir les situations et de faire les choses qui facilitent la coopération entre les membres d’un groupe et la coordination de leurs activités. Si l’auteur envisage les conventions comme des savoirs, c’est qu’elles constituent pour lui des façons régulières de faire, constitutives d’une culture particulière, permettant de se mouvoir au sein des relations sociales sur la base d’accords mutuels tacites relatifs à des significations devenues typiques pour un groupe.

En relation avec notre approche pragmatique du savoir enseigner et de ces choix théoriques, nous retenons le concept de « représentations » - plutôt que celui de « conceptions » -, qui renvoie au caractère collectif de leur construction : « une forme de connaissances socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989, p.36). Dans cette perspective, les difficultés des EFE ne leur sont pas attribuables, mais sont relatives à des systèmes de conventions distincts qui s’entrechoquent dans des contextes d’interactions situées.

Dans cette optique, les représentations qui composent le savoir enseigner des EFE seraient ajustées au travers de leurs échanges avec une multiplicité d’acteurs membres de leur écologie professionnelle, dont le rôle effectif varie selon la position occupée (statut, pouvoir), les activités ou les contextes de pratique. Ainsi, comment le savoir enseigner des EFE s’ajuste-t-il lors de leurs premières expériences dans les écoles montréalaises, à la faveur des interactions quotidiennes ?

MÉTHODOLOGIE : UN DISPOSITIF MISANT SUR L’INTERSUBJECTIVITÉ

Cette recherche (CRSH 2015-2017) s’est intéressée à la socialisation au travail des EFE nouvellement intégrés dans les écoles montréalaises. Quatre enseignantes du secondaire, volontaires, aux profils variés et correspondant à notre critère de ne pas avoir plus de six ans d’expérience dans les écoles québécoises, ont accepté d’y participer.

Tableau 1 Profil des participantes

Noms fictifs

Pays d’origine

Formation initiale

Années d’expérience dans le pays d’origine

Années d’expérience au Québec

Rebiha (RE)5

Algérie

Licence d’enseignement en mathématiques

13

6

Naïma (NA)

Algérie

Licence en français langue seconde

2

5

Anna (AN)

Moldavie

Licence en anglais langue étrangère

3

4

Faïza (FA)

Tunisie

Maîtrise en sciences naturelles

16

4



Elles ont d’abord été invitées à un entretien individuel biographique (Demazière, 2011) d’une durée de 1h30, afin de préciser quelles étaient les conditions de l’exercice de leur métier dans leur pays d’origine, les conventions dans leur culture de travail et les types de relation avec leurs différents partenaires professionnels et profanes (élèves et parents). C’est ainsi que nous avons appris que, malgré les différences entre les systèmes éducatifs de leur pays d’origine, ces enseignantes partageaient des expériences très similaires avant leur arrivée au Québec : mandat centré sur la formation d’une « élite », enseignement magistral, correction négative sévère, rapports froids et distants avec les élèves, etc.

Ces entretiens ont été suivis d’une série de cinq entretiens de groupe (EG1, EG2, etc.)6 impliquant les quatre EFE. Le premier était centré sur les expériences marquantes dans l’école montréalaises, les chocs et les étonnements; le deuxième sur les transferts d’expérience relativement aisés vers leur nouveau milieu professionnel; le troisième sur ceux qui ont plutôt exigé des ajustements plus importants. À chacun de ces entretiens, des questions venaient aussi renseigner le rôle joué par leurs partenaires de travail dans les épisodes narrés. Afin de comprendre les épisodes racontés à l’aide des significations locales, du point de vue des partenaires de travail, d’autres participants se sont ajoutés lors des deux derniers entretiens, avec le consentement des quatre EFE. Deux conseillers pédagogiques (CP, EG3) se sont ajoutés lors du quatrième entretien, et une direction d’établissement (DI, EG5) et un parent d’élèves (PA) se sont ajoutés lors du cinquième entretien, tous à l’emploi d’une même commission scolaire située sur l’Ile de Montréal. Ce choix de l’entretien de groupe se justifie par la fécondité de l’intersubjectivité, la confrontation des expériences permettant d’expliciter les significations au regard des référentiels en vigueur dans les pays d’origine comme dans les écoles montréalaises. Ainsi, ces autres participants ont non seulement aidé les EFE à retracer rétrospectivement les ajustements apportés dans leur nouveau contexte de travail par leurs questions, mais ils ont aussi permis de saisir le rôle des autres acteurs dans ces ajustements, porteurs des conventions dans les écoles montréalaises. Pour faciliter la discursivité de ces savoirs collectifs tacites, la stratégie de comparaison (Becker, 2013) a été mobilisée lors des entretiens de groupe : en les amenant aussi à narrer leurs expériences dans leur pays d’origine, des dimensions de la culture professionnelle antérieure des EFE ont été soulevées, ce qui a permis d’interroger des équivalents dans le contexte des écoles montréalaises.

L’analyse a été centrée sur les interactions pour comprendre comment le savoir enseigner des EFE est ajusté à travers une socialisation au travail, saisies par une analyse de conversations (Boden, 1990; Morrissette, 2011b). Cette analyse a permis d’identifier les principaux changements dans les manières de travailler des EFE, en rupture par rapport à leur culture professionnelle antérieure, appréhendés comme le développement de nouvelles représentations opératoires, i.e. celles qui « fonctionnent », qui sont viables dans leur nouveau contexte de travail. Nous avons été attentifs aux épisodes qui évoquaient ce qui a été interprété par les autres membres de leur écologie professionnelle comme étant des « faux-pas », ceux-ci permettant de comprendre comment ils se sont ajustés. L’analyse conduit ainsi à présenter le processus de reconstruction de leur savoir enseigner sous l’angle du développement de trois principales représentations plus opératoires.

RÉSULTATS : LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVELLES REPRÉSENTATIONS OPÉRATOIRES

Comme nous l’avons déjà montré (Morrissette et coll., 2018), c’est souvent la confrontation à des logiques d’action qui échappent aux EFE, à des incertitudes quant aux manières de faire admises ou encore aux conséquences des « faux-pas » qu’ils commettent, qui initient des processus de redéfinition des situations professionnelles et éventuellement de transformation de leur agir pour mieux se mouvoir dans leur nouvel univers. Si, sur certains plans, il y a une relative continuité (par exemple, la maitrise des savoirs disciplinaires, sur d’autres), les ruptures sont fortes, et celles-ci deviennent le moteur de la transformation de leur savoir enseigner. Nous appréhendons ces transformations sous l’angle du développement de nouvelles représentations opératoires à l’égard de l’éducation, des rapports au sein de la communauté éducative et de la profession enseignante.

de l’éducation

Nous entendons par représentations opératoires de l’éducation des manières de faire qui témoignent d’une vision de l’éducabilité, d’un modèle d’interdépendance entre les élèves et les enseignants, des pratiques pédagogiques valorisées, etc., viables en contexte. Sur ce plan, les dépaysements sont puissants pour les EFE interviewées. Elles proviennent de pays où l’enseignement frontal est la norme; elles ont appris à se concevoir comme étant des expertes dépositaires d’un savoir à transmettre aux élèves. Le sarrau blanc qu’elles portaient accentuant cette symbolique. Une prestation typique dans ce contexte : les élèves s’assoient à leur pupitre, ouvrent leur livre à la page indiquée, écoutent et prennent des notes; l’enseignant explicite les notions, et les interactions avec les élèves sont très limitées. Le rapport de places vertical est incontesté. Les EFE précisent que cette dynamique est entre autres la résultante de la composition des groupes : généralement, ils enseignent à des élèves performants, ceux qui le sont moins étant écartés rapidement de l’école régulière (EG1 868-870). La narration de leurs premières expériences de socialisation, à titre d’élèves et d’enseignantes, met en relief qu’elles ont intégré cette logique sélective, caractéristique d’un système méritocratique.

Au Québec, elles font face à des classes diversifiées sur le plan ethnoculturel et des performances scolaires, car des élèves de différents calibres composent une classe, certains ayant même cumulé un ou deux ans de retard. En outre, certains présentent des problématiques de tous ordres (par exemple, autisme, déficit d’attention, etc.) qui posent des défis de différenciation pédagogique pour l’ensemble des enseignants. Pour rendre compte de l’importance du changement vécu, Rebiha parle de la nécessité (nouvelle) d’adapter son enseignement à clientèle « handicapée » (EG2 1119) et de proposer des périodes de récupération, ce qu’elle vit comme une modification au sens qu’elle accordait jusque-là au métier :

Ils sont comme obligés d'être là, il n'y a pas d'échec, ils passent [au niveau d’étude suivant]; on leur offre des cours de soutien … c'est plus de l'adaptation qu'on fait avec eux … on a cette catégorie d'élèves qui est maintenue à l'école [régulière]; donc, le système en lui-même qui est différent, il n'y a pas d'échec, ils sont tous là. (EG1 RE 993-1000)

Au Québec, un ensemble de mesures est pris pour éviter l’échec scolaire, comme l’intervention d’autres professionnels (par exemple, des orthopédagogues et éducateurs spécialisés). Ainsi, les classes des écoles secondaires sont composées d’élèves ayant des cheminements scolaires très différents et n’ayant pas toujours les acquis pour suivre les programmes. C’est notamment en fréquentant ces autres professionnels, centrés sur les difficultés individuelles des élèves, que les EFE sont sensibilisées à l’importance accordée à la différenciation pédagogique dans leur nouveau milieu de travail, et qu’elles apprennent à planifier des activités adaptées pour ceux qui n’accèdent pas à la réussite en suivant la planification pour le groupe. À leur contact, elles en viennent à problématiser les difficultés des élèves et à en parler de manière sensible aux parents.

Mais cet autre rapport aux représentations de l’éducation serait développé surtout au cœur des situations de confrontation, au début quotidiennes avec les élèves. Lorsqu’elles donnent leurs premières leçons, elles sont surprises que des élèves manifestent leurs incompréhensions, interrompant les explications en cours, notamment parce qu’elles emploient un vocabulaire disciplinaire différent. Elles s’étonnent de devoir tenir compte de ce qu’ils ne comprennent pas pour adapter la leçon au fur et à mesure, en expliquant autrement, en exemplifiant :

Il faut toujours ne pas aller vite et avoir de petits arrêts dans une notion ou dans une phrase qu'on a dite, puis demander aux élèves s'ils l'ont comprise; ou utiliser une autre reformulation automatique et là ils vont dire « ah je comprends mieux »; donc c'est cette approche qu'il faut prendre. (EG4 RE 149- 155)

Leurs premières corrections d’examens portent la marque d’un jugement considéré comme trop sévère par les élèves qui protestent vivement et en avertissent leurs parents. Ayant généralement eu peu à composer avec ces derniers dans leur pays d’origine (« les parents n'ont rien à faire ou à dire dans le milieu scolaire », EG5 308-309), les EFE se disent très étonnées par leur suivi souvent serré du parcours de leur enfant à l’école. Elles prennent donc conscience que savoir faire la classe au Québec, c’est aussi savoir négocier avec les attentes des parents, en particulier autour de la question sensible du jugement posé sur les apprentissages. D’autant que lorsqu’elles attribuent de basses notes à un élève ou en mettent un en échec, les parents protestent et alertent même parfois leurs pairs ou la direction. Étant confrontées à ce nouveau rapport de pouvoir avec les parents, qui plus est dans le contexte où elles sont en probation, les EFE ajustent leur système de notation, notamment en comparant les notes qu’elles attribuent à celles de pairs, diminuant de façon significative le nombre d’échecs. Toujours concernant l’évaluation, une autre représentation opératoire qui constitue la norme dans l’école québécoise, mais qui est en forte rupture avec leurs habitudes, est cette idée de valoriser un ensemble de critères pour établir un jugement sur la réalisation d’un élève. Pour Naïma qui enseigne le français, une dissertation faible au plan de l’orthographe grammaticale et lexicale est rejetée d’emblée. Les éléments de compréhension apportés par un conseiller pédagogique qui lui propose d’employer des grilles de correction pour corriger les copies ne la convainquent pas; elle considère que les notes des élèves sont gonflées artificiellement.

En français, « est-ce qu'il a compris ce qu’on lui demande de faire » est le premier critère et ça compte pour 40 % ... ; la grille d’évaluation favorise la réussite de l'élève; on essaie beaucoup de l'aider, alors que moi, dans ma tête, même s’il a bien compris, mais que lorsque je lis, c'est plein de fautes d'orthographe et que la syntaxe est déformée, ça ne fait pas de sens; c'est un échec; alors que selon les grilles [qui considèrent plusieurs critières], ça peut donner 65 % à 70 %. (EG4 NA 946-973)

Ses collègues lui conseillent fortement de prendre en compte les autres critères pour éviter des problèmes avec les élèves et leurs parents. Elle s’ajuste donc en valorisant par exemple la pertinence du propos par rapport à l’intention de communication. Ainsi, comme à l’instar des trois autres EFE, les sanctions encourues par les plaintes des élèves et de leurs parents, de même que la comparaison avec la manière dont ses pairs posent des jugements sur les apprentissages, la conduisent à réviser ses représentations de la correction et de l’erreur.

Devoir revoir ce à quoi elles accordent de la valeur change progressivement leur manière de considérer les élèves et l’apprentissage. Elles cherchent à les rendre plus actifs dans la construction de leurs savoirs en leur proposant des activités qui nécessitent de trouver par eux-mêmes une réponse aux défis posés, et s’ouvrent aux manières différentes que les élèves peuvent avoir de démontrer leurs compétences. Ayant besoin de modèles pour savoir comment s’y prendre, elles observent discrètement leurs pairs par la fenêtre de leur classe ou cherchent des ressources pédagogiques variées (manuels scolaires, plans de leçons trouvés sur Internet, etc.), en phase avec cette conception plus active et personnalisée de l’élève. Leurs premières tentatives sont un peu maladroites. Par exemple, Rebiha raconte avoir proposé à deux élèves des notes de cours, toutes prêtes, pour préparer leur présentation devant les autres élèves. À son grand étonnement, ils ont plutôt cherché d’autres sources pour préparer leur présentation et ont organisé eux-mêmes l’information : « durant toute la période, ce sont les deux élèves qui ont tout assuré par un petit PowerPoint … ça marchait très bien; et là à la fin, je vous assure que j'ai retrouvé le sourire » (EG2 RE 1265-1269). Cette situation lui apprend à planifier des activités qui leur donnent réellement un rôle actif, un apprentissage renforcé par des effets bénéfiques nouveaux : les élèves sont engagés dans les tâches proposées et atteignent les objectifs visés.

des rapports au sein de la communauté éducative

Dans les établissements où les EFE enseignaient, l’ensemble des rapports portaient des marques de déférence et de respect, en particulier entre les enseignants et la direction : les contacts peu fréquents avec elles manifestaient leur compétence à faire la classe de manière autonome. Au Québec, elles sont estomaquées de voir que leurs pairs enseignants les tutoient, qu’ils échangent des familiarités, et qu’elles sont très présentes dans les corridors et dans la salle du personnel. Les EFE n’arrivent pas à s’y faire, comme le rapporte Faïza : « je craignais un peu ma directrice-adjointe … c’est la hiérarchie pour nous; je ne me permets pas de l’appeler par son prénom; je ne peux me permettre de frapper à son bureau et de rentrer; je vois ici les collègues, ils sont décontractés avec elle ... mais moi je ne peux pas » (EG5 1339-1350). Elles disent que même après quelques années dans l’école québécoise, elles sont encore incapables de s’engager dans un rapport plus horizontal avec leurs hiérarchies.

Elles constatent également que leurs représentations à l’égard des relations de collégialité entre pairs enseignants ne sont pas fonctionnelles. Dans leur pays d’origine, elles avaient la reconnaissance des pairs si elles étaient solides sur le plan savoir disciplinaire. Dans leur nouvelle écologie professionnelle, leurs diplômes et leurs expériences antérieures ne semblent pas compter; elles se retrouvent isolées, voire ignorées. Et comme elles sont débordées au début, elles travaillent dans leur classe à l’heure du lunch et déclinent les invitations à participer à des activités à caractère social, ce qui accroît leur situation d’isolement. Or, comme l’expriment Naïma et Rebiha, c’est justement en commençant à s’investir dans des activités de type 5 à 7 ou en participant à des fêtes (par exemple, Noël) et à des activités de financement (par exemple, des ventes de chocolat), qu’elles commencent à exister pour les pairs.

Quant aux parents et aux élèves, qui sont en bas de l’échelle verticale des rapports sociaux dans leur pays d’origine, les EFE avaient l’habitude d’avoir leur respect sans conditions. Puisque l’enseignant était vu comme une figure d’autorité absolue, elles devaient en retour être des modèles irréprochables, d’où une sorte de rigidité au travail, manifeste même dans l’expression de leur visage, imperturbable et sérieux.

AN Mais en même temps, « je suis l'enseignante, vous êtes les élèves! » ...

RE Une sorte de respect, de formalité.

AN Une sorte de distance. (EG1 561-572)

Adoptant cette distance lorsqu’elles commencent à enseigner au Québec, elles se le font même reprocher par la direction :

NA Quand le directeur est venu m'évaluer pour la première fois avec les [élèves du] secondaire II … , il m'a dit « lorsque tu es avec tes élèves tu es comme ça : écrivez! faites ceci, faites cela! »

Q Tu es trop sérieuse?

NA Oui; « tu souris juste le strict minimum »; je souris, ce n'est pas que je ne souris pas, mais pas trop de familiarités. (EG1 575-583)

Elles sont donc décontenancées par le caractère décontracté de l’approche des élèves envers elles : « l'élève vient, il vous prend dans ses bras, il blague avec vous, fait des photos avec vous, etc. » (EG1 570-572); elles les trouvent même intrusifs, car ils leur posent des questions sur leur vie personnelle : « es-tu mariée? » (EG1 574). Résistant au départ à ces familiarités, elles font face à la désorganisation de leur classe, au point où elles ne réussissent pas à transmettre les notions lors des premières semaines. Lorsqu’elles montent le ton ou adoptent une attitude encore plus autoritaire pour obliger les élèves à obéir, la situation s’aggrave. Elles essaient aussi la menace des examens pour obtenir les conduites souhaitées, un moyen habituel de s’en assurer : « En Algérie, … l'évaluation y est comme une sanction, i.e. que c’était pour moi un moyen d'établir la discipline dans ma classe et ça fonctionnait … je tenais vraiment l'évaluation comme un moyen pour avoir la discipline, et ça marchait » (EG4 NA 174-182).

Cette menace ne rencontre pas le succès escompté; a contrario, elle débouche sur des conséquences qui menacent la stabilité de leur travail. Ainsi, lorsque leurs élèves ne se sentent pas pris en considération comme ils le souhaitent, lorsque leur enseignant se montre trop sévère et veut les discipliner par la menace, ils alertent souvent leurs parents qui interpellent parfois la direction d’établissement. C’est d’ailleurs ce que le parent d’élève participant au dernier entretien a expliqué en évoquant sa propre expérience : « j’ai cogné à la porte du directeur « il va falloir qu’on se parle, parce que là, ça ne va pas! » … il a décidé de nous rencontrer mon mari et moi, avec l’enseignante … le directeur a dit … que l’enseignante devait avoir une approche un peu plus maternelle (EG5 828-889).

La direction d’établissement présente lors de ce dernier entretien confie que l’enjeu durant cette rencontre tripartite est souvent de faire comprendre aux EFE, mais aussi aux novices formés aux Québec, qu’ils ne peuvent faire la classe sans développer au préalable une bonne relation avec les élèves. Il s’agirait là d’un impératif, de la norme par excellence, partagée même jusque dans la sphère administrative des commissions scolaires, traduite dans le plan stratégique sous la forme d’une orientation (EG5 DI 1660-1680). Pour aider à cette prise de conscience et à sa traduction concrète en classe, elle dit recourir souvent aux conseillers pédagogiques. L’un des deux ayant participé au 4e entretien évoque d’ailleurs qu’il lui arrive souvent d’accompagner des EFE non pas au plan disciplinaire, en cohérence avec son mandat officiel, mais plutôt en ce qui a trait à la relation avec les élèves : « On sentait que le courant ne passait pas entre l'enseignant et ses élèves; le malaise s'installe » (EG4 87-89).

Ainsi, globalement, sur le plan des représentations, comme le dit Faïza dans une formule très éloquente en référence à sa première année d’exercice au Québec : « mon rapport horizontal s'est développé et mon rapport vertical s'est effondré! » (EG2 1032-1033).

de la profession enseignante

Les points de comparaison établis par les EFE avec leurs expériences antérieures les ont conduites à développer de nouvelles représentations opératoires de la profession. Dans le système qu’elles ont jadis connu, elles menaient toutes une carrière verticale (promotions) et visible en termes de réputation, cumulant du capital symbolique (Bourdieu, 1980) lorsque certains de leurs élèves se démarquaient aux concours nationaux en particulier. Il semble que les retombées concrètes se situaient sur deux plans : elles pouvaient accéder à un poste d’enseignant dans les classes de terminale qui sont recherchées car composées d’élèves performants, mais surtout, lorsqu’elles arrivaient à se construire une bonne réputation, elles devenaient populaires auprès des parents désireux que leur enfant se démarque à l’école. Elles étaient alors embauchées à titre privé par ces derniers, ce qui leur permettait d’obtenir un revenu supplémentaire appréciable et par le fait même, engendrait un rapport économique au métier.

AN Dans mon pays, en formant des élites, un enseignant est sollicité pour des cours particuliers après l'école ... donc l'enseignant qui a ce statut-là bénéficie d'une source financière supplémentaire.

FA Il faut que cet enseignant-là travaille à valoriser son image ... le but essentiel, c'était les cours particuliers ... il y avait beaucoup de parents qui critiquaient également certains enseignants parce … qu'ils donnaient des évaluations qui étaient complexes, mais leurs explications n'étaient pas fameuses; et là il y a de petites corruptions qui ont commencé à apparaitre. (EG4 693-733)

Ce que Faïza exprime ici, c’est que les enseignants dans son pays se gardent souvent de donner toutes les explications nécessaires à la réussite des examens, afin que les parents les embauchent pour des cours privés, d’où l’idée de corruption que nous interprétons comme un conflit d’intérêt.

L’entrée à l’école québécoise est un choc pour les EFE : la carrière y est horizontale, les diplômes ou la réputation ne donnant pas accès à des avantages de ce point de vue (ni même salariaux). Également, elles disent avoir l’impression d’évoluer dans un système qui les rend anonymes : lorsque leurs élèves ont de bons résultats, ceux-ci sont subsumés dans ceux de l’école, et le mérite en est attribué à la direction qui s’en sert pour promouvoir la qualité de son établissement dans le contexte de compétition du marché scolaire.

NA Ici ce sont les enseignants qui travaillent, mais lorsqu'il y a un taux de réussite élevé, c'est grâce à monsieur le directeur! ... Ce sont les enseignants qui exécutent les projets éducatifs des directeurs au sein d'une école, ce sont eux qui font le gros du travail, mais lorsqu'on parle de réussite et tout ça, on nomme plus la direction de l'école.

AN Dans mon pays, en octobre, il y a toujours la journée de l'enseignant; on a une nomination spéciale pour la meilleure enseignante de l'année; il y a toujours des prix en argent ou en nature. (EG4 1097-1119)

Au Québec, même si les enseignants peuvent avoir bonne réputation au sein d’une école, leur performance ne les aide pas à progresser dans la carrière. Selon la direction d’établissement présente lors du 5e entretien, la satisfaction du métier, vu comme une vocation, doit surtout être tirée de la qualité des relations établies avec les élèves et leurs parents.

Toujours sur le plan des représentations à l’égard de la profession, le statut respecté des enseignants dans leur pays d’origine faisait en sorte qu’il y avait peu de preuves écrites à consigner pour les décisions prises, notamment relatives aux performances des élèves : les notes n’étaient quasiment jamais contestées. Au Québec, pour différentes raisons dont la distribution du pouvoir, les EFE ont à développer un rapport scriptural et de preuves à la profession. De fait, divers acteurs (secrétaire, direction, orthopédagogue, etc.) leur rappellent constamment l’importance de consigner par écrit toute intervention auprès d’un élève, surtout ceux en difficulté. Les EFE en deviennent convaincues lorsque les parents et même les élèves demandent des comptes, des justifications. Elles cumulent donc, comme leurs collègues, les preuves qui étayent leur jugement pour limiter les possibilités de contestation, en particulier lors de la remise des bulletins scolaires ou lors des décisions prises concernant le passage ou non d’un élève vers le niveau suivant. Elles prennent beaucoup de notes et les déposent dans les dossiers individualisés des élèves, ce qu’elles n’ont jamais fait auparavant.

Cette observation va de pair avec une autre : le système qu’elles ont jadis connu les (con)sacre comme des expertes au terme de leur formation initiale, nous apprennent-elles. Après leur formation initiale, il n’y avait pas d’attentes de développement professionnel continu. Depuis qu’elles travaillent au Québec, les EFE sont constamment confrontées à de nombreuses offres de formation, à l’obligation d’en suivre certaines, à des rencontres d’équipes-cycles animées par les conseillers pédagogiques pour questionner et uniformiser les pratiques, etc. N’ayant jamais eu à réfléchir de manière critique à leur agir professionnel, elles disent avoir beaucoup de difficulté à répondre aux attentes inhérentes à la supervision pédagogique dont est responsable l’équipe de direction; elles peinent à définir un plan d’actions pour s’améliorer, n’ayant pas de repères pour le faire, et à cette difficulté s’ajoutent la crainte d’être jugées incompétentes, d’être même sanctionnées.

FA J’avais de petits cas … mais je ne savais pas quoi faire; j’avais peur de me diriger vers la direction; je me dis « qu’est-ce qu’il va penser de moi? » … même si la directrice-adjointe me croisait « alors comment ça va? »; automatiquement je dis « tout va bien » … c’est comme cela que ça fonctionnait dans ma tête; ça a changé un tout petit peu, mais jusqu’ici, j’ai encore cette réticence-là. (EG5 593-603)

L’exigence de professionnalisation au Québec vient avec la reconnaissance d’une plus grande autonomie que ce que les EFE ont vécu dans leur pays d’origine. Au début de leur processus d’intégration, celle-ci est vécue difficilement car les pairs, entre autres, semblent les laisser se débrouiller seules, alors qu’en perte importante de repères, elles cherchent des consignes précises, des procédures à appliquer, et ce, sans les trouver sous leur aspect formel : « j'attends toujours des informations, qu'on me donne des directives; c'est comme ça chez nous » (EG2 RE 508-511). Rebiha évoque ici une conception relativement applicationniste au métier qui est valorisée dans leur société d’origine : les exigences envers les enseignants étant centrées sur l’obéissance aux règles institutionnelles, aux normes officielles des programmes d’enseignement, aux hiérarchies, et aux livres théoriques de référence pour la présentation des leçons. Leurs nouveaux collègues ne pensent pas à leur dire quelles sont les ressources à leur disposition (par exemple, le budget de classe), et les EFE n’osent pas exprimer leurs besoins à cet égard. Ainsi, l’une des EFE explique avoir payé pendant une année durant les photocopies destinées à ses élèves. En fait, c’est auprès du concierge et de la secrétaire de l’école qu’elles disent avoir découvert la plupart des ressources accessibles, de même que les clés des procédures organisationnelles et administratives nécessaires à la compréhension du fonctionnement quotidien. Par exemple, c’est souvent auprès du concierge qu’ils apprennent qu’ils ont de la surveillance d’élèves à faire en dehors de la classe, une activité dévolue aux adjoints d’enseignement dans leur pays d’origine. Se faire apprécier de ces acteurs, qui leur apparaissent moins menaçants pour leur image de compétence, constitue même une stratégie qui se diffuse lors des activités prévues dans le cadre du programme d’insertion à la commission scolaire.

RE Ce qui m'a le plus aidée, c'était la secrétaire; [lors de l’activité du programme d’insertion professionnelle en début d’année scolaire] on m'a donné la ficelle « si tu t'entends avec la secrétaire... »; c'était vrai!

Q. Qui vous a dit cela?

RE Tout le monde, même à la commission scolaire on le disait.

AN La secrétaire et le concierge d'habitude.

RE Oui.

AN Deux personnes qui sont vraiment importantes, plus que le directeur.

RE Si vous êtes aimé par ces deux personnes, si vous arrivez à sympathiser avec ces deux-là, tout fonctionnera bien. (EG1 763-772)

Les informations précieuses que les EFE obtiennent du concierge et de la secrétaire leur permet de développer graduellement l’autonomie attendue des enseignants dans leur nouveau contexte de travail.

DISCUSSION CONCLUSIVE : DES INTERACTIONS AU TRAVAIL QUI PERMETTENT D’ADOPTER LES CONVENTIONS LOCALES

L’originalité de notre contribution tient à l’aménagement d’un contexte d’enquête qui a permis de saisir, de manière processuelle, comment se transforment certaines des représentations des EFE pour qu’elles soient plus ajustées à leur nouvel environnement de travail. Ainsi, en plus des travaux documentant les conceptions héritées de leur pays d’origine qui se posent en obstacle lors de leur intégration dans un nouveau milieu de travail (par exemple, Duchesne, 2008), ou qui exposent la non adéquation entre leurs manières de voir les choses et les prescriptions ministérielles (par exemple, Provencher et coll., 2016), nous avons pu mettre en relief comment évoluent leurs représentations vers un savoir enseigner pertinent, i.e. viable dans leur nouvelle écologie professionnelle. Comme on l’a vu, tout type d’interaction devient un moteur de l’apprentissage de nouveaux référentiels professionnels. À son tour, cet apprentissage contribue à la régulation des représentations et donc des manières de faire des EFE, ce qui participe à un processus plus large de resocialisation dans les situations concrètes de travail (Demazière et coll., 2019). Dans cette optique, nous souhaitons revenir sur les personnes concernées en relation avec leur position institutionnelle ainsi que sur les conventions qu’elles contribuent à reproduire.

Ce qui étonne dans les résultats présentés, c’est le rôle différencié et inattendu joué par certains acteurs dans la socialisation des EFE. Alors qu’on aurait pu anticiper une part active des pairs enseignants dans cette intégration, nos travaux mettent en lumière le contraire, sauf en ce qui concerne des exigences quant à des activités à caractère social et récréatif, donc en marge de l’enseignement. Comment le comprendre? Il est loisible de penser que les EFE ne sont pas considérées par leurs pairs comme des novices, car elles ont une expertise reconnue procurée par une formation disciplinaire et des années de pratique pour la plupart. Il s’agit peut-être de la raison pour laquelle leurs pairs ne semblent pas entrer en interaction avec elles pour ce qui est de leurs manières d’enseigner, participant peu à l’ajustement des dimensions du métier qui se concrétisent en salle de classe. En ce sens, les pairs contribuent à reconduire cette convention implicite selon laquelle chacun fait ce qu’il veut une fois sa porte de classe fermée (Perrenoud, 2012). Mais leurs façons de contribuer à la socialisation des EFE sur d’autres plans permettent à celles-ci de redéfinir l’enseignement selon de nouvelles frontières : alors que dans leur pays d’origine, enseigner consiste globalement à donner cours alors qu’au Québec, enseigner implique un ensemble d’activités relationnelles hors classe, sans lien avec la formation initiale et l’expertise qu’elle sacralise. Cette partie du savoir enseigner ne s’acquière en conséquence qu’au cœur même des situations de travail.

Ce qui étonne également, c’est le rôle joué par des acteurs périphériques tels que la secrétaire et le concierge d’école dans l’intégration des EFE; ils les initient à tous ces petits détails du quotidien qui font que tout « roule rondement », que chaque acteur joue le rôle qui lui est dévolu dans un ensemble d’activités coordonnées qui permettent la production de l’enseignement (Becker, 1986). Le fait d’avoir délégué une partie du rôle de socialisation au métier à ces acteurs semble même reposer sur une convention élargie, puisque circule dans la sagesse populaire des écoles et même dans les sphères administratives des commissions scolaires qu’il faut savoir sympathiser avec eux pour une intégration réussie. Ce sont donc les interactions avec la secrétaire et le concierge qui amènent encore là les EFE à redéfinir le métier selon de nouvelles frontières : enseigner, en contexte québécois, signifie également assumer des responsabilités en dehors des heures de classe (surveillances, récupération, etc.) et mettre en œuvre un ensemble de procédures administratives pour documenter rigoureusement ses interventions auprès des élèves, ce qui participe à revoir son rôle en termes d’interventions différenciées. Ce sont pour les EFE de nouveaux repères à construire, à tout le moins pour les participantes à nos recherches qui ont un bagage socioprofessionnel similaire entre elles et très différent de celui des enseignants formés au Québec. À ce titre, l’approche interactionniste qui a guidé l’ensemble de ce travail aura permis d’élargir l’étendue de l’analyse en montrant, entre autres choses, que le travail identitaire des EFE à l’étude passe aussi par des stratégies relationnelles, réfléchies ou non, qui vont au-delà des contacts professionnels qu’elles entretiennent avec leurs pairs (Smit et coll., 2008).

Toujours au nombre des résultats d’enquêtes, pointons le rôle prépondérant joué par les profanes. Si les partenaires professionnels des EFE sont porteurs des conventions de la profession, par exemple les orthopédagogues qui participent à l’ajustement de leur savoir enseigner en relation avec le développement d’un enseignement plus différencié, il s’avère que ce sont les destinataires du service qui participent le plus activement aux régulations contribuant ainsi à leurs ajustements. De fait, les élèves et leurs parents sont les plus rapides dans l’action socialisante, particulièrement au travers des sanctions qu’ils mettent en œuvre lorsque les EFE enfreignent les conventions partagées implicites (Becker, 1982/2006). Du côté des élèves, les protestations sont telles que le travail en situation est carrément empêché; du côté des parents, les plaintes peuvent fragiliser l’image d’exemplarité professionnelle que les EFE veulent garder auprès de leurs hiérarchies, en particulier dans le contexte de leur période probatoire. Ainsi, ils n’ont d’autres choix que de s’aligner rapidement (i.e., d’adopter les conventions locales) puisque ces profanes ont un pouvoir important sur leur intégration dans les écoles montréalaises.

Enfin, reste à éclairer le rôle joué par les directions d’école dans cette écologie professionnelle. Elles positionnent tous les enseignants dans une logique de prise en charge de leur développement professionnel, nécessitant qu’ils ciblent des défis et se donnent des moyens de les relever. S’inscrire dans une telle démarche est très valorisé dans les écoles québécoises, notamment par les formes d’organisation qui encadrent la production de l’enseignement (Conseil supérieur de l’éducation, 2014). Mais les directions se heurtent aux rapports très verticaux que les EFE ont l’habitude d’entretenir avec leurs hiérarchies, à l’importance qu’ils accordent au fait de leur renvoyer une image professionnelle irréprochable. Elles tentent parfois de contourner cette situation problématique en interpelant un conseiller pédagogique pour une intervention ciblée. Cependant, cette action ne se révèle pas souvent féconde, dans l’optique d’aider les EFE à s’inscrire dans une démarche de réflexivité critique vis-à-vis leurs manières d’enseigner, soit une métacompétence constituant l’orientation dominante de la formation initiale (Correa Molina et coll., 2010). De fait, les conseillers pédagogiques, qui n’ont aucun pouvoir de sanction au Québec, sont associés par les EFE aux inspecteurs connus dans leur pays d’origine qui eux détenaient un pouvoir tel qu’ils pouvaient mettre fin à une carrière suite à une observation en classe. Puisqu’ils définissent la situation de cette manière, là encore, il leur paraît inconcevable d’avouer des difficultés pour recevoir de l’aide. Il s’agit peut-être là d’un savoir à construire entièrement pour plusieurs EFE et qui nécessite du temps et probablement une situation professionnelle plus stable (poste permanent), ce que nous n’avons pu documenter puisque les participantes étaient encore dans une période d’insertion professionnelle.

Ainsi, dans ce réseau d’influence mutuelle dans lequel elles s’intègrent, leur participation aux activités collectives et les sanctions dont elles font au départ l’expérience dans les écoles québécoises conduisent les EFE à reconsidérer le métier selon de nouvelles frontières et à adopter puis reproduire les conventions locales, afin que leur savoir enseigner soit plus ajusté au nouveau contexte. Bien sûr, l’étendue de ces nouvelles frontières et l’importance des ajustements qu’elles doivent faire pour agir de manière pertinente dans leur nouveau contexte de travail sont fonction du degré de proximité entre les conventions professionnelles dans leur pays d’origine et celles privilégiées au Québec. Nos participantes ont tous été socialisés dans des pays qui se démarquent de manière importante en termes de représentations opératoires dans le milieu de l’enseignement, ce qui ne serait peut-être pas le cas d’EFE en provenance de l’Amérique latine par exemple. Néanmoins, ce qui frappe par rapports aux résultats de notre étude et qui devrait être l’objet d’une réflexion à l’échelle du système scolaire, et plus largement de la société, c’est la forte pression à l’alignement. Dans une société qui se dit ouverte à l’autre, la possibilité de faire les choses autrement, de contribuer activement en important un bagage d’expériences construit ailleurs, semble bien mince.

Notes

  1. Nous ne distinguons pas métier et profession, par cohérence avec la tradition théorique dans laquelle nous inscrivons nos travaux.

  2. Données internes de la Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal.

  3. Communication personnelle avec la Direction de l’une des trois commissions scolaires situées sur l’Île de Montréal, décembre 2018.

  4. Propos rapportés par le journal Le Devoir du 8 février 2019. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/547311/quebec-annule-18000-dossiers-d-immigration

  5. Façon de référer aux participantes dans les extraits de verbatim présentés dans la section sur les résultats.

  6. Façon de référer aux entretiens de groupe dans les extraits de verbatim présentés dans la section sur les résultats de recherche. EG1 = 1er entretien de groupe; EG2 = 2e entretien de groupe; etc.

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