Développer l’agir compétent DE mentors : le cas d’enseignants œuvrant dans un programme d’insertion professionnelle en Ontario

Nathalie Gagnon Université du Québec à Rimouski

L’accompagnement des enseignants novices par leurs homologues plus expérimentés est aujourd’hui une pratique répandue dans les établissements scolaires d’un peu partout dans le monde. Car si l’entrée dans la profession représente une période des plus stimulantes pour plusieurs nouveaux enseignants, certains d’entre eux se butent à un nombre important de défis (Duchesne et Kane, 2010a; Ingersoll et Strong, 2011). Ainsi, devant la lourdeur des tâches pédagogiques, la diversification des publics scolaires, les attentes élevées envers la profession enseignante et la précarité d’emploi, plusieurs de ces enseignants quitteront la profession dans leurs premières années d’exercice. En Europe, par exemple, les Pays-Bas, la Suisse et le Royaume-Uni font face à des taux d’abandon professionnel allant de 25 à 40 % dans les premiers cinq ans (Müller Kucera et Stauffer, 2003; Stoel et Thant, 2002). Le portrait n’est pas plus réjouissant en Amérique du Nord où l’on constate des taux d’attrition de 40 à 50 % aux États-Unis (Allensworth, Ponisciak et Mazzeo, 2009; Ingersoll et Strong, 2011). Au Canada, l’éducation étant un dossier relevant du provincial et les contextes scolaires variant d’une province à l’autre, il est difficile d’établir un taux moyen d’abandon chez les enseignants. Les études effectuées permettent cependant de constater que les taux de décrochage de la profession oscillent entre 10 et 40 % selon les provinces (Fédération des enseignants de l’Ontario, 2009; Karsenti, Collin et Dumouchel, 2013; Schaefer, Long et Clandinin, 2012). Les enseignants novices qui choisissent de demeurer dans la profession, quant à eux, seraient particulièrement à risque de vivre des difficultés psychologiques, notamment des niveaux de stress élevés et de l’épuisement professionnel (Kirsh, 2006; Liu et Onwuegbuzie, 2012).

Le Programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant (PIPNPE) de l’Ontario

Sachant que la qualité des premières expériences professionnelles a une influence cruciale sur la décision des nouveaux enseignants de quitter ou non la profession (OCDE, 2005) et que les difficultés vécues lors des premières années peuvent avoir des conséquences néfastes sur la qualité de l’enseignement prodigué et le rendement des élèves (Dolton et Newson, 2003; Ronfeldt, Lankford, Loeb et Wyckoff, 2011), de nombreux établissements scolaires se sont dotés de programmes comportant une variété de stratégies de soutien à l’insertion professionnelle. C’est le cas de l’Ontario qui, en juin 2006, mettait en place une série de mesures afin de favoriser un haut niveau de réussite chez les élèves. Reconnaissant que l’amélioration de la réussite scolaire des élèves est tributaire entre autres du soutien et de la reconnaissance du travail accompli par les enseignants, c’est dans ce contexte qu’est né le Programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant (PIPNPE) du ministère de l’Éducation de l’Ontario (MÉO, 2010). Ainsi, tous les enseignants embauchés une première fois par un conseil scolaire pour un poste à temps plein ou à temps partiel ainsi que les enseignants effectuant une suppléance d’une durée minimale de 97 jours consécutifs se voient offrir le programme comprenant trois stratégies de soutien à l’insertion : des séances d’orientation en début d’année scolaire, des occasions de perfectionnement professionnel adapté aux besoins du nouveau personnel et, finalement, son volet principal, du mentorat prodigué par un enseignant chevronné pour une durée d’un an ou deux.

Le mentorat : une stratégie privilégiée pour l’insertion professionnelle des enseignants

Le mentorat est défini par Cuerrier (2003) comme étant une relation interpersonnelle de soutien, d’échanges et d’apprentissage dans laquelle une personne d’expérience, le mentor, offre son expertise à une autre personne, le mentoré, dans le but de favoriser son développement professionnel. De toutes les stratégies d’aide destinées aux nouveaux enseignants, l’accompagnement des novices par un enseignant chevronné est la plus répandue (Arends et Rigazio-DiGillio, 2000). En effet, le mentorat constitue, comme c’est le cas pour le PIPNPE, le volet principal d’une majorité de programmes d’insertion professionnelle en Amérique du Nord, en Europe et en Asie (Neacşu, 2013; Ingersoll et Strong, 2011). C’est aussi, selon plusieurs auteurs, la stratégie ayant le plus de bénéfices pour les nouveaux enseignants (Feiman-Nemser, 2003; Kane, Jones, Rottman et Pema, 2013). Fort de plus de vingt ans de recherche, le mentorat en milieu scolaire a fait l’objet d’un nombre imposant d’écrits, ce qui fait qu’on en comprend aujourd’hui relativement bien les bénéfices chez les enseignants débutants, notamment sur le plan de leur développement des compétences professionnelles, de leur construction identitaire, ainsi que de leur adaptation sociale et leur intégration au nouveau milieu de travail (Gagnon, 2017).

La compétence des mentors : un facteur de réussite important du mentorat

Effectuée durant l’année scolaire 2011-2012, une évaluation s’intéressant aux impacts du PIPNPE et de son volet mentorat sur les nouveaux enseignants est arrivée à des conclusions globales plutôt réjouissantes (Kane, Jones, Rottmann et Pema, 2013). En effet, les expériences vécues par les nouveaux enseignants dans le cadre du PIPNPE ont été généralement positive : en plus de les rendre encore plus satisfaits de leur choix de carrière et de les amener à se sentir véritablement accueillis et appréciés dans le milieu scolaire, la participation au PIPNPE a aidé les nouveaux enseignants à gagner en confiance dans leurs fonctions. Ces retombées positives ont eu des répercussions positives sur leur rendement en tant qu’enseignants et sur leurs relations avec les élèves, favorisant du même coup la réussite de ces derniers. Or, si l’évaluation du PIPNPE a révélé plusieurs bénéfices, certaines lacunes ont aussi été constatées, notamment sur le plan de la formation des enseignants-mentors. En effet, moins des deux tiers des 762 mentors participant à l’étude avaient reçu une formation à propos de leur fonction auprès du nouvel enseignant et plusieurs disaient ne pas avoir eu l’impression de saisir clairement leur rôle ainsi que leurs responsabilités à titre de mentors. Or, pour qu’il soit pleinement bénéfique, la qualité de l’accompagnement prodigué par le mentor doit nécessairement être au rendez-vous. En effet, le manque de qualifications chez les enseignants-mentors, notamment la capacité d’identifier avec justesse les besoins du mentoré, de lui proposer des stratégies adaptées et d’encourager le développement de sa réflexivité, sont des facteurs susceptibles d’entraver l’efficacité du mentorat et d’en diminuer considérablement les bénéfices (Fantilli et McDougal, 2009). Or, comme c’est le cas dans le PIPNPE, les enseignants agissant à titre de mentors ne possèdent que très rarement de formation pour accompagner les apprenants adultes; ils se sont vu offrir cette nouvelle fonction au sein de l’école étant donné leurs compétences professionnelles au plan de l’enseignement, non pas pour leurs habiletés relatives au domaine de la communication et de l’accompagnement (Kajs, 2002). À la lumière de ces constats, plusieurs membres de la communauté scientifique en sont arrivés à la conclusion qu’il est nécessaire que les mentors reçoivent de la formation et une certaine forme de soutien professionnel afin d’accroître leur compétence (Duchesne et Kane, 2010b; Stanulis, Brondyk Little et Wibbens, 2014).

L’étude de l’expérience des mentors pour comprendre le développement de la compétence à l’accompagnement

Durant les dernières décennies, plusieurs chercheurs se sont intéressés au développement de la compétence des enseignants-mentors. Force est de constater, cependant, que les études menées jusqu’à ce jour se centrent presque exclusivement sur les aspects plutôt administratifs ou techniques de leur rôle comme les questions qui concernent sa sélection, ses fonctions ainsi que la description des savoirs, savoir-faire et savoir-être qu’ils doivent développer afin d’accompagner adéquatement les mentorés (Athanases et al., 2008; Feiman-Nemser, 2001; Houde, 2011; Lindgren, 2005; Rippon et Martin, 2006). Si ces études ont permis d’identifier plusieurs éléments importants à considérer dans la sélection des mentors ou dans l’élaboration de formations qui leur sont destinées, elles ne permettent cependant pas de cerner avec profondeur la nature de l’expérience vécue par ces enseignants devant accompagner des collègues débutants et, conséquemment, de comprendre l’influence de cette expérience sur le développement de leur compétence. Pourtant, lexpérience et la compétence sont des concepts intimement liés. En effet, la compétence chez un individu ne pourrait être étudiée sans porter d’abord une attention particulière à ce qui caractérise son expérience de la situation, c’est-à-dire la façon dont il la vit sur les plans cognitif, émotionnel et motivationnel, ainsi que la manière dont il agit et réagit dans cette situation (Mayen, 2009). En somme, c’est l’expérience qui, selon sa nature, favorisera ou non le développement de la compétence. C’est donc en s’appuyant sur ces prémisses que la présente recherche, pour mieux comprendre le développement de la compétence à l’accompagnement des enseignants-mentors, s’est d’abord intéressée à leur expérience d’accompagnement. La recherche visait donc, dans un premier temps, à dresser un portrait détaillé de l’expérience d’accompagnement vécue par des enseignants-mentors accompagnant des enseignants débutants dans le cadre du PIPNPE. Dans un deuxième temps, elle avait pour objectif d’analyser et d’interpréter cette expérience à la lumière d’une conception particulière de la compétence, celle de l’agir compétent de Le Boterf (2013), afin d’identifier les freins et les leviers du développement de la compétence des mentors et, par conséquent, proposer des recommandations visant l’amélioration des pratiques d’accompagnement mentoral. Les raisons motivant le choix du concept de Le Boterf pour l’interprétation de l’expérience des mentors seront explicitées dans le cadre conceptuel.

CADRE CONCEPTUEL

L’expérience : un concept multidimensionnel continu, à la fois subjectif et objectif

Pour Dewey (1938), l’expérience ne se limite pas à la conservation en mémoire des événements ou des situations vécus antérieurement ou au bagage latent qu’un individu porterait en lui; il s’agit plutôt d’un processus vivant et continu, d’une interaction entre le sujet de l’expérience et son environnement. En ce sens, elle présente une multitude de facettes et ne pourrait être réduite à une dimension unique. Dans un premier temps, l’expérience est profondément liée à l’action(la partie active de l’expérience); il ne pourrait, en effet, y avoir d’expérience sans qu’il y ait d’abord une activité – un flux de pensées ou d’actions – entreprise par l’individu. Cependant, si cette activité est partie prenante de l’expérience, elle ne s’y limite pas; ce serait la réduire à sa partie active et négliger les effets d’apprentissage et de développement qui peuvent en découler (la partie passive de l’expérience). L’expérience est donc aussi « à la fois cognitive, émotionnelle, engagée par la personne et incarnée (faite de sensations et de comportements), le tout dans le même temps » (Zeitler et Barbier, 2012, p. 110). En outre, l’expérience est plus que le simple fait d’avoir vécu, pensé et agi au sein de la réalité objective; elle est aussi un système organisé mis en place par l’individu et qui regroupe ses façons de se représenter le monde, ses manières de raisonner et d’agir. L’expérience est donc un produit de cette interaction entre les particularités de l’environnement (réalité objective) et les états subjectifs de la personne qui y évolue (réalité subjective). C’est donc en s’appuyant sur cette conception de l’expérience que s’est opérationnalisée la recherche : des sous-questions de recherche ­– explicitées à la section Méthodologie du présente article – ont ainsi été formulées de façon à pouvoir dresser un portrait détaillé de l’expérience d’accompagnement des enseignants-mentors sous ces multiples facettes.

L’agir compétent : une conception de la compétence prenant en compte la complexité de l’expérience

Dans le but d’examiner la compétence des enseignants-mentors à partir de leur expérience, la recherche avait comme premier objectif de décrire, de façon approfondie et détaillée, l’expérience des enseignants-mentors en tenant compte de ses dimensions profondément complexes et dynamiques. Or, l’utilisation du concept traditionnel de « compétence professionnelle », comprise en matière de simple addition de savoirs distincts de différentes natures, ne permettait pas de répondre à cette complexité. Une perspective de la compétence abordée en termes de processus de relation au réel était davantage appropriée. C’est ici que le recours au concept de l’agir compétent de Le Boterf (2013) prend tout son sens.

Selon l’auteur, une personne compétente ne se reconnaît pas au fait qu’elle possède des compétences, mais parce qu’elle sait agir de façon pertinente, responsable et efficace dans les diverses situations qu’elle rencontre. Il propose ainsi d’envisager la compétence comme étant un processus dynamique de construction, cette conception permettant de mieux comprendre le mécanisme qui donnera lieu à l’agir compétent. Cet agir compétent, c’est donc la mise en œuvre par une personne, dans un contexte déterminé, d’un ensemble diversifié mais coordonné de ressources en vue du traitement réussi d’une situation. Plus précisément, Le Boterf (2013) affirme que la présence de trois éléments est nécessaire afin de donner lieu à l’agir compétent : le savoir-agir, qui suppose de savoir combiner et mobiliser ses ressources internes (ses connaissances, ses habiletés) et externes (les ressources du milieu); le vouloir-agir, qui se réfère à la motivation personnelle de l’individu et au contexte plus ou moins incitatif dans lequel il intervient; le pouvoir-agir, qui renvoie à l’existence d’un contexte, d’une organisation du travail et de conditions sociales qui rendent possibles et légitimes la prise de responsabilité et la prise de risques par l’individu. Ce sont ces trois pôles qui rendent possibles la construction de la compétence et son développement. Cette conception a pour avantage d’intégrer non seulement des composantes individuelles, leurs combinaisons entre elles et avec des ressources externes, mais également certaines dimensions personnelles du professionnel et le contexte dans lequel ce dernier évolue (Cachet, 2009). Ces raisons font de lui un concept tout indiqué pour interpréter et donner du sens aux données obtenues au sujet de l’expérience d’accompagnement des enseignants-mentors.

C’est donc par la mise en relation des résultats de la recherche concernant l’expérience d’accompagnement des mentors avec le modèle de l’agir compétent que cette recherche a permis de mieux comprendre les dynamiques derrière la construction de la compétence des enseignants-mentors. Il a donc été possible d’identifier un certain nombre de leviers, relatifs à leur savoir-agir, leur vouloir-agir et leur pouvoir-agir, à propos desquels des décisions peuvent être prises concernant la préparation, la formation, l’encadrement et les ressources à l’accompagnement des enseignants-mentors de même que le contexte dans lequel ils évoluent, pouvant ainsi maximiser le développement de leur compétence.

MÉTHODOLOGIE

La présente recherche se situe dans une dynamique interactive entre le chercheur et les participants et dans un contexte teinté de leurs représentations et de leurs expériences personnelles et, par conséquent, une posture interprétative a été adoptée (Savoie-Zajc, 2011). Comme approche méthodologique, l’étude de cas unique a été retenue puisqu’elle s’avère particulièrement adéquate pour éclairer les comment et les pourquoi d’un phénomène contemporain à l’intérieur de contextes de vie particuliers (Yin, 2009), le cas étant ici celui des enseignants-mentors de conseils scolaires francophones accompagnant des enseignants novices en insertion professionnelle dans le cadre du PIPNPE.

Les sources de données

Trois groupes de participants ont été invités à contribuer à la recherche : des enseignants-mentors et des mentorés, formant des dyades mentorales, ainsi que des conseillers pédagogiques ayant comme principal dossier le PIPNPE. Bien que les mentors constituaient le point de mire de cette étude, les nouveaux enseignants ainsi que les conseillers pédagogiques possédant une excellente connaissance du programme ont pu fournir un regard complémentaire sur différentes facettes du travail et du rôle des enseignants-mentors en plus d’offrir parfois une perspective plus globale sur le contexte dans lequel se déroulent ces expériences d’accompagnement. Finalement, une analyse des documents-cadres sur le PIPNPE publiés par le ministère de l’Éducation de l’Ontario, ainsi que des documents provenant de conseils scolaires concernant les fonctions, la formation ou tout autre aspect du travail des mentors a aussi été effectuée.

Le recrutement des participants

Bien que nous comptions procéder à un échantillonnage de type intentionnel (Creswell, 1998) par envoi d’invitations par courriel, des difficultés de recrutement ont plutôt mené à un échantillonnage réalisé grâce à la méthode boule de neige où la chercheuse, plutôt que de faire le recrutement par une voie formelle, s’est servie de ses contacts, amis et connaissances dans le milieu afin de lui faciliter l’accès à des participants potentiels (Cohen, Manion et Morrison, 2011). L’échantillon final se composait de onze dyades mentorales provenant de trois conseils scolaires (équivalent des commissions scolaires) francophones de l’Ontario ainsi que de deux conseillères pédagogiques associées au dossier du PIPNPE. Un seul critère fut exigé pour la sélection des participants : celui de constituer une dyade formellement inscrite au PIPNPE au moment de la collecte de données. Quant aux deux experts du PIPNPE, elles ont été sélectionnées pour leur connaissance approfondie du programme et leur travail d’accompagnement auprès des dyades mentorales.

Le profil des participants

Les échantillons de mentors et de mentorés comprenaient tous deux dix femmes et un homme, la majorité des dyades étant donc composées d’une femme mentor et d’une femme mentorée. Puisque l’intérêt principal de cet article concerne les enseignants-mentors, le profil de ces derniers est ici détaillé dans le Tableau 1.

TABLEAU 1. Profil des enseignants-mentors

En somme, au moment de la collecte de données, les mentors étaient âgés de 27 à 57 ans (= 40) et possédaient de 3 à 27 années (= 10) d’expérience en tant qu’enseignants. Six d’entre eux œuvraient au palier élémentaire (de la maternelle à la 6e année), six autres au secondaire (de la 7e à la 12e année) et un à la fois à l’élémentaire et au secondaire, agissant à titre d’enseignant-ressource pour l’ensemble des niveaux de son école. Parmi les onze enseignants-mentors, huit d’entre eux étaient alors enseignants réguliers en salle de classe et trois occupaient des fonctions de spécialistes; enseignant-ressource de la maternelle à la 12e année, enseignant-ressource en littératie de la 7e à la 12e année et enseignant associé au Programme axé sur la réussite de l’élève (PARÉ). Au moment des entrevues, neuf de ces enseignants agissaient comme mentors auprès d’un seul enseignant débutant alors que les deux autres en accompagnaient deux chacun. Pour cinq d’entre eux, il s’agissait de leur toute première expérience en tant que mentor alors que les six autres avaient accompagné de deux à dix (= 4) mentorés depuis l’apparition du PIPNPE.

Déroulement de la recherche

À l’exception d’une dyade rencontrée via Skype, tous les participants ont été rencontrés individuellement, à leur école d’affectation, pour un entretien de recherche semi-dirigé d’une durée de 60 à 90 minutes (Savoie-Zajc, 2011). Les questions de l’entretien de recherche permettaient de répondre aux quatre sous-questions de recherche suivantes :

Quelle est la nature de l’accompagnement mentoral prodigué par des enseignants-mentors aux enseignants novices à qui ils sont jumelés?

Quels sont les défis rencontrés et les bénéfices ressentis par les enseignants-mentors au cours de leur expérience d’accompagnement mentoral?

Quelles sont les sources du sentiment d’efficacité personnelle contribuant aux croyances d’efficacité des enseignants-mentors en tant qu’accompagnant?

Quels sont les besoins des enseignants-mentors en matière de préparation, de formation et d’encadrement à l’accompagnement mentoral?

En s’intéressant à la nature de l’accompagnement prodigué par les mentors, aux défis qu’ils ont rencontrés et aux bénéfices qu’ils ont ressentis lors de l’accompagnement, à leurs croyances d’efficacité en tant qu’accompagnant ainsi qu’à leurs besoins en termes de formation, d’encadrement et de ressources à l’accompagnement, les différentes questions ont été formulées spécifiquement pour acquérir une meilleure compréhension de l’expérience telle que décrite par Dewey (1938). Dans cette recherche, la complexité de l’expérience d’accompagnement a ainsi pu être appréhendée en procédant à la description de l’activité d’accompagnement comme telle et de l’environnement au sein duquel elle prend place (l’expérience objective), par le sens, les articulations et les représentations que s’en font les individus (l’expérience subjective), et par la façon dont ces dernières sont réinvesties dans la pratique et affectent le développement des compétences (l’expérience en tant que processus continu).

Analyse des données

Les témoignages des participants ont été enregistrés sur bande audionumérique et ont par la suite été transcrits intégralement et téléversés dans la base de données du logiciel d’analyse qualitative N’Vivo9. Une courte liste de codes a été constituée préalablement à l’analyse à partir du corpus théorique ainsi que d’après les thèmes traités dans les différentes sous-questions de recherche. Les données ont ensuite été codées à partir de ces codes provisoires, mais également au moyen de codes émergeant en cours de processus. Avec la collaboration d’une chercheuse expérimentée et connaissant bien le domaine de recherche, un codage parallèle à l’aveugle a été réalisé. Au final, les codes révisés ont été regroupés en catégories conceptuelles favorisant l’interprétation du matériel examiné. Finalement, une analyse de contenu qualitatif (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1997) a été réalisée afin d’analyser les documents portant sur le PIPNPE.

RÉSULTATS, INTERPRÉTATION ET DISCUSSION

Rappelons que le premier objectif de la recherche était de dresser un portrait détaillé de l’expérience d’accompagnement mentoral d’enseignants-mentors. Cette expérience a pu être décrite selon des dimensions particulières et étudiées à travers quatre sous-questions de recherche. Elle visait également à interpréter ces résultats à la lumière de la conception de l’agir compétent dans le but de mieux comprendre les éléments pouvant freiner ou faciliter le développement de la compétence à l’accompagnement des enseignants-mentors. Ce qui est présenté dans les sections qui suivent est le fruit de cette mise en relation des résultats de la recherche avec chacun des pôles du modèle de l’agir compétent – le savoir-agir, le vouloir-agir ainsi que le pouvoir-agir – permettant ainsi de mieux comprendre la dynamique derrière la construction de la compétence des enseignants-mentors. Puisque nous ne pouvons forcer une personne à agir avec compétence, il est toutefois possible, grâce à ce modèle, de « réunir de façon cohérente un ensemble de conditions favorables pour maximiser la probabilité qu’elle agisse et réussisse avec compétence dans telle ou telle situation de travail » (Le Boterf, 2013, p. 99). C’est à partir de la connaissance de ces conditions favorables qu’il est alors possible d’identifier un certain nombre de leviers à propos desquels des décisions peuvent être prises afin de maximiser cette probabilité.

Le savoir-agir des enseignants-mentors

Posséder des compétences ne signifie pas nécessairement qu’un individu est compétent; si le fait d’avoir des compétences constitue un excellent point de départ, il n’est certes pas suffisant. Pour Le Boterf (2013), être compétent renvoie à la capacité d’agir et de réussir avec compétence dans une situation de travail et de mettre en œuvre une pratique professionnelle pertinente tout en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources personnelles et externes et de tirer des leçons de la pratique mise en œuvre. Cela veut donc dire qu’en plus de posséder des compétences, l’individu, pour être compétent, doit agir avec autonomie, être capable d’autoréguler ses actions, savoir compter sur ses ressources, en rechercher d’autres dans son environnement, de même qu’être en mesure de transférer et de réinvestir ses compétences dans un autre contexte. Les sections suivantes proposent donc, à partir des résultats obtenus à propos des différentes facettes de l’expérience d’accompagnement des enseignants-mentors, de faire un portrait du savoir-agir de ces derniers.

La formation des mentors : un enjeu crucial

Le développement de ressources par la formation, qui enrichit la personne en connaissances et en savoir-faire, est l’un des premiers éléments sur lequel miser, selon Le Boterf (2013), afin de favoriser le savoir-agir des travailleurs. Cela rejoint l’avis de plusieurs membres de la communauté scientifique qui affirment que la formation des enseignants-mentors est essentielle afin de maximiser la réussite des programmes de mentorat. À ce sujet, les mentors de l’étude et les experts du PIPNPE sont unanimes : les formations offertes par le conseil scolaire sont importantes et utiles pour les personnes désirant devenir ou étant accompagnants auprès d’un nouvel enseignant. En effet, les participants qui ont eu l’occasion d’en bénéficier, c’est-à-dire 5 des 11 mentors, reconnaissent le rôle de la formation sur le plan de leur préparation : c’est la formation, plus que toute autre chose, disent-ils, qui a su véritablement les préparer à leur fonction de mentor. Elle a ainsi permis aux mentors de connaître davantage les enjeux de leur rôle, leurs responsabilités, en plus de leur donner une ligne directrice pouvant guider leurs pratiques mentorales. Pour leur part, les mentors qui n’ont pas reçu de formation auraient cependant tous souhaité en bénéficier. De plus, les données recueillies nous indiquent que la formation arrive au deuxième rang des besoins les plus souvent mentionnés par les mentors participants. Notons que le besoin d’avoir accès à davantage d’informations concernant le PIPNPE et plus particulièrement sur le programme de mentorat constitue le besoin le plus souvent mentionné par les enseignants consultés. Or, les formations sont des occasions idéales pour informer les mentors quant aux enjeux relatifs à leur fonction, de même que sur les différentes ressources mises à leur disposition et les procédures administratives relatives au PIPNPE. Bref, il apparaît clair, d’après les résultats, que la formation occupe une importance de premier plan dans le développement du savoir-agir pour ces enseignants-mentors.

L’entraînement des mentors, les dispositifs d’analyse et les groupes de partage

Pour favoriser le développement du savoir-agir, Le Boterf recommande un entraînement qui pourra permettre l’apprentissage ou la consolidation de pratiques professionnelles, apprises, entre autres, lors de formations. Lors de ces dernières, les personnes s’enrichissent de connaissances, de savoir-faire et de ressources, mais cela ne constitue que le point de départ de la compétence. En effet, à la suite de la formation, l’entraînement permettra de développer chez l’individu la faculté de mobiliser, de combiner et de transposer ses ressources. L’organisation de situations de travail simulées ou reconstituées, les études de cas et les retours d’expérience trouvent ici leur utilité. Or, d’après les témoignages des participants, les mentors ne bénéficient d’aucun suivi ni de retour sur la pratique qui leur permettraient de s’exercer dans leur fonction une fois que les formations ont été suivies. Cela pourrait être utile, particulièrement dans les cas où la relation mentorale est plus difficile et où l’enseignant-mentor rencontre des difficultés plus importantes. Selon les experts du PIPNPE, lorsque la relation mentorale présente des difficultés et qu’elle devient lourde, ils sont alors appelés à intervenir et à proposer de l’aide au mentoré. Si cet appui est certainement apprécié par les mentors, il n’en demeure pas moins que l’aide apportée est majoritairement consacrée au nouvel enseignant. Ce faisant, le mentor ne bénéficie pas de retour d’expérience sur ces moments de « crise »; laissé à lui-même, il y a ainsi peu de chance qu’une réelle analyse s’enclenche afin de tirer des leçons des événements vécus et de réfléchir sur les façons de faire appropriées dans un cas similaire à celui qu’il vient de vivre. Des suivis, des retours sur l’expérience ou des études de cas pourraient ainsi permettre aux mentors de consolider les pratiques professionnelles vues en formation et de se préparer de façon plus efficace aux situations problématiques pouvant survenir dans la relation. En outre, ces stratégies permettraient aux mentors de s’exercer à mobiliser, combiner et transposer leurs ressources.

Prendre conscience des limites de son propre savoir

Le développement de la compétence repose sur la capacité de l’individu à savoir identifier ce qu’il connaît et ne connaît pas afin d’être en mesure de mobiliser les savoirs et les ressources qu’il possède et d’aller chercher celles qui sont manquantes. Le professionnel qui connaît bien ses acquis et ses lacunes sera ainsi plus autonome, pourra évaluer son capital intellectuel et ses savoir-faire, transférer ses connaissances à des situations nouvelles et combler ses déficits afin de faire le meilleur choix dans un éventail de façons de faire possibles et choisir les meilleures stratégies en fonction de ses objectifs initiaux (Le Boterf, 2013). Bien que les résultats démontrent que les mentors, par l’utilisation de multiples stratégies de développement professionnel telles que l’autoformation, la pensée réflexive et la recherche de ressources, font preuve d’un savoir-agir en identifiant leurs lacunes en matière d’accompagnement et en cherchant à s’autoréguler, certains résultats de recherche nous indiquent cependant que ce mécanisme lié à la métacognition et au développement de la compétence présente une certaine limite et de ce fait, peut contraindre le développement de leur savoir-agir. En effet, les experts du PIPNPE nous ont confié avoir souvent entendu des mentors dire qu’ils n’ont véritablement réalisé l’utilité et l’importance des formations qu’après avoir suivi celles-ci. Les enseignants qui ont déjà reçu plusieurs stagiaires en enseignement dans leur classe, pensent à tort que le mentorat est similaire à la relation de supervision entre enseignant associé et stagiaire, mais à plus long terme. Pourtant, les différences sont nombreuses entre ces deux types d’accompagnement, ne serait-ce que par la nature du lien qui unit les dyades; si la relation de supervision comporte un aspect hiérarchique, ce n’est pas le cas dans la relation d’égal à égal du mentorat. Aussi, les enseignants qui n’ont jamais accompagné de mentoré voient le mentorat comme quelque chose de plutôt simple et d’assez « intuitif ». Ils réalisent ainsi, après-coup que les questions et les enjeux relatifs à l’accompagnement des nouveaux enseignants sont beaucoup plus vastes et complexes qu’ils ne l’avaient imaginé. Cette capacité limitée des mentors à identifier leurs lacunes et leurs besoins en matière d’accompagnement mentoral constitue un frein au développement de leur compétence : la participation aux formations étant volontaire, les mentors n’y assistent qu’en très petit nombre, n’y voyant pas l’utilité pour leur cheminement professionnel. Le fait de ne posséder qu’une connaissance partielle des fonctions et des enjeux liés au rôle de mentor, préalablement à leur décision de devenir accompagnant, est possiblement une partie du problème; il est difficile d’identifier ses lacunes lorsque nous n’avons qu’une idée floue des responsabilités à endosser et des objectifs à atteindre. Nous croyons qu’une meilleure compréhension et préparation des enseignants au rôle d’enseignant-mentor est ainsi cruciale afin d’assurer le développement du savoir-agir des mentors.

L’accompagnement de ceux qui accompagnent

Un autre moyen de développer le savoir-agir consiste à mettre en place, dans l’organisation, des programmes de mentorat, de tutorat et de coaching afin de favoriser le développement professionnel des employés (Le Boterf, 2013). Or, selon les résultats, il est possible de constater que les mentors ne bénéficient, à l’heure actuelle, d’aucune forme de soutien pouvant se rapprocher du mentorat ou du tutorat. C’est pourtant un besoin qui s’est fait sentir chez les mentors, plus de la moitié de ceux-ci affirmant que le recours au service d’une personne-ressource serait souhaitable afin de les guider, les conseiller et les rassurer, en plus de leur faciliter l’accès à des ressources pertinentes à leur travail. Les services d’une personne-ressource connaissant bien les enjeux liés à l’accompagnement mentoral pourraient ainsi être envisagés comme une forme d’accompagnement ponctuel en cas de besoin chez les enseignants-mentors. Bien que les conseillères pédagogiques agissent elles-mêmes en tant que personnes-ressources pour les dyades mentorales, les services qu’elles prodiguent concernent plus particulièrement les mentorés puisque c’est surtout auprès d’eux qu’elles interviennent dans le cas où des problèmes importants surviennent dans la relation mentorale. Il apparaît clair également que tous les mentors ne sont pas au courant de l’existence des services de ces conseillères pédagogiques responsables du PIPNPE; plusieurs participants ont effectivement avoué ne pas savoir à qui s’adresser si un problème survenait au sein de la relation mentorale.

Le vouloir-agir des enseignants-mentors

À la base de toutes actions et de tous gestes se trouve une motivation. C’est cette motivation qui déterminera, dans une grande mesure, la « direction » choisie par l’individu, l’intensité avec laquelle il s’investira dans cet engagement et qui, en fin de compte, le conduira à interrompre ou à prolonger cette activité dans laquelle il s’est engagé (Roussel, 2000). La motivation au travail étant associée aux gains de productivité (Roussel, 2000), la motivation est ainsi devenue un concept de premier plan dans le monde du travail d’aujourd’hui. Il n’est alors pas surprenant qu’elle constitue l’une des trois composantes à la base du modèle de la compétence de Le Boterf. Cette section permet de mieux saisir les facteurs motivationnels, ou le vouloir-agir, des enseignants-mentors à exercer leur fonction d’accompagnant et ainsi obtenir une meilleure compréhension des enjeux relatifs à l’agir compétent de ces derniers.

Se porter volontaire pour être mentor : l’indice d’un vouloir-agir chez les mentors. Bien que l’on puisse s’engager dans une activité sans ressentir pour autant une forte motivation à le faire, le simple fait de s’y engager de son propre gré constitue tout de même un bon indicateur d’une motivation quelconque chez l’individu. Or, il est possible de constater que la presque totalité des enseignants consultés s’est engagée de façon volontaire dans son rôle de mentor. Sachant que le fait d’assumer son rôle de mentor sur une base volontaire constitue, selon plusieurs chercheurs, un gage d’efficacité et de qualité dans l’accompagnement prodigué (Kane, Jones, Rottmann et Conner, 2013; Lindgren, 2005), de tels résultats sont plutôt positifs. Il aurait en effet été possible de suspecter une faible motivation chez les mentors s’ils avaient été contraints d’accepter ce rôle. Une seule participante a affirmé en entrevue avoir ressenti une certaine pression de la part de sa mentorée afin d’accepter le rôle de mentor. Il est alors intéressant de constater qu’elle est également la seule à avoir spontanément qualifié son expérience générale d’accompagnement, à la fin de l’entretien, de façon plutôt péjorative, la qualifiant de « médiocre ». Bien qu’elle ait par la suite nuancé ses propos, il a tout de même été possible de percevoir, à plusieurs moments dans l’entretien, un certain regret quant à sa décision d’avoir accepté le rôle et de n’avoir pu devenir le mentor qu’elle aurait souhaité être pour sa mentorée.

Le contexte incitatif à l’accompagnement mentoral. La responsabilité de la construction des compétences est une responsabilité partagée entre l’individu et le milieu de travail. S’il est difficile d’influencer la motivation intrinsèque d’un individu face à une tâche, il est par contre plus aisé d’encourager la motivation extrinsèque en intervenant sur des facteurs de l’environnement de travail qui influenceront les processus de motivation des employés. Pour ce faire, Le Boterf (2013) énumère plusieurs conditions ou leviers sur lesquels l’organisation peut agir afin d’augmenter la motivation au travail, par exemple, la présentation, aux employés, d’enjeux clairs et partagés donnant du sens aux objectifs de performance à atteindre au sein d’une fonction spécifique. Considérant le fait que la presque totalité des mentors ont avoué ne pas s’être sentis suffisamment informés des rôles et des responsabilités de l’enseignant-mentor, cet aspect semble être une lacune apparente pouvant influencer le vouloir-agir. En effet, des onze participants interrogés, trois ont affirmé n’avoir aucune connaissance des fonctions et des enjeux liés au rôle de mentor avant de prendre la décision de devenir accompagnants. Six autres ont affirmé n’en avoir qu’une connaissance partielle.

La réalisation, par le management, de retours constructifs sur le travail effectué est également un aspect qui encourage la motivation des employés. Or, le sentiment d’être « laissés à eux-mêmes » ressenti par une majorité des participants nous laisse croire que ce facteur motivationnel semble plutôt rarissime au sein de l’organisation. En effet, plusieurs mentors témoignent du fait qu’aucun suivi n’est effectué auprès des équipes mentorales afin de s’enquérir de leur travail ou du bon fonctionnement de la relation. Il est alors difficile, aux dires de certains mentors, d’obtenir de la rétroaction constructive sur les pratiques d’accompagnement, n’ayant aucun ou très peu de contacts avec les membres de la direction. Des rencontres de suivi et des retours constructifs sur le travail effectué par les mentors seraient alors un levier intéressant sur lequel agir afin d’accroître la motivation des enseignants-mentors.

Le pouvoir-agir des enseignants-mentors

Selon le modèle des combinatoires de ressources de Le Boterf (2013), même un individu sachant combiner et mobiliser efficacement les ressources appropriées dans des situations données (savoir-agir) et étant doté de la plus grande motivation (vouloir-agir) ne pourra exprimer pleinement sa compétence s’il ne bénéficie pas d’un environnement de travail qui rend possible et encourage une prise de responsabilité et la prise de risque chez celui-ci (pouvoir-agir). Encore une fois, Le Boterf suggère certaines pistes afin de développer le pouvoir-agir chez les travailleurs et ainsi accroître leur compétence.

Le climat de collaboration et de collégialité dans l’école : un facteur de réussite confirmé

En examinant les résultats, il est possible de comprendre que la culture particulière de l’école est un élément contextuel jouant un rôle crucial sur le plan du développement de l’agir compétent des mentors rencontrés : l’importance accordée au travail d’équipe et à la collaboration au sein de l’école semble faciliter leur travail auprès de leurs mentorés. Selon les participants, les normes et les valeurs de l’école, les pratiques professionnelles qui y sont valorisées, le soutien offert aux nouveaux enseignants et aux mentors, ainsi que le climat de collaboration entre le personnel de l’établissement scolaire sont des éléments contextuels importants à la réussite du mentorat. Le Boterf mentionne d’ailleurs la possibilité de délégation de responsabilités par l’employé comme étant un élément favorisant le développement du pouvoir-agir. Comme certains mentors nous l’ont confirmé, le fait que le mentoré soit appuyé par un vaste réseau de soutien facilite le travail des mentors en réduisant la lourdeur de la responsabilité qu’il n’a plus à assumer seul. Ce climat de collaboration déjà présent entre les collègues agit alors comme un dispositif d’encadrement qui peut être rassurant pour les mentors qui, nous l’avons vu, bénéficient de peu de soutien de la part de leur direction d’école ou du conseil scolaire.

L’accès à l’information et aux ressources : une lacune d’importance sur le plan du pouvoir-agir des mentors

Même un examen rapide des résultats nous permettrait d’identifier ce qui semble constituer l’un des plus grands, sinon le plus important frein au développement de l’agir compétent des enseignants-mentors : l’accès difficile à l’information. Que cela concerne l’information à propos du PIPNPE et de ses modalités d’application, du rôle, des responsabilités et des enjeux liés au travail du mentor ou bien des ressources et des services qui leur sont offerts, il semble y avoir d’importantes lacunes en matière d’accès à l’information. Cela fait en sorte que la grande majorité des mentors ne se sentent pas du tout préparés à leur nouveau rôle dans l’école et disent être plutôt délaissés durant l’accompagnement. L’analyse des documents et des entretiens auprès des conseillères pédagogiques nous révèle pourtant que certains services et certaines ressources sont déjà en place pour faciliter le travail des mentors. Par exemple, le livret d’informations du PIPNPE conçu expressément pour les enseignants-mentors, les deux séances de formation qui leur sont destinées, ainsi qu’aux dyades mentorales, de même que l’existence même de personnes-ressources ayant comme mandat d’appuyer le travail des équipes mentorales ne sont que très peu connus par les participants. Ainsi, il semble urgent d’assurer l’accès à l’information et aux ressources existantes. Une meilleure communication entre les conseils scolaires, les membres des directions d’école, ainsi que les enseignants-mentors est également un élément sur lequel des changements pourraient être effectués. Cette faille dans le système de communication et d’accès à l’information est un frein d’autant plus sérieux qu’il a pour effet de limiter considérablement le savoir-agir et le vouloir-agir des enseignants-mentors en les privant des formations leur permettant d’accroître leurs connaissances, ainsi que des lignes directrices pertinentes à l’exécution de leurs tâches en tant que mentor.

La mise à disposition de temps et de ressources pour les mentors

Le temps est un autre facteur important dans le développement de la compétence. La plupart des mentors ainsi que les deux experts du PIPNPE s’entendent pour dire que le manque de temps et l’horaire chargé des enseignants sont parmi les principaux obstacles auxquels font face les mentors. Il a également été possible de constater que les équipes bénéficiant de périodes libres conjointes attribuaient à ce facteur une grande influence dans la réussite de la relation mentorale. Ces résultats ne sont pas surprenants : de nombreuses études ont effectivement identifié la quantité de temps dont disposaient le mentor et le mentoré pour travailler ensemble comme étant un facteur de réussite important dans le mentorat (Bullough, 2005; Lee et Feng, 2007). Ce qui ressort des résultats de cette étude, c’est que la majorité des mentors s’accordent pour dire que la surcharge de travail imposée par leur rôle constitue l’un des défis les plus importants et que davantage de temps mis à leur disposition leur permettrait d’effectuer un accompagnement plus efficace auprès de leur mentoré. Cependant, ils ne s’entendent pas tous sur la façon dont ce temps pourrait leur être accordé. Bien que plusieurs apprécient les 3 ou 4 journées de suppléance qui leur sont attribuées afin d’assister aux diverses formations ou tout simplement pour travailler avec le mentoré à des moments opportuns, certains mentors interviewés et d’autres qui se sont confiés aux deux experts du PIPNPE affirment que ces journées décentralisées sont difficiles à planifier dans un horaire déjà bien chargé. Par conséquent, elles ont comme effet pervers de surcharger leur horaire, alors qu’ils se voient dans l’obligation de faire une planification supplémentaire à l’intention des suppléants, en plus d’essuyer un retard quasi inévitable dans la matière des cours pour lesquels ils se sont absentés. Dans ces cas, les gains que les équipes pourraient en retirer sur le plan du mentorat ne compensent tout simplement pas les effets indésirables d’une sortie de classe. Si les efforts que déploient les conseils scolaires afin d’offrir l’occasion aux dyades mentorales de bénéficier de temps de travail conjoint sont louables et vus comme étant nécessaires pour la plupart, ne serait-ce que pour assister aux formations, il serait toutefois souhaitable, d’après les témoignages des participants, de penser à d’autres options que les journées décentralisées afin de tenir compte des contraintes que ces sorties de classe imposent parfois aux enseignants.

CONCLUSION

Si d’autres études se sont intéressées à la compétence des enseignants qui agissent à titre de mentors auprès d’enseignants en insertion professionnelle, la présente recherche comportait des éléments nouveaux permettant d’approfondir les connaissances dans ce domaine. En effet, pour une première fois, nous nous intéressions à l’expérience d’accompagnement mentoral telle que vécue par des mentors, nous permettant ainsi de brosser un portrait global de cet accompagnement. L’étude de cette expérience à la lumière d’une conception dynamique de la compétence constituait également un élément novateur et a permis d’identifier plusieurs pistes de réflexion quant au développement de l’agir compétent des enseignants-mentors. Toutefois, malgré sa pertinence, il importe de revenir sur certaines de ses limites. Tout d’abord, l’envergure de l’étude est limitée du fait qu’elle porte sur un seul cas, celui des mentors de conseils scolaires francophones accompagnant des enseignants en insertion professionnelle dans le cadre du PIPNPE. Si l’utilisation d’une telle méthodologie de recherche permet une description riche et détaillée d’un phénomène se déroulant dans un contexte particulier, elle ne saurait prétendre à une généralisation des résultats, des conclusions ou des pistes qu’elle suggère. Les difficultés rencontrées lors du recrutement des participants invitent également à une certaine prudence dans l’interprétation des résultats. Nous croyons en effet que certains enseignants ont pu ressentir des réticences à participer à la recherche en raison du fait qu’elle ciblait des mentors et des mentorés jumelés dans le cadre du PIPNPE. Il est possible que le fait de savoir que leur partenaire serait interviewé par la même chercheuse ait pu rendre des enseignants mal à l’aise de se confier par rapport à certains aspects de la relation mentorale. Les motifs à l’origine des difficultés vécues lors du recrutement, de même que les raisons pour lesquelles les dyades mentorales participantes ont choisi de s’exprimer – et la manière dont elles se sont exprimées – sont des éléments sur lesquels il pourrait été intéressant de se questionner davantage afin de mieux guider et orienter les futures recherches dans le domaine. Il est aussi permis de croire que les équipes mentorales participantes ont accepté de se confier à propos de leur expérience du fait que leur relation mentorale se déroulait de façon plutôt positive et sans problématique notable. Cette supposition pourrait d’ailleurs être appuyée par les bilans en général très positifs que dressent les mentors et les mentorés de l’expérience d’accompagnement mentoral vécue. Cibler la participation de mentors et de mentorés qui ne sont pas jumelés et s’intéresser aux expériences particulières de dyades ayant vécu des problématiques et des défis plus sérieux dans le cadre de l’accompagnement mentoral pourraient être des pistes intéressantes lors de futures recherches.

En dépit de ces limites, les résultats de la présente recherche constituent une avancée intéressante concernant la compréhension de l’expérience des enseignants-mentors œuvrant dans un programme d’insertion professionnelle au regard de leur compétence et peuvent fournir des pistes intéressantes aux établissements scolaires déjà munis de ce type de programme formel et désireux de maximiser la réussite de leur composante mentorale.

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