LES ÉPREUVES QUI DONNENT SENS AU RÔLE D’ACCOMPAGNEMENT DES ENSEIGNANTS ASSOCIÉS

ANDRÉANNE GAGNÉ, Université du Québec à Chicoutimi


Pour devenir enseignant associé auprès des stagiaires de tout ordre d’enseignement, il faut maitriser les compétences professionnelles de l’enseignant, en plus de répondre à certains critères comme d’avoir complété sa formation en enseignement et de posséder au moins cinq années d’expérience dans la profession (Gouvernement du Québec, 2008). De leur côté, les enseignants associés de l’enseignement professionnel doivent également maitriser les compétences professionnelles d’un métier, celui qu’ils enseignent dans les centres de formation professionnelle (Gouvernement du Québec, 2001). De ce fait, ces enseignants associés ont occupé au moins trois rôles professionnels au cours de leur carrière : celui de travailleur de métier, celui d’enseignant et celui d’enseignant associé. Balleux et Gagnon (2011) décrivent le premier rôle en parlant d’une première vie professionnelle (étape 1) au cours de laquelle le travailleur acquière une solide expertise de métier. C’est d’ailleurs pendant cette même période que se présente la possibilité d’accéder au deuxième rôle, celui d’enseignant pour leur métier d’appartenance. Rarement anticipée, cette voie d’avenir (étape 2) résonne avec les aspirations, les besoins ou les valeurs du travailleur. C’est le moment où il fait le choix de saisir cette opportunité et de bifurquer vers l’enseignement. Il effectue alors son entrée en enseignement (étape 3). Les débuts se révèlent souvent difficiles, marqués entre autres par un retour aux études, qui plus est, au baccalauréat en enseignement professionnel, donc au niveau universitaire. Enfin, l’enseignant qui persiste parvient, habituellement, à s’adapter et à réguler son enseignement au fil du temps (étape 4). Ces quatre étapes ne tiennent toutefois pas compte d’une suite au parcours professionnel de l’enseignant, pourtant elles le placent en position d’accéder à un troisième rôle, celui d’enseignant associé. L’enseignant peut donc, si l’occasion se présente et s’il le désire, effectuer un nouveau passage pour s’engager dans la formation de la relève enseignante. La figure qui suit résume les étapes décrites par Balleux et Gagnon (2011) en y ajoutant le rôle d’enseignant associé.




Figure 1. Parcours professionnel de l’enseignant associé inspiré des quatre étapes du parcours de l’enseignant en formation professionnelle de Balleux et Gagnon (2011)

L’appropriation des deux premiers rôles exposés réfère également à la construction de deux identités professionnelles, celle de métier et celle d’enseignant (Balleux, 2011; Gagné, 2015; Perez-Roux, 2011). Des travaux sur l’identité professionnelle des enseignants associés en enseignement général, notamment ceux de Baillauquès et coll. (2002), de Gohier (2007), et de Dugal et Legros (2010) témoignent de la nécessité de se positionner par rapport à ce nouveau rôle professionnel. Pour le Comité d'orientation de la formation du personnel enseignant (2005), pour Gervais et Desrosiers (2005), ainsi que pour Portelance et coll.. (2008), il s’agit de se reconnaitre et de s’assumer par rapport à un rôle de formateur à la fois distinct et parallèle à celui d’enseignant. Dans un contexte de transition, l’interprétation et l’exercice d’un nouveau rôle professionnel passent donc prioritairement par la reconnaissance de sa propre légitimité et la perception d’une valorisation chez autrui (Perez-Roux, 2011). Toutefois, les recherches portant sur les stages ou sur l’accompagnement des stagiaires en enseignement professionnel soulignent un manque de valorisation et de reconnaissance perçu par les enseignants associés, ainsi que des difficultés à légitimer leurs actes (Balleux, 2013; Comité-conseil sur la formation du personnel enseignant, 2006; Deschenaux et coll.., 2012; Gagnon, 2013; Gagnon et Rousseau, 2010; Rousseau, 2008). Ces tensions ressortent notamment par rapport à l’évaluation des stagiaires et au contexte de la collégialité inhérent aux conditions de recrutement dans les centres de formation professionnelle; comme l’entrée dans la profession précède l’entrée en formation, fréquemment les enseignants associés et les stagiaires s’avèrent d’abord des collègues enseignants dans un même centre de formation, ce qui peut complexifier les rapports entretenus.

Comme en témoignent Balleux et coll. (2016) à propos des enseignants de la formation professionnelle, l’individu se construit au cours de son parcours professionnel. Lentement et toujours à partir de ce qu’il est, l’individu rencontre des évènements et des interactions qui le confrontent, le tiraillent et le transforment. Les transitions entrainent des bouleversements, car il y a perte de repères environnementaux, relationnels, techniques et identitaires comme en témoignent les recherches sur les parcours professionnels des enseignants de la formation professionnelle au Québec (Balleux, 2006, 2013, 2014; Deschenaux et Roussel, 2008, 2010; Gagné, 2015). Ce vécu modifie la manière dont l’individu se perçoit, se définit et se reconnait professionnellement et, conséquemment, sa manière d’agir (Perez-Roux, 2016). Pourtant, les recherches n’ont pas encore abordé l’expérience vécue tout au long du parcours professionnel dans la transition vers le rôle d’enseignant associé, notamment, pour saisir la manière dont ils interprètent ce dernier.

Devant ces présupposés, une question émerge : quels évènements et quelles interactions significatifs du parcours professionnel des enseignants associés influencent leur manière d’interpréter et d’exercer leur rôle auprès des stagiaires? Cet article vise à faire ressortir des évènements qui jalonnent le parcours professionnel des enseignants associés et qui se démarquent par leur intensité et leur influence dans la manière dont ils s’approprient leur rôle. Il apparait tout à fait pertinent de chercher à mieux comprendre le vécu des enseignants associés puisqu’ils interviennent dans la formation des stagiaires et que leur rôle se révèle particulièrement important pendant la formation (Deschenaux et coll., 2012). D’autant que, par extension, la manière dont ils interprètent et exercent ce rôle se répercute sur la qualité de l’enseignement dispensé dans les centres de formation professionnelle, et donc, sur la formation des élèves de façon générale (Gagnon et Rousseau, 2010).

CADRE CONCEPTUEL

Pour appréhender les parcours professionnels, plus particulièrement les évènements et les interactions qui les jalonnent, ainsi que leur influence dans la manière d’interpréter le rôle d’enseignant associé, deux notions principales sont convoquées dans cet article. D’abord, les formes de l’expérience permettent de circonscrire les traces laissées par le vécu en contexte professionnel. Puis, la notion d’épreuve, qui rejoint les tensions et les difficultés connues des enseignantes et des enseignants associés soulevées précédemment, vient préciser le sens que prend ce vécu pour l’individu.

La notion d’expérience

Pour saisir l’expérience ou le vécu pendant le parcours professionnel, la sociologie renvoie aux conduites individuelles, parfois partagées par des groupes d’individus, au sein de différents systèmes sociaux. Ces systèmes contraignent l’individu et le construisent puisqu’il en intériorise les caractéristiques (Dubet, 1994). Son action, bien que rationnelle et individuelle, comporte néanmoins les traces laissées par les groupes auxquels l’individu cherche à appartenir. C’est ce qui explique l’hétérogénéité des conduites face aux évènements et aux interactions rencontrés, mais aussi la relative stabilité des comportements au sein de groupes d’individus. Les travaux de Zeitler et Barbier (2012) distinguent trois formes de l’expérience. La forme active se décrit comme ce qui se produit dans la vie du sujet et dans son environnement. C’est la forme de l’expérience qui correspond aux perceptions de l’individu. La forme passive réfère à ce que les individus font de ce vécu, autrement dit, la manière dont ils l’interprètent ; toutes situations ne résonnent pas de la même manière à différents moments de la vie d’un individu ni n’éprouvent différentes personnes avec la même intensité (Dewey, 1934). Les traces laissées par l’expérience varient donc d’une personne à l’autre parce que la signification qu’ils y donnent ne peut se soustraire aux traces laissées par l’expérience passée ni aux aspirations futures (Rogalski et Leplat, 2011). Enfin, la forme discursive correspond à ce que l’individu peut partager par le biais du langage de ce processus de perceptions et d’interprétations de l’expérience. Par conséquent, les évènements et les interactions marquants du passé, quoique peu nombreux (Dubet, 2012), ne peuvent être appréhendés, le plus souvent, que par la forme discursive de l’expérience, donc à partir de ce que les individus choisissent d’en communiquer. Même plusieurs années après, le discours des individus porte l’empreinte de ces moments marquants, comme des nœuds, des ruptures et des inflexions dans le parcours (Osty, 2013). Pour les saisir, il s’avère donc nécessaire de repérer dans les propos des individus des manifestations d’intensité, de tensions ou d’enjeux importants qui témoignent d’épreuves dans le parcours professionnel.

La notion d’épreuve

Ces épreuves, Perez-Roux (2016), référant à Martuccelli (2006), les décrit comme : « des défis plus ou moins partagés, inscrits dans une histoire culturelle (du métier par exemple) et construits sur le plan social » (p. 3). Martuccelli et Lits (2009) stipulent que l’épreuve se distingue par la manière dont les individus en rendent compte. Chaque épreuve se présente comme un test mis sur le parcours de l’individu; un défi dont il faut qu’il s’acquitte et dont il sort transformé. L’épreuve, tout en restant éminemment personnelle dans le discours d’un individu, prend des proportions d’enjeu collectif lorsqu’elle se manifeste dans le discours de groupes d’individus. L’adolescence constitue un bon exemple de la dimension individuelle, mais aussi collective de l’épreuve.

Plus spécifiquement, Martuccelli (2015) relève deux sens principaux de la notion d’épreuve. D’une part, il stipule que l’épreuve revêt historiquement le sens de sanction. L’épreuve-sanction s’apparente donc à la démarche scientifique expérimentale où l’épreuve de la science mène à sanctionner un fait ou une réalité. Dans une certaine mesure, l’épreuve-sanction permet de témoigner d’une croyance partagée socialement qui prend, de manière pragmatique, valeur de vérité. D’autre part, l’épreuve se conçoit comme une suite de défis vécus par l’individu tout au long de sa vie. L’épreuve-défi confronte, transforme et forge l’individu. Contrairement à l’épreuve-sanction, le résultat d’un défi ne constitue pas une fin en soi, surtout pas une réponse unique, puisque l’épreuve-défi mène à des significations diverses, mais toujours à l’intérieur de structures sociales définies. C’est cette acception de l’épreuve-défi qui est retenue pour saisir les traces laissées par les évènements et les interactions dans le parcours professionnel marqué par les transitions des enseignants associés.

Cet article s’appuie donc sur les fondements de l’expérience et de l’épreuve (Dewey, 1934; Dubet, 1994, 2007; Martuccelli, 2006, 2015; Martuccelli et Lits, 2009; Zeitler et Barbier, 2012; Zeitler et coll., 2012) et propose de revisiter les parcours professionnels des enseignants associés en enseignement professionnel. Il vise à repérer les évènements traversés qui influencent la manière d’interpréter leur rôle d’enseignant associé. Particulièrement, ces évènements ou ces interactions sont saisis sous l’angle de l’épreuve, dans ce qu’ils ont constitué un défi ayant laissé des traces significatives chez les enseignants associés dans la manière d’interpréter leur rôle. L’identification de ces épreuves et de leur apport peut notamment fournir des pistes pour favoriser la valorisation et la reconnaissance du rôle d’enseignant associé par les instances responsables de la formation en milieu de pratique.

CADRE MÉTHODOLOGIQUE

Cet article s’insère dans une suite de travaux de diffusion d’une recherche de doctorat menée auprès d’enseignants associés en enseignement professionnel au Québec. La recherche dans son ensemble vise à mieux comprendre la dynamique expérientielle et identitaire de ce groupe professionnel. Ce texte rend compte plus particulièrement des résultats concernant l’influence de l’expérience professionnelle vécue au cours de leur parcours professionnel dans la façon d’interpréter le rôle d’enseignant associé ; la démarche de collecte et d’analyse ayant particulièrement mis en évidence les dimensions de défi ou d’épreuve associées aux évènements rapportés dans la section des résultats.

Déroulement de la recherche

Les résultats explicités découlent des étapes de collecte et d’analyse résumées dans le tableau suivant.

TABLEAU 1. Résumé des étapes de collecte et d’analyse des données

Ordre

Stratégies de collecte et d’analyse

Étape 1

Entretien biographique phase I

Établir la chronologie du parcours professionnel

Étape 2

Document écrit – curriculum vitae

Confirmer la chronologie du parcours professionnel

Étape 3

Analyse de contenu

Identifier les évènements et les interactions considérées comme des épreuves-défis

Étape 4

Entretien biographique phase II

Explorer les traces laissées par les épreuves par rapport au rôle d’enseignant associé

Étape 5

Analyse structurale

Déconstruire / reconstruire le discours des enseignants associés pour dégager l’apport de l’expérience professionnelle vécue dans la manière d’accompagner les stagiaires



Comme l’indique ce tableau, la collecte des données repose principalement sur la réalisation d’entretiens biographiques comprenant deux phases, lesquelles sont complétées par la consultation d’un document écrit, soit le curriculum vitae des participants. Selon Peneff (1994) et Sauvayre (2013), les entretiens permettent d’évoquer, de décrire et de faire réfléchir les interviewés sur des périodes particulières de leur parcours. En l’occurrence, s’intéresser aux épreuves qui jalonnent le parcours professionnel des enseignants associés rend nécessaire le recours à ce type de stratégies de collecte qui accorde au sujet une place centrale en tant que principal informateur de son expérience. Plus particulièrement, c’est l’approche de Demazière (2003, 2008, 2011), pour qui les fragments d’existence relatés en entretien véhiculent des informations sur les aspects pratiques, cognitifs, interprétatifs, symboliques et affectifs du vécu de l’individu, qui a été retenue comme principale stratégie de collecte. Les enseignants associés ont donc participé à deux phases d’entretiens qui se sont déroulées sur un intervalle moyen de deux semaines. Les rencontres réalisées en présence ou à distance à l’aide des technologies ont duré un peu plus d’une heure et ont permis de dégager les résultats présentés sous forme d’anecdotes.

Collecte des données

Pendant la phase I des entretiens biographiques, le chercheur et l’interviewé revisitent le parcours de ce dernier afin d’en reconstruire la chronologie. Il s’agit principalement de faire ressortir des informations factuelles comme des dates, des lieux, des conditions, des rencontres ou des évènements de courte, moyenne et longue durée (Peneff, 1994). Par une question large comme « pouvez-vous me raconter votre parcours professionnel depuis la fin de votre secondaire? » , en passant par des questions plus spécifiques comme « certains évènements de votre carrière ont-ils été significatifs dans votre cheminement pour devenir enseignant associé? » , une première trame des épreuves vécues et des traces laissées par celles-ci se dessine. En effet, le discours recueilli comprend des manifestations de la mise à l’épreuve perçue par les participants, « en termes d’amélioration de la situation, de dégradation, de tournants, de bifurcations, de continuités » (Demazière, 2011, p. 87). De plus, cette première phase permet de recueillir les curriculums vitae des participants qui servent aussi à reconstruire les grandes périodes de leur parcours professionnel. Afin d’assurer une triangulation des données. À la suite de la phase I, les enregistrements audios ont été transcrits et des analyses préliminaires réalisées afin d’identifier dans le parcours professionnel les évènements et les interactions ayant marqué l’enseignant associé. Ces premiers résultats servent notamment à personnaliser les canevas pour les entretiens de phase II (Demazière, 2011).

Pendant la deuxième phase d’entretiens, l’objectif consiste à revenir de manière dialogique sur les différents évènements et interactions ciblés afin d’en préciser les aspects, d’en partager une compréhension plus fine et d’en dégager les apports possibles dans le parcours de l’individu (Peneff, 1994). Plus particulièrement, l’accent est mis sur les interactions, les contextes relationnels, l’interprétation des points de vue et les apprentissages réalisés (Demazière, 2011). De ce fait, l’entretien de phase II fait appel à des questions comme « lors de notre premier entretien, vous avez parlé de [nommer l’évènement], en quoi cet évènement a constitué un défi à surmonter? » ou « pendant notre premier échange, vous avez mentionné [nommer la personne], elle a semblé importante pour vous, pouvez-vous m’expliquer pourquoi? ». Il s’agit également d’intervenir pour demander des explications sur ce qui a été utile, appris ou retenu par rapport au rôle d’enseignant associé afin de saisir l’apport de ces épreuves.

Analyse des données

Au terme de cette deuxième phase d’entretiens, les propos recueillis sont transcrits et soumis à une démarche d’analyse structurale inspirée de Demazière et Dubar (2004) et de Paillé et Mucchielli (2012). Au cours de ce processus d’analyse, le corpus de données est séparé en segments qui correspondent à des unités de sens. Un premier codage s’effectue sur ces segments en spécifiant s’ils décrivent le déroulement du parcours, soit les séquences (niveau des fonctions), s’ils rapportent des acteurs significatifs (niveau des actions) ou s’ils servent à argumenter des décisions ou justifier la conduite de l’individu (niveau de la narration). Dans l’optique de la démarche doctorale entreprise, chacun des 1616 segments a également été associé à une période du parcours professionnel, soit la carrière initiale, l’enseignement ou l’accompagnement. Par la suite, l’analyse exige de classer les segments codés pour ordonnancer les séquences, regrouper les acteurs similaires et répartir les arguments selon des catégories émergentes. À l’aide du logiciel Excel de la suite Microsoft Office, les segments ont pu être codés, classés et reclassés plusieurs fois afin d’arrimer les évènements avec les acteurs les plus fréquemment mentionnés et les justifications de leurs apports par rapport au rôle d’enseignant associé. Ces constructions et reconstructions mènent à dégager des disjonctions et des conjonctions entre les évènements et les interactions ayant marqué le parcours professionnel des individus composant le groupe professionnel des enseignants associés. Elles ont ainsi mis en évidence les évènements vécus comme des épreuves retrouvés dans la plupart des parcours et leur apport dans la manière d’interpréter et d’exercer leur rôle.

Participants

Pour la recherche, 16 enseignants associés volontaires ont été interrogés. De ce nombre, huit avait complété leur baccalauréat en enseignement professionnel qui constitue la formation privilégiée depuis la réforme de la formation des maitres en 2001. Des huit enseignants associés restants, un poursuit toujours son baccalauréat, un détient un baccalauréat d’une autre filière d’enseignement et six possèdent uniquement le certificat en enseignement professionnel ayant été diplômé avant l’entrée en vigueur du baccalauréat. Cet article se concentre sur les enseignants associés possédant leur baccalauréat en enseignement professionnel puisque leur parcours reflète davantage la situation actuelle et future des enseignants associés de ce secteur. Le tableau suivant résume les principales caractéristiques de ce groupe d’interviewés (noms fictifs).

TABLEAU 2. Résumé des principales caractéristiques des enseignants associés interviewés

Identification de l’enseignant associé

Années d’expérience en enseignement

Années d’expérience en accompagnement

Détient un diplôme d’études professionnelles

Détient un diplôme d’études collégiales

Détient un certificat en enseignement professionnel.

Détient un baccalauréat en enseignement professionnel

A complété une formation en accompagnement

Ana

16

12


Eve

16

12



Isa

12

3




Kim

13

3


Léo

7

1



Lyn

23

15


Sue

15

11



Zoé

11

1






Comme le montrent les informations résumées, le groupe se compose de sept femmes et d’un homme. L’échantillon total comprenait toutefois onze femmes et sept hommes, les enseignantes associées s’avérant donc plus nombreuses à détenir le baccalauréat. De plus, le tableau 2 indique le nombre d’années d’expérience en enseignement (en moyenne 14 ans), en accompagnement (en moyenne 7 ans), ainsi que les formations complétées de niveaux professionnel (4 sur 8), collégial (6 sur 8), universitaire (8 sur 8) et pour accompagner (5 sur 8).

RÉSULTATS

Les résultats rapportent, à partir des propos relatés par les participants, trois évènements s’étant démarqués comme des épreuves dans les propos des participants, soit la transition vers l’enseignement, la formation en enseignement et la transition vers l’accompagnement, en plus de faire mention de certains acteurs importants. Les deux premiers évènements s’insèrent dans l’étape 3 de Balleux et Gagnon (2011), alors que le troisième s’inscrit après l’étape 4, soit dans la suite possible du parcours de l’enseignant en formation professionnelle. De courts extraits résument les manifestations du sentiment d’être mis à l’épreuve ou l’apport de ces épreuves-défis par rapport au rôle d’enseignant associé du point de vue de l’interviewé.

La transition vers l’enseignement

Ana s’avère la première enseignante associée interviewée à relater l’épreuve de sa transition vers l’enseignement. Après plusieurs années à exercer un métier, une offre d’emploi l’incite à faire le saut vers l’enseignement. Après une série d’entrevues, elle obtient un contrat et commence à enseigner. Elle ne s’en cache pas et dit : « au début, j’étais malade le matin, j’avais mal au cœur parce que j’étais une personne très timide, dans mon coin, qui ne parlait pas » (s24). L’enseignement était à proprement parler « un grand défi » (s36) pour Ana et s’y adapter aura pris plusieurs mois, voire quelques années. C’est une enseignante qui l’a prise sous son aile et qui lui a permis de traverser les cinq premières années dans l’enseignement. Mentionnée comme une mentore, cette personne lui a transmis les bases pour arriver à bien fonctionner. Ana explique qu’elle accompagne aujourd’hui des stagiaires en se disant : « c’est surtout parce que moi j’ai eu la chance de compter sur une personne qui m’a épaulée […], m’a tout partagé et tout montré les rouages de la profession, que je pense que c’est ce que je transmets aujourd’hui » (s96 et s116).

De son côté, Léo évoque également des moments marquants à ses débuts en enseignement. Recruté dans le bassin des travailleurs de son métier, il concilie l’exercice de ce métier et l’enseignement depuis qu’il a accepté son premier contrat dans un centre de formation professionnelle. Comme il le dit : « je me rappelle mes premières journées d’enseignement où dans ma tête les concepts étaient incroyablement clairs, mais en les expliquant, tu réalises que c’est autre chose quand l’élève te questionne » (s36). Même s’il pensait posséder plusieurs aptitudes nécessaires pour enseigner à son entrée dans la profession, il réalise qu’il doit développer de nouvelles compétences. À son sens, Léo n’était pas « l’ombre de l’enseignant qu’il est aujourd’hui, car il y a aussi huit ans de formation qui se sont ajoutés aux expériences, au vécu et aux problématiques, qui font qu’aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple d’expliquer » (s37). Ce sont ces constats et apprentissages qu’il veut amener le stagiaire à réaliser en tant qu’enseignant associé.

Dans un contexte différent, celui d’une jeune enseignante qui s’insère dans un milieu traditionnellement masculin, Lyn raconte l’épreuve de ses premiers moments en enseignement en disant : « quand j’ai commencé à enseigner, je n’étais pas acceptée au centre. J’étais jeune, j’étais une fille, je ne passais pas auprès des autres enseignants » (s29). Lyn ressent la pression de faire ses preuves et de trouver sa place au sein de son équipe. Comme elle l’affirme : « c’était difficile, alors je me suis dit que pour augmenter ma crédibilité, je ne devais pas arrêter de pratiquer le métier » (s30). C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait pendant de nombreuses années, concilier enseignement et travail. Cette crédibilité, aujourd’hui établie auprès des collègues et des directeurs, lui permet d’exercer son rôle avec confiance et d’agir auprès de presque tous les nouveaux enseignants de son centre de formation professionnelle, et ce, en étant particulièrement sensible à la place des femmes dans les métiers à forte concentration masculine.

Dans la carrière de Sue, l’opportunité d’enseigner se présente dans le même centre où elle a réalisé ses études. Elle qui se considère expérimentée dans son domaine, souligne avoir dû retourner au rang de novice en choisissant d’aller enseigner son métier. Elle s’est sentie « garrocher » et elle se demandait « comment faire pour passer au travers de tout cela? ». Dans les circonstances, du fait qu’elle entrait dans un environnement connu, elle considère que la transition s’est relativement bien passée par rapport à d’autres collègues. Cependant, ce passage lui a fourni des outils pour aider les stagiaires qui sont souvent inquiets. Elle peut se « prendre en exemple pour leur dire que ça peut prendre trois ou quatre ans avant d’avoir fait le tour des modules quelques fois et d’être à l’aise d’enseigner, mais c’est possible! » (s42). Selon Sue, être accompagné par quelqu’un qui a déjà vécu une situation semblable, c’est facilitant pour entrer en relation et établir un lien de confiance.

Dès les premiers instants de l’entretien, Zoé déclare : « j’ai pleuré ma vie! » (s27). Elle qui n’avait jamais enseigné en salle de classe, elle se sent peu à l’aise et pense même que sa carrière est finie à un certain moment. Pourtant, une nouvelle opportunité se présente pour enseigner en formation individualisée. Le défi reste qu’elle ne connait que peu le secteur où elle enseigne. Elle affirme, « j’ai embarqué dans la roue avec tout mon cœur et toutes mes tripes, car même si je n’avais pas les connaissances pédagogiques, j’avais une tâche pleine en partant » (s31). Aujourd’hui, en tant qu’enseignante associée, Zoé considère qu’elle doit passer au suivant : comme les choses vont bien en classe, qu’elle aime enseigner et que les élèves apprennent, elle doit redonner en formant la relève en formation individualisée.

La formation à l’enseignement professionnel

Bien que la transition vers l’enseignement constitue une épreuve marquante dans le parcours non seulement des enseignants associés, mais aussi des enseignants de la formation professionnelle en général, cette dernière s’articule presque toujours avec le retour aux études au baccalauréat en enseignement professionnel. Pour Ana, même si le certificat en enseignement professionnel lui a exigé efforts et persévérance, elle considère que pour pouvoir progresser dans la profession enseignante, elle devait détenir son baccalauréat. Ses propos résument l’apport de cette formation pour accompagner des stagiaires : « lorsqu’un enseignant a 50 ans, je dois vraiment l’encourager parce qu’il abandonnera avant la fin des stages. […] Plusieurs trouvent ça difficile et décrochent, mais moi aussi je l’ai vécu avec mon travail et mes enfants. J’aurais pu arrêter, même me contenter du certificat, mais ça vaut la peine de finir ses cours et d’avoir son baccalauréat » (s207-s208). Elle perçoit qu’elle doit encourager et soutenir les stagiaires, plus que les former, au cours de leur stage afin qu’ils persistent dans la profession.

Ève, une autre enseignante associée interrogée, témoigne des mêmes réalités. Selon elle, le baccalauréat se résume à apprendre à composer avec les travaux, les cours à l’université, la famille et c’est ce qui constitue une véritable épreuve. Aujourd’hui, elle essaie « de donner des trucs appris pour passer au travers avec les stagiaires. […] J’essaie de les encourager et de leur partager le matériel qui peut les aider ou leur donner des conseils » (s35-s36). Le vécu d’Ève pendant sa formation et ses stages a laissé des traces qui font qu’elle choisit de limiter le nombre de stagiaires qu’elle accompagne pour assurer son entière disponibilité. Comme elle le résume : « ce n’est pas seulement un nom que je supervise ou que je laisse à lui-même comme on m’a fait à moi quand j’ai commencé » (s51).

Du côté de Kim, c’est le même constat : « j’ai accepté ce rôle en me demandant comment j’aurais aimé être accompagnée quand j’ai commencé à enseigner » (s3). Selon cette enseignante associée, avoir réalisé son baccalauréat en conciliant l’enseignement à temps plein et la famille lui permet d’être compréhensive et d’accompagner les stagiaires au plus près de leur réalité. Elle précise qu’elle n’a pas vraiment souffert de l’accompagnement qu’elle a reçu, puisque les choses étaient différentes à ce moment, mais qu’elle souhaite offrir plus aux stagiaires.

Après son certificat en enseignement professionnel, Lyn ressent également le besoin de poursuivre sa formation, car elle n’est pas satisfaite de l’enseignement reçu. Comme elle le mentionne : « j’ai appris beaucoup sur ce que je ne dois pas faire, ce que je ne dois pas faire ressentir à mes [stagiaires] » (s80). C’est un superviseur universitaire qui la convainc de s’inscrire au baccalauréat. À partir de là, elle sent qu’elle développe sa capacité à réfléchir sur sa propre pratique, ce qui l’amène maintenant à développer l’analyse réflexive chez ses stagiaires.

Les propos de Zoé rapportent comment les stages et l’accompagnement reçu de son enseignante associée lui ont permis de développer sa confiance en tant qu’enseignante, ce qu’elle tente de reproduire lorsqu’elle accompagne des stagiaires. Pour elle, la personne qui l’a accompagnée pendant ses stages s’avère l’une des personnes les plus déterminantes de son parcours. Elle relate, en parlant de ses propres stages : « j’ai fait des capsules que j’ai visionnées et je me suis analysée, ce qui m’a permis de m’améliorer et, surtout, de voir que j’étais moins pire que je le croyais » (s76). Pour elle, la formation était perçue comme un moment éprouvant qui la sortait de sa zone de confort, ce qui fragilisait sa confiance. Avec l’aide de son enseignante associée, elle se regardait et constatait ses forces. Elle travaille à son tour pour que ses stagiaires se regardent et analysent leurs pratiques, et ce, comme s’ils portaient leur regard sur quelqu’un d’autre, avec détachement, pour ensuite ouvrir sur la discussion.

Transition vers l’accompagnement

Le dernier bloc de résultats concerne une autre transition, celle vers l’accompagnement, que seuls les enseignants associés connaissent et qui se distingue de la transition vers l’enseignement présentée précédemment. Au cours de cette période, les enseignants associés doivent s’adapter et développer de nouvelles compétences. Par exemple, Ève souligne : « au début, je voulais parfois trop aider, mais maintenant j’essaie d’être plus sélective et j’attends que les gens le demandent » (s40). Elle réalise que tout le monde ne réagit pas de la même façon à ses interventions. Aujourd’hui, même si elle considère pouvoir fournir davantage de ressources aux stagiaires et pousser davantage la formation, elle se montre davantage à l’écoute des besoins de ses stagiaires puisqu’elle souhaite éviter les confrontations qui peuvent nuire au climat entre collègues.

Souvent précipitée, cette transition vers le nouveau rôle professionnel exige des enseignants associés qu’ils se positionnent et apprennent rapidement de manière autonome. Comme le dit Isa : « mon ancien directeur agissait comme mentor, mais il a quitté et […] ma collègue devait avoir une enseignante associée […]. L’université m’a envoyé les documents, je n’ai pas eu de formation comme telle, j’ai dû lire pour me former moi-même » (s27-s28-s29). Cette urgence d’assurer le déroulement du stage a influencé la manière dont Isa interprète son rôle qui, selon elle, s’apparente à du support informel.

Le peu d’encadrement pendant cette transition transparait également chez Léo. Ce dernier soulève un besoin de consolider sa compréhension des attentes institutionnelles par rapport au rôle d’enseignant associé. Comme il l’affirme : « ce n’est pas normal de devoir lire trois documents en plus de regarder une vidéo pour comprendre si c’est un stage d’observation ou de prise en charge » (s50). La transition vers l’accompagnement s’avère donc complexe et ne permet pas de baliser suffisamment le rôle de l’enseignant associé, ce qui laisse place à des interprétations variées et possiblement inadéquates. Pour Léo, son rôle se résume principalement à supporter le stagiaire dans la réalisation de ses travaux, soit ce qui compose majoritairement les documents qu’il consulte.

Dans la transition de Lyn, c’est la personne au poste de directeur qui occupe une place importante. Elle se souvient avoir craint qu’aucun stagiaire ne souhaite réaliser son stage auprès d’elle. Son directeur a pris le dossier en main et les premiers stagiaires sont arrivés. Elle mentionne : « les premiers que j’ai accompagnés n’ont pas eu le même service que ceux des dernières années » (s71). En résumé, elle abordait, à ses débuts, surtout des sujets superficiels avec les stagiaires, des éléments plus techniques liés à l’enseignement comme la modification d’activités d’apprentissage ou des conseils pour animer un cours. Elle constate rapidement que cela ne suffit pas à répondre à leurs besoins. Elle décide de s’engager davantage à faire réfléchir les stagiaires pour mieux planifier, piloter et évaluer par exemple. Selon son interprétation, elle devait « devenir une courroie de transmission » (s76) pour favoriser le partage de meilleures pratiques avec les stagiaires qu’elle accompagne.

D’autre fois, l’épreuve à surmonter ne relève pas de la transition vers le rôle d’enseignant associé dans son ensemble, mais d’un évènement particulier. Pour Sue, le défi survient lorsqu’elle doit accompagner un stagiaire dont le stage se déroule avec difficulté. Cette situation met en évidence le malaise de devoir évaluer un collègue en formation, autrement dit, le défi de se légitimer et de répondre à la question : « qui suis-je pour évaluer une autre enseignante? » (s45). Elle trouve toutefois du support du côté du conseiller pédagogique qui vient poursuivre l’évaluation du stagiaire. À travers cette situation, Sue a pu mesurer la sensibilité de son rôle et elle garde en tête l’importance de collaborer pour assurer l’accompagnement des stagiaires.

DISCUSSION

Comme l’ont montré les travaux sur l’expérience et la notion d’épreuve, tous les évènements et les interactions n’éprouvent pas l’individu avec la même force ni de la même façon (Dubet, 1994; Martuccelli, 2015). D’aussi loin que Dewey (1934), il appert que des évènements se détachent du flux de l’expérience. Ce sont ces épisodes qui marquent le parcours professionnel des enseignants associés qui ont été rapportés dans les résultats. Les interviewés en parlent comme des défis avec un point de départ, un déroulement, un point culminant et un dénouement qui correspond, le plus souvent, à un apprentissage ou une prise de conscience (Demazière, 2003). Alors que Martuccelli (2015) stipule qu’en éducation, par exemple en formation initiale, l’épreuve-défi prend la forme d’une série d’épreuves formalisées à subir pour accéder à la réussite, il en va autrement pour celles décrites précédemment. Ces épreuves ne constituent pas un processus d’apprentissage visant explicitement à former l’enseignant associé. L’apport de la transition vers l’enseignement, de la formation universitaire et de la transition vers l’accompagnement par rapport au rôle d’enseignant associé s’avère fortuit, quoique bien présent et déterminant.

L’épreuve de la transition vers l’enseignement : un défi d’adaptation

Comme l’a exposé Martuccelli (2015), la notion d’épreuve-défi revêt un caractère structurel. Par rapport à la transition vers l’enseignement, les modes de recrutement et d’insertion dans la profession qui régissent l’entrée dans la profession enseignante en formation professionnelle constituent des exemples de cet aspect structurel. Ce passage bouleversant de l’exercice du métier vers son enseignement transforme l’individu de manière durable (Balleux, 2013). Cette épreuve se révèle un défi d’adaptation dans le parcours professionnel de l’enseignant associé. Il semble donc inévitable que ce passage, dont le souvenir est ravivé par le stagiaire plus ou moins récemment embauché, occupe une place si importante dans la manière d’interpréter le rôle d’accompagnement. Selon les propos rapportés, il apparait également fort pertinent de se préoccuper des interactions significatives pendant cette épreuve. En effet, les propos des enseignants associés incitent à porter l’attention sur le soutien reçu d’un enseignant associé, mais aussi d’un autre enseignant ou d’un conseiller pédagogique. Les enseignants associés interviennent souvent bien après l’entrée dans la profession de leur stagiaire ; il semble néanmoins que les premiers mentors, formels ou informels, influencent la manière dont les enseignants, futurs enseignants associés exerceront leur rôle. Bref, si l’enseignant associé s’est senti soutenu au moment où il a effectué sa transition vers l’enseignement, il s’inspire de ce vécu pour orienter sa conduite. Si, au contraire, il n’a pas reçu le soutien désiré, il cherche à pallier cette lacune en agissant d’une manière différente. Ce constat invite à se préoccuper de l’accompagnement lors de l’insertion professionnelle des enseignants, et ce, en réfléchissant aux répercussions à plus long terme.

L’épreuve de la formation universitaire : un défi de persévérance

En ce qui concerne l’apport de la formation universitaire, non pas par rapport au rôle d’enseignant comme il serait attendu, mais bien concernant celui d’enseignant associé, les résultats font ressortir qu’il s’agit d’un défi de persévérance. Encore une fois, les structures existantes dans les centres de formation professionnelle et les universités offrant un baccalauréat en enseignement professionnel exigent une conciliation travail-études-vie familiale ou personnelle qui marque le vécu des individus. Comme le soulignent Martuccelli et Lits (2009), le propre de l’épreuve demeure de défier la résistance. La poursuite des études, malgré une tâche d’enseignement à temps plein et une situation familiale plus ou moins prenante, défie bel et bien l’individu. Les traces que laisse cette épreuve se traduisent par une sensibilité et une attitude empathique, peut-être même sympathique, à l’égard des stagiaires. Conscients de l’engagement nécessaire à la poursuite des études et du contexte particulier de l’enseignement en formation professionnelle, les enseignants associés orientent leurs comportements auprès des stagiaires. Il apparait qu’ils accordent une place importante au soutien moral et affectif des stagiaires. Les résultats ne permettent pas de se positionner à savoir si ce support est assuré au détriment du développement des compétences professionnelles, voire d’une diminution des attentes envers le stagiaire, mais il semble que ce soit une possibilité à considérer.

L’épreuve de l’accompagnement : un défi de légitimation

Toujours selon Martuccelli et Lits (2009), les individus subissent des épreuves tout au long de la vie et ils ne peuvent faire autrement que leur donner du sens en fonction de leurs manières de les aborder. Les résultats vont également en ce sens. La transition du rôle d’enseignant vers celui de formateur d’enseignants se révèle un défi de légitimation pour l’enseignant associé. Considérée comme un défi d’appropriation d’un nouveau rôle avec des attentes et un contexte spécifique, il appert que tous les enseignants associés ne s’acquittent pas de cette épreuve de la même manière. En fonction des stagiaires accompagnés et des personnes qui interviennent pour faciliter la transition, notamment le superviseur universitaire, le directeur et le conseiller pédagogique, l’expérience vécue définit l’enseignant associé différemment et l’incite ou non à s’engager auprès de nouveaux stagiaires. Ce constat met en lumière l’importance de soutenir les enseignants qui choisissent de devenir enseignants associés afin qu’ils s’approprient leur rôle, c’est-à-dire qu’ils comprennent les attentes, qu’ils déterminent la latitude dont ils disposent et qu’ils saisissent les leviers pour favoriser le développement des stagiaires et les frontières de leur collaboration avec les autres intervenants. L’objectif demeure qu’ils parviennent à légitimer leurs actes pour contribuer pleinement à la formation des stagiaires.

À la lumière de ces constats, il apparait pertinent d’effectuer un retour sur les grandes étapes du parcours professionnel de l’enseignant en formation professionnelle de Balleux et Gagnon (2011). Il se dégage qu’au moins une autre étape succède aux quatre étapes déjà reconnues, soit celle de l’appropriation du rôle d’enseignant associé. Cette étape repose également sur des interactions entre l’individu, son environnement et des acteurs clés comme les stagiaires, qui sont aussi enseignants et collègues, les superviseurs universitaires et les conseillers pédagogiques, voire les directions de centres de formation professionnelle. Ces acteurs se révèlent déterminants, mais les résultats ne permettent pas d’éclairer la manière dont ils perçoivent leur propre rôle par rapport à la reconnaissance, la valorisation et la légitimation des enseignants associés. D’ailleurs, dans les orientations relatives à la formation en milieu de pratique destinées à toutes les filières d’enseignement (Gouvernement du Québec, 2008), il est écrit que le superviseur universitaire a pour rôle de soutenir les stagiaires et les enseignants associés. Cependant, dans son énoncé, le document ne fournit aucune indication concernant le support qu’il doit offrir à ces derniers (Gouvernement du Québec, 2008). En s’inspirant de ce document et des résultats présentés dans cet article, il appert que les superviseurs universitaires doivent cerner les besoins des enseignants associés et les accompagner. Leurs interventions devraient favoriser le regard critique et constructif de l’enseignant associé par rapport à ses actions pour qu’ils mobilisent les aptitudes et les connaissances acquises au cours de son parcours professionnel afin qu’il favorise à son tour le développement des compétences professionnelles de ses stagiaires. Les superviseurs universitaires ne s’avèrent pas les seuls collaborateurs des enseignants associés, mais ils constituent un engrenage important de la formation en milieu de pratique.

Les limites

Pour saisir la portée des analyses effectuées, il semble important de soulever quelques éléments balisant les limites de la recherche. D’emblée, les participants se sont portés volontaires pour participer aux entretiens, ce qui exclut toute question de représentativité (Fortin et Gagnon, 2010). Ils ont été sélectionnés pour leur capacité à fournir des informations sur leur parcours professionnel marqué par les transitions. Par ailleurs, comme le souligne Savoie-Zajc (2009) en parlant de l’entretien, il faut garder en tête que les interviewés peuvent ressentir une certaine pression, nommée désirabilité sociale, qui les pousse à organiser leur discours selon ce qu’ils pensent qu’ils doivent communiquer. Cependant, les évènements rapportés dans cet article s’avèrent communs à presque tous les enseignants associés, ce qui témoigne de leur prépondérance. Enfin, et il s’agit probablement du point le plus important pour appréhender les constats qui suivent, travailler sur l’expérience vécue revient à construire du sens avec des fragments d’expérience relatés à un certain moment de l’histoire des individus (Ulmann, 2013). En tentant de rendre visible leur expérience, les enseignants associés la soumettent inévitablement à de nouvelles interprétations, celle du chercheur et celle des lecteurs (Tardif et Gauthier, 2012). Cette intersubjectivité demeure inhérente à toutes recherches, particulièrement aux recherches interprétatives, mais, bien qu’il s’agisse d’une représentation des épreuves vécues (Forget, 2013), cette dernière permet d’enrichir la compréhension des parcours professionnels des enseignants associés d’une manière pertinente pour alimenter les réflexions.

CONCLUSION

Les résultats discutés permettent de conclure que l’interprétation que les enseignants associés font de leur rôle professionnel relève de l’expérience vécue au fil de leur parcours professionnel. Bien que chaque enseignant associé s’acquitte individuellement des épreuves qui parsèment son vécu professionnel, ces épreuves se retrouvent, comme de grands défis collectifs à surmonter dans la majorité de leur parcours. Cette dimension de mise au défi a émergé au fil des analyses de la thèse d’où proviennent les résultats présentés dans cet article. La discussion des résultats à partir de la notion d’épreuve constitue toutefois un éclairage original permettant d’ouvrir vers d’autres réflexions et pistes de recherche.

Par exemple, il y a plus d’une décennie que des instances insistent sur l’importance de la formation continue pour les enseignants associés (Comité-conseil sur la formation du personnel enseignant, 2006). Toutefois, les résultats montrent que cette offre de formation ne figure pas parmi les évènements marquants dans leur parcours professionnel. Quelle forme la formation continue doit-elle prendre pour être déterminante par rapport à l’appropriation du rôle d’enseignant associé? Qui peut intervenir auprès des enseignants associés pour laisser des traces significatives dans leur manière d’exercer leur rôle auprès des stagiaires? Des recherches menées selon des approches comme la recherche collaborative, particulièrement la recherche action-formation, permettraient d’apporter des réponses à ces interrogations.

Enfin, la notion d’épreuve mise de l’avant dans cet article amène vers un dernier concept. Martineau (2006) affirme que la résilience se comprend comme une habileté à s’ajuster aux situations et à développer ses compétences pour faire face à l’adversité. Faire face à l’épreuve, et se construire à travers elle, fait-il des enseignants associés des individus résilients? Plusieurs points soutenus par l’auteur rejoignent les résultats exposés comme l’importance d’établir des relations signifiantes, le besoin de développer un sentiment de compétence ou de confiance ou la capacité à identifier des attentes et des objectifs par rapport à une situation vécue. En ce sens, les enseignants qui deviennent enseignants associés seraient-ils plus résilients que leurs collègues? Encore une fois, d’autres recherches avec les enseignants associés, mais aussi d’autres acteurs de la formation en milieu de pratique seront nécessaires pour apporter ces éclairages.



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