Impact de la formation et de l’accompagnement pédagogique destinés aux nouveaux professeurs d’université sur leur tâche réelle : comparaison internationale (Canada–France)

France Gravelle et Louise Ménard Université du Québec à Montréal

Christian Hoffman Université de Grenoble

Geneviève Lameul Université de Rennes 2

Denis Bédard Université de Sherbrooke

Diane Leduc et Christian Bégin Université du Québec à Montréal

Au cours des dernières années, la tâche de professeur d’université a été soumise à des changements majeurs et à des défis considérables qui ont entraîné la transformation de la fonction (Bertrand et Foucher, 2003; Dahan et Mangematin, 2010; Deschenaux, 2013; Dyke et Deschenaux, 2008; Leclerc et Bourassa, 2013; Leclerc, Bourassa et Macé, 2016). À titre d’exemple, l’utilisation omniprésente d’outils technologiques, par de nouvelles générations d’étudiants, exige que les professeurs d’université adaptent leur enseignement à cette nouvelle façon d’interagir et de communiquer (Habib, 2013; Leclerc et Bourassa, 2013; Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017). Également, il importe de plus en plus, pour les universités, que leurs professeurs publient dans des revues internationales de prestige, ce qui semble représenter un enjeu important en lien avec la tâche réelle d’un professeur d’université (Bertrand et Foucher, 2003; Dahan et Mangematin, 2010; Deschenaux, 2013; Dyke et Deschenaux, 2008; Leclerc et Bourassa, 2013; Leclerc, Bourassa et Macé, 2016). Dans un avis transmis au ministère de l’Éducation, le Conseil supérieur de l’éducation du Québec (2002) a décrit les conséquences des nouveaux partenariats de recherche, à la fois sur la lourdeur de la charge de travail de certains professeurs et sur la transformation de la nature même de leur travail (Bertrand et Foucher, 2003; Leclerc et Bourassa, 2013). De plus, l’accroissement des tâches administratives et l’adaptation de tâches connexes semblent démontrer qu’il existe un écart entre la tâche prescrite et la tâche réelle pouvant contribuer à alourdir et à complexifier la tâche des professeurs d’université (Bertrand et Foucher, 2003; Dahan et Mangematin, 2010; Deschenaux, 2013; Dyke et Deschenaux, 2008; Leclerc et Bourassa, 2013; Leclerc, Bourassa et Macé, 2016). En fait, depuis quelques années, nous entendons parler de lourdeur administrative universitaire qui se traduit par de nombreuses structures de participation et de mécanismes décisionnels pour lesquels les professeurs d’université investissent du temps et de l’énergie (Conseil supérieur de l’éducation, 1982; Leclerc et Bourassa, 2013). Afin d’aider les nouveaux professeurs à s’adapter aux différents changements sociétaux qui reflètent sur leur tâche réelle, des établissements d’enseignement universitaire ont développé des dispositifs de formation et d’accompagnement pédagogique (Dyke, 2006; Frenay et coll., 2010; Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017; Roegiers et coll., 2012; Romainville et Michaud, 2012). Dans certaines universités, le contenu des dispositifs se traduit par des ateliers et de l’accompagnement pédagogique qui s’offrent sur une période de courte durée, quelques heures à quelques journées (Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017). Parallèlement, dans d’autres universités, des programmes de formation comprenant des cours de 45 heures ainsi qu’une offre d’accompagnement pédagogique ont été développés. Les principaux objectifs visés par ces dispositifs sont d’aider les professeurs à perfectionner leurs compétences pédagogiques, tout en valorisant leur pratique permettant ainsi l'échange et la collaboration entre collègues. De plus, ces dispositifs de formation et d’accompagnement permettent aux professeurs d’appliquer différentes stratégies d’enseignement, dont l'usage des technologies de l'information et de la communication. Malgré l’importance accordée à la formation et à l’accompagnement des nouveaux professeurs d’université, il n’en demeure pas moins que tous les services pédagogiques offerts par ces universités ne sont pas prescrits, même si les nouveaux professeurs sont peu expérimentés dans le domaine de l’enseignement. De plus, malgré quelques années d’existence, il est surprenant de constater que peu de recherches portent sur les effets qu’ont eus la formation et l’accompagnement pédagogique offerts aux nouveaux professeurs (Gibbs et Coffey, 2004; Frenay et coll., 2010; Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017; Postareff, Lindblom-Ylänne et Nevgi, 2007 et 2008). C’est donc à la suite de ces constats que des chercheurs canadiens et français ont décidé de mener une recherche, afin de vérifier si la formation à l’enseignement et l’accompagnement pédagogique offerts aux nouveaux professeurs d’université ont un impact sur leur tâche réelle? Dans le cadre de cet article, une partie des résultats recueillis par entrevue auprès de 39 nouveaux professeurs, dont 21 œuvrant au Québec et 18 en France, seront présentés. Ces résultats sont en lien avec la question suivante : Quel bilan faites-vous de votre expérience d’enseignement et de vos interactions avec les étudiants, depuis votre embauche comme professeur dans cette université?

CADRE THÉORIQUE

Le cadre théorique retenu pour la rédaction de cet article repose sur la théorie selon laquelle un « écart » existe entre l’activité théorique supposée (travail prescrit) et l’activité déployée par les professeurs d’université (travail réel) (Clot, 1999, 2015; Castang, 2012; Daniellou, 2015; Daniellou et Jackson, 1997; Dejours, 1995, 2015, 2016; Ducros et Amigues, 2014; Leplat, 2008; Maulini, 2010; Maulini et Vincent, 2014; Piney, Nascimento, Gaudart et Volkoff, 2013; Prot, 2007, Rayou, 2014). En 1955, Ombredane et Faverge ont fait une distinction entre le « quoi » et le « comment » du travail, ce qu’il y à faire et comment les travailleurs le font-ils?. En 1983, Leplat et Hoc ont repris cette distinction en parlant de « tâche » et d’« activité ». Selon eux, la tâche indique ce qui est à faire, l’activité, ce qui se fait (Leplat et Hoc, 1983). De plus, la notion de tâche véhicule avec elle l’idée de prescription et d’obligation. La notion d’activité, quant à elle, est davantage en lien avec la réalisation. Quelques années plus tard, Clot (1999, 2015) s’est intéressé au réel de l’activité. Plus précisément, selon lui, le réel de l’activité recouvre ce « qu’on fait » mais aussi ce « qu’on ne fait pas » et ce « qu’on ne peut pas faire ». L’activité ne concerne donc pas seulement ce qui est fait et réalisé mais également

ce que l’on aimerait faire sans succès, sans toutefois pouvoir réellement le réaliser, ce qui nous échappe, ce qu’on s’interdit de faire, ce qu’on fait sans vouloir le faire, ce qu’on fait pour ne pas faire ce qu’on nous demande de faire, autrement dit les activités suspendues, empêchées ou, au contraire déplacées. (Clot, 1999, p. 119)

Plusieurs recherches en lien avec l’ergonomie et la psychologie du travail ont insisté sur la distinction entre la tâche prescrite (travail prescrit) et l’activité réelle (travail réel). L’analyse des situations de travail a donné l’occasion à l’ergonomie de démontrer l’écart entre la tâche telle qu’elle est prescrite (travail prescrit) et l’activité de ceux qui la réalisent (travail réel) (Teiger et Bernier, 1990). Plus précisément, le réel de la tâche des professeurs d’université est donc la modification des conditions par le sujet et non pas ces conditions elles-mêmes. Selon Clot (2015), il semble exister un écart entre le « travail prescrit » et le « travail réel », mais qu’en est-il de la tâche d’un professeur d’université? Qu’est-ce qui peut influencer la différence entre un travail de prescription et celui réalisé sur le terrain?

Tâche prescrite selon le gouvernement et les syndicats

Tant au Québec qu’en France, les conventions collectives prescrivent la fonction de professeur d’université. Au Québec, selon le Conseil supérieur de l’éducation (1982), la tâche prescrite d’un professeur d’université se résume par quatre principales composantes : l’enseignement, la recherche, le service à la collectivité ainsi que la participation à la vie universitaire. Voici donc comment se compose principalement la tâche annuelle d’un professeur d’université, selon la Fédération québécoises des professeurs d’université (s.d.) : la composante « enseignement » comprend : les activités créditées d’enseignement (cours, séminaires, stages, cours supervisés, laboratoires et ateliers, tutorats, supervisions de stages ou activités de synthèses, ainsi que la préparation, la correction, l’évaluation et la transmission des notes qui s’y rattachent), l’encadrement et l’assistance des étudiants, la guidance des étudiants dans un programme (aide particulière aux étudiants en difficulté, assister les étudiants en relation avec leurs objectifs de travail, participer à l’organisation des stages, etc.), la mise à jour des connaissances et le perfectionnement continu, la préparation de nouvelles activités d’enseignement et l’innovation pédagogique, la direction de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat ainsi que la direction d’autres travaux de recherche et de création requis par les programmes d’études de cycles supérieurs, le recrutement et l’encadrement des personnes chargées de cours. Pour sa part, la composante « recherche ou création » comprend entre autres divers types de travaux destinés à contribuer à l’avancement du savoir et à l’amélioration des techniques de diffusion des connaissances, la contribution au rayonnement de l’université en publiant à la suite de recherches (livres, articles dans les revues scientifiques, conférences scientifiques, colloques, direction ou organisation de congrès ou colloques et autres activités susceptibles de faire avancer la diffusion des connaissances, la production d’œuvres scientifiques, littéraires et artistiques et la tenue d’expositions d’œuvres dans la discipline de chaque professeur. De son côté, la composante « administration pédagogique » comprend entre autres les activités occasionnelles ou courantes de direction ou de participation exercée par des professeurs et requises pour le bon fonctionnement de l’université : activités de direction (directeur de département, directeur de module, responsable de programme(s) d’études de cycles supérieurs et toute autre activité de direction reconnue comme telle par l’université). Les activités de participation se décrivent comme suit : participation aux organismes internes de l’université (conseil d’administration, comité exécutif, commission des études, ses sous-commissions et ses comités, assemblée départementale et ses comités, conseil de module, comité de programme, organisme-réseau comme membre de comité ad hoc, reconnu comme tel par l’université). La composante « services à la collectivité » comprend la participation non-rémunérée à des activités reliées à la fonction du professeur, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’université et reliées directement au rayonnement de l’université et la participation aux activités du syndicat (membre de l’exécutif, du comité de grief, du comité de négociation et autres comités ou groupes de travail). Pour ce qui est de la répartition ou la modification des tâches entre les professeurs, cela est du ressort de l’assemblée départementale. Elle doit tenir compte des qualités et habiletés du professeur suivant l’évolution de sa carrière à l’université. La tâche annuelle du professeur comprend des proportions variables, selon les années, qui habituellement consistent à enseigner une charge de quatre (4) cours de trois (3) crédits chacun ou l’équivalent. Le « travail prescrit » est défini par ce que l’université communique au professeur pour l’aider à concevoir, à organiser et à réaliser son travail (programmes d’enseignement, instructions officielles, lois et règlements, évaluation du travail enseignant, convention collective, etc.). Ces prescriptions émanent de plusieurs sources liées au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif.

Pour ce qui est de la France, c’est le décret n°84-431 qui fixe les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs, tout en portant un statut particulier quant aux professeurs des universités et aux maîtres de conférences. Le décret stipule que les enseignants-chercheurs ont une double mission d'enseignement et de recherche. Ils doivent également accomplir des missions du service public de l'enseignement supérieur prévues par l'article L. 123-3 du code de l'éducation qui regroupent : la formation initiale et continue tout au long de la vie, la recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats au service de la société. Cette dernière repose sur le développement de l'innovation, du transfert de technologie lorsque celui-ci est possible, de la capacité d'expertise et d'appui aux associations et fondations, reconnues d'utilité publique ainsi qu’aux politiques publiques menées pour répondre aux défis et besoins sociétaux, économiques et de développement durable. Elle comprend également l'orientation, la promotion sociale et l'insertion professionnelle, la diffusion de la culture humaniste, en particulier à travers le développement des sciences humaines et sociales, et de la culture scientifique, technique et industrielle, la participation à la construction de l'Espace européen de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que la coopération internationale. De plus, le travail prescrit comporte l'accomplissement des missions de la recherche publique mentionnées à l'article L. 112-1 du code de la recherche qui se traduisent comme suit : le développement et le progrès de la recherche dans tous les domaines de la connaissance, la valorisation des résultats de la recherche au service de la société qui s'appuie sur l'innovation et le transfert de technologie, le partage et la diffusion des connaissances scientifiques en donnant priorité aux formats libres d'accès, le développement d'une capacité d'expertise et d'appui aux associations et fondations, reconnues d'utilité publique, et aux politiques publiques menées pour répondre aux défis sociétaux, aux besoins sociaux, économiques et du développement durable, la formation à la recherche et par la recherche et l'organisation de l'accès libre aux données scientifiques.

Dans l'accomplissement des missions relatives à l'enseignement et à la recherche, ils jouissent, conformément aux dispositions de l'article L. 952-2 du code de l'éducation, d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du code de l'éducation, les principes de tolérance et d'objectivité.

En somme, il est intéressant de constater que la tâche prescrite des professeurs d’université œuvrant au Québec ainsi qu’en France est très similaire et qu’elle repose sur l’enseignement, la recherche, l’administration pédagogique ainsi que les services à la communauté.

Tâche réelle d’un professeur d’université

La tâche réelle d’un professeur d’université est comparable à celle d’un travailleur autonome. En fait, le professeur d’université est à la fois professionnel et entrepreneur, car c’est lui qui détermine l’importance qu’il accorde à chacune des composantes de sa tâche ainsi qu’au choix des méthodes de travail utilisées (Bertrand et Foucher, 2003; Deschenaux, 2013; Dyke et Deschenaux, 2008; Leclerc et Bourassa, 2013). De plus, une fois le doctorat obtenu, les professeurs d’université ne sont pas obligés de s’inscrire à de la formation continue, car il n’existe aucune prescription en provenance de l’université pour laquelle ils œuvrent. Également, il est à noter que la tâche réelle des professeurs d’université n’est pas soumise à des critères précis définissant la durée normale de la semaine de travail. Plus précisément, le travail des professeurs d’université résulte d’une série de décisions prises tant à l’externe (gouvernements, organismes subventionnaires, syndicats, etc.) qu’à l’interne du système universitaire (facultés, départements, centres de recherche, programmes d’études, etc.). Il importe également de mentionner que chaque professeur décide de la proportion des composantes de sa tâche annuellement (Bertand et Foucher, 2003).

Dans le cadre de cette recherche qui s’est échelonnée sur trois années, les participants ont adopté une posture réflexive qui leur a permis de réfléchir quant à leur tâche réelle en analysant leurs démarches, en fonction des étudiants, du terrain, de l’environnement, des ressources et des contraintes propres à l’établissement, des obstacles rencontrés ou prévisibles, etc. (Altet, 2013; Gather Thurler, 1996). Selon Schön (1983), la réflexion dans l’action a pour fonction de « mettre en mémoire » des observations, des questions et des problèmes qu’il est impossible de traiter sur le champ et de préparer une réflexion plus distancée du praticien sur son système d’action et son habitus (Perrenoud, 2010, 2012). Plus précisément, les participants ont pu s’appuyer sur des pratiques de feedback, d’analyse du travail, d’échanges sur les problèmes professionnels, de réflexion sur la qualité, d’évaluation et d’autoévaluation de ce qu’ils font (Altet, 2013; Gather Thurler, 1996). La pratique réflexive peut être réalisée seule ou faire appel à des expertises externes (Altet, 2013; Gather Thurler, 1996), par exemple des conseillers pédagogiques, ce qui a été le cas dans le cadre de cette recherche.

MÉTHODOLOGIE

Le projet de recherche a été mené au sein de trois universités canadiennes : Université du Québec à Montréal, l’Université de Sherbrooke et l’Université d’Ottawa. Pour ce qui est de la France, l’École normale supérieure de Lyon, l’Université de Rennes 2 et l’Université de Grenoble ont participé au projet.

La méthodologie retenue pour réaliser la collecte de données a reposé sur des entrevues semi-dirigées qui ont eu lieu entre la septième et la neuvième séance de cours, pendant les trois années de la recherche. Les professeurs ont été invités à décrire leurs pratiques en se référant à la séance de cours observée quelques jours auparavant par un assistant de recherche, qui avait pour consignes de se reporter à l’observation de la séance de cours qu’ils avaient enseignée (l’assistant de recherche jouait le rôle d’intervieweur et d’observateur auprès des professeurs) (Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017). Les entrevues ont porté sur des aspects de leur tâche réelle (perceptions autorapportées par les participants) quant à leurs pratiques de planification, d’enseignement et d’évaluation, au bilan de leur expérience d’enseignement depuis leur embauche comme professeur d’université (tâche réelle). Le consentement des professeurs a été obtenu avant le début de cette étape. Afin de s’assurer de l’uniformité du processus de collectes de données, chaque assistant de recherche a d’abord été familiarisé avec l’utilisation du guide d’entrevue et la méthode d’analyse des données par la chercheure responsable du projet.

Instrument

Le protocole d’entrevue comprenait quatre questions en lien avec la planification, sept questions avec l’enseignement, trois questions en lien avec l’apprentissage, quatre faisaient référence à la motivation, cinq à l’évaluation des apprentissages et trois leur permettaient de décrire leur bilan ainsi que le profil du professeur idéal.

Participants à la recherche

Les résultats présentés dans cet article ont été recueillis auprès de nouveaux professeurs d’université comportant les critères de sélection suivants : professeurs sans formation ni accompagnement, professeurs sans formation avec accompagnement, professeurs ayant suivi une formation courte et ayant reçu de l’accompagnement de la part de conseillers pédagogiques ainsi que des professeurs ayant suivi une formation courte sans accompagnement (voir tableau 1).

TABLEAU 1. Répartition des participants selon les critères de sélection

Critères de sélection?

Universités canadiennes

Universités françaises

Professeurs sans formation ni accompagnement

3

7

Professeurs sans formation avec accompagnement

2

5

Professeurs ayant suivi une formation courte et ayant reçu de l’accompagnement

7

3

Professeurs avec formation courte sans accompagnement

9

3

Total

21

19



Déroulement de la collecte de données

Les participants à la recherche, qui ont suivi une formation, ont pu échanger avec d’autres collègues quant aux composantes de la tâche réelle d’un professeur d’université : objectifs d’apprentissage, planification de l‘enseignement, aux bases de la réflexion pédagogique, aux choix des méthodes, aux modalités, aux outils ainsi qu’aux critères d’évaluation et de rétroaction utilisés (Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017). La formation suivie par les professeurs a été d’une durée de 15 heures et avait pour objectif d’initier les professeurs aux tâches de planification, d’enseignement et d’évaluation, tout en les amenant à réfléchir à leur pratique (tâche réelle) par le biais de nombreux exercices, de mises en situation et de discussions entre les participants. La formation s’est offerte pendant le mois précédent la session d’automne 2014 et s’est déroulée sur trois jours (Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017). Les thèmes de la formation portaient sur : la définition des objectifs d’apprentissage, la planification de son enseignement, l’élaboration d’activités d’enseignement centrées sur l’apprentissage, l’évaluation cohérente, l’utilisation de situations authentiques et de grilles de correction, l’utilisation de technologies pour soutenir l’apprentissage, l’intervention pour motiver les étudiants ainsi que sur la définition de l’apprentissage étudiant selon l’approche cognitive. Les chercheurs se sont assurés que le contenu et les objectifs des formations offertes aux professeurs soit le même. Pour s’y faire, la chercheuse principale a formé les conseillers pédagogiques canadiens et français, responsables de la formation et de l’accompagnement pédagogique des nouveaux professeurs d’université, quant aux thèmes de la formation.

Pour ce qui est de l’accompagnement pédagogique, les professeurs engagés dans le projet de recherche ont rencontré, à raison de deux fois par année minimalement, pendant toute la durée de la recherche, un conseiller pédagogique désigné par leur l’université. Ces professionnels ont été formés quant à l’utilisation d’un tableau de bord, afin d’échanger avec les nouveaux professeurs en ce qui a trait à la perception de leur tâche réelle. L’outil comprenait des pistes de discussion, afin d’aider les professeurs dans leur pratique réflexive : problème, pratique ou situation à travailler (ce qu’ils ont retenu de la formation), analyse de la situation, plan d’action, moyens utilisés, documents et ressources fournis, évolution du point de vue du professeur durant l’entretien ou depuis le dernier entretien ainsi que le suivi.

Analyse des résultats

À l’aide du logiciel NVivo, les verbatim ont été analysés selon la méthode d’analyse de contenu de Huberman et Miles (2002). Pour réaliser cette analyse, des catégories et des sous-catégories ont été déterminées à partir des questions posées aux professeurs et des sujets abordés, puis elles ont fait l’objet d’un accord interjuges avant que débute l’ensemble du processus de catégorisation puis de condensation des données. Pour ce qui est de la question « Quel bilan faites-vous de votre expérience d’enseignement et de vos interactions avec les étudiants, depuis votre embauche comme professeur dans cette université? », les facteurs suivants, en lien avec la tâche réelle, ont été retenus pour analyser les réponses des participants : enseignement, étudiant, relation, ressenti et recherche qui ont été, par la suite, traduits en niveaux de satisfaction : satisfaisant, mitigé et insatisfaisant.

RÉSULTATS

Les résultats présentés ici sont le reflet d’une synthèse des propos autorapportés des professeurs quant à leur bilan d’expérience (travail réel) depuis leur embauche comme professeur d’université. Leurs propos ont été recueillis via des entrevues semi-dirigées ainsi que des rencontres avec un conseiller pédagogique pendant trois années. Les bilans sont présentés selon les quatre types de formation /accompagnement (sans formation ni accompagnement, sans formation avec accompagnement, avec formation courte et accompagnement ainsi qu’avec formation courte sans accompagnement), puis selon le pays (Canada et la France) pour chaque type de formation.

Bilan d’expérience comme professeurs d’université (sans formation ni accompagnement)

Professeurs canadiens. Pour ce qui est de l’an un, trois professeurs canadiens ont répondu à la question « Quel bilan faites-vous de votre expérience d’enseignement et de vos interactions avec les étudiants? ». Trois professeurs ont mentionné être satisfaits car l’enseignement en petit groupe leur avait permis de discuter avec les étudiants, tout en intégrant de nouvelles activités et techniques dans leur enseignement. Pour l’an trois, les professeurs ont mentionné être satisfaits puisqu’ils ont continué de développer leur cours, tout en l’améliorant. Pour un des professeurs, tenir compte des commentaires des étudiants s’avérait être important, car cela permettait d’être satisfait des évaluations de son enseignement. Lors des années deux et trois, la satisfaction des professeurs était plutôt centrée sur leur enseignement, car ils ont mentionné avoir amélioré leur cours en intégrant de nouvelles activités et des discussions, à la demande des étudiants. Lors du premier bilan, un des professeurs était satisfait de son expérience d’enseignement puisque les étudiants étaient agréables et que les commentaires reçus furent positifs. Sans connaître les composantes réelles de la tâche d’un professeur d’université, les professeurs canadiens se sont dit majoritairement « satisfaits » de leur expérience pendant les trois années du projet de recherche.

Professeurs français. De leur côté, sept professeurs français ont répondu à la question « Quel bilan faites-vous de votre expérience d’enseignement et de vos interactions avec les étudiants? ». Trois des professeurs ont fait un bilan positif en mettant en relief leur plaisir d’enseigner. Un des trois a également fait référence à son enseignement et un autre a évoqué sa relation avec les étudiants. Un autre professeur a par contre fait un bilan mitigé en partageant que ses étudiants lui avaient mentionné avoir suivi le cours avant et que son cours actuel devait être actualisé versus l’autre professeur. Enfin, trois professeurs ont fait un bilan négatif en évoquant le fait que la matière de leur cours ainsi que leur relation avec les étudiants étaient difficiles et qu’ils ne savaient pas comment résoudre cette problématique. Lors de l’an deux, un des sept professeurs a fait un bilan positif en affirmant avoir constaté une progression dans sa façon d’appréhender les contenus. Trois professeurs ont fait un bilan mitigé. L’un d’entre eux a mentionné que les séances étaient trop étalées dans le temps, mais qu’il adorait le groupe. Un autre, pour sa part, a exprimé avoir été un peu déprimé à cause des étudiant difficiles et qu’il ne savait pas quoi faire. De son côté, le troisième a affirmé qu’il se sentait comme à l’an un. Enfin, trois professeurs ont fait un bilan négatif. Le troisième, pour sa part, a critiqué la structure universitaire et les étudiants. Pour ce qui est de l’an trois, deux professeurs ont fait un bilan positif. Un d’entre eux a expliqué son plaisir d’enseigner et sa relation avec les étudiants, l’autre a évoqué sa progression dans sa façon d’appréhender les contenus. Quatre professeurs ont fait un bilan mitigé. L’un a mentionné que ses étudiants étaient plus motivés que les deux années précédentes, ce qui a eu pour effet de le motiver également. Le deuxième a mentionné que son rôle de professeur se cristallisait, peu à peu, sans connaître à quoi cela devait ressembler. De son côté, le troisième a affirmé commencer à penser plus globalement, sans savoir jusqu’où aller dans sa réflexion. Le quatrième a mentionné que tout dépendait du groupe d’étudiants. Enfin, un professeur a fait un bilan négatif en évoquant le fait que c’était difficile d’avoir une interaction positive avec 50 étudiants. Il est remarquable de constater que les parcours des professeurs français ont varié, d’année en année. Tous ont eu une évolution positive, négative ou les deux, à l’exception d’un professeur qui a eu un bilan de son enseignement positif dès l’an 1, malgré le fait qu’il était conscient qu’il devait évoluer. De plus, lors de la première et de la deuxième année, trois professeurs ont eu un bilan négatif au regard de leur enseignement. Ils ont critiqué le contenu et la structure de leur cours. Pour ce qui est de l’an trois, une amélioration a été au rendez-vous, car seulement un des professeurs a fait un bilan négatif en lien avec le fait qu’il enseignait à de grands groupes d’étudiants, ce qui ne lui permettait pas de pouvoir améliorer ses interactions avec ces derniers. Il est remarquable de constater que malgré le fait que les professeurs français n’ont pas été formés ni accompagnés, quant aux composantes de la tâche réelle d’un professeur d’université, qu’ils ont été en mesure d’évoquer certaines problématiques vécues au cours des trois années, sans savoir comment les résoudre.

Bilan d’expérience comme professeurs d’université (sans formation avec accompagnement)

Professeurs canadiens. Pour ce qui est de l’an un, deux professeurs canadiens ont mentionné être satisfaits. Un des deux professeurs a mentionné que sa relation avec les étudiants était importante. Pour ce qui est de l’an deux, les deux professeurs ont mentionné être plutôt satisfaits, car ils ont trouvé intéressant d’enseigner le même cours, ce qui a constitué moins de préparation pour eux. En ce qui a trait à la troisième année, les deux professeurs sont demeurés satisfaits, car leurs cours étaient déjà prêts à être enseignés. Lors des années un et trois, les professeurs ont été satisfaits de leur expérience d’enseignement. La première année, la satisfaction était plutôt centrée sur les étudiants puisque les professeurs trouvaient qu’ils posaient des questions. Toutefois, lors de la troisième année, les professeurs se sont dit satisfaits puisqu’ils se sont sentis moins déstabilisés, car ils ont conservé la même formule pédagogique que les deux années précédentes. Bref, la satisfaction en lien avec leur tâche réelle a reposé en grande partie sur le fait qu’ils n’ont pas eu à planifier un nouveau cours et que leurs étudiants semblaient satisfaits de leur prestation en salle de classe.

Professeurs français. Trois professeurs français ont mentionné être plutôt satisfaits, car ils ont dit aimer la relation qu’ils entretenaient avec les étudiants. Un des cinq professeurs s’est dit être satisfait de son bilan, car les étudiants sont arrivés à le surprendre par leurs questionnements. Somme toute, la relation avec les étudiants semblait occuper une place importante pour ces cinq professeurs de par leurs discours. Pour ce qui est de l’an deux, trois professeurs ont mentionné être plutôt satisfaits. Ils se sont questionnés davantage quant à leur enseignement, aux stratégies appréciées et à celles qu'ils devraient instaurer dans leurs cours. Deux des cinq professeurs étaient satisfaits de leur bilan, car ils ont mentionné avoir eu une meilleure articulation ainsi qu’une meilleure vision globale de leur cours à enseigner. En ce qui a trait à l’an trois, trois professeurs ont mentionné être plutôt satisfaits. Ils se sont questionnés davantage quant à leur enseignement, aux stratégies appréciées et à celles qu'ils devraient instaurer dans leurs cours pour augmenter l'interaction avec les étudiants. Globalement, les bilans des professeurs ont évolué de façon positive. De plus, lors de la première année, la relation avec les étudiants semble avoir occupé une place importante pour les cinq professeurs selon leurs discours. Lors de la deuxième année, l'enseignement semble avoir pris une place importante. Finalement, lors de la troisième année, un équilibre entre l'enseignement et les étudiants s’est fait sentir lors des entrevues des professeurs. Malgré le manque de formation, de par leurs discours, les professeurs français semblent avoir évolué de façon positive quant à la compréhension de leur tâche réelle en tant que professeur d’université.

Bilan d’expérience comme professeurs d’université (avec formation courte et accompagnement)

Professeurs canadiens. Lors de l’an un, quatre professeurs ont fait un bilan mitigé de leur expérience. Le facteur ressenti a été rapporté par tous les professeurs, tandis que le facteur relation a été rapporté par quatre d’entre eux. Pour ce qui est de l’an deux, trois des professeurs ont fait un bilan mitigé de leur expérience, tandis que deux professeurs ont fait un bilan positif. En ce qui a trait à l’an trois, trois des cinq professeurs ont fait un bilan positif de leur expérience, tandis que deux ont fait un bilan mitigé. Au fil du temps, une augmentation de la proportion des professeurs ayant fait un bilan positif a été remarquée. Bref, à première vue, la formation semble avoir influencé la compréhension des professeurs quant à leur tâche réelle, grâce au regard réflexif posé sur leurs pratiques au cours des trois années.

Professeurs français. Pour ce qui est des professeurs français, deux des trois ont fait un bilan mitigé de leur expérience. Un seul a fait un bilan positif. La majorité a parlé de la relation comme étant un facteur expliquant leur discours. Pour ce qui est de l’an deux, deux des trois ont fait un bilan mitigé de leur expérience. L’an trois s’est caractérisé par un bilan mitigé exprimé par deux des trois professeurs, tandis que l’autre a fait un bilan positif. En tant que professeurs formés, les professeurs français ont porté un regard critique quant à leur tâche réelle. Ils ont fait allusion à l’importance de l’enseignement, ce qui les a amenés à adopter, pour la plupart, une position mitigée quant à leur bilan d’expérience.

Bilan d’expérience comme professeur d’université (avec formation courte sans accompagnement)

Professeurs canadiens. Lors de l’an un, deux professeurs ont fait un bilan positif et quatre professeurs ont fait un bilan mitigé. Enfin, un seul professeur a fait un bilan négatif en évoquant le fait qu’il ne maitrisait pas du tout les outils imposés avec lesquels les étudiants devaient travailler. À l’an deux, ce n’est pas deux, mais quatre professeurs qui ont fait un bilan positif. Deux des professeurs ont fait un bilan mitigé, tandis qu’un seul professeur a fait un bilan négatif. Au cœur de son discours, il a mentionné douter du fait que son enseignement ait contribuée de façon optimale à l’apprentissage de ses étudiants. Pour ce qui est de l’an trois, ce sont six professeurs qui ont fait un bilan positif. La plupart des professeurs ont évoqué un enseignement plus réussi qui a contribué à un meilleur apprentissage ou qui s’est conjugué avec une relation plus satisfaisante. Pour cette dernière année, un seul professeur a fait un bilan mitigé. À l’exception d’un seul professeur, tous les professeurs ont fait un bilan positif à l’an trois. C’est donc dire qu’ils ont tous évalué avoir progressé au cours des trois années ou avoir maintenu une vision positive de leur enseignement et des relations entretenues avec leurs étudiants. Les professeurs canadiens formés ont, pour la plupart, évoqué que leur tâche réelle comportait, à la fin des trois années, un enseignement plus réussi qui a contribué à un meilleur apprentissage ou qui s’est conjugué avec une relation plus satisfaisante. De plus, ces derniers ont partagé avoir progressé ou avoir maintenu une vision positive de leur tâche réelle.

Professeurs français. Lorsque qu’il a été demandé aux professeurs français « Quel bilan faites-vous de votre expérience d’enseignement et de vos interactions avec les étudiants, depuis votre embauche comme professeur dans cette université? » à l’an un, deux ont fait un bilan positif, tandis qu’un autre a plutôt fait un bilan mitigé en affirmant que « Plus on enseigne, meilleur on est! ». Pour ce qui est de l’an deux, les bilans ont été inversés : un seul professeur a fait un bilan positif et les deux autres, un bilan mitigé. En ce qui a trait à l’an trois, deux professeurs ont fait des bilans positifs, tandis qu’un seul professeur a fait un bilan négatif, au cours des trois années. Ce dernier a mentionné ne pas avoir eu de temps à consacrer à des formations ou à l’amélioration de ses pratiques. On a pu remarquer que les parcours étaient variés. Un des professeurs a connu une progression douce qui l’a amené à conclure, après les trois ans, que son enseignement allait bien. C’est l’expérience et la prise en charge d’un cours qui n’était pas le sien au départ qui lui a permis d’affirmer sa satisfaction. Le bilan du deuxième professeur a été au contraire de plus en plus négatif. Si ses expériences d’enseignement n’étaient pas nécessairement mauvaises à l’an deux et à l’an trois, c’est le sentiment de ne pas avoir su améliorer ses stratégies qui s’est exprimé chez ce dernier. Quant au troisième professeur, il a connu d’abord une régression (bilan mitigé), puis une amélioration qui l’a mené à sa perception originale (bilan positif). Chez lui aussi, les expériences d’enseignement n’ont pas été mauvaises, mais c’est le sentiment de ne pas avoir suffisamment progressé qui lui a fait faire un bilan mitigé à l’an deux. Chez les trois professeurs, c’est essentiellement l’enseignement qui a été au cœur de la réflexion. Après analyse, les professeurs français formés semblent avoir porté davantage une attention particulière à une des composantes de leur tâche réelle, soit l’enseignement.

Comme première constatation, les données recueillies démontrent que les professeurs ayant suivi une formation courte avec ou sans accompagnement sont maintenant plus conscients de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les étudiants ainsi que des composantes de la tâche réelle d’un professeur d’université. Nous avons également observé que les professeurs ayant suivi une formation courte avec ou sans accompagnement semblent être plus mitigés quant à la perception de leur tâche réelle. Selon les professeurs interrogés, la formation semble avoir permis aux professeurs formés de comprendre plus clairement en quoi consiste leur tâche réelle versus celle prescrite, car ils étaient en mesure d’identifier les défis à surmonter. En effet, malgré le fait que le bilan d’expérience des professeurs est majoritairement positif, les professeurs non formés ni accompagnés canadiens sont toutefois plus nombreux à se montrer entièrement positifs à l’égard de leur expérience. Pour ce qui est des professeurs français, les résultats ont été partagés et leurs discours ont tenu compte de leur ressenti en lien avec la tâche réelle des professeurs d’université. En ce qui a trait aux professeurs canadiens, sans formation mais avec accompagnement, la majorité de ces derniers sont satisfaits de leur expérience réelle à titre de professeur d’université, tandis que les professeurs français sont plus mitigés que satisfaits. Pour ce qui est des professeurs français, sans formation mais avec accompagnement, les bilans des professeurs ont évolué de façon positive.

Après comparaison des résultats, il semble que les professeurs formés perçoivent éprouver des difficultés. À cet égard, les professeurs français comptant une formation courte et ayant bénéficié d’un accompagnement se sont sentis plus mitigés que les professeurs canadiens quant à leur bilan d’expérience (tâche réelle). Par contre, les professeurs canadiens, formés et sans accompagnement, se sont sentis plus satisfaits quant à leur bilan d’expérience que les professeurs français. Pour ce qui est des professeurs sans formation mais avec accompagnement, les professeurs, tant canadiens que français, sont à l’exception de deux professeurs (un canadien à l’an un et trois et un français à l’an trois), exclusivement centrés sur l’enseignement. En ce qui a trait aux professeurs avec formation courte et accompagnement, tant les canadiens que les français ont évolué positivement entre l’an un et trois. De leur côté, les professeurs canadiens avec formation courte et sans accompagnement ont davantage évolué que les professeurs français qui eux sont demeurés centrés sur « l’enseignement ».

Bref, il y a lieu de se questionner à savoir si la formation a conscientisé certains participants quant à leur tâche réelle ou est-ce le fait qu’ils ont éprouvé plus de difficultés que les autres au départ, étant donné qu’ils ne connaissaient que leur tâche prescrite? Est-ce que le fait d’éprouver certaines difficultés les auraient incités à s’inscrire à une formation de leur propre gré, compte tenu que cette dernière n’était pas prescrite par leur université, lors de leur embauche (Ménard, Bédard, Leduc et Gravelle, 2017)? En fait, plusieurs professeurs formés ont mentionné être maintenant plus en mesure de comprendre que la première année d’enseignement d’un cours demande beaucoup plus d’investissement en temps de préparation que l’enseignement de ce même cours pour une deuxième année consécutive (travail réel). Pourtant, il s’avère que c’est l’enseignement d’un même cours, pendant deux ans, prescrit par un plan annuel de travail (travail prescrit). Bref, malgré le fait que le travail prescrit des professeurs d’université exige qu’ils enseignent, les professeurs formés comparativement aux professeurs non formés ont mentionné éprouver certaines difficultés quant à leur enseignement et aux relations qu’ils entretiennent avec les étudiants. Plus précisément, ils ont semblé être très préoccupés par ce que les étudiants pensaient de leurs cours ainsi que par les stratégies pédagogiques à préconiser pour rendre leur cours intéressant. De plus, une autre évidence est ressortie, à la suite de l’analyse des données : les professeurs sans formation sont moins en mesure de comprendre la complexité des composantes de leur tâche réelle, car ils ne connaissaient que leur tâche prescrite par leur plan annuel de travail. À titre d’exemple, il semble s’avérer indéniable que les stratégies d’enseignement et la gestion de classe à préconiser pour enseigner à un grand groupe ne sont pas les mêmes que celles utilisées lorsque nous enseignons à un groupe de 15 étudiants. En somme, à la suite de l’analyse des propos autodéclarés des professeurs, il semble que la formation peut constituer un atout pour les nouveaux professeurs quant à la compréhension de leur tâche réelle versus la tâche prescrite qui se présente sous le format d’un plan annuel de travail à signer et à remettre aux instances institutionnelles.

DISCUSSION

À l’aide des données recueillies en lien avec la question « Quel bilan faites-vous de votre expérience d’enseignement et de vos interactions avec les étudiants, depuis votre embauche comme professeur dans cette université (tâche réelle) »?, nous avons tenté d’y répondre en comparant le bilan d’expérience des professeurs, formés et non formés. À titre de participant, ils ont pu réfléchir à leur démarche quant à leur tâche réelle versus la tâche prescrite qui leur avait été présentée lors de leur embauche, en fonction de leur enseignement, des étudiants, de leur relation avec eux et de leur ressenti (Altet, 2013; Gather Thurler, 1996). Cette réflexion dans l’action a eu pour effet de « mettre en mémoire » des observations, des questions et des problèmes qu’ils semblaient impossibles de traiter sur le champ et de préparer une réflexion plus distancée du praticien quant à leur travail réel (Perrenoud, 2010, 2012; Schön, 1983). Plus précisément, les participants ont pu s’appuyer sur des pratiques de feedback, d’analyse du travail réel versus le travail prescrit, d’échanges quant aux problèmes professionnels, de réflexion sur la qualité, d’évaluation et d’autoévaluation de ce qu’ils ont réalisé pendant le projet de recherche (Altet, 2013; Gather Thurler, 1996). Dans le cadre de cette analyse réflexive, qui s’est échelonnée sur trois années, les participants ont été accompagnés par des conseillers pédagogiques qui ont agi à titre d’accompagnateur et qui ont aidé les professeurs à réfléchir à la réalité de leur tâche en tant que professeur d’université (Altet, 2013; Gather Thurler, 1996). Plus précisément, selon Clot (1999, p. 119), la distinction entre la tâche prescrite et la tâche réelle semble démontrer également un écart en ce qui a trait à la tâche d’un professeur d’université.

CONCLUSION

Bref, autre que l’obligation d’avoir obtenu un doctorat (exigence prescrite par les conventions collectives des universités), il y a peu d’écrits quant aux compétences requises pour occuper un poste de professeur d’université. Le doctorat témoigne d’une capacité à mener à bien une recherche, mais il ne prépare pas nécessairement les professeurs à la tâche réelle d’enseignement et de services universitaires qu’ils doivent aussi assurer, ni à certaines activités quant à la recherche universitaire : trouver du financement, établir des partenariats, assurer la diffusion des résultats sous différentes formes, commercialiser les résultats de recherche, etc. (Bertrand et Foucher, 2003; Dahan et Mangematin, 2010; Deschenaux, 2013; Dyke et Deschenaux, 2008; Leclerc et Bourassa, 2013; Leclerc, Bourassa et Macé, 2016).

À la suite de ce projet de recherche, il semble important d’informer davantage les nouveaux professeurs quant à leur tâche réelle. Face aux exigences croissantes des étudiants, une sensibilisation à l’importance de suivre de la formation pourrait également s’avérer être une stratégie efficiente pour les nouveaux professeurs d’université, afin d’assurer le maintien et l’amélioration de leur enseignement ainsi que de leurs relations avec les étudiants. Au-delà de ces recommandations, un fait demeure, soit celui que la fonction de professeur d’université est prescrite par les gouvernements et les syndicats, mais le travail réel, lui, pour sa part, est déterminé par les professeurs eux-mêmes… par ce qu’ils pensent, par ce qu’ils perçoivent et par ce qu’ils décident (Bertrand et Foucher, 2003; Dahan et Mangematin, 2010; Deschenaux, 2013; Dyke et Deschenaux, 2008; Leclerc et Bourassa, 2013; Leclerc, Bourassa et Macé, 2016).

RÉfÉRENCES

Altet, M. (2013). Formes de résistance des pratiques de formation d’enseignants à la pratique réflexive et conditions de développement de la réflexivité. Dans M. Altet, J. Desjardins, R. Étienne, L. Paquay et P. Perrenoud (dir.), Former des enseignants réflexifs : obstacles et résistances (p. 39-60). Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.

Bertrand, D. et Foucher, R. (2003). Les transformations du travail des professeurs des universités québécoises : tendances fondamentales et développements souhaités. Revue des sciences de l'éducation, 29(2), 353-374. Repéré à https://www.erudit.org/fr/revues/rse/2003-v29-n2-rse885/011037ar/

Castang, P.-Y. (2012). Écart entre le travail prescrit et le travail réel : contribue-t-il à l'augmentation des contraintes psychologiques et organisationnelles des salariés de la mise en rayon des supermarchés de la région Grenobloise? (Thèse de doctorat). Repéré à http://www.worldcat.org/search?q=no%3A835363470

Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris, France : Presses universitaires de France.

Clot, Y. (2015). La fonction psychologique du travail (6e éd.). Paris, France : Presses universitaires de France.

Conseil supérieur de l’éducation. (1982). Le rôle du professeur d’université. Avis du Conseil supérieur de l’éducation au ministre de l’Éducation. Québec : Auteur. Repéré à https://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0315.pdf

Conseil supérieur de l’éducation. (2002). Les universités à l’heure du partenariat. Avis du Conseil supérieur de l’éducation au ministre de l’Éducation. Québec : Auteur. Repéré à https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2020/01/50-0439-AV-universites-heure-partenariat.pdf

Dahan, A. et Mangematin, V. (2010). Recherche, ou temps perdu? Vers une intégration des tâches administratives au métier d'enseignant-chercheur. Annales des mines — gérer et comprendre, 102(4), 14-24. Repéré à https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre1-2010-4-page-14.htm

Daniellou, F (dir.). (2015). L’ergonomie en quête de ses principes- débats épistémologiques (2e éd. augmentée). Toulouse, France : Éditions Octarès.

Daniellou, F. et Jackson, M. (1997). L’ergonomie intervient dans et sur des situations de gestion. Revue Performances, (n° Hors-Série), 16-20.

Dejours, C. (1995). Le facteur humain. Paris, France : Presses universitaires de France.

Dejours, C. (2015). Épistémologie concrète et ergonomie. Dans F. Daniellou (dir.), L’ergonomie en quête de ses principes, débats épistémologiques (p. 232-248). Toulouse, France : Éditions Octarès.

Dejours, C. (2016). Situations du travail. Paris, France : Presses universitaires de France.

Deschenaux, F. (2013). Les enjeux de l’enseignement pour les professeurs d’université au Québec. Revue Recherches en éducation, 17, 104-114. Repéré à http://www.recherches-en-education.net/IMG/pdf/REE-no17.pdf

Ducros, C. et Amigues R. (2014). Le travail des chefs d’établissement : quelques réflexions sur le travail réel. Formation et profession, 22(3), 12-23. Repéré à http://dx.doi.org/10.18162/fp.2014.96

Dyke, N. (2006). Renouvellement du corps professoral dans les universités au Québec. Montréal, Qc : FQPPU. Repéré à http://www.acpq.ca/pdf/Releve_Profile_insertion_recrues.pdf

Dyke, N. et Deschenaux, F. (2008). Enquête sur le corps professoral québécois : faits saillants et questions. Repéré à https://sppuqar.uqar.ca/images/1sppuqar/publications/FQPPU/enquete_corps_professoral.pdf

Fédération québécoises des professeurs d’université. (s.d.). Repéré à https://fqppu.org/

Frenay, M., Saroyan, A., Taylor, K. L., Bédard, D., Clement, M., Rege Colet, N. etKolmos, A. (2010). Accompagner le développement pédagogique des professeurs universitaires à l’aide d’un cadre conceptuel original. Revue française de pédagogie, 172, 63-76. Repéré à http://dx.doi.org/10.4000/rfp.2253

Gather Thurler, M. (1996). Innovation et coopération entre enseignants : liens et limites. Dans M. Bonami et M. Garant (dir.), Systèmes scolaires et pilotage de l'innovation: émergence et implantation du changement (p. 145-168). Bruxelles, Belgique : De Boeck.

Gibbs, G. et Coffey, M. (2004). The impact of training of university teachers on their teaching skills, their approach to teaching and the approach to learning of their students. Active Learning in Higher Education, 5(1), 87-100. Repéré à http://dx.doi.org/10.1177/1469787404040463

Habib, E. (2013, juin). Combiner pédagogie active et e-Learning dans l’enseignement des mathématiques. Communication présentée au 7e colloque Questions de pédagogies dans l’enseignement supérieur (QPES) : Les innovations pédagogiques en enseignement supérieur : pédagogies actives en présentiel et à distance, Sherbrooke, QC.

Huberman, A. M. et Miles, M. B. (2002). The qualitative researcher’s companion. Thousand Oaks, CA : Sage.

Leclerc, C. et Bourassa, B. (2013). Travail professoral et santé psychologique : sens et dérives. Laval, QC : CRIEVAT. Repéré à http://www.crievat.fse.ulaval.ca/fichiers/site_crievat/documents/Rapports_de_recherche/SENS_ET_DERIVES_Leclerc_Bourassa.pdf

Leclerc, C., Bourassa, B. et Macé, C. (2016). Dérives de la recherche et détresse psychologique : une recherche qualitative. Repéré à : http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2016/06/derives-recherche-detresse-psychologique-recherche-qualitative

Légifrance. (2000). Code de l’éducation. Repéré à https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006524410/2000-06-22/

Leplat, J. (2008). Repères pour l'analyse de l'activité en ergonomie. Paris, France : Presses universitaires de France.

Leplat, J. et Hoc, J.-M. (1983). Tâche et activité dans l’analyse psychologique des situations. Cahiers de psychologie cognitive, 3(1), 49-63.

Maulini, O. (2010). Travail, travail prescrit, travail réel. Dans FORDIF-Formation en direction d’institutions de formation, glossaire (p. 23). Lausanne, Suisse : FORDIF. Repéré à http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/publ-1101.pdf

Maulini, O. et Vincent, V. (2014). Du travail réel aux pratiques souhaitées : rapport au savoir et rapport au devoir en formation des enseignants. Dans L. Paquay, P. Perrenoud, M. Altet, R. Étienne et J. Desjardins (dir.), Travail réel des enseignants et formation : quelle référence au travail des enseignants dans les objectifs, les dispositifs et les pratiques? (p. 189-204). Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.

Ménard, L., Bédard, D., Leduc, D. et Gravelle, F. (2017). La formation des nouveaux professeurs d’université ses effets à court terme. Revue formation et profession, 25(3), 3-17. Repéré à http://formation-profession.org/files/numeros/18/v25_n03_413.pdf

Ombredane, A. et Faverge, J.-Y. (1955). Analyse du travail, ruptures et évolutions. Paris, France : Éditions OCTARES.

Perrenoud, P. (2010). Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant : professionnalisation et raison pédagogique (5e éd.). Paris, France : Éditions Sociales Françaises.

Perrenoud, P. (2012). Le travail sur l'habitus dans la formation des enseignants : analyse des pratiques et prise de conscience. Dans M. Altet, J. Desjardins, R. Étienne, L. Paquay et P. Perrenoud (dir.), Former des enseignants réflexifs : obstacles et résistances (p. 39-60). Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.

Piney, C., Nascimento, A., Gaudart, C. et Volkoff, S. (2013). Entre indicateurs et travail réel : l’expérience de l’encadrement de proximité dans un service public. Actes du 48e congrès international de la SELF. Repéré à https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00871256

Postareff, L., Lindblom-Ylänne, S. et Nevgi, A. (2007). The effect of pedagogical training on teaching in higher education. Teaching and Teacher Education, 23(5), 557-571. Repéré à http://dx.doi.org/10.1016/j.tate.2006.11.013

Postareff, L., Lindblom-Ylänne, S. et Nevgi, A. (2008). A follow-up study of the effect of pedagogical training on teaching in higher education. Higher Education, 56(1), 29-43. Repéré à http://dx.doi.org/10.1007/s10734-007-9087-z

Prot, B. (2007). Évolutions structurelles du métier : facteurs externes ou organisationnels du vieillissement – remettre le métier au travail : le style d’activité à l’épreuve. Dans C. Montadon et J. Trincaz (dir.), Vieillir dans le métier (p. 17-32). Paris, France : L’Harmattan.

Rayou, P. (2014). Prescriptions et réalités du travail enseignant : Impasses et ouvertures de l’accompagnement en formation. Dans L. Paquay, P. Perrenoud, M. Altet, R. Étienne et J. Desjardins (dir.), Travail réel des enseignants et formation : quelle référence au travail des enseignants dans les objectifs, les dispositifs et les pratiques (p. 35-47). Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.

République française. (1984). Décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences. Récupéré de https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000520453/2021-01-07/

Roegiers, X., Miled, M., Ratziu, I., Letor, C., Étienne, R., Hubert, G. et Dali, M. (2012). Quelles réformes pédagogiques pour l’enseignement supérieur? Placer l’efficacité au service de l’humanisme. Bruxelles, Belgique : De Boeck Supérieur.

Romainville, M. et Michaud, C. (2012). Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur. Bruxelles, Belgique : De Boeck Supérieur.

Schön, D. (1983). The reflective practitioner: How professionals think in action. New York, NY: Basic Books.

Teiger, C. et Bernier, C. (1990). Intérêt de l’analyse ergonomique du travail pour la mise en évidence des compétences méconnues : le cas des tâches de saisie dans le tertiaire informatisé. Dans Sexe faible ou travail ardu (p. 61-70). Montréal, QC: ACFAS.