LE DÉVELOPPEMENT D’UNE COMPÉTENCE INTERCULTURELLE CHEZ DES ÉDUCATRICES EN MILIEU DE GARDE Éducatif PLURIETHNIQUE

Le Québec représente une terre d’accueil pour des milliers d’immigrants. En outre, depuis plusieurs années, la population immigrante augmente et se diversifie constamment sur le plan de l’origine ethnoculturelle (ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion [MIDI], 2017). Montréal est un lieu d’établissement d’importance au Québec pour les nouveaux arrivants et leur famille. En 2015–2016, cette ville a accueilli 67% de tous les immigrants admis au Québec (Institut de la Statistique du Québec [ISQ], 2017). De plus, près de 20% des immigrants accueillis au Québec entre 2011 et 2016 (41400 immigrants) étaient âgés entre 0 et 14 ans, et près de 60% d’entre eux se sont établis dans la région de Montréal (Statistique Canada, 2017). Qui plus est, en 2011, les enfants immigrants de 0–4 ans représentaient près de 3% de la population montréalaise (Statistique Canada, 2015). En conséquence, il y a eu une présence plus marquée d’enfants immigrants dans les services de garde éducatifs à l’enfance. Ainsi, dans une publication du ministère de la Famille (MFA, 2014) portant sur le portrait des garderies non subventionnées, il est mentionné que 59% d’entre elles accueillent des familles provenant d’une immigration récente, et cela, principalement dans la région de Montréal.

PROBLÉMATIQUE

Cette diversité ethnoculturelle s’accompagne de défis d’adaptation et de respect mutuel, tant pour la population immigrante que non immigrante. Celle-ci, de plus en plus présente dans les sociétés, implique que les individus qui la composent puissent développer une compétence interculturelle dans l’objectif du vivre-ensemble dans un contexte de paix, de liberté et d’égalité (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2013). Il appert que cette compétence soit également indispensable aux éducatrices, principalement lorsqu’elles travaillent en milieu pluriethnique, d’autant plus que le respect de la diversité ethnoculturelle fait partie des pratiques professionnelles de premier ordre chez les éducatrices (Mascadri, Brownlee, Walker et Alford, 2016) et que le développement d’une compétence interculturelle devrait être une priorité dans la formation des acteurs du milieu éducatif (Spooner-Lane, Tangen, Mercer, Hepple et Carrington, 2013). Or, les éducatrices font partie intégrante de ce milieu.

En outre, au Québec la formation initiale de niveau collégial menant à la fonction d’éducatrice à la petite enfance vise le développement de plusieurs compétences reliées aux exigences de l'emploi (Gariépy, Frenette-Roy, Timmons-Plamondon, 2000). Toutefois, bien que certains éléments de compétence fassent référence aux enfants récemment arrivés au pays, aucune compétence spécifique à l’éducation interculturelle n’est présente dans le programme (Lavallée, 2000). D’ailleurs, une décennie après la sortie du programme, Bouchard et Taylor (2008) constataient que le personnel des centres de la petite enfance et des services de garde en milieu familial n’avait pas la formation nécessaire pour faire face aux demandes d’ajustement en situation de diversité qui deviennent plus nombreuses. Puis, une décennie plus tard, c’est le Conseil québécois des services éducatifs à la petite enfance (CQSEPS, 2017) qui souligne à son tour l’insuffisance de cette formation et les lacunes présentent à ce jour. Enfin, le mémoire de février 2019 du CQSEPS met en évidence les difficultés d’application particulières du programme éducatif en contexte pluriethnique, notamment en ce qui a trait à la communication entre le personnel et les parents immigrants. Or, la compétence interculturelle a justement trait à la capacité à communiquer de manière efficace et appropriée dans des situations interculturelles, celle-ci étant basée sur des connaissances, habiletés et attitudes interculturelles (Deardorff, 2004, p. 194). Il devient donc indispensable pour les éducatrices de développer une compétence interculturelle.

La formation continue en milieu de travail est une alternative intéressante, principalement lorsqu’il y a des lacunes en formation initiale. Ces dernières années, plusieurs chercheurs se sont intéressés à ce type de formation sous l’angle des apprentissages réalisés en milieu de travail et du développement professionnel continu, et ont souligné son efficience (Dyment et coll., 2014; Lazzari, Picchio et Musatti, 2013; Musatti, Picchio et Mayer, 2016). Par exemple, les éducatrices ayant suivi des activités de perfectionnement en milieu de travail semblent interagir avec une plus grande sensibilité envers les enfants et apporteraient des soins de meilleure qualité (Burchinal, Cryer, Clifford et Howes, 2002). Dans le même ordre d’idées, l’étude de Dyment et coll. (2014) a démontré que les sessions de formation en milieu de travail comportant des ateliers et des groupes de discussion ont généré des changements significatifs chez les éducatrices, entre autres, dans les niveaux de connaissance et de compréhension de certains concepts inscrits dans les politiques et le curriculum.

Dans ce contexte, les membres d’une équipe éducative d’un centre de la petite enfance (CPE) de Montréal ont participé à des activités de formation continue dans le cadre de leur emploi. Organisées et mises en place par la direction du CPE, les activités visaient à développer une vision commune en termes de valeurs et de pratiques au sein de l’équipe, principalement sur les thèmes se rapportant à l’éducation interculturelle et à la diversité ethnoculturelle. Un partenariat avec une chercheuse universitaire ayant une expertise dans ce domaine a été établi pour soutenir les apprentissages professionnels du personnel éducateur. À cet égard, un groupe de discussion a été mis en place afin de susciter une réflexion et un apprentissage collectif chez les membres du personnel éducatif. Cette démarche a été entreprise dans un CPE 0–4 ans où la diversité ethnoculturelle est très présente autant parmi les enfants que les éducatrices, qui représentent à elles seules quatre cultures : le Canada, la France, la Chine et Haïti.

Sur le plan scientifique, il a été démontré qu’une expérience de formation en milieu interculturel favorise le développement de divers éléments de la compétence interculturelle (Barmeyer, 2007; Deardorff, 2006; Soria et Troisi, 2013). Cette recherche s’inscrit dans ce registre, le contexte de travail de la présente recherche étant porteur de cette pluriethnicité autant chez les enfants que chez le personnel éducateur. Par ailleurs, en continuité avec les résultats de recherche de Spooner-Lane et coll. (2013), qui soulignent l’intérêt d’examiner les contextes de formation favorables au développement de la compétence interculturelle, cette étude s’intéresse à l’émergence de la compétence interculturelle en milieu de travail dans un contexte de formation continue et tente de répondre à la question suivante : comment s’est développée la compétence interculturelle chez les éducatrices en milieu de garde éducatif à l’enfance suite à la formation continue reçue en milieu de travail pluriethnique?

CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE

Cette partie présente les concepts sous-jacents à l’étude tels que l’éducation interculturelle, la compétence et la compétence interculturelle ainsi que le modèle théorique de Deardorff (2004, 2006), utilisé comme cadre d’analyse des données.

L'éducation interculturelle, la compétence et la compétence interculturelle

L’éducation interculturelle sous-tend trois principes directeurs, dont le troisième est associé à l’importance de dispenser aux individus les connaissances ainsi que les attitudes et les compétences qui les amèneront à respecter les cultures, à les comprendre et à être solidaires les uns des autres (UNESCO, 2005). Celle-ci désigne « toute démarche éducative visant à faire prendre conscience de la diversité, particulièrement ethnoculturelle, qui caractérise le tissu social et à développer une compétence à communiquer avec des personnes aux référents divers, de même que des attitudes d’ouverture, de tolérance et de solidarité » (Ministère de l’Éducation, 1998, p. 2). En outre, l’éducation interculturelle vise le développement de la compétence interculturelle (Steinbach, 2012), définie dans la littérature comme étant la capacité de communiquer et d’interagir de manière adéquate dans des situations interculturelles reposant sur des attitudes (savoirs), connaissances (savoir-être) et habiletés (savoir-faire) (Deardorff, 2004, 2006; Potvin et Larochelle-Audet, 2016; Spitzberg et Changnon, 2009; Steinbach, 2012). En fait, la notion de compétence renvoie à plusieurs savoirs (connaissances, savoir-être, savoir-faire) et peut être définie comme une « capacité de mobiliser dans l'action, le moment approprié, les connaissances et les habiletés requises pour accomplir avec succès une tâche » (Ouellet, 2010, p. 296).

Le développement de la compétence interculturelle et le modèle de Deardorff

Pour sa part, Deardorff (2004, 2006) a établi un modèle pyramidal à niveaux multiples (inférieurs et supérieurs) en identifiant divers éléments clés participant au développement de cette compétence. Elle précise que ce modèle touche premièrement les aspects individuels de la personne, soit ses attitudes, ses aptitudes, ses connaissances et ses compréhensions, pour passer sur le plan culturel dans sa forme interactive en amenant des résultats visibles, soit l’adaptation et la communication efficaces en situation interculturelle. Ainsi, au premier niveau, dans la partie inférieure, se situent les attitudes requises telles que : 1) le respect à la diversité culturelle et aux valeurs provenant de différentes cultures; 2) l’ouverture aux personnes provenant de d’autres cultures ainsi qu’aux apprentissages interculturels dans une absence de jugement; 3) la curiosité et la découverte sous l'angle de la tolérance à l'ambigüité. En outre, le concept d’attitude réfère à une disposition à réagir d’un point de vue favorable à l’égard d’un objet (Monteil, 1997), celle-ci faisant l’objet d’un apprentissage (Potvin, 2015).

Puis, selon un cycle dynamique, c’est-à-dire favorisant une interrelation entre les divers niveaux, le deuxième niveau, situé dans la partie inférieure, présente, d’une part, la connaissance et la compréhension qui sont associées à la sensibilisation culturelle, à une compréhension profonde de la culture ainsi qu’à une conscience sociolinguistique, et, d'autre part, les aptitudes / habiletés qui favoriseront leur émergence, telles que l’écoute, l’observation, l’interprétation menant à l’analyse ainsi que l’évaluation et la capacité à relier les faits (Deardorff, 2004, 2006). Notons que l’habileté souvent associée au concept d’aptitude dans la littérature est définie « comme une performance experte, rapide et adéquate » (Potvin, 2015, p. 107).

Le troisième niveau, dans la partie supérieure, a trait à un changement de cadre de référence interne faisant émerger : 1) l’adaptabilité de l’individu, d’une part, parce qu’il s’adapte à des styles de communication et de comportements différents et, d’autre part, parce qu’il peut s’ajuster à des environnements culturels nouveaux; 2) la flexibilité, parce que l’individu est en mesure de sélectionner les styles de communication et les comportements adéquats, et de déployer la flexibilité cognitive requise; 3) le point de vue ethnorelatif; 4) l’empathie (Deardorff, 2004, 2006). Notons que la flexibilité cognitive est considérée comme une « capacité d’adapter ses pensées et ses actions selon les exigences de la situation » (Conill, Stilgenbauer, Mouren et Gousse, p.393). Au quatrième niveau se trouvent les résultats externes escomptés tels que le fait d’avoir un comportement et une communication efficaces en situation interculturelle (Deardorff, 2004, 2006).

Deardorff (2004, 2006) présente la compétence interculturelle comme une construction multidimensionnelle où certaines attitudes fondamentales agissent à un premier niveau pour générer de nouvelles connaissances et compréhensions favorisant ainsi le développement de la compétence qui s’établit à des niveaux supérieurs en apportant des changements internes (de nouveaux cadres de référence) et/ou externes (une communication et un agir adéquats) souhaités. Par ailleurs, bien que Deardorff (2004, 2006) ait apporté une nomenclature intéressante sur le plan des attitudes et des aptitudes reliées à la compétence interculturelle, les attitudes associées à la compétence interculturelle suivantes seront aussi considérées dans cette étude : « le respect, l’empathie, l’ouverture d’esprit, la curiosité, la prise de risques, la flexibilité et la tolérance de l’ambiguïté » ainsi que l’aptitude à ne pas porter de jugement (UNESCO, 2013, p. 11).

À l’instar du cadre théorique présenté, le but de cette étude est de mettre en lumière le développement de la compétence interculturelle à travers ses composantes, premièrement au niveau inférieur (attitudes, aptitudes / habiletés, connaissances / compréhensions), puis, s’il y a lieu, au niveau supérieur par les changements internes (flexibilité, adaptabilité, empathie) et externes (adaptation et communication adéquates) souhaités, soit envers l’enfant, une collègue ou un parent. À notre connaissance, aucune étude n’a utilisé le cadre théorique de Deardorff (2004, 2006) pour examiner l’émergence de la compétence interculturelle chez les éducatrices travaillant en milieu de garde éducatif pluriethnique suite à l’offre d’une formation continue dispensée par l’entremise d’un groupe de discussion auquel s’est affiliée une chercheuse universitaire experte dans le domaine.

MÉTHODOLOGIE

Pour répondre à l’objectif de recherche et ainsi mettre en lumière le développement de la compétence interculturelle à travers ses composantes de niveau inférieur puis de niveau supérieur par les changements internes et externes souhaités, soit envers l’enfant, une collègue ou un parent, une méthodologie de type qualitatif et interprétatif a été choisie. Le type de recherche qualitative vise à amener une compréhension d’un phénomène social alors que l’aspect interprétatif vise à donner un sens au vécu des acteurs (Savoie-Zajc, 2000). En outre, dans cette étude, il s’agit d’examiner le développement de la compétence interculturelle en milieu pluriethnique chez des éducatrices travaillant en service de garde éducatif à l’enfance. L’angle interprétatif choisi permet de proposer une description et une explication de ce phénomène (Fortin et Gagnon, 2016). En outre, la méthode qualitative de type interprétatif a été priorisée puisqu’elle permet de donner une importance à l’expérience des participantes en ayant accès à leurs propos ainsi qu’à leur propre point de vue en regard de ce vécu (Fortin et Gagnon, 2016). En somme, il s’agissait d’avoir accès aux propos de l’éducatrice suite à la formation continue expérimentée par l’entremise du groupe de discussion afin d’examiner comment celle-ci interprète son expérience vécue au regard des apprentissages reliés au développement de la compétence interculturelle à différents niveaux (attitudes, aptitudes, compréhensions, connaissances, changements de cadres de référence internes et externes). Par ailleurs, le rôle du chercheur dans cette étude n’était pas de répertorier ce qui s’est passé pendant le groupe de discussion mais plutôt de considérer les propos des participantes nous racontant leur expérience vécue et ce qui a émergé de celle-ci, notamment les transferts qui ont eu lieu dans le milieu de la pratique.

Participantes

Sept éducatrices ont participé au groupe de discussion animé par une chercheuse universitaire qui était en marge de la présente recherche et dont le domaine d'expertise est l'éducation interculturelle en contexte de diversité culturelle. Suite au groupe de discussion, les sept éducatrices ont accepté de participer à la recherche, soit six femmes et un homme. Trois éducatrices sont nées au Québec et quatre éducatrices sont natives d’autres pays, nommément la France, la Chine et Haïti. Les éducatrices travaillent auprès des enfants de trois mois à quatre ans. Elles ont entre 26 et 45 ans et possèdent entre 3 et 25 ans d’expérience en milieu de garde éducatif. La majorité des éducatrices (6) travaillent dans ce service de garde depuis son ouverture, soit 2 ans, alors qu’une seule y travaille depuis une année. Dans ce service de garde, 60% des enfants ont un ou deux parents qui sont issus de l’immigration. Plus précisément, il y a 37% des enfants dont les deux parents sont nés ailleurs qu’au Canada et 23% des enfants dont un parent est issu de l’immigration. Ceux-ci proviennent tous d’une immigration de première génération.

Contexte de l’étude

Dans un premier temps, sept éducatrices ont participé à un groupe de discussion avec une chercheuse universitaire, indépendante de l’étude en cours. Celui-ci a duré une heure et demie. Tout est parti d’un questionnement à l’égard de préoccupations que les éducatrices avaient et qui ont été manifestées lors d’une rencontre d’équipe. Pour répondre aux interrogations des éducatrices, la direction a pris la décision de contacter une chercheuse qui avait déjà beaucoup investigué sur les sujets d’intérêt des éducatrices. La direction lui a alors remis les sujets de questionnement des éducatrices en l’invitant à animer un groupe de discussion. Lors de cette séance, la chercheuse a apporté les sujets un à un en les démystifiant par l’apport de ses propres expériences. Par exemple, les éducatrices se demandaient comment se comporter face à une culture qui est différente de la leur. La chercheuse a élaboré sur les sujets qui intéressaient les éducatrices en ouvrant à la discussion. Précisons que les chercheuses de la présente recherche n’ont pas eu accès à ce groupe de discussion afin de laisser libre cours aux questions des éducatrices. Ainsi, ce groupe de discussion ne fut pas un instrument de mesure.

Instruments de collecte de données

Dans le but de connaître les effets de ces réflexions sur les apprentissages réalisés, un premier questionnaire comportant des questions ouvertes a été soumis aux éducatrices suite à l’expérience vécue. Celui-ci comprenait quatre questions à développement reliées aux apprentissages réalisés, aux pratiques instaurées, aux nouveaux défis à relever dans le cadre du travail et à la façon de percevoir le travail ou d’accorder une importance nouvelle à certains aspects du travail suite à la formation reçue par l’entremise du groupe de discussion.

Suite aux réponses des éducatrices, un mois plus tard, un deuxième questionnaire a été soumis. Celui-ci comportait des questions spécifiques à chaque participante. Le but était d’amener les éducatrices à clarifier leur pensée en apportant des explications supplémentaires ou en donnant des exemples concrets de leurs pratiques au quotidien. Par exemple, une éducatrice avait souligné des apprentissages en lien avec l’emploi de certains mots qui pouvaient blesser des personnes immigrantes. La question suivante lui a été posée : « Est-ce que depuis la venue de la chercheuse vous faites attention pour ne pas utiliser ces mots ou ces phrases? Expliquez. » Quelques mois plus tard, toutes les éducatrices ont été réunies afin de participer à une communauté d’apprentissage. Celle-ci a duré trois heures et demie. Des questions générales ont été posées afin de vérifier s’il pouvait y avoir de nouvelles informations sur l’apport du groupe de discussion et du partenariat établi avec la chercheuse dans la pratique dans les mois suivant l’expérience vécue. Ainsi, dans le but d’assurer la rigueur de la recherche, une triangulation des méthodes a été utilisée par l’entremise de plusieurs outils qui ont servi à la collecte de données (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004).

Analyse des données

Pour comprendre en quoi consistait le développement de la compétence interculturelle chez les éducatrices, une analyse de contenu thématique déductive a été réalisée selon les étapes proposées par Braun et Clarke (2006). Cette démarche permet d’analyser les données en leur attribuant un code selon un cadre théorique existant. Ainsi, les réponses écrites par les éducatrices aux questionnaires ont été retranscrites intégralement afin d’avoir une meilleure lisibilité. Puis, la communauté d’apprentissage a été enregistrée sur bande vidéo. Son verbatim a aussi été retranscrit intégralement. Une lecture attentive des verbatim et des écrits recueillis à travers les questionnaires et la communauté d’apprentissage a été réalisée afin de se familiariser avec les données. Ensuite, des unités de sens ont été créées, un codage leur a été attribué, puis une catégorisation thématique a été établie en fonction du cadre théorique de Deardorff (2004, 2006). En somme, en lien avec l’objectif de recherche qui consistait à examiner le développement de la compétence interculturelle des éducatrices, il s’agissait de catégoriser les apprentissages réalisés au regard des composantes situées aux niveaux inférieurs et supérieurs : 1) les attitudes; 2) les aptitudes; 3) les connaissances et les compréhensions se rapportant à la communication et à l’agir adéquat en situation interculturelle; 4) les changements internes souhaités (les cadres de référence suivants : adaptabilité, empathie et flexibilité cognitive); 5) les changements externes souhaités (une communication et un agir adéquat en situation interculturelle) démontrant l’actualisation de la compétence interculturelle.

RÉSULTATS

Cette partie présente les analyses effectuées en regard de l’objectif de recherche, qui est de mettre en lumière le développement de la compétence interculturelle à travers ses composantes, premièrement au niveau inférieur (attitudes, aptitudes / habiletés, connaissances / compréhensions), puis, s’il y a lieu, au niveau supérieur par les changements internes (flexibilité, adaptabilité, empathie) et externes (adaptation et communication adéquate) souhaités. L’analyse des données révèle que la formation continue reçue en milieu de travail par l’entremise du groupe de discussion animé par une chercheuse universitaire experte dans le domaine a suscité chez les éducatrices : 1) de nouvelles attitudes (premier niveau « inférieur » de la compétence interculturelle); 2) de nouvelles aptitudes (deuxième niveau « inférieur » de la compétence interculturelle); 3) de nouvelles connaissances et compréhensions (deuxième niveau « inférieur » de la compétence interculturelle); 4) de nouveaux cadres de référence à adopter en contexte pluriethnique (changements internes présents au niveau supérieur de la compétence interculturelle); 5) l’actualisation de la compétence interculturelle mise en branle suite à la formation (niveaux inférieurs et supérieurs dans les changements internes et externes souhaités). Précisons que les changements survenus sont sur trois plans : les enfants, les parents immigrants et les collègues de travail.

L’acquisition de nouvelles attitudes (premier niveau « inférieur » de la compétence interculturelle)

Les sept éducatrices de la présente étude ont précisé que le groupe de discussion avait suscité chez elles une plus grande attitude d’ouverture envers les cultures. De surcroit, chez l’une d’entre elles, il y aurait eu émergence d’une attitude de respect et d’empathie; chez une autre, une attitude de flexibilité; chez une troisième éducatrice, une attitude plus objective; alors qu’une collègue souligne une attitude de tolérance face à l’ambiguïté. La majorité des attitudes sont orientées à la fois vers l’enfant et le parent immigrant, alors qu’une est plutôt d’ordre général et s’adresse autant aux enfants et aux parents qu’aux collègues de travail. De plus, une attitude (flexibilité au regard des valeurs culturelles et familiales de l’enfant immigrant) est uniquement orientée vers les enfants immigrants alors que deux attitudes (tolérance face à l’ambiguïté lorsque les valeurs sont heurtées et curiosité envers les valeurs d’une autre culture) ont trait uniquement aux parents immigrants. Ainsi, suite à la formation, une éducatrice explique qu’elle a développé une attitude de tolérance face à l’ambiguïté, principalement envers les valeurs des parents immigrants :

le parent qui ne veut pas apporter plus d’un vêtement parce qu’il veut que son enfant soit propre… c’est une approche qui heurte beaucoup mes propres valeurs. Je dois donc me parler pour ne pas porter de jugement envers ce parent lorsque nous abordons ce sujet.

En somme, plusieurs attitudes ont émergé chez les éducatrices suite au groupe de discussion. Celles-ci ont permis, notamment, l’actualisation de nouvelles aptitudes. À titre d’exemple, c’est le cas d’une éducatrice qui, suite au groupe de discussion, a acquis une plus grande attitude d’ouverture et d’empathie envers les parents immigrants qui l’ont amenée à mettre en branle une aptitude à l’écoute afin de les soutenir dans leur intégration culturelle. Voici ce qu’elle exprime :

Je suis plus que jamais à l’écoute des parents... les parents immigrants viennent plus facilement vers moi lorsqu’ils ont des interrogations, ou ne comprennent pas une situation et franchement je suis contente d’être là pour eux.

L’acquisition de nouvelles aptitudes (deuxième niveau « inférieur » de la compétence interculturelle)

Les sept éducatrices de l’étude ont souligné l’acquisition de nouvelles aptitudes. Cinq aptitudes suscitées par le groupe de discussion ont égard aux enfants immigrants (écoute attentive, observation, non-jugement, analyse aux valeurs culturelles et familiales de l’enfant, regard objectif sur le comportement de l’enfant). Trois aptitudes ont été mises en branle envers les parents immigrants (soutien, écoute, non-jugement) alors qu’une autre est d’ordre général (considérer l’individu et non la culture). Cependant, les résultats indiquent qu’une aptitude aurait émergé plus fortement : celle reliée au fait de ne pas porter de jugement envers les enfants et parents immigrants. Une éducatrice s’exprime en ce sens :

J’évite de faire la différence… je fais attention de ne pas faire la comparaison entre les enfants. Je ne donne pas de jugements ni d’opinions culturelles.

En outre, cette aptitude (ne pas porter de jugement), lorsqu’elle est nommée, est mise en relation avec de nouvelles façons de faire : 1) poser directement les questions aux parents au lieu de laisser les préjugés submerger la pensée; 2) faire la distinction entre l’individu et sa culture afin d’éviter les préjugés et les biais dans les interactions avec le parent; et 3) choisir les mots adéquats afin d’éviter qu’ils soient porteurs de jugement. Selon les analyses, bien que certaines attitudes telles que celles d’ouverture et de respect aux autres cultures aient amené les éducatrices à acquérir les aptitudes nécessaires à la mise en œuvre de la compétence interculturelle, il appert que certaines aptitudes auraient aussi émergé suite à une compréhension suscitée par le groupe de discussion. La prochaine partie en fait état.

Les nouvelles connaissances et compréhensions (deuxième niveau « inférieur » de la compétence interculturelle)

L’analyse des données révèle que le groupe de discussion a permis aux sept éducatrices d’acquérir de nouvelles connaissances et/ou compréhensions. Nous présentons l’exemple de deux d’entre elles. Chez la première, les échanges lui ont permis de comprendre que certains mots pouvaient mettre des barrières entre les immigrants et les non immigrants. Elle s’exprime ainsi :

Ce qui m’a beaucoup touchée est que les mots « ici, on ne fait pas comme ça » et « chez nous, c’est une autre chose », ce sont des phrases blessantes qui mettent une barrière invisible entre les locaux et les immigrants…

En conséquence, cela semble avoir suscité chez elle une attitude de respect envers les cultures ainsi qu’une aptitude à ne pas porter de jugement. Cette même éducatrice souligne que les explications de la chercheuse qui animait le groupe de discussion l’ont aidée à connaître la différence de pensée et de valeurs entre les parents immigrants et ceux qui sont nés au pays. Elle donne l’exemple suivant :

Par exemple, les nouveaux arrivants arrivent au Québec, ils n’ont pas de travail, pas de logement stable, pas de réseau social. Pour ces parents, les choses banales comme : son enfant a bien mangé, a bien dormi, a bien respecté les consignes de l’éducatrice, a commencé à parler le français sont plus importantes pour eux. Selon moi les parents locaux se concentrent plutôt sur l’autonomie et le développement de leur enfant.

Cette nouvelle connaissance semble avoir permis à l’éducatrice d’opérationnaliser l’aptitude à observer et à analyser les comportements des parents nouvellement arrivés au Québec et à en déduire que, pour eux, les petits apprentissages de leur enfant au quotidien sont d’une grande importance.

Quant à sa collègue, elle souligne que la venue de l’experte a suscité une nouvelle compréhension associée au fait que chaque individu, qu’il soit natif du Québec ou d’ailleurs, a un regard qui lui est propre sur les autres. Elle a ainsi appris et compris que le comportement de chacun est lié à sa culture et à son éducation tout autant que son regard et son jugement. Ces nouvelles compréhensions semblent avoir favorisé chez l’éducatrice le développement de l’aptitude à ne pas porter de jugement. Elle s’exprime de la façon suivante :

Vis-à-vis de l’enfant le regarder dans son comportement avec encore plus d’objectivité, moins de jugement que je pouvais mettre sur le dos de la culture.

En somme, le groupe de discussion a suscité l’émergence d’attitudes et d’aptitudes ainsi que des connaissances et des compréhensions nouvelles qui sont sous-jacentes à la mise en œuvre de la compétence interculturelle. Par ailleurs, les éducatrices semblent avoir également acquis de nouveaux cadres de référence. La partie suivante en fait état.

De nouveaux cadres de référence à adopter en contexte pluriethnique (changements internes présents au niveau supérieur de la compétence interculturelle)

Les sept éducatrices ont souligné avoir acquis de nouvelles façons de penser, d’être, de faire ou d’agir associées à de nouveaux cadres de référence à adopter en contexte pluriethnique. Ceux-ci ont trait à la flexibilité, l’adaptabilité, l’empathie et la flexibilité cognitive. Voici quelques exemples :

Ces cadres de référence ont tous émergé suite à une nouvelle compréhension suscitée par le groupe de discussion. Par exemple, une éducatrice relate que c’est un bout de conversation qui l’a interpelée et a suscité une nouvelle compréhension. Celui-ci traitait de la perception (remplie de préjugés) que l’on peut avoir à priori sur les individus, une perception qui relie l’individu à sa culture et qui lui fait porter tout le poids de sa culture sans égard à ce qu’il est. Suite, à cette compréhension, elle précise qu’elle doit toujours garder en tête que, même si le parent vient d’une autre culture, il ne porte pas nécessairement les caractéristiques qui pourraient y être associées. Puis, en poursuivant sa réflexion, elle explique que, pour éviter les préjugés et les biais dans les interactions avec les parents, il importe de ne pas attribuer les pratiques éducatives à la culture mais plutôt à l’individu :

Ne pas attribuer les pratiques éducatives à la culture mais plutôt à l’individu. Faire la distinction entre les deux et conserver cette phrase bien fraîche dans ma mémoire. Prendre le temps d’analyser d’où provient mon analyse d’une situation.

Ce principe découlant de la compréhension et de la réflexion de l’éducatrice est en quelque sorte un nouveau cadre de référence associé à l’adaptabilité à un environnement où sont présentes des personnes de cultures différentes. Il permet notamment à l’éducatrice de s’adapter aux pratiques éducatives des parents immigrants, sans tout attribuer à leur culture. En quelque sorte, il freine le jugement et ouvre à la compréhension en situation de communication interculturelle avec le parent immigrant. Or, ce cadre de référence exigera de l’éducatrice qu’elle ait recours à un autre cadre de référence, celui associé à la flexibilité cognitive. Celui-ci se perçoit dans l’extrait suivant où l’éducatrice s’autorise à penser que le parent est porteur de culture sans toutefois exprimer cette pensée. Cette flexibilité cognitive a trois visées : 1) éviter les préjugés; 2) ouvrir au dialogue en laissant toute la latitude au parent pour nommer lui-même s’il le désire l’apport de sa culture à ses pratiques; 3) mieux comprendre les pratiques de certains parents :

On peut penser que le parent est porteur de culture, mais on ne doit pas le nommer lors d’une discussion avec celui-ci. On doit plutôt le laisser le nommer l’invalider. C’est une façon d’éviter les préjugés et ainsi créer des biais dans nos interactions avec le parent et tenter de mieux comprendre les pratiques de certains parents. [italiques ajoutés]

L’actualisation de la compétence interculturelle (niveaux inférieurs et supérieurs dans les changements internes et externes souhaités)

Quatre éducatrices ont emprunté le parcours correspondant au cycle dynamique du modèle pyramidal de Deardorff (2004, 2006), menant à l’actualisation de la compétence interculturelle suite à la formation continue expérimentée en milieu de travail. Nous en faisons la démonstration pour deux d’entre elles dans la partie qui suit.

La première éducatrice explique que le groupe de discussion lui a permis de mieux connaître la différence de pensée (la façon de voir les choses) et de valeurs des clientèles immigrantes et non immigrantes et, conséquemment, de mieux comprendre les habitudes et les valeurs chez certains enfants de son groupe. Cette connaissance et cette compréhension suscitent alors chez elle une plus grande attitude d’ouverture. Elle se met donc à porter plus d’attention aux habitudes culturelles des enfants immigrants dans l’optique de mieux les comprendre. À ce moment-là, elle explique qu’elle décide de prioriser la compréhension du comportement de l’enfant plutôt que le respect des règles établies. Ainsi, lorsqu’un enfant de son groupe, nouvellement arrivé au pays, lui fait comprendre lors d’une situation de jeu que sa maman ne voulait pas qu’il joue par terre en raison de la poussière qu’il pouvait y avoir sur le sol, l’éducatrice adopte une réaction tout en douceur en répondant à l’enfant qu’il avait bien raison; il y avait de la poussière par terre. Sentant probablement une ouverture de la part de son éducatrice, l’enfant lui dit alors qu’il ne jouerait pas par terre. En considérant le point de vue de l’enfant, l’éducatrice lui répond que l’important, c’est qu’il soit confortable et qu’à cet effet, il peut bien décider où il veut faire son casse-tête.

En somme, le groupe de discussion a suscité de nouvelles connaissances / compréhensions qui à leur tour ont permis à l’éducatrice de mettre en branle des aptitudes à l’écoute attentive et à l’observation. Celles-ci ont été des précurseurs pour la mise en place de certains processus tels que la flexibilité cognitive (écouter le point de vue de l’enfant en priorisant la compréhension de ses habitudes et de ses valeurs culturelles plus que les règles établies) et l’adaptabilité (accepter les valeurs culturelles provenant d’une autre culture et conséquemment adapter ses pratiques pédagogiques). Ces processus ont permis l’actualisation de la compétence interculturelle par la communication et l’agir adéquats auprès d’un enfant provenant d’une immigration récente.

La deuxième éducatrice précise qu’une prise de conscience suscitée par le groupe de discussion lui a permis de réaliser que l’expression « ici » peut déclencher une attaque chez la personne d’une autre culture. Elle mentionne avoir été sensibilisée au fait que certains mots puissent comporter certains jugements et/ou être blessants. Elle dit que cette prise de conscience l’a amenée à choisir des mots plus adéquats pour ne pas heurter le nouvel arrivant. Elle souligne alors que cette compréhension a entrainé chez elle une attitude d’ouverture qui l’a amenée à penser davantage en termes de rapprochement des cultures, à voir ce qui peut les unir. Cela l’a conduit à vivre de nouvelles choses au quotidien et ainsi mettre en œuvre un savoir agir adéquat en contexte interculturel :

Dans le quotidien, je fais attention au vocabulaire choisi, à la façon de parler de telle ou telle chose, c’est-à-dire un comportement sera descriptif et non évaluatif, une discussion ouverte, en recherche d’une cible commune.

En somme, il semble qu’une nouvelle compréhension des mots utilisés pouvant déclencher une attaque chez une personne d’une autre culture ait amené l’éducatrice à une plus grande ouverture et, par la suite, à un changement de cadre de référence interne d’où aurait émergé une flexibilité cognitive (faire le choix de bons mots) pour interagir sans heurt et avoir le comportement adapté (communication d’un comportement d’un enfant immigrant descriptif et non évaluatif). Il s’agit donc d’une manifestation de la compétence interculturelle par la mise en œuvre d’une communication et d’un agir adéquats en situation interculturelle.

INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS ET DISCUSSION

Des changements dans les attitudes des éducatrices (premier niveau)

Les sept éducatrices de l’étude ont démontré avoir fait l’acquisition de nouvelles attitudes reliées au savoir-être situées au niveau inférieur de la compétence interculturelle du cadre de référence de Deardorff (2004, 2006). Des attitudes d’ouverture, de respect, d’empathie, de tolérance à l’ambiguïté, de curiosité, d’objectivité et de flexibilité ont émergé suite à la formation continue reçue par l’entremise du groupe de discussion instauré en milieu de travail. En outre, la majorité de celles-ci ont été répertoriées dans la littérature en termes de qualités personnelles ou de ressources individuelles favorables en milieu pluriethnique (Rakotomena, 2005).

En se référant au modèle de Dearforff (2004, 2006), explicité précédemment, il appert que les attitudes acquises au niveau inférieur sont cruciales dans le développement de la compétence interculturelle. À cet égard, une sensibilisation aux attitudes à adopter en contexte pluriethnique est primordiale (Ajzen et Fishbein, 1980; Petty et Cacioppo, 1986), principalement en contexte de diversité (Potvin et Larochelle-Audet, 2016). Or, le groupe de discussion semble avoir été un dispositif de sensibilisation aux attitudes à adopter en contexte de diversité culturelle bénéfique au personnel éducateur pour guider leurs actions auprès des enfants et des parents immigrants.

Des attitudes générant de nouvelles aptitudes associées à la compétence interculturelle (deuxième niveau)

Plusieurs attitudes ont émergé suite au groupe de discussion et ont généré par la suite de nouvelles aptitudes. Ainsi, les résultats mettent en lumière une plus grande présence chez les participantes de certaines des aptitudes, soit à l'écoute, à l'observation, au non-jugement, à l’adaptabilité, etc. Toutefois, c’est l’aptitude au non-jugement qui a été la plus répertoriée. Ainsi, plusieurs éducatrices ont fait montre d’attitudes d’ouverture et de respect qui ont précédé l’actualisation d’aptitudes à ne pas porter de jugement. En outre, l’ouverture à l’autre, principalement à sa différence, permet de suspendre de façon provisoire son jugement en étant à l’écoute de l’autre et en s’efforçant de le comprendre (Martineau, 2006). En appui aux travaux de Deardorff (2004, 2006), les résultats de cette étude confirment que divers éléments de la compétence interculturelle, tels que les attitudes et les attitudes situées au niveau inférieur du modèle de Deardorff (2004, 2006), interagissent entre eux dans un cycle dynamique.

De nouvelles compréhensions et connaissances associées à la compétence interculturelle (deuxième niveau)

Par ailleurs, les propos des sept éducatrices démontrent que le groupe de discussion a généré de nouvelles connaissances et compréhensions. Cela n'est pas sans rappeler l’éducation interculturelle, définie précédemment, qui sous-tend, notamment, l’importance de dispenser aux individus les connaissances ainsi que les attitudes et les compétences qui les amèneront à respecter les cultures, à les comprendre et à être solidaires (UNESCO, 2005). En fait, les préjugés proviennent surtout du peu de connaissances et d’expérience des cultures en général, et, par conséquent, l’éducation à la différence peut les atténuer (UNESCO, 2013). Or, dans cette étude, les éducatrices ont développé, tel un nouveau construit, plusieurs nouvelles connaissances qui les ont amenées à comprendre davantage les autres cultures.

Les cadres de référence : des leviers pour mettre en œuvre la compétence interculturelle (troisième niveau)

Par ailleurs, dans sa revue de littérature, Bartel-Radic (2009) met en évidence que la compétence interculturelle est associée, entre autres, à un construit cognitif basé sur une nouvelle compréhension et/ou connaissance correspondant à une prise de conscience de haut niveau faisant émerger de nouveaux cadres de référence sur lesquels s’établissent les changements de comportement. Or, cette étude a démontré que le groupe de discussion a fait émerger chez sept éducatrices de nouveaux cadres de référence qui ont été préalablement identifiés dans le modèle de Deardorff (2004, 2006). Pour quatre d’entre elles, ces cadres ont servi de leviers pour le déploiement de la compétence interculturelle. Il s’agit, entre autres, de l’empathie, de la flexibilité cognitive et de l’adaptabilité qui ont permis aux éducatrices de s’ajuster à diverses situations en présence d’enfants et/ou de parents immigrants puis de mettre en œuvre une communication adaptée en contexte interculturel. En ce sens, en parlant de la compétence à la communication interculturelle, Toussaint et Fortier (2002) précisent qu’il s’agit d’ajuster ses critères ainsi que ses repères. Cet ajustement serait en quelque sorte similaire aux changements internes souhaités par la mise en œuvre de nouveaux cadres de référence exposés dans le modèle de Deardorff (2004, 2006). Tel que discuté plus haut, ce changement de cadre de référence pourrait émerger des prises de conscience, qui, selon Vinatier (2012), enjoignent le professionnel à reconsidérer les choses, puis à développer de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences qui lui permettent en quelque sorte d’approfondir sa professionnalité (Perez-Roux et Troger, 2011). En outre, lorsque le cadre de travail intègre une grande population ethnoculturelle, il importe de s’investir dans ce processus menant au développement de la compétence interculturelle. Par ailleurs, le modèle de Deardorff (2004, 2006) traite peu des cadres de référence et de leurs caractéristiques. Cette étude a toutefois permis d’identifier certains cadres de référence qui peuvent être utiles aux éducatrices travaillant en contexte pluriethnique ainsi qu’au milieu de la formation. De surcroit, cette étude a permis d’identifier que les cadres de référence pouvaient intégrer des visées bien précises. Ce fut le cas pour l’éducatrice qui a manifesté une flexibilité cognitive comportant les visées suivantes : 1) éviter les préjugés; 2) ouvrir au dialogue en laissant toute la latitude au parent pour nommer lui-même s’il le désire l’apport de sa culture à ses pratiques; 3) mieux comprendre les pratiques de certains parents. Cet aspect mérite d’être davantage investigué dans des recherches futures.

La mise en œuvre de la compétence interculturelle (quatrième niveau)

Dans cette étude, il appert que quatre participantes ont démontré que le groupe de discussion leur a permis d’acquérir de nouvelles connaissances ainsi que des compréhensions nouvelles qui ont par la suite supporté le développement de la compétence interculturelle et sa mise en œuvre. C’est d’ailleurs ce que Deardorff (2004, 2006) soutient, soit qu’à la base du modèle se trouvent des éléments qui permettront à l’individu de soutenir le déploiement de cette compétence qui lui permettra de se comporter et de communiquer correctement et efficacement dans des situations interculturelles (Deardorff, 2004, p. 194). En appui aux travaux de Deardorff (2004, 2006), les résultats de cette étude confirment l’importance d’acquérir les éléments des niveaux inférieurs, tels que les attitudes pour passer à un autre niveau, les attitudes étant préalables aux habiletés et aux comportements de haut niveau (Deardorff, 2004, 2006). Par ailleurs, contrairement au modèle de Deardorff (2004, 2006), qui explique que le point de départ réside dans les attitudes, dans cette étude, il semble que ce sont plutôt les connaissances et les compréhensions nouvelles qui ont majoritairement entrainé le développement de nouvelles attitudes et aptitudes associées à la compétence interculturelle, et non l’inverse. Il est vrai que le groupe de discussion a été instauré suite aux préoccupations des éducatrices. Peut-on alors prétendre qu’il y avait de l’ouverture et, en ce sens, que ce sont les attitudes qui auraient eu préséance?

CONCLUSION

Cette étude fait suite aux travaux de Deardorff (2004, 2006), qui a élaboré un modèle de développement de la compétence interculturelle à plusieurs niveaux. Elle avait comme objectif d’examiner le développement de la compétence interculturelle suite à la formation continue reçue en milieu de travail par l’entremise d’un groupe de discussion établi en partenariat avec une chercheuse universitaire. À l’instar de Deardorff (20004, 2006), les résultats confirment le cycle dynamique et multidimensionnel du développement de la compétence interculturelle où des éléments de niveaux inférieurs alimentent ceux de niveaux supérieurs pour permettre sa mise en œuvre. Les résultats démontrent que toutes les éducatrices ont acquis des attitudes, des aptitudes, des connaissances et des compréhensions de premier niveau suite à la formation reçue en milieu de travail alors que quatre éducatrices ont emprunté le parcours correspondant au cycle dynamique du modèle pyramidal de Deardorff (2004, 2006), menant à l’actualisation de la compétence interculturelle. Toutefois, dans l’actualisation de la compétence, il appert que ce serait plutôt les connaissances et les compréhensions suscitées lors du groupe de discussion qui auraient fait émerger de nouvelles attitudes et aptitudes, puis de nouveaux cadres de référence qui ont amené les changements internes et externes souhaités. Par ailleurs, le groupe de discussion semble être un dispositif intéressant permettant l’actualisation de la compétence interculturelle.

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