Dispositifs déclarés d’enseignement de la lecture au moyen de la littérature de jeunesse en contexte d’inclusion pédagogique d’élèves HDAA du PREMIER cycle du primaire

PROBLÉMATIQUE

La majorité (80%) des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) sont inclus en classes régulières au Québec (Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2017; Vienneau, 2006). Il est admis que l’inclusion pédagogique de ces élèves nécessite la mise en place de plusieurs pratiques inclusives, notamment la mise en œuvre de pratiques individualisées et de dispositifs didactiques variés permettant à tous d’atteindre, à leur façon, l’intention pédagogique fixée par leur enseignante (Block, Oakar et Hurt, 2002). Il apparait à cet égard que certains matériels scolaires, et surtout les pratiques d’enseignement, favoriseraient plus que d’autres la mise en œuvre de dispositifs didactiques variés et, du coup, offriraient de meilleures conditions pédagogiques pour l’inclusion scolaire des élèves HDAA (Hasni et Ratté, 2001). Parmi ces matériels, l’enseignement avec la littérature de jeunesse serait propice à l’inclusion de ses élèves (Hasni et Ratté, 2001). En principe, les livres de littérature de jeunesse offrent plus de souplesse aux enseignantes en termes de planification et de modalités d’enseignement que les manuels. Puisqu’ils ne sont souvent pas accompagnés de guide du maitre, l’enseignante doit lui-même construire sa planification, ce qui favoriserait la mise en œuvre de pratiques individualisées à travers, notamment, la mise en place de dispositifs didactiques variés pour répondre aux besoins de chacun des élèves de la classe régulière, dont les élèves HDAA inclus (Ezell, Justice et Parsons, 2000).

Plusieurs recherches ont été menées pour évaluer les bienfaits de la mise en œuvre de dispositifs didactiques d’enseignement avec la littérature de jeunesse sur le développement des compétences en lecture et en écriture des élèves HDAA au 1er cycle du primaire (Hargrave et Sénéchal, 2000; Parent et Morin, 2008). Toutefois, ces recherches ont aussi montré que l’enseignement avec la littérature de jeunesse comporte ses défis majeurs, surtout liés à l’appropriation de nouvelles pratiques pédagogiques (Morin, Dupin de Saint-André et Montésinos-Gelet, 2007; Lépine, 2018; Montésinos-Gelet, 2007; Montésinos-Gelet et Morin, 2004; Morin, Montésinos-Gelet, Parent, Prévost, Charron, Ling et Valiquette, 2006). Pour certains auteurs, la complexité de la planification et de l’enseignement avec la littérature de jeunesse nécessite une formation continue et un accompagnement de l’enseignante à long terme (Morin, Dupin de Saint-André et Montésinos-Gelet, 2007; Hasni et Ratté, 2001). Cette complexité de la tâche est d’autant plus importante à prendre en compte étant donné le contexte se voulant inclusif de la classe régulière québécoise. En effet, il semble que les enseignantes affirment que le manque de soutien aurait atteint un point de rupture selon le dernier avis du Conseil supérieur de l’éducation (2017). En effet, les classes québécoises accueilleraient trop d’élèves HDAA pour les ressources disponibles, et les enseignantes peineraient à enseigner dans les classes régulières inclusives, par manque de ressources et de soutien (CSE, 2017; Paré, 2011; Rousseau, Point et Vienneau, 2015).

Suivant cette logique, si les dispositifs didactiques liés à l’enseignement avec la littérature de jeunesse ont le potentiel de favoriser l’inclusion pédagogique des élèves HDAA, est-ce que le contexte actuel de la classe québécoise le permet? Il est difficile de répondre à une telle question car, selon notre recension des écrits et nos connaissances, aucune description empirique de cette mise en œuvre de l’enseignement avec la littérature de jeunesse en contexte d’inclusion d’élèves HDAA n’a été publiée. En effet, les recherches publiées en lien avec l’enseignement avec la littérature de jeunesse auprès des élèves HDAA ont été réalisées en contexte de classes spéciales (groupes à effectif réduit composés d’élèves ayant tous des difficultés semblables) ou de classes ressources (petit groupe d’élèves sortis de la classe régulière). Aucune d’entre elles ne s’intéressaient aux dispositifs didactiques d’enseignement avec la littérature de jeunesse en contexte d’inclusion d’élèves HDAA dans des classes régulières, ni aux liens entre, d’une part, le type et l’ampleur des dispositifs didactiques d’enseignement avec la littérature de jeunesse et, d’autre part, le nombre d’élèves HDAA inclus dans la classe. Le présent article se propose donc d’explorer ces dimensions en cherchant à répondre à la question suivante : quels sont les dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse mis en place par les enseignantes du premier cycle du primaire qui incluent des élèves HDAA en classe régulière?

Cette question de recherche permettra de cibler plus spécifiquement les types de dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse mis en œuvre, la fréquence de mise en œuvre de ces dispositifs et les disciplines scolaires, autres que le français, visées par ces enseignements avec la littérature de jeunesse.

CADRE CONCEPTUEL

Dans ce cadre conceptuel seront décrits d’abord le concept des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse et, par la suite, le concept de l’inclusion pédagogique des élèves HDAA.

Dispositifs d’enseignement au moyen de la littérature de jeunesse

La littérature de jeunesse est destinée à des enfants ou à des adolescents. Elle peut avoir différents genres : documentaire, roman, bande dessiné, album de jeunesse. La littérature de jeunesse peut permettre, entre autres, de promouvoir la lecture auprès des enfants (Rouxel et Langlade, 2004), d’exploiter l’intertextualité (Biagioli, 2006) et d’accorder une place à l’interprétation (amener l’enfant à réfléchir sur l’histoire en termes d’inférence ou d’hypothèse). De nombreuses recherches se sont intéressées aux dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse (Hébert, 2009; Montésinos-Gelet, 2007; Tauveron, 2002). Ces recherches mettent de l’avant un ou plusieurs dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse et montrent généralement leurs effets sur l’apprentissage de la lecture ou la motivation des élèves, dont les élèves HDAA (Block et coll., 2002; Ezell et coll., 2000; Giasson, 2011; Montésinos-Gelet, 2007). Nous proposons de présenter une recension des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse. Ensuite, nous présentons également les recherches s’intéressant à chacun de ces dispositifs en lien avec l’enseignement auprès des élèves HDAA. Il ne s’agit pas ici de leur situation d’inclusion, l’axe précis de cet article, mais nous choisissons de présenter tout de même les travaux en lien avec les élèves HDAA et chacun des dispositifs afin de peindre un portrait général des connaissances du domaine, relativement nouveau, de l’enseignement avec la littérature de jeunesse auprès des élèves HDAA.

La lecture interactive. Il s’agit d’une lecture à haute voix par l’enseignante accompagnée de questions pour soutenir la compréhension, la réaction, l’interprétation et l’appréciation. La lecture interactive ne se limite pas, pour l’enseignante, à lire une histoire à haute voix mais plutôt d’orienter la lecture et les échanges / réflexions avec les élèves à partir d’une structure narrative organisée autour de plusieurs pistes d’intervention / animation avant (mis en situation, thème à aborder), pendant (compréhension et réflexion autour des thèmes ciblées) et après (intégration avec des situations vécues, liens avec d’autres histoires, réinvestissement dans d’autres activités comme l’écriture, les arts plastiques, etc.) la lecture de l’histoire (Montésinos-Gelet, 2007). Il s’agirait d’une stratégie judicieuse pour développer le langage et favoriser l’émergence de l’écrit chez l’enfant HDAA (Ezell et coll., 2000).

La lecture à haute voix. Il s’agit de lecture par l’adulte, souvent l’enseignante, d’un livre de littérature de jeunesse. Elle permet à l’enseignante de modéliser des stratégies de lecture et d’écriture, et d’être une lectrice et une scriptrice modèle pour les élèves. Elle permet également à l’enseignante de mettre l’élève HDAA en contact avec des textes qui seraient inaccessibles autrement, de faire réagir, et de modéliser des tâches d’interprétation ou de prolongement en lien avec le récit (Lépine, 2018; Stephenson, 2009; Wehmeyer et Palmer, 2003).

Lecture en dyade. Les élèves lisent à tour de rôle un livre de littérature de jeunesse en équipe de deux. Tous les élèves, dont les élèves HDAA, n’ont donc pas à lire le livre en entier. L’enseignante peut choisir de pairer les élèves de même niveau en lecture (les élèves ont le même rythme de lecture) ou de niveaux différents (un élève peut servir de modèle pour l’autre). Cette façon de faire peut augmenter la compréhension des élèves HDAA. Puisqu’ils n’ont pas à lire une partie du texte, ils peuvent seulement l’écouter et en avoir une meilleure compréhension. La charge cognitive allouée à la reconnaissance des mots est diminuée, et l’élève peut mettre l’énergie sur la compréhension du récit.

Lecture alternée. L’enseignante demande aux élèves de lire une phrase en alternance en groupe-classe. Ce dispositif a comme effet que l’élève utilise beaucoup de charge cognitive à mettre en voix son texte, ce qui nuit à la compréhension globale de l’œuvre. Il se peut aussi que l’élève HDAA lise de manière silencieuse sa phrase, n’écoutant pas les autres élèves lire la leur.

Lecture chorale. Ici, les élèves lisent en chœur un texte. L’élève HDAA est soutenu par les autres élèves de la classe. Ce dispositif peut permettre la reconnaissance globale de certains mots par l’élève et a ainsi le potentiel d’augmenter la fluidité en lecture (Giasson, 2011).

Lecture indépendante. L’enseignante peut également choisir de laisser les élèves lire de manière indépendante les livres de littérature de jeunesse. Ici, l’enseignante peut remettre à l’élève HDAA un livre différent de ses pairs. En fait, tous les élèves peuvent lire un livre différent. Il s’agit d’une modalité de différentiation de type production, permettant à tous les élèves d’avoir un livre qui répond réellement à leurs besoins (Paré, 2011).

Le cercle de lecture. Il s’agit d’un travail en sous-groupes autonomes ayant pour but principal l’exploration (incluant les réactions qu’elle suscite) d’une œuvre de littérature de jeunesse (Hébert, 2009). Pour Giasson (2011), le cercle de lecture est un type de dispositif utile pour l’élève en difficulté : les résultats de leur recherche montrent que les élèves en difficulté gagnent à prendre part à un cercle de lecture puisqu’ils ont un modèle de réaction appropriée à la littérature de jeunesse et qu’ils peuvent également affiner leur compréhension du texte grâce à leurs collègues. Toutefois, comme ce type de dispositif est applicable essentiellement pour les élèves de la seconde partie du primaire, l’utilisation du cercle de lecture ne sera pas investiguée dans la cadre de la présente étude, qui se concentre sur le 1er cycle du primaire.

Choix du dispositif. Selon le dispositif d’enseignement avec la littérature de jeunesse choisi, dans une perspective d’intégration des disciplines et de réinvestissement, l’enseignante peut aussi proposer des tâches aux élèves en lien avec les livres lus : écrire un texte, faire une maquette, faire une recherche à l’aide de ressources documentaires, écrire une courte saynète à partir de moment précis de l’histoire, etc. L’intégration des disciplines permet en principe à l’élève HDAA de s’investir encore plus dans les apprentissages visés par l’activité de lecture, tout en facilitant de possibles intégrations avec des disciplines scolaires (en français, éthique et culture religieuse, univers social, développement de la compétence sociale, etc.; Viau, Joly et Bédard, 2004). En principe, toujours, et d’un point de vue motivationnel, ces types d’activités lui permettent d’être plus actif, et d’avoir plus d’emprise et d’initiative sur la tâche, tout en favorisant un engagement accru à l’égard de cette dernière (Viau et coll., 2004).

Si certains dispositifs, telle la lecture interactive, jouissent d’une grande popularité au sein du présent programme de formation du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (MEES) et que plusieurs recherches s’y consacrent, d’autres dispositifs d’enseignement de la lecture, bien que connus, ont fait l’objet de beaucoup moins d’études en termes de mise en œuvre et d’impacts, quels que soient les groupes d’élèves. Ce peu de connaissance est encore plus marqué dans le cas des élèves HDAA en situation d’inclusion. Bien que Montésinos-Gelet (2007) se soient penchées sur ces dispositifs en lien avec les apprentissages de la lecture par les élèves en difficulté au Québec, et que d’autres auteurs ailleurs dans le monde aient montré une relation entre l’enseignement avec la littérature de jeunesse et le développement des compétences à lire, et l’augmentation de la motivation chez les élèves HDAA (Ezell et coll., 2000; Stephenson, 2009; Wehmeyer et Palmer, 2003), la question de la relation entre, d’une part, le nombre d’élèves HDAA inclus et, d’autre part, le type de dispositif choisi et l’ampleur de leur mise en œuvre n’a pas été investiguée par ces études. Or, on peut présumer que la proportion d’élève en difficulté dans une classe ainsi que la nature des problèmes rencontrés chez ces derniers influencent le choix des dispositifs d’enseignement, leurs conditions d’application, les ressources à mobiliser pour leur maintien sur une base régulière en classe, etc.

L’inclusion des élèves HDAA

Les élèves HDAA regroupent les élèves ayant des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage et les élèves handicapés (ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport [MELS], 2007). Pour faire partie de la première catégorie, l’élève doit avoir cumulé un retard d’un cycle, soit deux années, malgré une tentative de remédiation durant une période significative. L’application de cette règle pose une certaine limite dans le cadre de la présente recherche puisqu’en principe, il ne peut y avoir d’élève avec une cote de la classification HDAA avant la 3e année du primaire. Toutefois, dès le premier cycle, les élèves qui ont des difficultés peuvent déjà avoir différents troubles diagnostiqués tels que : une dyslexie, une dysorthographie, des incapacités intellectuelles légères, un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, une dysphasie légère, une dyspraxie ou des difficultés d’apprentissages non spécifiques. Ces élèves font partie de la catégorie des élèves considérés à risque. Pour faire partie de la deuxième catégorie (élève handicapé), l’élève doit également avoir reçu un diagnostic d’un spécialiste (pédiatre, neuropsychologue, orthophoniste, etc.) alléguant qu’il a des incapacités intellectuelles moyennes à sévères, un handicap moteur moyen à sévère, une déficience langagière visuelle, auditive ou physique sévère. Ainsi, ce n’est pas nécessairement la nature d’un trouble mais parfois la sévérité de ce trouble qui peut justifier le fait qu’un élève se retrouve dans la catégorie « d’élève en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation » ou encore dans la catégorie « d’élève handicapé ».

Cette recherche s’intéressera donc aux pratiques déclarées des enseignantes du 1er cycle, que ce soit pour les élèves à risque de développer des problèmes plus importants en termes d’adaptation scolaire et sociale ou ceux pouvant éventuellement se retrouver avec une cote HDAA.

Les travaux actuels en lien avec l’enseignement avec la littérature de jeunesse auprès des élèves HDAA ont pour axes de recherche l’apprentissage de la lecture et l’augmentation de la motivation en classes spéciales regroupant uniquement des élèves HDAA (Ezell et coll., 2000; Montésinos-Gelet, 2007; Stephenson, 2009; Wehmeyer et Palmer, 2003). Aucune des recherches recensées ne s’intéressent à la situation d’inclusion de ces élèves en classe régulière. Par ailleurs, un peu plus de 80% des élèves HDAA québécois sont inclus dans des classes régulières (CSÉ, 2017). Il apparait nécessaire de savoir quels sont les dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse mis en place par les enseignantes du premier cycle du primaire qui incluent des élèves HDAA en classe régulière.

Objectif

À la suite de la présentation du cadre conceptuel, il est possible de préciser l’objectif de cette recherche : décrire la nature des dispositifs didactiques d’enseignement avec la littérature de jeunesse mis en œuvre en contexte d’inclusion d’élèves à risque et d’élèves HDAA au 1er cycle du primaire en analysant les dispositifs mis en œuvre, la fréquence de cette mise en œuvre en relation avec le nombre d’élèves HDAA inclus et les disciplines scolaires visées par ces enseignements (autre que le français).

Selon l’axe de recherche prôné dans cet article, cet objectif de recherche sera réalisé précisément en vue des pratiques mises en place pour tous les élèves HDAA, indépendamment qu’ils soient considérés comme à risque, en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, ou encore en situation de handicap.

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

La méthodologie de cette présente étude est exploratoire car l’axe de recherche est novateur et amorce l’approfondissement des dispositifs d’enseignement de littérature de jeunesse en contexte d’inclusion pédagogique. De plus, le devis de cette étude est descriptif étant donné que l’objectif principal est de décrire les dispositifs utilisés dans les classes inclusives en fonction du nombre d’élèves HDAA inclus. Cette étude s’inscrit dans un plus vaste projet de recherche. En effet, il s’agit de données collectées lors de l’année de pré-implantation du programme de prévention de la violence à l’école DIRE-MENTOR (Leadbeater et Suckhawathanakul, 2011). Le programme DIRE-MENTOR propose un curriculum structuré en prévention universelle (promotion d’une saine socialisation, prévention des conduites agressives) transmis par le biais d’activités utilisant de la littérature jeunesse animées par les enseignantes titulaires au primaire. La période de pré-implantation (printemps 2017 au printemps 2018) est dédiée à la collecte d’informations sur les milieux et les besoins des enseignantes, ainsi qu’à des formations générales (gestion de la classe, littérature jeunesse, etc.) précédant la mise en œuvre du programme. L’étude évaluative plus large s’étend du printemps 2017 au printemps 2021 et porte sur les caractéristiques d’implantation et les retombées du programme DIRE-MENTOR.

Participants

Sur le territoire québécois, six écoles primaires publiques francophones de trois commissions scolaires desservant les régions de Laval, Lanaudière et des Laurentides ont pris part à une collecte de données de pré-implantation au moment de l’étude. La sollicitation aux fins de participation au projet longitudinal d’évaluation du programme DIRE-MENTOR a été réalisée au printemps 2017 par le biais des commissions scolaires qui ont aidé à identifier les écoles pressenties, puis par le chercheur principal auprès des directions des écoles intéressées. Le Tableau 1 présente un portrait des établissements participants en ce qui a trait au nombre d’élèves et de membres du personnel, à la situation socio-économique des milieux (indice de défavorisation du MEES 2016-2017) et au taux de réponse du personnel enseignante du premier cycle.

TABLEAU 1. Caractéristiques des écoles participantes et taux de réponse des enseignantes titulaires de classe du premier cycle

École

Commission scolaire

Indice de défavorisation

Effectif total

Répondants du 1er cycle




Élèves

Personnel


B

1

10

619

88

1

C

2

5

255

46

4

D

2

6

600

62

8

F

3

5

612

70

4

G

3

2

333

33

8

H

3

10

576

68

6

Ainsi, un total de 31 enseignantes de première et de deuxième année ont complété un questionnaire sur leurs pratiques en lien avec les dispositifs d’enseignement de la lecture et l’utilisation de la littérature jeunesse ainsi que sur l’inclusion d’élèves HDAA dans leur classe. Cet échantillon, composé à 96% de femmes, représente un taux de réponse approximatif de 74% de la part du personnel ciblé. Ces enseignantes ont en moyenne 12 ans (écart-type : 6,5 ans) d’expérience en milieu scolaire, ce qui les place au-delà du seuil de 5 ans correspondant à l’entrée dans la profession, mais rapportent en moyenne avoir travaillé dans la même école depuis seulement près de 4 ans (écart-type : 1,25 ans). Nous avons fait le choix de cibler uniquement les enseignantes de 1er cycle puisque la recherche en lien avec la littérature de jeunesse cible davantage ce cycle. Il ne s’agit pas d’un échantillon représentatif.

Procédure

Une invitation par courriel à compléter un questionnaire en ligne a été transmise aux membres du personnel par le biais des directions des écoles participantes à la fin de l’année scolaire 2017. Un premier rappel a été effectué à l’été, et un second rappel, lors de la rentrée scolaire 2018. Les participantes ayant complété le questionnaire ont reçu un dédommagement financier correspondant au temps investi. L’ensemble des données collectées a été anonymisé afin de protéger l’identité des répondantes.

Instruments

Le questionnaire sur les pratiques en lien avec les dispositifs d’enseignement de la lecture et de l’écriture, et l’utilisation de la littérature jeunesse utilisé dans le cadre de cette étude est une adaptation des travaux de Montésinos-Gelet. Ce questionnaire se divise en cinq parties, comprenant des questions sur la fréquence d’utilisation de divers dispositifs d’enseignement de la lecture et de l’écriture, l’utilisation de ces dispositifs en contextes évaluatifs, les aménagements de la classe relatifs à la lecture et à l’écriture, la fréquence d’utilisation de pratiques d’enseignement de la littératie, et les contenus visés lors de l’utilisation de la littérature jeunesse en classe. Cependant, seuls les résultats relatifs à l’utilisation des dispositifs d’enseignement de la lecture, aux pratiques d’enseignement de la littératie et aux contenus visés sont considérés par la présente étude. Afin de s’assurer d’une compréhension commune des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse, une explication de chacun des dispositifs était incluse dans le questionnaire. De plus, pour ces deux premiers volets, les répondants étaient invités à rapporter leur fréquence d’utilisation sur une échelle de sept échelons allant de jamais à quotidiennement. Ils devaient ensuite sélectionner les disciplines pour lesquelles ils enseignent certains contenus par le biais d’activités utilisant la littérature jeunesse. Les répondants ont également été questionnés sur leurs caractéristiques démographiques, leurs années d’expérience professionnelle, et le nombre d’élèves HDAA et d’élèves jugés à risque dans leur classe.

Parmi les limites méthodologiques, il importe de mentionner que les résultats de cette recherche sont des résultats déclarés des enseignantes. En ce sens, l’effet de désirabilité est une limite possible étant donné qu’un seul outil de collecte de données a été utilisé sans triangulation des données. Dans une future recherche, il serait intéressant d’observer les pratiques réelles des enseignantes. De plus, ces mêmes enseignantes participaient volontairement à cette collecte de données par le questionnaire à remplir; il est probable que ce soit les enseignantes intéressées et à l’aise avec ces dispositifs d’enseignement qui aient répondu au questionnaire.

Analyse

Aux fins de comparaison, nous avons effectué des regroupements en fonction du nombre d’élèves HDAA déclaré par l’enseignante comme faisant partie de la classe. Ainsi, ce sont 16% (n = 5) des enseignantes du premier cycle questionnées qui rapportent 4 élèves inclus ou moins, 55% (n = 17) qui rapportent entre 5 et 7 élèves inclus, et 29% (n = 9) qui rapportent enseigner à 8 élèves inclus ou plus. Puisque l’expérience professionnelle est reconnue comme ayant une influence certaine sur les pratiques enseignantes, la possibilité de différences significatives entre les regroupements d’enseignantes a été écartée au moyen de tests de rang de Kruskal-Wallis (générale : H = 0.92, p = 0.63; école : H = 1.25, p = 0.54).

RÉSULTATS

Le questionnaire permet de décrire la nature des dispositifs d’enseignement mis en place en lecture pour tous les élèves de la classe dont les élèves HDAA (nommés « élèves inclus » dans les tableaux subséquents), de donner la fréquence de ces différentes pratiques d’enseignement en lecture et de cibler les disciplines scolaires qui sont abordées par l’enseignement avec la littérature de jeunesse.

Description des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse mis en œuvre dans les classes incluant des élèves HDAA

Les Tableaux 2 permet de brosser le portrait des fréquences de mise en œuvre des dispositifs selon la quantité d’élèves HDAA inclus. Comme notre échantillon ne comportait pas le même nombre d’enseignantes pour chacun des regroupements présentés en méthodologie (les regroupements : 4 élèves HDAA inclus ou moins (5 enseignantes), 5 à 7 élèves HDAA inclus (17 enseignantes) et plus de 8 élèves HDAA inclus (9 enseignantes)), nous proposons des pourcentages, dans le tableau, afin de pouvoir faire une comparaison entre les regroupements. Par ailleurs, entre parenthèses, le nombre d’enseignantes correspondant à la fréquence en pourcentage est indiqué afin d’ajouter de la transparence dans la présentation des données.

Ainsi, à la lumière des résultats les plus saillants, il est possible de remarquer qu’hormis la recherche documentaire et la lecture en chorale, la grande majorité des enseignantes mettent en œuvre une variété de dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse à toutes les semaines. Aucune enseignante n’a dit ne jamais mettre en œuvre : la lecture dialoguée, la lecture indépendante, la lecture en dyade, la lecture alternée ou la lecture à haute voix. Ainsi, dans toutes les classes de l’échantillon, les élèves ont accès à une variété de dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse, peu importe le nombre d’élèves HDAA inclus dans la classe. Dans toutes les classes, l’enseignante lit des livres à voix haute aux élèves, propose des tâches de lecture seule, propose de la lecture à deux, etc. Seule la lecture en chorale et la recherche documentaire ne semblent pas faire l’unanimité; une minorité des enseignantes ne mettent jamais en œuvre ces dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse et peu d’enseignantes les mettent en œuvre fréquemment. Ces quelques lignes apportent une première réponse à notre question de recherche : quels sont les dispositifs mis en œuvre dans les classes incluant des élèves HDAA? La réponse rapide est : une variété de dispositifs d’enseignement, telles la lecture dialoguée, la lecture indépendante, la dyade, la lecture alternée et la lecture à haute voix, la lecture en chorale étant moins mise en œuvre. Nous raffinerons l’analyse en faisant des distinctions selon la quantité d’élèves HDAA inclus.

Ainsi, hormis pour la lecture indépendante, qui est mise en œuvre par la majorité quotidiennement, il est possible de constater à la lecture du Tableau 1 que seules des enseignantes incluant de 5 à 7 élèves HDAA dans la classe mettent en place les dispositifs d’enseignement quotidiennement, et ce, pour l’ensemble des dispositifs. Aucune enseignante incluant 4 élèves HDAA ou moins, ou 8 élèves HDAA ou plus dans leur classe ne mettent en œuvre l’un ou l’autre des dispositifs d’enseignement de manière quotidienne, sauf pour la lecture indépendante. Par ailleurs, bien que pour l’ensemble des autres dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse, les enseignantes incluant de 5 à 7 élèves mettent davantage en œuvre ceux-ci de manière hebdomadaire, ce ne sont souvent qu’une minorité de ce sous-groupe d’enseignantes qui mettent en œuvre ces dispositifs d’enseignement quotidiennement. En effet, pour l’ensemble des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse, la majorité des enseignantes incluant 5 à 7 élèves ont davantage dit les mettre en œuvre très souvent (plus d’une fois par semaine, mais moins qu’une fois par jour). Ainsi, il semble que très peu d’enseignantes mettent en œuvre plusieurs dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse à tous les jours. Cette tendance est vraie sauf pour un dispositif d’enseignement avec la littérature de jeunesse : il ressort de nos données que le dispositif d’enseignement avec la littérature de jeunesse davantage mis en œuvre quotidiennement est la lecture indépendante. Nous élaborerons sur le sujet un peu plus loin.

En résumé, nous savons maintenant que les enseignantes de notre échantillon incluant des élèves HDAA mettent en œuvre une variété de dispositifs. Nous savons également que les enseignantes incluant 5 à 7 élèves HDAA ont tendance à mettre en œuvre une plus grande variété de ses dispositifs. Puis, nous avons également vu que la lecture indépendante serait mise en œuvre à tous les jours par la très grande majorité des enseignantes. Dans les sections qui suivent, nous présenterons les fréquences de mise en œuvre de chacun des dispositifs.

Lecture indépendante. Comme mentionné précédemment, la lecture des résultats nous montre que la lecture indépendante, c’est-à-dire que chaque élève lit de manière solitaire, est largement mise en œuvre dans les classes de premier cycle composant notre échantillon (22/31 la mettent en œuvre tous les jours). En effet, la totalité de notre échantillon, peu importe la quantité d’élèves HDAA inclus, font de la lecture indépendante en lien avec la littérature de jeunesse dans leur classe quotidiennement ou très souvent. Ce dispositif se démarque largement des autres par sa fréquence et son importance dans les classes d’élèves ayant 4 élèves inclus ou moins. En effet, ce dispositif fait l’unanimité dans ce sous-groupe; l’ensemble des enseignantes incluant 4 élèves ou moins HDAA (5/5) ont dit mettre en œuvre de dispositif d’enseignement.

Lecture interactive. La lecture interactive est un dispositif utilisé au moins à chaque semaine par 24 enseignantes sur 31. Ainsi, la grande majorité des enseignantes de l’échantillon mettent en œuvre le dispositif, peu importe le nombre d’élèves HDAA inclus. Le contexte d’inclusion de 5 à 7 élèves dans la classe semble le plus propice à la mise en œuvre à tous les jours de ce dispositif d’enseignement, mais les enseignantes incluant plus de 8 élèves HDAA ont eux aussi mentionné mettre en œuvre ce dispositif plus d’une fois par semaine (5/9). Très peu d’enseignantes ont mentionné mettre en œuvre ces dispositifs jamais ou rarement dans leur classe. La très grande majorité ont dit faire de la lecture interactive avec leurs élèves au moins une fois par mois pour l’ensemble des classes incluant des élèves HDAA.

Lecture à haute voix par l’enseignante. La lecture à haute voix a également une place importance dans les classes incluant des élèves HDAA. En effet, pour 26 sur 31 des enseignantes de notre échantillon, elle est mise en œuvre une fois par semaine et plus. Une proportion un peu plus grande d’enseignantes incluant 5 à 7 élèves HDAA ont dit la mettre en œuvre très souvent, soit plus d’une fois par semaine ou tous les jours. Il semble que ce dispositif d’enseignement soit davantage mis en œuvre par ces enseignantes en comparaison avec ceux qui incluent moins d’élèves (4 et moins) ou plus d’élèves (plus de 8).

Dyade. Par ailleurs, la lecture en dyade, est moins populaire. Elle ne suit pas ce modèle spécifiquement. D’abord, il s’agit d’un des dispositifs d’enseignement qui fait le moins l’unanimité chez les enseignantes incluant des élèves HDAA. Il s’agit du dispositif ayant le plus grand nombre d’enseignantes mettant en œuvre rarement le dispositif (11/31). De manière plus fine, dans les classes où 4 élèves ou moins sont inclus (où moins du quart des élèves de la classe sont HDAA), 3 enseignantes sur 5 ont répondu mettre en œuvre cette pratique moins d’une fois par semaine. À l’inverse, chez les enseignantes incluant de 5 à 7 élèves HDAA, 8 enseignantes sur 17 disent la mettre en œuvre plus une fois par semaine et 6 enseignantes sur 9 incluant plus de 7 élèves HDAA font de même (presque la moitié des élèves sont HDAA dans ces classes). Il semble donc que la lecture en dyade soit privilégiée lorsqu’il y a plus d’élèves HDAA inclus et que son importance en classe croisse avec le nombre d’élèves HDAA inclus. Il s’agit du seul dispositif d’enseignement didactique suivant cette tendance proportionnelle en fonction de la quantité d’élèves HDAA inclus.

Lecture alternée. Les autres dispositifs d’enseignement présentent une plus grande fréquence lorsque l’enseignante inclut de 5 à 7 élèves dans la classe. Ainsi, la lecture alternée par les élèves semble être privilégiée en contexte d’inclusion moyenne (5 à 7 élèves), puisqu’elle est mise en œuvre très souvent ou quotidiennement par 11 enseignantes du sous-groupe de 17 comprenant les classes avec 5 à 7 élèves inclus et par 5 des enseignantes avec 8 élèves inclus ou plus (sur les 9 faisant partie de ce sous-groupe). La lecture alternée est un peu moins fréquente lorsque l’enseignante inclut plus de 7 élèves dans sa classe, mais elle l’est encore moins lorsque l’enseignante inclut moins de 5 élèves HDAA. Une majorité d’enseignantes de classes avec 4 élèves inclus ou moins ont rapporté l’utilisation de ce mode de regroupement quelques fois (1/mois) ou moins. La lecture alternée est très peu représentée dans les classes incluant mois de 4 élèves HDAA.

Lecture en chorale. Cette tendance est également suivie par la lecture chorale. Bien qu’elle soit employée moins fréquemment, elle serait utilisée souvent (1/semaine) ou plus dans 20% des classes avec 4 élèves inclus ou moins, dans 35% des classes avec 5 à 7 élèves inclus et dans 33% des classes avec 8 élèves inclus ou plus (voir Tableau 2).

TABLEAU 2. Dispositifs d’enseignement en lien avec la lecture en fonction du contexte d’inclusion de la classe


Lecture interactive

Activités avec littérature jeunesse

Documentation pour faire une recherche


Élèves inclus

Élèves inclus

Élèves inclus

 

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

Jamais

0

0

0

0

0

0

20%

(1)

23%

(4)

11%

(1)

Rarement

20%

(1)

0

0

40%

(2)

12%

(2)

22%

(2)

40%

(2)

41%

(7)

78%

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Quelques fois (1/mois)

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(1)

6%

(1)

44%

(4)

20%

(1)

12%

(2)

44%

(4)

20%

(1)

18%

(3)

11%

(1)

Souvent

(1/sem)

20%

(1)

35%

(6)

0

20%

(1)

12%

(2)

22%

(2)

20%

(1)

0

0

Très souvent

40%

(2)

47%

(8)

56%

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20%

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52%

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12%

(1)

0

12%

(2)

0

Quotidiennement

0

12%

(2)

0

0

12%

(2)

0

0

6%

(1)

0

Totaux

100%

(5)

100%

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100%

(9)

100%

(5)

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(17)

100%

9)

100%

(5)

100%

(17)

100%

(9)

TABLEAU 3. Dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse en fonction du contexte d’inclusion de la classe


Lecture indépendante

Lecture

en dyade

Lecture à la classe par l’enseignante

Lecture alternée en groupe-classe

Lecture chorale en groupe-classe


Élèves inclus

Élèves inclus

Élèves inclus

Élèves inclus

Élèves inclus

 

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

4 ou moins

5 à 7

8 et plus

Jamais

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

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(2)

0

20%

(1)

12%

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32%

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Rarement

0

0

0

40%

(2)

17%

(3)

11%

(1)

0

0

12%

(1)

40%

(2)

0

12%

(1)

40%

(2)

30%

(5)

12%

(1)

Quelques fois (1/mois)

0

0

0

20%

(1)

12%

(2)

22%

(2)

20%

(1)

6%

(1)

22%

(2)

40%

(2)

12%

(2)

22%

(2)

20%

(1)

23%

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22%

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Souvent

(1/sem)

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0

0

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12%

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0

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12%

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Très souvent

0

41%

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22%

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59%

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67%

(6)

60%

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20%

(1)

53%

(9)

54%

(5)

0

23%

(4)

22%

(2)

Quotidiennement

100%

(5)

59%

(10)

78%

(7)

0

0

0

0

53%

(10)

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0

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(2)

0

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(1)

0

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Totaux

100%
(5)

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100% (9)

100%
(5)

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100% (9)

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100% (9)

100%
(5)

100% (17)

100% (9)

Dans un autre ordre d’idées, parmi les résultats issus des questionnaires soumis aux enseignantes, les disciplines scolaires associées aux dispositifs d’enseignement avec la littérature jeunesse et le contexte d’inclusion d’élèves HDAA ont également été abordés. Le Tableau 3 présente les proportions d’enseignantes rapportant utiliser des activités exploitant la littérature jeunesse afin d’intégrer les disciplines scolaires travaillées en classe au-delà de la langue. Les résultats nous permettent donc d’analyser quelles disciplines scolaires sont les plus abordées dans le cadre des dispositifs didactiques en littérature de jeunesse. Sommairement, on constate que l’éthique et la culture religieuse est la matière la plus fréquemment visée par les enseignantes utilisant la littérature de jeunesse, les sciences étant la matière la moins populaire lors de l’utilisation de la littérature de jeunesse. On constate également que les enseignantes en contexte d’inclusion de 5 à 7 élèves utilisent la littérature de jeunesse au sein de disciplines scolaires plus diversifiées en comparaison avec les enseignantes des classes avec 4 élèves inclus ou moins. En effet, les enseignantes de notre échantillon incluant 4 élèves HDAA (n = 5) semblent avoir des intentions pédagogiques visant une moins grande variété de matière scolaires que les enseignantes incluant de 5 à 7 élèves ou plus de 8 élèves HDAA. Les différences entre les regroupements d’enseignantes sont d’autant plus grandes en ce qui a trait aux mathématiques. En effet, si une grande majorité des enseignantes incluant 5 à 7 élèves HDAA dans leur classe visent parfois le développement des compétences en mathématiques lorsqu’ils utilisent la littérature de jeunesse, une minorité des enseignantes incluant 4 élèves HDAA ou moins et 8 élèves HDAA ou plus font de même.

TABLEAU 4. Disciplines scolaires visées lors de la mise en place des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse par les enseignantes du premier cycle du primaire

Disciplines scolaires

Élèves inclus dans la classe


4 ou moins

5 à 7

8 et plus

Éthique et culture religieuse

Univers social

Mathématiques

Sciences

Arts

80% (4)

20% (1)

20% (1)

20% (1)

20% (1)

94% (16)

47% (8)

71% (12)

29% (5)

59% (10)

56% (5)

22% (2)

33% (3)

22% (2)

56% (5)

À la lumière des résultats présentés dans les Tableaux 2 et 3, il est possible de constater que les objectifs de cet article, soit de décrire les dispositifs didactiques en littérature de jeunesse mis en place par les enseignantes du premier cycle du primaire en plus de décrire les disciplines scolaires visées lors de la mise en œuvre des dits dispositifs didactiques, sont abordés dans cette section. La prochaine section propose certaines pistes d’interprétation de ces résultats.

Discussion

Tout d’abord, il importe de préciser que l’ensemble des enseignantes de notre échantillon met en œuvre des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse variés. Ainsi, l’ensemble des élèves HDAA inclus sont mis en contact avec une diversité de dispositifs d’enseignement. Par ailleurs, il semble que cette diversité soit un peu différente selon la quantité d’élèves HDAA inclus. Afin d’inclure les élèves HDAA dans les classes régulières, selon la thèse de Paré (2011), la majorité des activités de différenciation pédagogique concernent la variation des regroupements (81,9 %). Dans cet ordre d’idées, certains dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse consistent en fait à varier un regroupement : pensons notamment à la différence entre la lecture indépendante et la lecture en dyade. Il s’agit bien de deux dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse. Par contre, la différence entre ces deux dispositifs concerne uniquement le regroupement, ce qui permet à l’élève HDAA de lire seulement la moitié du récit mais d’avoir tout de même accès à l’ensemble du contenu. Il est donc intéressant que les résultats de notre recherche suivent cette tendance en lien avec les regroupements lors de l’enseignement avec la littérature de jeunesse. Les enseignantes qui incluent utilisent des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse qui diversifient davantage les modes de regroupements : lecture en groupe classe, lecture en dyade et lecture indépendante. Les enseignantes qui incluent moins font davantage de lecture indépendante et de lecture à haute voix, et les dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse choisis favorisent moins les regroupements diversifiés.

Il faut toutefois noter que cette tendance diminue à partir de 8 élèves HDAA inclus. S’agit-il du point de rupture avancé par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE, 2017)? Certaines recherches tendent à montrer que l’inclusion a ses limites, que le temps pour la planification peut devenir trop lourd lorsque trop d’élèves HDAA sont inclus dans une même classe, et ce, sans avoir accès aux ressources requises par cette situation (Paré, 2011; Rousseau et coll., 2015).

Le point de rupture qui semble être illustré par les résultats de notre recherche rejoint également les travaux de Paré (2011). En effet, selon les résultats de cette thèse, il semble que, lorsque l’enseignante perçoit qu’il a trop d’élèves HDAA inclus, il met en œuvre des pratiques d’individualisation de l’enseignement (comme la lecture), enseigne moins en groupe-classe, propose moins de tâches pour l’ensemble des élèves, et varie moins les dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse pour l’ensemble du groupe. Les enseignantes incluant plus de 8 élèves mettent davantage en place la lecture en dyade, un des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse possibles qui peuvent être propice aux pairages entre élèves aux besoins hétérogènes. Un lecteur devient le modèle de l’autre, limitant ainsi peut-être ici la charge de l’inclusion pour l’enseignante. Ces enseignantes mettent également beaucoup en place la lecture indépendante, ce qui peut être une façon de remettre aux élèves HDAA un livre différent de leurs pairs et d’ainsi individualiser leur enseignement. La présente recherche permet de faire des hypothèses, mais des recherches subséquentes devraient être réalisées afin de connaitre les raisons et les contextes qui poussent les enseignantes ayant plus de 8 élèves HDAA inclus dans leur classe à moins diversifier les dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse.

Ce que nous pouvons affirmer en lien avec nos résultats actuels, c’est qu’il semble que la variété des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse varierait selon la quantité d’élèves HDAA inclus, mais il faut préciser que cette relation ne semble pas linéaire et que notre échantillon n’était pas représentatif. Il semble faux de dire que, plus il y a d’élèves HDAA inclus, moins les enseignantes mettent en place des types de regroupements variés et des dispositifs d’enseignement avec la littérature de jeunesse variés. En effet, il semble que les enseignantes incluant moins de cinq élèves mettent eux aussi moins en œuvre des dispositifs d’enseignement variés, s’intéressant davantage à la lecture à voix haute par l’adulte et à la lecture indépendante par l’enfant. Les causes ici aussi peuvent être multiples et mériteraient d’être creusées par des entrevues auprès des enseignantes. Il est important de savoir pourquoi les enseignantes incluant moins de 5 élèves HDAA intègrent moins les autres disciplines scolaires avec la littérature de jeunesse. Est-ce qu’une classe incluant moins d’élèves HDAA est moins propices aux liens entre les disciplines? Il serait intéressant de décrire ce contexte et de donner la parole aux enseignantes.

Les questionnements et les causes de cette disparité entre les enseignantes incluant moins de 5 élèves HDAA et les enseignantes en incluant de 5 à 7 peuvent être multiples. Nous pourrions également approfondir les raisons qui poussent ces mêmes enseignantes à intégrer les autres disciplines lorsqu’ils enseignent avec la littérature de jeunesse. Pourquoi est-ce cette tranche d’enseignantes qui utilisent la littérature très souvent ou quotidiennement pour intégrer les autres disciplines, telles que l’univers social, les mathématiques et les sciences? Est-ce une question de formation? D’attitude de l’enseignante? Se pourrait-il que les enseignantes incluant de 5 à 7 élèves se sentent plus à l’aise avec le groupe hétérogène et la flexibilité qu’apporte la littérature de jeunesse? Est-ce qu’à partir de 8 élèves inclus, cette flexibilité est moins possible? La présente recherche a fait sortir énormément de questionnements sur l’enseignement avec la littérature de jeunesse en situation d’inclusion. Ces questions feront l’objet d’entrevues avec les mêmes enseignantes qui se sont inscrits dans un projet de recherche longitudinal sur quatre ans. Nous proposerons donc un nouvel article afin d’affiner les résultats de la présente recherche.

Conclusion

Si plusieurs études suggèrent que les enseignantes différencient peu et mettent peu en place une variété de dispositifs pour répondre aux besoins des élèves HDAA (Tomlinson, 2016), cette recherche permet de mettre en relief le potentiel inclusif de l’utilisation de la littérature de jeunesse en classe régulière puisque les enseignantes diversifient leurs pratiques en utilisant cet outil. En conclusion, cet article a permis de soulever des questions et de montrer la quantité d’élèves HDAA comme fait intéressant lorsqu’il est question d’enseignement avec la littérature de jeunesse en contexte inclusif. En effet, il importe de mener des entrevues pour connaitre les causes des changements de pratiques lorsque les enseignantes ont de 5 à 7 élèves HDAA dans leur classe. Pourquoi, est-ce à ce niveau que les regroupements sont les plus variés et que les dispositifs également sont les plus nombreux? En quoi ce ratio d’élèves HDAA dans la classe ordinaire permet à l’enseignante de mettre en place une variété de dispositifs didactiques? Plusieurs raisons sont possibles et méritent d’être explorées afin de guider les établissements scolaires dans ce qui pourrait tendre vers l’implantation d’une pratique inclusive pédagogique efficace.

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