Le conseiller pédagogique en tant qu’agent de changement : compétences et leadership transformationnel

Introduction

Afin de contribuer pleinement à la société d’aujourd’hui dans un contexte de mondialisation et de haute technicité, les élèves canadiens doivent développer des compétences en constante évolution en vue de satisfaire les attentes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de formation de base (C21 Canada, 2012; OCDE, 2015). Cependant, les systèmes éducatifs peinent à suivre le rythme de cette évolution sociale, et ce, en raison des attentes et des responsabilités attribuées au personnel scolaire qui ne cessent d’augmenter. Une solide formation initiale ne peut à elle seule assurer la formation d’enseignants compétents (ministère de l’Éducation de l’Ontario [MEO], 2014). Il importe que les organisations scolaires développent des stratégies qui non seulement valorisent le développement professionnel mais permettent aux enseignants de se former tout au long de leur vie (MEO, 2014; OCDE, 2005; Webster-Wright, 2009). Traditionnellement, plusieurs systèmes d’éducation à travers l’Europe et l’Amérique du Nord font appel aux services de conseillers pédagogiques afin d’assurer la formation continue des enseignants (Alin, 2008; Duchesne, 2016; Mizell, 2007). Plus spécifiquement en Ontario, la responsabilité du développement professionnel des enseignants relève des conseils scolaires et des directeurs d’école. Les conseillers pédagogiques font cependant partie de l’équipe d’accompagnement qui assure l’instauration d’un tel dispositif (MEO, 2013), et leur tâche première est de soutenir le personnel enseignant en transition vers la mise en œuvre de nouvelles pratiques pédagogiques.

Recrutement et formation des conseillers pédagogiques

Les conseillers pédagogiques (ci-après CP) sont recrutés parmi les enseignants chevronnés qui sont réputés manifester une bonne compréhension de la réalité de la salle de classe composée d’enfants ou d’adolescents (Duchesne, 2016; Dugal, 2009). D’autres éléments tels que la capacité d’innovation, l’aptitude pour la communication, et les habiletés personnelles et relationnelles sont également pris en considération en plus de la discipline d’expertise de la personne (Dugal, 2009; Harrison et Killion, 2007; Lessard, 2008). Les CP semblent assurer le développement de leurs compétences par l’apprentissage vicariant ou directement par la pratique du métier (Duchesne et Gagnon, 2013; Gagnon, 2010). Une formation appropriée destinée aux CP est cependant jugée primordiale puisqu'ils occupent des fonctions différentes de celles de l'enseignant et que le recours à une gamme de compétences en tant que formateurs d’adultes leur est nécessaire pour travailler auprès de cette population apprenante (Draelants, 2007; Dugal, 2009).

Rôles, tâches et défis des conseillers pédagogiques

Le CP doit tout d’abord accompagner les enseignants vers un changement de pratique. Cependant, pour ce faire, ses rôles comme ses tâches sont multiples et complexes, car il doit composer avec les demandes ministérielles et les plans d’action des conseils scolaires. De plus, le CP doit s’insérer dans des cultures particulières, propres à chaque environnement et à la population enseignante qu’il accompagne. La nature de ses rôles, généralement mal définie, génère alors une certaine ambiguïté (Draelants, 2007; Fullan et Knight, 2011; Psencik, 2015). Plusieurs auteurs répertorient les rôles des CP et, bien que les dénominations choisies soient différentes, des catégories similaires reviennent (Awad, 2015; Dugal, 2009; Knight, 2011). Le classement de huit rôles suggéré par Duchesne (2016), soit l'expert de contenu, le conseiller, le formateur, l'accompagnateur, le collaborateur, le praticien réflexif, le gestionnaire et l'agent de changement, nous est d’un grand intérêt puisqu’il est issu d’une recherche portant sur le sentiment d’efficacité personnelle conduite auprès de 11 CP de l’Ontario lors de laquelle des méthodes de collectes et d’analyse de données qualitatives et interprétatives ont été utilisées. Ainsi, pour agir selon ces multiples rôles et faire face aux défis qu’il rencontre, le CP doit pouvoir se référer à des savoirs relationnels, des savoirs de formateur d’adultes et des savoirs d’agent de changement (Lessard, 2008, cité dans Duchesne, 2016). La résistance aux changements du personnel scolaire, les croyances et les convictions autant profondes que personnelles à propos de l’éducation, et la clarté des communications entre les CP et les enseignants constituent d’autres défis qu’il doit aussi relever (Draelants, 2007; Duchesne, 2016; Knight, 2011). Il est par ailleurs important de noter qu’aux plans organisationnel et syndical, les CP de l’Ontario conservent le même statut que les enseignants qu’ils accompagnent. Les CP doivent donc pouvoir développer des relations de confiance, s’assurer le maintien d’une compréhension de la réalité du terrain dans leur discours comme dans leurs pratiques et instaurer un certain pouvoir d’influence auprès des enseignants.

Le conseiller pédagogique en tant qu’agent de changement

Le rôle d’agent de changement constitue le noyau central de l’identité professionnelle du CP, car, à ce titre, il n’exerce pas directement l’autorité; sa tâche est plutôt de s’assurer que des conditions favorables sont mises en place pour que les enseignants s’approprient le changement de pratique souhaité de manière engagée et critique (Lessard, 2008). Certaines compétences professionnelles sont nécessaires pour soutenir un changement, et ce, davantage lorsque celui-ci est prescrit. Le rôle de l’agent de changement est de mobiliser son entourage (Havelock et Zlotolow, 1995). Or, le CP qui agit à cet égard doit d’abord assurer la cohérence entre les modèles théoriques et les stratégies proposées ainsi que la réalité de la salle de classe. Par ailleurs, il doit être capable de guider, d’inspirer et de susciter l’engagement des enseignants qu’il accompagne (Lafortune, 2008). Mettre l’accent sur l’apprentissage, soutenir un questionnement collaboratif mettant au défi raisonnement et pratiques de même qu’assurer l’efficacité du leadership pédagogique sont également des conditions nécessaires à un changement de pratique durable (Katz et Dack, 2013). Selon Leithwood, Day, Sammons et Hopkins (2006), lorsqu'il est question d’influence et de distribution du leadership, les enseignants accordent généralement leur confiance à un leader qui démontre ses compétences et son intérêt pour l’organisation, qu’il occupe un poste d’autorité ou non. Les CP jouent un rôle de premier plan auprès des enseignants qui préparent les élèves à relever des défis et à vivre des succès dans un monde en perpétuelle transformation (Dedering, Goecke et Rauh, 2014). La formation continue collective des enseignants est dès lors essentielle pour amener un changement de pratique durable en classe. Il est ainsi permis de se demander comment les CP exercent les compétences d’agent de changement qui s’apparentent à celles attendues de la part des leaders (Landry, 2012). Bien que la combinaison de plusieurs types de leadership soit probablement utilisée lorsqu’il s’agit de mettre en place les changements de pratique prescrits, le leadership transformationnel capte particulièrement notre attention dans le cas du CP. En effet, l’autorité du leader transformationnel, jugée démocratique, est tout d’abord basée sur la compétence, le dévouement, l’authenticité et la capacité de transcender sa vision pour ainsi influencer le comportement des enseignants accompagnés, ce qui s’apparente aux aptitudes mentionnées précédemment à propos du CP dans son rôle d’agent de changement (Avolio, 2011; Bass, 1998; Gendron et Lafortune, 2009). La paucité des écrits au sujet du rôle d’agent de changement des CP ne fait qu’alimenter la pertinence de se pencher sur l’étude des compétences en leadership déployées par des CP, qui arrivent justement à mener des changements de pratiques durables auprès des enseignants. Conséquemment, l’étude dont il est question dans cet article vise à répondre à la question de recherche suivante : comment se manifeste le leadership transformationnel exercé par des CP au regard de leur rôle d’agent de changement auprès des enseignants des conseils scolaires de l’Ontario?

L’agir compétent et le leadership transformationnel

Tout d’abord, nous nous appuierons sur les travaux de Le Boterf (2015) pour circonscrire le concept d’agir compétent. Par la suite, nous approfondirons le concept de leadership transformationnel tel que proposé par Bass (1998).

L’agir compétent

Dans son modèle de l’agir compétent en situation de travail, Le Boterf (2015) nous invite à considérer la compétence comme un processus mis en œuvre par un individu qui agit de façon pertinente, cohérente et responsable, et qui prend en compte les conséquences de ses actes dans diverses circonstances. L’individu qui s’engage dans un tel processus doit savoir jumeler ses connaissances, ses habiletés, son mode de raisonnement, ses ressources, sa créativité et son intuition afin de prendre des décisions face aux imprévus et à la complexité des systèmes (Le Boterf, 2011, 2015).

Le Boterf propose un modèle dans lequel trois facteurs sont mobilisés de façon cohérente afin de permettre à l’individu d’agir avec compétence en situation de travail : le savoir-agir, qui entraîne la mobilisation et la combinaison des ressources de l’individu; le vouloir-agir, qui se réfère à la motivation personnelle de l’individu et au contexte dans lequel il intervient; ainsi que le pouvoir-agir, qui renvoie aux contextes et aux conditions sociales qui rendent possibles la prise de responsabilités aussi bien que de risques de la part de l’individu (Le Boterf, 2015). Dans le cadre de notre recherche, nous avons tenté de mieux comprendre l’agir-compétent dans l’exercice du leadership transformationnel des CP qui accomplissent leur fonction première : accompagner leurs collègues enseignants vers un changement de pratique durable.

Le leadership transformationnel

Le concept de leadership transformationnel a d’abord été élaboré par Burns en 1978 dans les milieux politiques. Par la suite, dans leur modèle « Full range of leadership », Bass et Avolio (1994) proposent trois styles de leadership, soit le leadership transactionnel, le leadership de type laisser-faire et le leadership transformationnel (ci-après LT). Les CP ont possiblement recours, selon les tâches qu’ils effectuent, à l’un ou l’autre de ces trois types de leadership. Cependant, puisqu’ils n’assument pas de fonctions de supervision du personnel et que nous nous intéressons particulièrement à l’agir compétent du CP au regard du rôle d’agent de changement qui lui est attribué dans une structure horizontale de leadership, c’est-à-dire sans hiérarchie, nous avons choisi d’explorer les composantes associées au LT telles que définies par Bass (1998). Il s’agit de l’un des rares modèles de leadership dont la validité a été démontrée dans des études touchant aux domaines des affaires, de la défense nationale et de la santé ainsi qu’en référence aux systèmes organisationnels (Landry, 2012). Il a été introduit au monde de l’éducation par Leithwood, Jantzi et Steinbach (1999), et son apport à la compréhension des comportements des gestionnaires en milieux scolaires est jugé significatif (Dussault, Valois et Frenette, 2007).

Le leader transformationnel vise essentiellement à orienter les collaborateurs d’un même système vers un but commun afin de servir l’organisation au-delà de leurs intérêts personnels (Alegre et Levitt, 2014; Bass, 1998; Kirkbride, 2006). On retrouve chez l’individu qui fait preuve de LT la capacité de communiquer avec confiance ses valeurs et sa vision de même que le savoir-faire pour engager et motiver ses collègues de travail. Selon Bass (1998), l’intégrité, la confiance, la loyauté et l’engagement sont au cœur de la démarche du leader transformationnel en ce sens que ce meneur, totalement dévoué, accepte de se montrer vulnérable en se prêtant à la critique et en corrigeant ses erreurs.

Bass (1998) propose quatre composantes au LT, soit les considérations individualisées, l’inspiration et la motivation, la stimulation intellectuelle, et l’influence charismatique. Ces composantes ont guidé notre étude, puisque plusieurs rapprochements entre les compétences déployées par le leader transformationnel, l’agent de changement et le CP peuvent être observés.

Considérations individualisées. Le leader transformationnel fait preuve de considérations individualisées lorsqu’il est à l’écoute des besoins de chaque individu et qu’il favorise une communication bidirectionnelle dans le but de promouvoir l’émancipation de chacun. Ce leader confiant et disponible fait preuve d’empathie, reconnaît et valorise les divergences en termes de besoin et de capacité entre les membres de son équipe de travail, en plus de leur offrir soutien et encouragement. Il porte une attention particulière au développement professionnel des personnes qui l’entourent en créant des occasions d’apprentissage à leur juste mesure, et ce, dans un climat où l’individu est considéré de manière holistique. Ceci s’apparente à plusieurs des rôles du CP décrits par Duchesne (2016) alors que ce dernier doit s’adapter à un public dont les besoins professionnels sont diversifiés. Dionne, Savoie-Zajc et Couture (2013), pour leur part, avancent le fait que l’individu qui accompagne les communautés d’apprentissage, comme c’est le cas du CP en Ontario, doit faire preuve d’empathie, de compréhension et d’humour. Enfin, Knight (2011) précise que le CP aurait avantage à manifester une certaine humilité au cours des dialogues qu’il instaure afin de créer un climat permettant à chacun de s’exprimer librement et d’ainsi favoriser le processus décisionnel collectif.

Inspiration et motivation. L’inspiration et la motivation sont décelées chez le leader qui sait encourager une vision positive de l’avenir. Enthousiaste et engagé, il fait les premiers pas et prend parfois certains risques afin d’être proactif dans la résolution de problèmes, ce qui lui permet d’accroître considérablement la confiance qu’on lui accorde. Cette composante nous semble observable chez le CP lorsque celui-ci se montre curieux à l’égard de pratiques innovantes et qu’il adhère de façon réfléchie aux changements souhaités par l’organisation scolaire, puisqu’il démontre ainsi son désir d’apprendre et de collaborer avec son équipe de travail vers l’atteinte d’un objectif commun.

Stimulation intellectuelle. Le leader transformationnel favorise la stimulation intellectuelle par son questionnement. Il encourage l’innovation et la créativité, de même qu’une pratique réflexive pour que les collaborateurs analysent et réévaluent les solutions en vue d’atteindre un objectif. Lorsqu’il est stimulé intellectuellement, chaque membre d’une équipe tend à se surpasser de sorte que l’empressement pour mener au changement est créé. Le CP, dans son rôle d’agent de changement, doit trouver des méthodes innovantes, et constamment assurer les liens entre la théorie et les pratiques à instaurer afin d’approfondir les réflexions, de générer de riches échanges et, conséquemment, de conduire ses équipes de travail à l’identification des meilleures solutions (Davies, Herbst et Reynolds, 2008; Patterson, Grenny, McMillan et Switzler, 2009; West et Cameron, 2013).

Influence charismatique. Le leader transformationnel qui présente la composante d’influence charismatique est un leader intègre, respecté à qui l’on fait confiance. On dit qu’il est persévérant, déterminé et qu’il possède de grandes capacités. L’individu qui exhibe une influence charismatique est perçu comme un modèle, et ses collaborateurs s’identifient à lui pour généralement adopter ses pratiques ou son attitude. L’excellence du rendement et de l’expertise dans un domaine disciplinaire font généralement partie des critères d’embauche du CP (Duchesne, 2016). En plus de ses qualités d’enseignant et d’animateur, on doit reconnaître au CP ses connaissances et ses savoirs de conseillance (Lessard, 2008), lui procurant l’estime des membres de ses équipes de travail. De plus, un CP honnête et fiable saura construire sa propre crédibilité pour ainsi établir des relations professionnelles empreintes de confiance (Draelants, 2007; Lessard, 2008; Psencik, 2015).

Tout comme Duchesne (2016), qui souligne que le CP, dans son rôle d’agent de changement, favorise la transformation d’attitudes chez les enseignants, Leithwood (2012) soutient que le leader transformationnel cherche constamment à favoriser le développement professionnel des enseignants, et à soutenir le développement et le maintien d’une culture de collaboration. De plus, il croit que la résolution des problèmes en équipe mène à des solutions plus efficaces. C’est ce qu’avance la théorie de Bass (1998), qui stipule qu’au final, le leader transformationnel accompagne ses collaborateurs dans un processus de changement afin qu’ils deviennent eux-mêmes, de ce fait, des leaders.

Méthodologie

Cette recherche qualitative interprétative s’inscrit dans un paradigme constructiviste de type exploratoire puisqu’elle visait à approfondir notre compréhension des manifestations de LT par des CP œuvrant dans le système scolaire de l’Ontario.

Le recrutement des participants

Nous avons opté pour un échantillonnage théorique (Savoie-Zajc, 2011) mixte (Creswell, 2003) composé de sept CP et de leurs quatre directrices de services pédagogiques respectives (ci-après DSP). Après avoir obtenu l’autorisation déontologique des conseils scolaires ciblés de même que de notre institution universitaire pour mener la recherche, le recrutement des participants s’est effectué parmi quatre des douze conseils scolaires francophones de l’Ontario. L’étude a été menée auprès de sept CP, soit six femmes et un homme. Les DSP des quatre conseils scolaires visés ont recommandé des candidats CP dont le profil, à leur avis, correspondait le mieux aux caractéristiques découlant des quatre composantes du modèle de Bass (1998) présentées précédemment. Dans le but de réduire le biais de sélection, un tableau décrivant ces caractéristiques leur a été fourni. Au moment de la collecte de données, les participants possédaient de dix à trente années d’expérience dans le domaine de l’éducation, dont deux à quatorze années en tant que CP et deux à dix ans en tant que DSP.

Collecte de données

L’entrevue semi-dirigée a été choisie comme outil de collecte de données car, comme l’explique Savoie-Zajc (2011), l’exercice se voulait une interaction verbale entre les chercheures et les participants. L’intention était de dégager les compétences déployées et de déceler les manifestations du LT par les CP pour ainsi mieux comprendre le phénomène étudié. Les entrevues, enregistrées sur support audionumérique et d’une durée d’environ soixante-quinze minutes, ont été réalisées en personne ou à distance. Le guide d’entrevue a été développé dans le but de saisir les manifestations du LT à partir de ses quatre composantes en laissant toutefois l’espace au participant pour exprimer son point de vue personnel sur les thèmes abordés.

Dans le cas des DSP, un questionnaire électronique, incluant des questions à développement à propos de l’exercice du LT et de la mise en œuvre de ses quatre composantes effectuée par le CP, a servi d’instrument de collecte de données. L’information colligée auprès des DSP a permis d’appuyer les propos des CP à l’égard de leurs manifestations de LT, ce qui nous a permis d’enrichir notre compréhension en ce qui a trait aux compétences déployées par le CP qui réussit à mettre en œuvre un changement de pratique auprès des enseignants qu’il accompagne.

Analyse des données

L’analyse des verbatim à l’aide du logiciel NVivo 10 s’est, en premier lieu, effectuée par la création de codes dans le but de guider l’interprétation des données. Ces codes ont été regroupés et mis en relation avec les composantes du leadership transformationnel de Bass (1998) et avec le concept d’agir compétent en situation de travail de Le Boterf (2015). Cette méthode a été utilisée afin d’extraire des unités de sens, de les mettre en relation pour les comparer et de les regrouper en catégories pour ensuite en dégager les significations.

Présentation des résultats

Dans cette section, les manifestations du leadership transformationnel, telles qu’élaborées par Bass (1998), et de l’agir compétent en situation de travail des CP, à la lumière des travaux de Le Boterf (2015), seront présentées et mises en relation dans le but de comprendre les processus mis en place par les CP dans leur exercice du leadership en tant qu’agents de changement.

Leadership transformationnel

Puisque nous nous intéressons particulièrement à l’agir compétent du CP au regard du rôle d’agent de changement qui lui est attribué dans une structure horizontale de leadership, les quatre composantes du leadership transformationnel, soit l’inspiration et la motivation, la stimulation intellectuelle, les considérations individualisées, et l’influence charismatique donnent des pistes de réflexion quant à la façon dont se manifeste le leadership du CP dans son rôle d’agent de changement.

Inspiration et motivation. D’emblée, les CP interrogés, ainsi que les DSP, ont mentionné à plusieurs reprises l’importance d’innover, de collaborer, d’encourager la prise de risque, de motiver et, afin d’assurer leur crédibilité, de mobiliser les compétences requises tant du point de vue de la discipline d’expertise que de l’accompagnement professionnel. Andrée1 (CP) mentionne : « Pour les gens qui sont indécis, je me base sur les recherches et je suis capable, avec ma passion … d’encourager les gens à essayer. » Ils accordent également beaucoup d’importance à certains facteurs pour expliquer la réussite d’un changement de pratique durable tels que partager une vision commune avec toute l’équipe, offrir une structure d’accompagnement adéquate en temps et en fréquence, et établir une collaboration étroite avec la direction de l’école. Leur passion pour la pédagogie et leur façon d’amener les équipes de travail à prendre conscience de l’impact du changement sont sources d’inspiration pour leur entourage. Lorsque questionnée sur la façon dont elle devient source d’inspiration, Évelyne (CP), pour sa part, répond : « Quand je parle de pédagogie, quand les gens voient l’innovation ou le changement et le désir d’amélioration qui m’habite, je pense que c’est ça qui inspire plusieurs personnes. » Toutes ces caractéristiques font partie du bagage du CP dans le but de mobiliser les enseignants non seulement vers un changement de pratique mais également dans un effort de développer leurs propres aptitudes au leadership.

Stimulation intellectuelle. L’utilisation d’une pratique réflexive a fait l’unanimité chez les participants. Lysanne (DSP) résume bien cette idée : « Les activités planifiées permettent d’amener le personnel à réfléchir sur leurs pratiques. Les activités comprennent plein de défis et permettent l’erreur. » De plus, tous les participants ont mentionné que le questionnement et l’analyse de données pour identifier les besoins d’apprentissage et résoudre les problèmes sont non seulement très efficaces pour engager les enseignants accompagnés mais sont au cœur du travail de collaboration et essentiels dans la mise en œuvre d’un changement de pratique. Frédérique (CP) mentionne à ce propos : « On n’est plus à l’heure de la mécanique d’enseignement », opinion que partagent la plupart des participants.

Un autre point soulevé par l’ensemble des CP est leur rôle de catalyseur, puisqu’ils tentent d’engager les équipes-école dans une démarche de changement de pratique. Pour ce faire, ils doivent constamment développer leurs propres connaissances et habiletés, ce que chacun a exprimé prendre plaisir à faire. Myriam (CP) explique que : « les enseignants ont juste besoin qu’on leur présente de nouvelles idées et qu’on crée des opportunités. De mettre en place juste certains éléments puis de faire cheminer les gens dedans, puis de finalement s’effacer en arrière de ça. » La stimulation intellectuelle doit être omniprésente dans le travail des CP rencontrés, car ces derniers estiment devoir accompagner les enseignants dans un processus de résolution de problèmes où les solutions ne sont pas données mais bien développées dans un esprit de collaboration et d’innovation.

Considérations individualisées. Cette idée d’amener l’individu accompagné à développer son autonomie et sa responsabilisation prend racine dans l’évaluation des besoins et du soutien offert à chacun. Selon les participants, considérer les besoins individuels veut dire être flexible et capable de s’adapter; d’ailleurs, certains ont mentionné avoir développé ces compétences avec les années et à travers les expériences vécues. Afin d’amener un changement de pratique, les CP participants, tout comme les DSP, ont mentionné que diverses mesures de soutien sont offertes afin d’appuyer le développement des connaissances et des compétences, d’atteindre l’objectif personnel de chacun, d’offrir un soutien ponctuel ou émotionnel lorsqu’un enseignant a un besoin particulier, d’encourager la motivation afin de poursuivre la mise en œuvre du changement souhaité, et d’appuyer les enseignants par une structure d’accompagnement adaptée. Lorsque les participants ont évoqué ce dernier point, ils ont mentionné que le contexte dans lequel ils travaillaient peut être favorable ou non au changement de pratique. Ils ont souligné devoir, conséquemment, offrir une structure d’accompagnement « sur mesure » qui convient aux besoins de l’enseignant, mais que ce n’est pas toujours possible. À ce propos, Danièle, une DSP, évoque les interventions de la CP qu’elle a recommandée comme participante à la recherche : « Elle accompagne beaucoup le personnel. Elle accueille les questions, les suggestions et travaille avec eux afin que les enseignants puissent cheminer. Une de ses plus grandes forces, c’est le monitorage et les suivis. » Toutes ces formes de soutien doivent être offertes dans un climat de travail harmonieux, et, pour ce faire, les participants ont souligné l’importance d’investir temps et efforts dans le développement de relations de travail positives, de prendre en compte l’expertise des enseignants qu’ils accompagnent et, surtout, de respecter leur cheminement.

Influence charismatique. Les participants ont fait allusion à de multiples reprises au fait que le développement de solides liens de confiance est essentiel et qu’un contexte favorable à leur leadership doit comprendre d’abord et avant tout le partage d’une vision commune et la capacité de collaboration, caractéristiques qui sont reliées à l’influence charismatique. Par ailleurs, selon les témoignages reçus, le climat de travail doit être sans jugement, et il faut soutenir le cheminement graduel des enseignants sur une période de temps adéquate. De plus, ils ont affirmé devoir agir en tant que modèles, en étant prêts eux-mêmes à prendre des risques et en faisant preuve d’intégrité. Frédérique (CP) affirme ici : « il faut vraiment être capable d’instaurer un climat de confiance. Veux, veux pas, il faut que tes "babines suivent tes bottines"…. quand t’es leader, il faut être capable de faire ce que tu demandes aux autres de faire. » Natasha (CP) ajoute : « On doit se mettre en position vulnérable, avouer qu’on ne sait pas et, en plus, prendre le risque. » Les participants ont fait ici référence à leur capacité d’influencer les enseignants vers un changement de pratique en développant des relations de confiance basées sur le respect, l’intégrité et l’authenticité, et en modélisant eux-mêmes la prise de risque vers un tel changement.

Agir compétent en situation de travail

Tel que mentionné plus tôt, Le Boterf (2015) nous invite à considérer la compétence comme un processus mis en œuvre par un individu qui agit de façon pertinente, cohérente et responsable dans diverses circonstances. Pour ce faire, il suggère que la compétence, dans une situation professionnelle, combine trois facteurs : le savoir-agir, le vouloir-agir et le pouvoir-agir.

Le processus d’analyse engagé au cours de cette recherche a permis de mettre en lumière les compétences déployées par les CP dans leur rôle d’agent de changement relevant des trois facteurs précédemment évoqués et de les mettre en relation avec les quatre composantes du LT de Bass (1998). La figure qui suit permet de voir l’interrelation entre les deux modèles.


FIGURE 1. Exemple de l’interrelation entre le Leadership transformationnel de Bass (1998) et l’Agir compétent en situation de travail de Le Boterf (2011)

Les prochains paragraphes fourniront une explication plus approfondie sur l’articulation de ces relations.

Savoir-agir. Outre les compétences générales mentionnées par les sept CP participants, certains savoir-agir, comme encourager la prise de risque, pousser et déstabiliser, innover, diriger, agir en tant que modèle avec intégrité, offrir un soutien sur le plan des pratiques pédagogiques et de façon personnalisée auprès d’une population adulte, ont également été soulevés. Assurer une pratique réflexive et respecter le cheminement des participants sont deux savoir-agir qui se sont imposés dans chacune des entrevues avec les CP et qui ont également été jugés essentiels par les DSP, comme en témoigne Anne : « les CP utilisent le questionnement et la pratique réflexive de façon constante. » Myriam (CP) confirme clairement cette idée : « je dois poser les bonnes questions pour faire réfléchir, pour faire avancer les gens. » Natasha (CP) va encore plus loin en ajoutant :

j’aime leur retourner leurs questions pour voir d’où part leur besoin et essayer de creuser, car je pourrais répondre à leurs questions sans comprendre d’où ça vient et peut-être ne pas cheminer dans le sens dont la personne a besoin.

Les participants ont en outre exprimé que le CP doit savoir combiner et mobiliser les ressources appropriées, telles que leurs connaissances et leurs savoir-faire, afin de mettre en œuvre un amalgame de savoir-agir pertinents pour accompagner les équipes de travail vers un changement de pratique.

Vouloir-agir. Même si le CP possède le savoir-agir pour certaines compétences, selon le modèle de Le Boterf (2011), il doit également vouloir les mettre en action. Les sept CP participants ont souligné l’importance d’investir temps et efforts pour établir des relations de confiance et un climat de collaboration conduisant les équipes de travail vers une vision commune pour résoudre les problèmes. Certains d’entre eux ont souligné l’importance de croire dans la bonne volonté de tous les enseignants, bien qu’ils doivent parfois composer avec diverses formes de résistance. Tous les CP participants ont exprimé vouloir constamment parfaire leurs connaissances et leurs habiletés dans le but d’agir en tant que catalyseurs pour ainsi influencer les changements de pratique et pour pouvoir s’adapter aux besoins de chaque enseignant accompagné, tout en respectant à fois leur niveau de cheminement et de compétence. À cet égard, Natasha (CP) explique : « J’apprends beaucoup par moi-même et je pense que j’essaie de toujours me questionner dans ma façon de faire. » France (CP), de son côté, mentionne : « on apprend et, après ça, on va le travailler avec les enseignants, ça nous aide à grandir professionnellement. » Cette motivation personnelle pour soutenir les enseignants et cette quête à parfaire ses habiletés s’avèrent être deux caractéristiques s’étant déclarées chez l’ensemble des participants.

Pouvoir-agir. Les CP ont tous mentionné l’importance d’établir leur crédibilité à partir de leur savoir-agir et de leur vouloir-agir afin de pouvoir agir, et ce, non seulement auprès des enseignants accompagnés mais également auprès des directions des écoles au sein desquelles ils assurent un accompagnement. Pouvoir-agir semble être source de préoccupation pour les CP consultés, et c’est probablement pour cette raison qu’ils en ont parlé davantage. Tout d’abord, les participants, incluant les DSP consultées, ont mentionné que le CP doit collaborer étroitement avec la direction d’école et que, lorsque cette dernière n’est pas pleinement engagée ou le CP et la direction d’école ne partagent pas une vision commune, le changement de pratique est plus difficile à mettre en place et sera probablement éphémère. Partager une vision commune avec l’équipe de travail, œuvrer dans un climat de confiance et sans jugement, de même que posséder l’expérience professionnelle considérée suffisante par les personnes accompagnées, sont des facteurs favorables à leur leadership et au changement de pratique. À l’opposé, les directives imposées « d’en haut », la mauvaise réputation de certains CP auprès des enseignants ainsi que la planification du changement à des moments inopportuns au calendrier scolaire peuvent être défavorables au leadership ou au changement recherchés.

Tous les CP participants ont aussi largement parlé de l’influence de la structure d’accompagnement dans la mise en place d’un changement de pratique durable. Ils ont souligné que les périodes de l’année de même que la durée et la fréquence de l’accompagnement offert constituaient des facteurs d’importance. Ils ont également insisté sur le fait que le déploiement de la structure d’accompagnement (formation en groupe, co-enseignement, modelage, pratique réflexive, etc.) de même que le type de regroupement (un à un, en équipe de collaboration, etc.) doivent préférablement être déterminés avant d’offrir le service aux enseignants qu’ils accompagnent. Ainsi, la pluralité des contextes mentionnés ci-haut ajoute une certaine complexité au travail des CP au plan du pouvoir-agir puisqu’ils doivent alors prendre en compte les besoins des enseignants et de leurs milieux afin de leur répondre au meilleur de leurs capacités.

Discussion

Cette section se propose d’offrir des pistes de réponse à la question de recherche posée initialement : comment se manifeste le leadership transformationnel exercé par des CP au regard de leur rôle d’agent de changement auprès d’enseignants des conseils scolaires de l’Ontario? Les résultats de l’analyse des données seront par ailleurs examinés à la lumière des écrits qui prévalent dans le domaine.

Liens entre le rôle d’agent de changement et le leadership transformationnel

Les participants ont confirmé qu’une gamme de compétences leur sont nécessaires pour mener un changement de pratique et que ces dernières ne se rattachent pas nécessairement à une seule modalité d’exercice, mais bien qu’elles se chevauchent au sein des divers rôles qu’ils ont à jouer. Tout comme pour le leader transformationnel, les CP doivent identifier les besoins, communiquer clairement, établir des relations positives, collaborer avec divers intervenants et inviter ceux-ci à adopter une pratique réflexive dans le but de résoudre les situations professionnelles problématiques auxquelles ils font face. L’une des particularités du rôle d’agent de changement est qu’il doit assurer la cohérence dans la mise en œuvre des orientations systémiques et, de surcroit, favoriser la transformation de l’attitude des enseignants à cet égard. Cet aspect relève des fonctions du leader transformationnel puisque, pour partager une vision commune avec leurs différentes équipes de travail, les CP ont indiqué qu’ils contribuaient à des prises de décision complexes. En effet, ces derniers prennent part à l’évaluation des besoins des élèves d’une école par l’analyse des résultats d’apprentissage de ceux-ci, et ils identifient des solutions possibles qui requièrent la consultation de plusieurs acteurs, tels que les enseignants, les directeurs d’école et les experts de matière (Rehman et Waheed, 2012).

Les CP ont attribué le succès de la mise en œuvre d’un changement de pratique à l’utilisation d’une démarche réflexive, au développement de bonnes relations, au travail collaboratif, au partage d’une vision commune et à l’engagement de la direction de l’école, ce qui témoigne des manifestations des quatre composantes du LT. Pour réussir, ils ont précisé que leur influence était surtout attribuable au modelage effectué afin d’assurer le passage de la théorie à la pratique et à l’incitation des personnes accompagnées à voir différemment.

Cinq des CP rencontrés ont affirmé que leur plus grande satisfaction survenait lorsqu’une équipe d’enseignants qu’ils avaient accompagnée mettait en œuvre de nouvelles pratiques de façon autonome et que le temps était alors venu pour eux de se retirer. Ce phénomène confirme les observations de Havelock et Zlotolow (1995), qui affirment que le but ultime de l’intervention de l’agent de changement est non seulement d’appuyer et d’assurer l’intégration du changement dans la pratique mais également d’encourager les équipes de travail à chercher et à trouver, de façon autonome, des solutions aux problématiques rencontrées. Cette idée rejoint les propos de Bass (1998), qui stipule qu’au final, le leader transformationnel accompagne ses collaborateurs jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes des leaders.

Selon les CP qui ont témoigné de leur expérience, la légitimité qui est essentielle à leur fonction (Draelants, 2007) se construit non seulement à partir de leur expertise dans un champ donné et de leurs aptitudes à la formation des adultes, mais aussi par leur intégrité et par la passion qui les anime, de même qu’en déployant des efforts constants pour améliorer leurs compétences et pour adapter leurs pratiques aux besoins de la population auprès de laquelle ils interviennent. Or, tel qu’il a été mentionné plus tôt, le leadership transformationnel se fonde justement sur la compétence, le dévouement, l’authenticité et la capacité du leader à transcender sa vision pour ainsi insuffler le changement (Avolio, 2011; Bass, 1998).

La manifestation d’une réflexion critique dans ses pratiques

Lorsqu’ils ont été questionnés à propos des défis rencontrés dans leurs fonctions, les CP ont évoqué, outre l’influence des contextes, le manque d’engagement manifesté par les enseignants qui n’adhéraient pas au changement prescrit, l’insuffisance des ressources leur permettant d’offrir un accompagnement de qualité, le manque de formation qui leur est offert, les limites associées à l’image qu’ils projetaient, leur réputation en raison de leur statut de CP auprès des enseignants accompagnés de même que les difficultés de communication occasionnellement rencontrées. Ces contraintes requièrent la mobilisation de l’ensemble des compétences du CP et l’incitent à une réflexion critique constante, ce que nous n’avions pas soupçonné au départ. Par exemple, cinq des sept CP rencontrés ont souligné l’importance de mesurer l’incidence des changements prescrits sur la réussite des élèves dans le but d’en évaluer la pertinence ou de suggérer des façons d’ajuster le tir lorsque leur accompagnement ne produit pas l’impact souhaité.

Alors que les points soulevés s’insèrent dans le modèle de l’agir compétent en situation de travail de Le Boterf (2015), la manifestation d’une réflexion critique dans ses pratiques apparaît dans les propos des participants comme un élément essentiel pour faire face aux défis rencontrés lors de la réalisation de leurs tâches.

L’influence des contextes d’intervention

L’influence des contextes d’intervention sur le leadership du CP et sur les changements de pratique s’est imposée tout au long des entrevues semi-dirigées et s’est avérée source de préoccupation pour l’ensemble des participants. Que ces contextes aient été décrits comme étant favorables ou non, ils sont tous reliés aux conditions nécessaires à une collaboration efficace telles que décrites par Sharatt et Planche (2016), c’est-à-dire un climat de travail positif, des relations basées sur la confiance, un partage des croyances à propos des pratiques à adopter et un temps suffisant dévolu au travail collaboratif. D’ailleurs, lorsque consultés au sujet des difficultés rencontrées dans leur travail, les participants se sont surtout exprimés à propos des problèmes relevant de la structure d’accompagnement, du manque de collaboration avec la direction d’école, des changements de pratique imposés par l’organisation éducative sans oublier la résistance opposée par les enseignants lorsque ces derniers ne croient pas à la pertinence ou à l’efficacité des changements attendus. Selon Lessard (2008), le CP, en tant qu’agent de changement, doit s’assurer que des conditions favorables soient mises en place pour que les enseignants s’approprient le changement de manière engagée et critique. Les participants ont admis qu’ils ne disposaient pas de toutes les solutions possibles aux défis rencontrés, mais qu’ils étaient tout de même en mesure d’exercer un pouvoir d’influence sur leurs différents contextes d’intervention de multiples façons en mettant en œuvre certaines de leurs compétences essentielles au LT, notamment en faisant preuve de clarté dans leurs communications de même qu’en manifestant de l’ouverture et une écoute attentive afin d’identifier et de répondre aux besoins exprimés dans les milieux. Les DSP ont reconnu chez les CP participant à la recherche non seulement ces compétences, mais également leur sens de l’initiative, leur capacité d’engager les personnes, leur crédibilité et leur influence dans la prise de décision lors de partenariats avec les directions d’école. Ces savoir-, vouloir- et pouvoir-agir s’apparentent aux compétences nécessaires au leadership transformationnel si l’on considère que ce dernier exerce une influence certaine sur le climat de travail et sur la motivation des collaborateurs, dans ce cas-ci les enseignants, à s’engager dans un processus de changement de pratique (Leithwood et coll., 2006).

Formation en leadership

Nous avons établi que, lorsqu’ils arrivent en poste, les CP possèdent habituellement certaines compétences, telles que le sens de l’innovation, l’expertise disciplinaire, l’aptitude pour la communication et les habiletés relationnelles (Draelants, 2007; Dugal, 2009; Knight, 2011). Cependant cette liste n’est pas exhaustive puisque la sélection s’opère essentiellement en fonction des succès qu’ont connus ces enseignants auprès de leurs élèves. Outre le soutien occasionnel d’un mentor au début de leur fonction de CP (Duchesne et Gagnon, 2013), il semble que ces derniers construisent les compétences nécessaires à ce travail complexe à partir de l’éventail des expériences vécues et à travers la diversité des formations professionnelles reçues au fil des ans. Les participants ayant eu l’occasion de recevoir de la formation sur l’enseignement à une population adulte reconnaissent la richesse de telles occasions de développement professionnel pour parfaire leur pratique. Toutefois, aucun des participants n’a fait mention de formation en leadership ou en ce qui concerne le processus de changement dans les organisations scolaires. D’ailleurs, ils ont très peu parlé de leur leadership en tant que tel. Certains ont même mentionné leur absence de familiarité avec le vocabulaire associé à ce concept. C’est à travers les entretiens de recherche qu’ont émergé les compétences qu’ils utilisent pour engager les enseignants dans un changement de pratique, ce qui nous a permis de recenser les manifestations du LT qu’ils exerçaient. Étant donné la proximité des compétences nécessaires au CP et au leader transformationnel, nous croyons que le soutien au développement des compétences du LT permettrait au CP d’être mieux outillé pour faire son travail et, conséquemment, de mener des changements de pratique qui soient durables. Diverses formations pourraient être considérées à cet égard, par exemple : des ateliers lors d’occasions de réseautage avec d’autres CP en province, des colloques ou instituts d’été, ainsi que le développement d’une formation accréditée par une université ontarienne pour soutenir les changements de pratique. Nous estimons qu’un appui au développement des compétences de LT, notamment lorsque le CP arrive en poste, permettrait certainement à ce dernier de prendre conscience de son rôle d’agent de changement dans une structure hiérarchique latérale et d’ainsi soutenir le développement d’un agir compétent.

Conclusion

Cette recherche à laquelle ont participé des CP et des DSP travaillant dans quatre des douze conseils scolaires francophones de l’Ontario avait pour objet de comprendre l’exercice du leadership transformationnel des CP au regard de leur rôle d’agent de changement auprès des enseignants. L’étude de ce phénomène s’est en premier lieu fondée sur une recension de la littérature à propos du LT et du rôle d’agent de changement des CP. L’analyse des données recueillies a démontrée qu’afin d’accompagner les enseignants vers des changements de pratiques durables, les CP ont recours à un agir compétent qui manifeste plusieurs éléments essentiels des quatre composantes du LT telles que décrites par Bass (1998).

Notre étude a été réalisée au sein de quelques conseils scolaires seulement. Elle demeure exploratoire et ne nous permet pas d’établir que les expériences de la population consultée sont à l’image de celles de l’ensemble des CP francophones de l’Ontario. D’ailleurs, le choix des candidats recommandés par les DSP demeurent sous l’interprétation qu’ont faite ces derniers des critères de sélection des participants. Cependant, les résultats suggèrent des pistes de compréhension non négligeables qui nous ont permis d’ouvrir la voie sur un sujet encore peu étudié, soit les manifestations du leadership transformationnel dans la pratique des CP en tant qu’agents de changement.

Notes

  1. Des pseudonymes ont été utilisés pour préserver l’anonymat de tous les participants.

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