Book Review / Compte-Rendu


Jean-Paul Payet. École et familles. Une approche sociologique. Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck. (2017). 133 p. 14 € (ISBN 978-2-8041-9645-5)


A
destination de jeunes chercheurs ou de praticiens, l’ouvrage retrace l’évolution des interactions entre les familles et l’école, dans le temps, mais également dans des espaces sociaux. Cette analyse multidimensionnelle permet une prise de distance vis-à-vis des croyances toujours présentes dans les discours du quotidien à propos des familles, et notamment de celles n’ayant pas de position de pouvoir vis-à-vis de l’institution scolaire et de ses acteurs. En effet, l’auteur propose, entre autres, un focus spécifique sur ces familles victimes des asymétries du système et vise ainsi une reconsidération de leur place dans l’école afin de leur donner plus de pouvoir.

En effectuant des allers-retours pertinents entre théorie sociologique et des situations concrètes des relations école-famille, cet ouvrage contribue au domaine en proposant une sociologie ancrée dans le terrain scolaire. Il investigue une problématique centrale qui pourrait se résumer ainsi : « Le discours surplombant de l’institution scolaire a changé : les enseignants sont encouragés à collaborer avec les familles pour le bien de l’élève-enfant et les parents sont appelés des partenaires » (p. 7). L’auteur insiste sur la posture compréhensive nécessaire à adopter afin de percevoir le dynamisme de ces relations intersubjectives. Il décortique ainsi, les contours de la proximité souhaitée entre l’école et les familles.

Divisé en sept chapitres, l’ouvrage permet d’aborder quatre axes relatifs aux enjeux des relations familles-école : le contexte et ses évolutions, les acteurs, les interactions et les injonctions au cœur des interactions.

Le premier chapitre, le plus conséquent, pose le contexte sociétal dans lequel évoluent familles et école. Les transformations de ces trois entités (société, familles, école) y sont décrites. L’auteur expose l’évolution de l’école vers plus de performance et d’efficacité ainsi que plus d’adéquation au monde économique. Pour les familles, il évoque la pluralité de leurs configurations et les changements de la place de la femme dans la société. L’auteur constate une « réduction de l’asymétrie traditionnelle » entre les parents et les enseignants et une « plus grande proximité de ces instances définies désormais comme des “partenaires” » (p. 16).

Toutefois, plus de partenariats et de collaboration implique, paradoxalement, de nouvelles inégalités : « l’effectivité de ces droits [la participation] dépend beaucoup du statut social des parents » (p. 17). Il semble que ces droits soient plus effectifs dans des contextes marqués historiquement par la décentralisation du système éducatif.

L’auteur clôt le chapitre sur une présentation des acteurs centraux de l’ouvrage : les familles et les enseignants. Même s’il évoque des modèles d’organisation familiale, l’auteur rend compte de la nécessité de flexibiliser les analyses afin d’adopter une posture compréhensive témoignant du dynamisme des identités des acteurs et de leurs interactions.

Suit alors un chapitre deux mettant en lumière les enjeux liés aux évolutions de l’école. Il évoque l’importance qu’a pris l’acquisition d’un diplôme pour toutes les familles. Il aborde également les enjeux d’individualisation du monde qui se traduisent dans l’école de plusieurs manières : plus d’adaptation, d’inclusion ou de différenciation, mais aussi plus de responsabilisation des individus et d’externalisation (déculpabilisation) des difficultés des élèves. Ce qui modifie les relations entre parents et enseignants.

Avec son titre provocateur « Normaliser les familles », le chapitre trois propose une analyse historique des relations familles-école et ouvre ensuite le débat sur les enjeux actuels liés à leurs interactions. L’auteur rappelle à quel point l’école n’est pas à l’écart de la société et de ses mécanismes de différenciation ou d’indifférenciation. En dépit de sa neutralité officielle, elle relaie et perpétue des stéréotypes, positifs et négatifs à l’égard des acteurs : la démission parentale étant le plus véhiculé.

La privatisation et l’entrée de ses logiques dans le secteur public sont au cœur du chapitre quatre. Certains parents cherchent à « domestiquer » les enseignants en demandant plus de « compte-rendu personnalisés » (p. 69) et d’avantage d’explications et de disponibilité. Pour ceux des classes moyennes, tout se joue sur leur capacité de contrôle de la scolarité de leur enfant. C’est leur connaissance du système (leur capital culturel et scolaire) qui leur confère ce pouvoir.

Le chapitre cinq est consacré à la participation parentale qui oscille entre nouveaux droits et nouvelles inégalités. La participation institutionnelle s’est traduite par l’entrée des parents dans les instances de gestion de l’école, à noter que des inégalités de participation peuvent apparaitre en fonction de leur groupe culturel ou social d’appartenance.

Les chapitres six et sept sont d’une utilité certaine pour les praticiens et les formateurs d’enseignants, notamment pour aborder les contextes défavorisés. Après de nombreux constats, l’auteur soulève la question du « comment » travailler avec des familles que l’école juge déficientes.

L’approche proposée revient sur les malentendus entre l’école et les familles et les explicite. Une fois ces barrières tombées, l’auteur rend compte de deux recherches-action menées dans ces contextes analysant la place des parents et leur participation. Le travail des enseignants pour favoriser l’entrée des familles dans l’école est également au cœur de ces recherches. Sans avoir la prétention de lister des principes « miracles », l’auteur explique que « ce ne sont pas les bonnes pratiques qui sont ici identifiées, mais la recherche d’une posture relationnelle... » (p. 102). Ainsi, l’ouvrage permet de dépasser deux écueils des études sur ce thème : l’arrêt au stade descriptif des analyses, et l’énumération de recettes pédagogiques supposées favoriser les interactions. La conclusion du chapitre sept et le lien avec la seconde recherche-action clôt l’ouvrage sur une note d’espoir : « agir avec » les parents selon une logique d’empowerment avec une série d’outils pratiques visant à guider les partenaires vers une reconnaissance mutuelle.

En définitive, cet ouvrage, bien écrit, qui allie analyses théoriques et propositions éducatives, est une source d’inspiration intéressante pour les professionnels de l’enseignement visant à avoir un regard lucide sur les relations école-familles et cherchant à ancrer leurs actions dans les résultats récents de la recherche. L’ouvrage vise une analyse dynamique des relations, le développement de posture propice aux interactions, mais ne vise en aucun cas l’application de principes figés.

Abdeljalil Akkari et Myriam Radhouane Université de Genève