NOTES FROM THE FIELD / NOTES DU TERRAIN

Gestion de classe, TIC et sentiment d’appartenance à l’école


Depuis l’hiver 2008, j’enseigne à l’école d’immersion St-Gérard de Grande Prairie où cheminent actuellement 737 élèves de niveau primaire. Située au nord de la ville d’Edmonton, Grande Prairie est l’une des grandes villes du nord-ouest de l’Alberta et se compose d’une population en constante augmentation depuis les 15 dernières années. Cette démographie se répercute au sein des écoles de la municipalité, notamment au sein des écoles d’immersion française où se côtoient des élèves issus d’une immigration en constante croissance. L’intégration des élèves immigrants dans les communautés francophones en milieu minoritaire représente un défi tout récent auquel les écoles d’immersion doivent faire face. Dans ce contexte, la direction d’école semble avoir trouvé en moi la personne toute désignée pour intégrer les enfants issus de l’immigration qui appartiennent aux minorités visibles. Originaire d’Afrique et présumant être un référent culturel important pour ces enfants, je suis à même de constater les défis qui se posent pour certains de ces élèves, notamment à l’égard du développement et du maintien de leur sentiment d’appartenance à l’école. À l’automne 2016, le cas de Pya (nom fictif), originaire d’Afrique, attirait plus particulièrement mon attention. Avec l’aide du professeur et chercheur Jerome St-Amand, j’ai décidé de documenter la stratégie ayant été mise de l’avant avec cette élève.

Le cas de Pya

Chaque année scolaire est caractérisée par l’arrivée de nouveaux élèves. Dans la plupart des cas, chaque cohorte d’enfants est composée de jeunes d’origine immigrante. En septembre 2015, Pya, une jeune élève d’origine africaine, affichait dès le début de l’année scolaire un manque d’intérêt pour les travaux scolaires à réaliser. Rarement pouvait-on la voir terminer ses travaux en classe ou s’engager activement dans les activités pédagogiques. Son rendement scolaire était bien en deçà de la moyenne et constituait par le fait même une inquiétude importante à la fois pour ses parents et pour ses enseignants. Souvent fatiguée, Pya se décourageait sans raison devant les efforts nécessaires à réaliser et cette problématique s’accentuait. Parallèlement à ces comportements, elle se refermait de plus en plus sur elle-même et refusait souvent l’aide qu’on lui offrait en classe. En plus de son rendement scolaire très faible, ses rapports sociaux étaient également problématiques et constituaient la plus grande source d’inquiétude pour ses enseignants ; elle ne jouait pas avec ses pairs et souffrait d’isolement social. Un matin, avant la cloche, Pya entra dans la classe en pleurant et en me disant : « je n’ai personne avec qui jouer ». Devant ce cri du cœur qui reflétait des difficultés sur le plan de l’intégration au groupe-classe, je sentais l’urgence de susciter son engagement scolaire et de développer son sentiment d’appartenance à l’école. Comment faire ? Par où devais-je commencer ?

Comprendre le sentiment d’appartenance à l’école

Selon des auteurs, ressentir un fort sentiment d’appartenance à l’école peut favoriser l’engagement scolaire et l’adaptation des jeunes (Janosz, Georges et Parent, 1998 ; St-Amand, 2015). Dans ce contexte, développer et maintenir un tel sentiment chez Pya s’avérait être un objectif fort louable pour aider cette jeune fille à surmonter ses difficultés scolaires et sociales. À condition de bien comprendre les attributs de ce concept au préalable, il devenait impératif de mettre en œuvre une stratégie pouvant influencer ces derniers.

D’entrée de jeu, le sentiment d’appartenance à l’école est un concept complexe et de nature multidimensionnelle. Pour définir ce concept, des auteurs mentionnent des attributs comme l’expérience d’être valorisé et accepté par les autres, ainsi que la perception que l’individu harmonise ses caractéristiques personnelles à celles des membres de l’environnement scolaire (Hagerty, Lynch-Sauer, Patusky et Bouwsema, 1992). St-Amand, Bowen et Lin (2017) ont proposé quatre attributs pour définir ce concept : 1) l’élève doit ressentir une émotion positive à l’égard du milieu scolaire ; 2) l’élève doit entretenir des relations sociales positives avec les membres du milieu scolaire ; 3) l’élève doit s’engager activement dans son milieu scolaire ; 4) l’élève doit percevoir une certaine synergie (harmonisation), voire une similarité avec les membres de son groupe. Ces derniers ont d’ailleurs proposé une définition intégrant ces quatre dimensions :

Dans ce contexte, il (le sentiment d’appartenance à l’école) est atteint quand l’élève en arrive à développer des relations sociales positives avec les membres de l’environnement scolaire ; des rapports sociaux empreints d’encouragements, de valorisation, d’acceptation, de soutien, de respect et d’amitié. L’appartenance renvoie également à des émotions positives, que l’on pourrait qualifier d’attaches affectives, se rapportant au fait de ressentir de l’intimité, de se sentir utile, solidaire et fier de fréquenter l’établissement ou encore de se sentir bien. Le sentiment d’appartenance se singularise par une participation active au sein des activités de l’école (p. ex., activités parascolaires) et des activités menées par l’enseignant en classe, en plus de l’adoption de normes et de valeurs véhiculées au sein de l’environnement socioéducatif. (p. 14)

Mise en œuvre d’une stratégie d’apprentissage

Pour favoriser le sentiment d’appartenance de Pya et son engagement scolaire, j’ai eu l’idée d’axer ma stratégie sur une solide relation éducative tout en ayant recours à une application technologique, et ce, pour plusieurs raisons.

Les TIC : une stratégie au service de l’apprentissage des élèves. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) affichent le potentiel de favoriser le développement cognitif et affectif des élèves (Collin et Karsenti, 2013). Des recherches ont rapporté que les TIC jouent un rôle important à l’égard de l’intérêt qu’elles suscitent en salle de classe et les changements positifs observés dans la motivation et l’attitude des apprenants envers les apprentissages (Karsenti, 2007). En tant qu’enseignant utilisant les technologies, j’ai constaté que le virage numérique, bien exploité en salle de classe avec l’iPad, par exemple, constitue une stratégie pédagogique pouvant répondre aux besoins sociaux des élèves.

Les TIC en contexte d’immersion française. J’ai donc opté pour l’application technologique Show Me. Celle-ci soutient l’action pédagogique, notamment dans l’apprentissage du français, soit une application fort utile en contexte d’immersion française. Pour cette matière, l’application permet entre autres à l’apprenant de réaliser, en compagnie de ses partenaires, une production orale sauvegardée sur l’iPad. Le retour possible sur le travail en vue de corrections et d’améliorations ultérieures fait de Show Me un outil technologique qui contribue positivement au cheminement scolaire des élèves en soutenant la qualité des relations sociales avec les pairs et la possibilité de collaboration entre ces derniers.

J’ai utilisé l’application Show Me à la fois pour susciter le sentiment d’appartenance de Pya (p. ex., amélioration des relations sociales) et pour favoriser son engagement scolaire à des fins d’apprentissage du français. Au début de chaque séance avec l’application, je demandais aux élèves de lire à haute voix une page de leur livre et d’enregistrer celle-ci sous l’observation de deux pairs. Ensuite, les élèves devaient réécouter l’enregistrement en équipe tout en cherchant à découvrir des erreurs de français sur le plan de la prononciation et de la fluidité de la lecture. Pendant ce processus, les élèves étaient amenés à souligner leurs erreurs avec un marqueur tactile et à reprendre les passages plus difficiles. Dans un dernier temps, les productions orales étaient sauvegardées afin de s’y référer ultérieurement dans la révision des concepts et l’amélioration de la production orale en français.

Une gestion de classe au service de l’adaptation des élèves. Étant donné que Pya était une élève isolée, j’ai pensé susciter son sentiment d’appartenance en l’insérant dans une équipe dite soutenante qui encourageait cette dernière pendant les processus d’apprentissage. Au terme de chaque séance d’apprentissage avec Show Me, les élèves faisaient une auto-évaluation mesurant entre autres la qualité de leur engagement et de leur collaboration avec leurs pairs. Avant et pendant cette évaluation, je m’efforçais de passer beaucoup de temps dans l’équipe de Pya pour apporter mon soutien et m’assurer que le climat de travail était propice à l’apprentissage ; je m’efforçais également de rire avec eux, de m’intéresser le plus possible à leur tâche, d’offrir une rétroaction de qualité, soit autant d’éléments me permettant d’améliorer les liens sociaux et de m’assurer que Pya se sentait soutenue par tous les membres de sa classe.

Ces séances d’apprentissage me permettaient également de me rapprocher de Pya. De fait, je lui offrais une écoute active et de l’empathie dans un souci d’en connaître davantage sur ses difficultés et ses défis. Dans le prolongement de cette démarche, mes collègues venaient observer et participer à des séances de révision que j’organisais avec Pya pendant les heures de récupération. Leur présence et leurs échanges avec Pya permettaient à cette dernière de consolider ses liens sociaux avec ses enseignants, de se sentir valorisée et fière, soit autant d’émotions positives qui lui étaient bénéfiques. De plus, j’avais encouragé la mère de Pya à venir plus souvent à l’école et de prendre une part active à nos sorties éducatives. Pendant le tournoi de ping-pong auquel participait Pya, sa mère me confia que sa fille était plus enjouée à la seule idée de se présenter à l’école.

En plus de l’utilisation d’une technologie pour renforcer et structurer les dimensions du sentiment d’appartenance de Pya, j’ai pris l’initiative d’intégrer à ma gestion de classe une auto-évaluation par les pairs lors des séances avec Show Me. Cette auto-évaluation mise de l’avant lorsque nous avions recours à Show Me me permettait d’évaluer certaines composantes du sentiment d’appartenance de Pya comme les émotions positives (p. ex., Je suis fière de mon travail), la qualité des relations sociales (p. ex., Je suis satisfait ou satisfaite du travail en coopération avec mon équipe) et le niveau de participation de Pya au sein de l’équipe de travail (p. ex., J’ai posé des questions à mes camarades). Chaque semaine, je prenais le temps de discuter avec Pya de ses auto-évaluations et de lui offrir de l’aide pour pallier ses difficultés.

Conséquences observables

Ainsi, suite à l’usage de l’outil Show Me, jumelé à un soutien quotidien en salle de classe, à l’engagement de mes collègues enseignants ainsi qu’à une grille d’auto-évaluation utilisée quotidiennement par les élèves, Pya a communiqué de façon plus efficace en équipe. De fait, elle écoutait davantage ses pairs, prenait la parole à des moments plus opportuns et posait des questions pertinentes. Elle développait graduellement des liens sociaux avec les membres de son équipe et affichait, somme toute, de meilleures habiletés interpersonnelles (p. ex., offrir de l’aide, donner et recevoir des compliments) et de communication (p. ex., donner une rétroaction à l’interlocuteur, maintenir l’attention dans une conversation). Ce contexte pédagogique permettait donc à Pya d’avoir accès à des ressources sociales, intellectuelles et psychologiques, tout en favorisant son engagement dans les tâches scolaires.

Tableau 1. Grille d’auto-évaluation

../../../../../Desktop/Capture%20d’écran%202017-09-14%20à%2009.35 

Au fil des semaines, Pya affichait plus d’enthousiasme vis-à-vis de ses apprentissages. En effet, elle s’intéressait davantage à la maîtrise des syllabes, des phonèmes et des sons qui demeurent des défis courants pour tout apprenant qui termine son curriculum scolaire en immersion française. Tout au long de la stratégie, j’observais également Pya effectuer plus d’efforts pour améliorer sa diction et éviter les nombreux anglicismes. Quant au travail d’équipe, elle semblait plus confiante à l’idée de collaborer avec ses pairs et de réaliser des tâches avec ces derniers.

Par l’entremise de mon soutien et de ma présence soutenue dans l’équipe de Pya, j’assurais un bon climat d’apprentissage (p. ex., par le biais de l’humour et de ma bonne humeur) tout en observant chez cette dernière des émotions positives comme la joie, la fierté et l’intérêt pour la matière, ce qui facilitait son engagement dans les tâches. Comme l’a indiqué Frederickson (2001) : « Experiences of positive affect prompt individuals to engage with their environments and partake in activities [expérimenter et ressentir des émotions positives dans un contexte particulier incitent les individus à s’engager dans leur environnement et à participer à des activités] » (p. 219). Pour leur part, Pekrun et Linnenbrink-Garcia (2012) ont rapporté plusieurs recherches sur la cognition et la neuroscience montrant que les affects sont importants pour les apprentissages et le développement. Ces derniers ont suggéré que les affects influencent les processus cognitifs contribuant aux apprentissages, comme les perceptions, l’attention, le jugement social, la résolution de problèmes, la prise de décision et les processus liés à la mémoire.

L’idée d’une stratégie d’apprentissage jumelant les TIC, le soutien des adultes et des pairs ainsi qu’une auto-évaluation effectuée par les élèves après chaque séance semble avoir influencé des collègues à s’ouvrir davantage aux nouvelles technologies en salle de classe. De fait, certains de mes collègues ont commencé à utiliser l’iPad à la suite de cette stratégie d’apprentissage en me demandant conseil sur les différentes applications disponibles. Nos discussions portaient de plus en plus sur l’importance de la créativité dans les stratégies à adopter et sur les meilleures façons de soutenir nos élèves sur le plan social, psychologique et intellectuel. La présente stratégie a même donné lieu à une séance de travail avec mes collègues visant l’amélioration de nos grilles d’évaluation par les pairs lors des travaux d’équipe, séance de travail somme toute fructueuse pour solidifier nos liens professionnels.

Réflexion et éléments à retenir

La diversité des élèves fréquentant les écoles d’immersion oblige les enseignants à rechercher des méthodes innovatrices d’apprentissage afin de répondre à leurs besoins scolaires et sociaux. Certaines stratégies comme celle présentée dans le présent article permettent de surmonter les difficultés des élèves en salle de classe et de susciter leur sentiment d’appartenance. Malgré cet avantage, les défis de l’éducation immersive surgissent sous divers angles et nécessitent la mise sur pied de stratégies nouvelles, efficaces et facilement implantables en salle de classe. Dans mes efforts pour palier aux défis que vivaient Pya, l’application Show Me était devenue, somme toute, un élément pivot de mon enseignement qui était utile pour rapprocher socialement cette dernière de ses camarades de classe. À la lumière de cette stratégie, j’ai retenu quelques éléments qui, pour moi, sont indispensables pour pallier aux difficultés des élèves.

D’abord, il faut savoir sur « qui » on intervient. De fait, au début de l’année scolaire, il était indispensable de bien établir les difficultés de Pya, de dégager un portait exhaustif de la situation de cette élève, de connaître ses forces et ses faiblesses, de discuter avec ses parents et ses autres enseignants. En d’autres mots, il était impératif d’observer le contexte, de poser des questions aux gens qui gravitent autour de l’élève en difficulté, de ne pas avoir peur de demander conseil à la direction d’école, aux intervenants et aux membres de la communauté scientifique.

Ensuite, la stratégie mise de l’avant a démontré qu’il faut cibler et comprendre l’objectif de la stratégie qui était, entre autres, de développer le sentiment d’appartenance de Pya et de susciter son engagement scolaire. Au départ, et avant la mise en œuvre de cette stratégie pédagogique, le concept de sentiment d’appartenance à l’école était nébuleux pour moi ; j’ignorais totalement toute la complexité de ce concept, les effets positifs liés au sentiment d’appartenance à l’école et la possibilité de susciter l’une ou l’autre de ses dimensions. Une recension de la documentation en début d’année scolaire a été bénéfique pour comprendre ce concept et mettre en œuvre une stratégie judicieuse qui tenait compte des difficultés de Pya en contexte d’immersion française.

Enfin, l’un des éléments clés de cette stratégie a été l’importance accordée à la qualité des relations sociales entre tous les membres de l’environnement scolaire, incluant les parents de Pya et ses autres enseignants et enseignantes. Autrement dit, notre réussite dépendait beaucoup des liens sociaux que pouvaient développer Pya en salle de classe dans le but de susciter son engagement dans les tâches, ses apprentissages et le développement de certaines habiletés sociales. Sans vouloir nous égarer sur l’importance accordée à la qualité des relations sociales dans la relation pédagogique, nous croyons, somme toute, que les membres de l’équipe-école doivent constamment chercher des stratégies innovantes pour améliorer la qualité des liens sociaux entre les membres de l’environnement scolaire (Ouellet, 2015). Comme l’ont indiqué Piquemal, Bolivar et Bahi (2009) à cet égard : « La tâche pédagogique est certes cognitive, mais elle est avant tout relationnelle » (p. 340).

Références

Collin, S. et Karsenti, T. (2013). Approche théorique des usages des technologies en éducation : regard critique. Formation et profession : revue internationale en éducation, 20(3), 89-101.

Fredrickson, B. (2001). The role of positive emotions in positive psychology: The broaden and build theory of positive emotions. American Psychologist, 56(3), 218-226.

Hagerty, B. M., Lynch-Sauer, J., Patusky, K. L. et Bouwsema, M. (1992). Sense of belonging: A vital mental health concept. Archives of Psychiatric Nursing, 6(3), 172-177.

Janosz, M., Georges, P. et Parent, S. (1998). L’environnement socioéducatif à l’école secondaire: un modèle théorique pour guider l’évaluation du milieu. Revue canadienne de psycho-éducation27(2), 285-306.

Karsenti, T. (2007). Le mot du président. Le journal de l’immersion, 29(1), 9-11.

Ouellet, S. (2015). Relations éducatives et apprentissage : regards diversifiés de professionnels en éducation et futurs chercheurs. Montréal, QC : PUQ.

Pekrun, R. et Linnenbrink-Garcia, L. (2012). Academic emotions and student engagement. Dans S. L. Christenson, A. L. Reschly et C. Wylie (dir.), Handbook of research on student engagement (p. 258-282). New York, NY : Springer.

Piquemal, N., Bolivar, B. et Bahi, B. (2009). Nouveaux arrivants et enseignement en milieu franco-manitobain: défis et dynamiques. Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, 21(1-2), 329-355.

St-Amand, J. (2015). Le sentiment d’appartenance à l’école : un regard conceptuel, psychométrique et théorique (Thèse de doctorat inédite). Université de Montréal, Montréal, QC.

St-Amand, J., Bowen, F. et Lin, T. W. J. (2017). Le sentiment d’appartenance à l’école: une analyse conceptuelle. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation40(1), 1-32.