Notes from the Field / Notes du Terrain

PROCESSUS D’ENGAGEMENT DES PREMIÈRES NATIONS, MÉTIS ET INUITS DANS LA RÉVISION DU CURRICULUM ONTARIEN


Seul on avance vite
Mais ensemble on va plus loin
(Proverbe africain)

 

En mai 2017, je me suis rendue à Toronto pour assister au Forum intitulé « Répondre à la Commission de vérité et de réconciliation : Apprendre et vivre nos appels à l’action en Ontario ». Alors que la ville où je demeure était aux prises avec une crue des eaux historique, Elder Cat Criger, du Conseil pour les Initiatives autochtones, a parlé de ce fait d’actualité lors de la cérémonie d’ouverture en y amenant sa perspective : « Lorsque l’on ne prend plus le temps de toucher à l’eau, c’est elle qui se rend à nous » (Criger, 2017). Inspirée par cet apport qu’une perspective autochtone peut amener à notre compréhension du monde, je me suis demandé comment inclure ces perspectives des Premières Nations, Métis et Inuits au sein des écoles de langue française de l’Ontario. Une rencontre avec une agente d’éducation du ministère de l’Éducation de l’Ontario (MÉO) m’a amené sur une piste de réflexion intéressante. L’objectif de cette contribution est de faire un compte-rendu de cet entretien afin de décrire un processus de révision du curriculum qui s’arrime avec les appels à l’action.

CONTEXTE POLITIQUE ET ÉDUCATIF

Retournons au début des années 2000. Au sein de la population âgée de 20 à 24 ans, 59 % des Inuits, 42 % des Métis et 52 % des Premières Nations vivant hors réserve n’avaient pas obtenu un diplôme d’études secondaires lors du recensement de 2001 (Statistique Canada, 2001). Pourtant, ce taux était de 26 % pour l’ensemble de la population canadienne. Face à cette situation, il semblait donc nécessaire de trouver de nouvelles façons de travailler ensemble afin de combler cette inégalité entre les Premières Nations, Métis et Inuits et les non autochtones. C’est ainsi que l’éducation des élèves des Premières Nations, Métis et Inuits a été identifiée comme étant prioritaire par le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada en 2004 (Bureau de l’éducation des Autochtones et Ministère de l’Éducation, 2007). Suivant cet élan national, le gouvernement de l’Ontario a publié La nouvelle approche ontarienne des affaires autochtones (Bureau de l’éducation des Autochtones et Ministère de l’Éducation, 2005). Dans le cadre de La nouvelle approche, le gouvernement s’est engagé à travailler de concert avec les chefs et les organisations autochtones dans le but d’améliorer le rendement scolaire de ces élèves. Le gouvernement avait comme objectif de réduire de 20 % d’ici 2012 l’écart entre le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires des élèves Premières Nations, Métis et Inuits et celui des élèves non autochtones (Bureau de l’éducation des Autochtones et Ministère de l’Éducation, 2005).

Suivant cet engagement, le Cadre d’élaboration des politiques de l’Ontario en éducation des Premières Nations, des Métis et des Inuits1 parait en 2007 (Bureau de l’éducation des Autochtones et Ministère de l’Éducation, 2007). Ce Cadre reconnait que les élèves des Premières Nations, Métis et Inuits de l’Ontario ont les connaissances, les compétences et les comportements nécessaires à leur réussite scolaire et à leur devenir citoyen. Ce Cadre souhaite aussi que tous les élèves de l’Ontario connaissent et comprennent tant les traditions, la culture que les perspectives des Premières Nations, des Métis et des Inuits, et ce, considérant tant les traditions que la contemporanéité de ces communautés. Selon ce Cadre, c’est en collaboration et en partenariat avec les familles, collectivités et organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits que le Ministère s’engage à élaborer des stratégies afin d’

augmenter la capacité du système d’éducation à répondre aux besoins des élèves des Premières nations, Métis et Inuits en matière de culture et d’apprentissage, [de] fournir des programmes, des ressources et des services de qualité pour donner à ces élèves des possibilités d’apprentissage qui favorisent l’amélioration du rendement scolaire et la construction identitaire, [d’]offrir un programme d’études qui facilite l’apprentissage par tous les élèves de la culture, de l’histoire et des perspectives traditionnelles et contemporaines des Premières nations, des Métis et des Inuits, et qui contribue également à sensibiliser le personnel des conseils, le personnel enseignant et les conseillères et conseillers scolaires élus [et d’] élaborer et mettre en œuvre des stratégies qui favorisent la participation accrue des parents, des élèves, des collectivités et des organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits aux efforts d’amélioration du rendement scolaire. (Bureau de l’éducation des Autochtones, Ministère de l’Éducation, 2007, p. 7)

Puis, le 24 août 2015, la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne a revigoré cette discussion en s’engageant à respecter les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada lors de la signature de l’accord politique entre les Premières Nations, Métis et Inuits et le gouvernement de l’Ontario. Plus en détail, les recommandations 62 et 63 de la Commission prescrivent de rendre obligatoires, de la maternelle à la douzième année, les contenus traitant des pensionnats autochtones, des traités ainsi que des contributions passées et actuelles des peuples autochtones. Aussi, le curriculum et les ressources pédagogiques associées doivent être élaborés et mis en œuvre de façon à permettre aux élèves, à travers des suggestions de pratiques exemplaires, de s’approprier les réalités et apports autochtones à l’histoire du Canada. De plus, les élèves doivent d’être exposés aux séquelles que les pensionnats autochtones ont laissées. Finalement, pour favoriser l’exposition des élèves à ces contenus, l’évaluation des besoins des enseignants en termes de formation doit être effectuée. Ces recommandations s’arriment donc avec certains éléments du Cadre qui ciblait la réussite scolaire des Premières Nations, Métis et Inuits à travers une meilleure compréhension de la culture, de l’histoire et des perspectives des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

PLAN D’ACTION

Suivant cette lancée, le MÉO a développé un plan d’action. Lors de la première phase de ce plan, il y a eu une mobilisation des partenaires. C’est lors de cette première phase que s’est créé le comité directeur, comité constitué majoritairement de personnes des Premières Nations, Métis et Inuits. Ce comité qui chapeaute la mise en place du plan d’action a approuvé des équipes de rédactions du côté anglophone et francophone. Évidemment, étant donné qu’il y a davantage de Premières Nations, Métis et Inuits anglophones, les équipes de rédaction anglophones étaient plus nombreuses que les équipes de rédaction francophones. Malgré ce défi, certaines personnes des Premières Nations, Métis et Inuits francophones ont été recrutées. Dans ce processus, il n’est pas question de collaboration, qui viserait à travailler ensemble. Les membres des Premières Nations, Métis et Inuits et le MÉO préfèrent le terme engagement. En effet, ils ne font pas simplement travailler avec les gens du MÉO, ils font partie du processus décisionnel, car le comité directeur doit approuver chacune des étapes et des décisions du plan d’action.

À ce jour, dans cette première phase des révisions, les équipes se sont affairées à réviser les curriculums d’histoire et d’études sociales de la quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième et dixième année. Le choix de cette matière s’explique par le fait que les contenus qui y sont à l’étude portent directement sur les réalités des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Aussi, ces niveaux ont été retenus puisqu’ils correspondent aux années pendant lesquelles sont intégrés les contenus reliés aux trois grands thèmes proposés dans les appels à l’action : les contributions historiques et contemporaines, les traités et les pensionnats indiens. Ces équipes de révisions sont formées de représentants des associations matières (p. ex. Association des enseignants d’histoire et de géographie, etc.), mais aussi des représentants des Premières Nations, Métis et Inuits qui ont été choisis par des associations (p. ex. L’Association des femmes autochtones du Canada, etc.) pour représenter celles-ci. Le but de ces comités de révision demeure que soient abordés les contenus soulignés par les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, et ce, toujours de façon adaptée à l’âge de l’élève.

Les comités de révision se sont rencontrés pendant une semaine en juillet 2016 et pendant trois jours en janvier 2017. En cohérence avec le besoin de laisser l’espace aux Premières Nations, Métis et Inuits, le MÉO s’affairait à faciliter les rencontres et à proposer des structures qui ont été parfois rejetées, parfois adaptées ou parfois adoptées par les équipes de rédactions. L’important était davantage que la voix des Premières Nations, Métis et Inuits soit entendue et écoutée.

C’est de façon très engagée que ces membres ont révisé une partie du curriculum et ont analysé les endroits où il serait pertinent d’ajouter les perspectives des Premières Nations, Métis et Inuits. Chaque ajout a sa raison, chaque ajout a sa justification. Même si aucune attente ni aucun rôle n’était attribué aux participants, il a été observé que lors de ces rencontres, les apports des Premières Nations, Métis et Inuits alimentaient davantage les idées liées au contenu alors que les apports des enseignants se concentraient plutôt sur l’arrimage didactique de ces contenus. Ces observations n’ont pas été quantifiées et demeurent subjectives. Mais certes, les suggestions qui découlent de ces échanges ont contribué à préciser le curriculum tant en ce qui a trait aux attentes, aux contenus, aux exemples qu’aux pistes de réflexion. Par exemple, si le curriculum prescrit d’étudier les communautés anciennes, un ajout spécifiera d’inclure un peuple des Premières Nations et un peuple inuit à ce contenu. D’ailleurs, dans les groupes anglophones, cette différenciation entre les peuples s’est révélée importante, car au fil des rencontres, il y a eu récurrence d’un discours qui soulignait le besoin de ne pas amalgamer les Premières Nations, Métis et Inuits sans nuances. Finalement, en comparant les suggestions faites par les équipes anglophones et francophones, les idées se ressemblent et les curriculums seront les mêmes.

L’ENGAGEMENT

C’est à la demande des membres des Premières Nation, Métis et Inuits que le MÉO a poursuivi ce processus collaboratif sous le terme d’engagement. En effet, selon l’agente d’éducation interrogée, il semblerait que les membres des Premières Nation, Métis et Inuits préfèrent le terme engagement à celui de collaboration. Ceux-ci souhaitent peut-être suivre la direction dans laquelle s’est orienté le comité consultatif en Saskatchewan. En effet, dans cette province, un processus de renouvellement du curriculum des sciences de la sixième à la neuvième année a été entamé en 2008 (Aikenhead et Elliott, 2010). Le comité consultatif, incluant des acteurs du milieu scolaire et des membres des Premières Nations, a été formé. Les recommandations formulées par ce comité suggèrent, entre autres, que les savoirs des Premières Nations, Métis et Inuits soient reconnus et intégrés, mais aussi que ces savoirs soient ancrés et culturellement situés. Ainsi, si le contexte d’apprentissage doit respecter les ancrages culturels, une pédagogie mettant l’accent sur l’expérimentation s’impose. Par exemple,

students may begin their study of flight by observing the flight patterns of birds and insects in collaboration with a Knowledge Keeper, as opposed to an instructional approach wherein the teacher begins by teaching about the four forces that act on flying objects. (Aikenhead et Elliott, 2010, p. 330).

Aussi, puisque les savoirs sont situés, s’il y a dans une classe des étudiants d’une certaine nation, il a été recommandé par le comité de la Saskatchewan qu’un enseignant réfère à un aîné dans cette communauté afin d’être guidé quant au choix du contenu et aux méthodes d’enseignement qui respecteraient les perspectives de cette communauté. En d’autres termes, en Saskatchewan, la responsabilité de la formation professionnelle des enseignants repose aussi sur les partages volontaires qu’ils pourraient avoir lieu avec des gardiens du savoir des communautés locales (Aikenhead et Elliott, 2010). Bref, ce comité a permis que les perspectives des Premières Nations, Métis et Inuit de la Saskatchewan soient intégrées. Toutefois, au-delà de ces ajouts, l’engagement signifie aussi que les fondements philosophiques sous-jacents à un contenu et à des pédagogies eurocentriques soient réorientés pour être davantage inclusifs. Par conséquent, cette référence à l’engagement au sein du processus laisse penser que les attentes des membres des Premières Nations, Métis et Inuits ontariens et du MÉO ne sont pas seulement de l’ordre de l’addition, mais aussi de l’ordre d’une réorientation des fondements philosophiques et pédagogiques sous-jacents au curriculum. Rappelons aussi que déjà, lors des rencontres au sein des équipes ontariennes, le besoin de reconnaître la connaissance de façon ancrée et située s’était fait entendre.

CONCLUSION

Finalement, il semble incohérent qu’un curriculum traite des Premières Nations, Métis et Inuits sans que des représentants de ces peuples approuvent ce discours. Voulant répondre aux recommandations 62 et 63, le MÉO a mis sur pied un plan d’action qui permet l’engagement. Sans cet espace au sein du processus, les révisions n’auraient pas inclus les perspectives des Premières Nations, Métis et Inuits tels que ces représentants le désirent. Ce processus permet donc de faire place à la voix des Premières Nations, Métis et Inuits afin que les générations futures d’Ontariens apprennent et entendent ces perspectives. Même si ce processus prend du temps, prendre ce temps est essentiel…car seul on avance vite, mais ensemble on va plus loin!

En ce moment, ce plan d’action se poursuit. D’abord, pour donner suite à ces échanges et recommandations, les phases de la vérification linguistique et de la vérification des faits historiques suivent leur cours. Pour ce faire, des experts en histoire et en éducation autochtone ainsi qu’une experte en équité et en inclusion ont vérifié les faits. Ces experts, étant des Premières Nations, des Métis, des Inuits et des non Autochtones, ont offerts leurs suggestions quant à l’exactitude des dates, des noms des différents traités, des lois, etc. Ainsi, il sera très intéressant lors de la parution du curriculum révisé d’analyser les révisions qui y ont été apportées dans ce désir d’engagement pour voir comment sont modifiés les fondements philosophiques, et ce, autant au travers des contenus que des pédagogies préconisées.

L’intention est aussi que les ressources pédagogiques et que le perfectionnement professionnel soient offerts en même temps que la parution du curriculum révisé. Par rapport à ce perfectionnement professionnel, j’ai d’ailleurs assisté lors de ce même Forum à l’atelier de Colinda Clyne, responsable du programme d’éducation et d’équité des Premières Nations, Métis et Inuits du Conseil scolaire Upper Grand District School Board, qui soulignait l’incontournable besoin de référer aux aînés avant d’aborder certains sujets de façon décontextualisée, ou encore, en ayant recourt à une pédagogie qui serait incohérente avec leurs perspectives. Il sera donc aussi très intéressant de suivre l’élaboration du processus entourant le perfectionnement professionnel qui accompagnera la révision du curriculum. Toutefois, il faut demeurer conscient que cette réconciliation est fragilisée par les priorités fluctuantes au fil des élans politiques et par l’assiduité variable que l’on peut questionner si des séances de travail sont annulées

Notes

  1. 1. Ci-dessous nommé « Cadre ».

RÉFÉRENCES

Aikenhead, G. et Elliott, D. (2010). An emerging decolonizing science education in Canada. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 10(4), 321-338.

Bureau de l’éducation des Autochtones et Ministère de l’Éducation. (2005). La nouvelle approche ontarienne des affaires autochtones. Repéré à http://docs.files.ontario.ca/documents/223/7-maa-new-approach-to-aboriginal-affairs-fr.pdf

Bureau de l’éducation des Autochtones et Ministère de l’Éducation. (2007). Cadre d’élaboration des politiques de l’Ontario en éducation des Premières nations, des Métis et des Inuit. Repéré à http://www.edu.gov.on.ca/fre/aboriginal/fnmiFrameworkf.pdf

Criger, Elder C. (2017). Acknowledging the land. Communication présentée au Forum 2017 Répondre à la Commission de vérité et de réconciliation. Apprendre et vivre nos appels à l’action de l’Ontario, Toronto, ON.

Statistiques Canada. (2001). Enquête auprès des peuples autochtones de 2001. Repéré à http://www.statcan.gc.ca/pub/89-589-x/pdf/4281203-fra.pdf