L’apprentissage de la pensée historique : attributions enseignantes en contexte de pratique


L’apprentissage de la pensée historique1 (APH) représente un enjeu au regard des pratiques d’enseignement effectives, car la réalisation des finalités critiques lui étant associées en dépendent (Martineau, 2010 ; Seixas et Morton, 2012 ; Wineburg, 2001). Au Québec, cet enjeu est d’autant plus vif que les programmes d’études y font nommément référence, et invitent à cet égard les enseignants à engager leurs élèves dans une démarche d’apprentissage fondée sur la résolution de problème (Gouvernement du Québec, 2006, 2007). Les apprentissages des élèves dépendent ainsi en bonne partie de la pratique de leur enseignant et, plus spécifiquement, de la situation d’enseignement-apprentissage mise en œuvre à travers celle-ci (Bru, 2002 ; Clanet et Talbot, 2012).

Les recherches sur les pratiques d’enseignement en histoire au Québec décrivent une variabilité significative au chapitre de cette démarche d’apprentissage (Boutonnet, 2013 ; Moisan, 2010). Certaines rendent compte de pratiques magistrocentrées, fondées principalement — mais pas exclusivement — sur l’exposé de l’enseignant (Charland, 2002 ; Demers, 2011). D’autres mettent en évidence la place significative d’exercices relatifs à la démarche historique, mais de manière ponctuelle ou partielle (Boutonnet, 2013 ; Moisan, 2010). Néanmoins, ces chercheurs indiquent qu’une majorité d’enseignants reconnaissent l’importance de développer la pensée critique de leurs élèves. Boutonnet (2013) révèle, par exemple, que les enseignants adhèrent au principe de l’exercisation à la méthode historique. Toutefois, des éléments de cette dernière, tels que la problématisation (réalisée par l’élève) et l’analyse des informations recueillies, seraient négligés par rapport à d’autres (recherche d’information). Ces résultats rejoignent ceux constatés par Bouhon (2009) en Belgique francophone et Tutiaux-Guillon (2008, 2015) en France. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi certains de ces éléments de la méthode historique trouvent une place dans les démarches d’apprentissage, contrairement à d’autres ?

Ces recherches indiquent un problème sur lequel nous nous sommes penché dans le cadre d’une recherche doctorale, qui est celui de l’écart entre les finalités critiques associées à la pensée historique poursuivies par les enseignants et les démarches d’apprentissage qu’ils mettent en œuvre pour les concrétiser. Cet écart n’est pas à confondre avec celui entre les pratiques souhaitées par les prescrits officiels ou didactiques et les pratiques effectives, dont traitent notamment Moreau (2003) ou Demers (2011). Il doit également être distingué de l’écart entre les pratiques déclarées et constatées, c’est-à-dire entre celles relatées à travers le discours enseignant et celles décrites par observation à l’aide de protocoles et d’instruments explicités (Clanet et Talbot, 2012). Il ne sera question ici que de pratiques déclarées et non de pratiques décrites par un observateur extérieur. L’objectif est de mettre en lumière la compréhension enseignante de leurs pratiques, en ciblant les explications invoquées pour justifier l’attribution d’une démarche d’apprentissage à la pensée historique.

Pour ce faire, nous expliciterons dans un premier temps la nature de la démarche de cette recherche, en spécifiant l’approche théorique, les concepts mobilisés et la méthodologie empruntée. Dans un deuxième temps, nous préciserons les significations possibles de l’APH, qui permettront d’interpréter, dans un troisième temps, un corpus d’attributions enseignantes. Dans un quatrième et dernier temps, nous discuterons de ces résultats à la lumière de notre objectif : la compréhension enseignante de l’APH.

La recherche : une analyse descriptive de pratique d’enseignement

La présente démarche de recherche vise à contribuer à une théorie de la pratique d’enseignement, en mobilisant des modèles théoriques pour analyser des problèmes traversant celle-ci (Kemmis, 2012 ; Lenoir et al., 2011). Cette approche théorique ne reconnait pas d’opposition théorie-pratique, mais mise plutôt sur leur interrelation pour mettre au jour des aspects spécifiques du savoir de la pratique d’enseignement (Lenoir, 2011). Elle permet ainsi de comprendre cette pratique du point de vue de ceux qui l’exercent, à la lumière de choix pédagogiques et de leur contexte (Craig, 2009). L’analyse de ces derniers peut ainsi contribuer à l’élaboration de modèles de pratique, pouvant être réinvestis en formation des maitres (Lenoir, 2009). Une telle approche nous parait donc appropriée à l’analyse des pratiques associées à l’apprentissage de la pensée historique, pour comprendre les choix pédagogiques réalisés en situation d’enseignement-apprentissage, ainsi que pour mettre en perspective les résultats de recherches, dont Martineau (1997) et Demers (2011), décrivant des pratiques considérées peu favorables à cet égard.

Nous proposons d’aborder cette interrelation de la théorie et de la pratique sous l’angle du processus d’attribution. Ce dernier met en lumière la cognition individuelle associée à l’explication de phénomènes perçus (Deschamps, 1996, p. 209). Il définit un arc perceptif (Heider, 1958) entre une structure permanente, l’objet — l’APH dans ce cas-ci — et la perception de propriétés descriptive. Pour la pratique d’enseignement, cet arc définit un rapport qu’Oser et Baeriswyl (2001) associent à celui entre un pôle théorique (ou basis-model) relatif au processus d’apprentissage, et les dispositifs d’enseignement (ou visible structures) mobilisant l’attention de l’enseignant qui les met en œuvre. La Figure 1 illustre schématiquement cet arc perceptif, en s’inspirant des trois pôles organisateurs relatifs à l’analyse de pratiques identifiés par Guigue (2002).

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Figure 1. Modélisation du processus d’attribution (pratique d’enseignement)

Le rapport entre les deux pôles de cet arc répond au principe d’équilibre cognitif ou de la balance identifié par Heider (1958), qui est celui de la cohérence entre la structure de l’objet et les attentes que sa représentation suscite de manière stable et non momentanée en contexte de pratique. L’identification de ces propriétés stables d’attribution sera réalisée en prenant en compte le principe de covariation (covariation principle) formulé par Kelley (1967, 1973). Ce principe stipule que la stabilité d’une attribution est fonction de la fréquence des occurrences (different occasions), de la variété des objets attribués (different objects) et des sujets (different actors). En considérant que cette analyse ne cible qu’un objet d’attribution, l’APH, nous nous concentrerons sur la variabilité qu’il entraine au regard des situations et des sujets. Il reste cependant à spécifier comment des propriétés stables pourront être identifiées à travers ces deux sources de variabilité, pour ainsi rendre compte de la compréhension enseignante de l’APH, qui est notre objectif de recherche. Les différentes modalités de cette compréhension seront étayées dans la prochaine partie.

L’APH : la pensée historique au coin de cinq théories de l’apprentissage

Il existe un éventail étendu de théories de l’apprentissage en éducation, auxquelles peuvent être associées différentes démarches d’apprentissage de la pensée historique. Pour faire un tri entre ces démarches, nous nous sommes principalement appuyés sur le modèle proposé par Murphy, Alexander et Muis (2012), définissant six théories de l’apprentissage, à savoir le béhaviorisme, le traitement de l’information, le constructivisme radical, le socioculturalisme, le socioconstructivisme et la cognition située. La théorie béhavioriste a été écartée d’emblée à cause de l’aporie fondamentale qu’elle introduit à l’égard du construit de pensée historique, qui est irréductible à un dressage comportemental (Levstik, 2011). Il en a été de même de la théorie radicale-constructiviste, expliquant l’apprentissage par la consolidation des croyances épistémiques individuelles (Murphy, Alexander et Muis, 2012). Si nous pouvons admettre que l’APH favorise une ouverture sur la relativité des interprétations historiques (Duquette, 2011), nous ne sommes pas certains que la démarche de construction de savoirs les sous-tendant soit également une affaire d’opinion relative pour des élèves du secondaire.2

La théorie du traitement a été gommée à la théorie cognitivo-rationaliste proposée par Greeno, Collins et Resnick (1996), définissant l’apprentissage par l’exercisation à des opérations intellectuelles. Celle-ci apparait compatible à celles définies dans la documentation scientifique (Seixas et Morton, 2012) et officielle (Gouvernement du Québec, 2011). La documentation scientifique définit un ensemble d’opérations intellectuelles, recouvrant l’identification d’éléments de continuité et de changement, de causes et de conséquences, de la pertinence d’évènements historiques et de la critique des sources. Intégrant ces deux premières opérations, le programme (Gouvernement du Québec, 2006, 2007) inscrit leur apprentissage dans la réalisation d’une démarche articulée à trois compétences disciplinaires. Celles-ci consistent d’abord à interroger les réalités sociales pour formuler des questions de recherche qui, ensuite, seront interprétées à l’aide de la méthode historique (collecte, critique et organisation de l’information) et, finalement, synthétisées à la lumière d’un enjeu actuel (Gouvernement du Québec, 2006, 2007). Les recherches démontrent des pratiques relativement peu congruentes à l’égard de cette théorie. Si plusieurs enseignants québécois et canadiens en reconnaissent la valeur, l’analyse de documents se limiterait généralement au repérage de l’information (Boutonnet, 2013 ; Lévesque et Zanazanian, 2015). Bouhon (2009), toutefois, a fait le constat de pratiques plus étroitement associées à l’analyse en commun de documents en Belgique francophone.

La théorie socioculturaliste est, comme la théorie traditionaliste de Bereiter et Scardamalia (1998), fondée sur l’exercice du dialogue. Cette théorie rejoint directement les construits d’agentivité et d’empathie historiques. L’agentivité fonde la compréhension historique sur un principe d’action : gagner en agentivité historique, c’est à la fois développer une nouvelle compréhension des réalités sociales et corrélativement agir dans le but de réaliser une transformation, de soi, des autres et de sa société (Seixas et Morton, 2012). À ce principe d’action s’articule celui d’empathie historique, qui représente la capacité de prendre en considération le point de vue d’acteurs historiques pour comprendre leurs actions (Lee, 2005). Par le dialogue, l’apprenant développe une meilleure compréhension de ces actions et prend conscience de leur contribution à la transformation des réalités sociales (Lee et Ashby, 2001).

La théorie socioconstructiviste proposée par Vygotski (1997) définit l’apprentissage par la manipulation de concepts dans le développement de fonctions psychiques supérieures. Ce processus repose sur le principe de la balance cognitive entre les fonctions descriptive et explicative des concepts, initialement décrite par Peel (1967a, 1967b). Ces fonctions décrivent la conceptualisation des analogies maitrisées par les élèves (Cariou, 2004, 2006). Dans la vie quotidienne, ces dernières interviennent dans la compréhension immédiate des réalités sociales et historiques à proposant des explications de sens commun. Les pratiques d’enseignement en histoire viseraient généralement à les dépasser, sans toutefois engager les élèves à réaliser un travail en ce sens (Lautier et Allieu-Mary, 2008 ; Tutiaux-Guillon, 1998). Les théories socioculturalistes et socioconstructivistes peuvent cohabiter à cause de leur compatibilité. Ce cas de figure est illustré notamment par Dalongeville (2006) et Dalongeville et Huber (2000), articulant une phase de problématisation, visant par la discussion à identifier des contradictions et à circonscrire un enjeu, à une démarche de conceptualisation.

La théorie de la cognition située, que nous devons à Gibson (1966), conçoit l’apprentissage par le développement de systèmes perceptuels, appuyé sur la perception de propriétés invariantes dans l’environnement. Cette théorie embrasse les environnements informatisés d’apprentissage, notamment les jeux vidéos. De plus en plus de chercheurs (Young et coll., 2012) soulignent — avec certaines réserves toutefois — le potentiel de ces jeux pour l’enseignement de l’histoire. Nous avons également mobilisé la théorie de sens commun (plain folk) proposée par Bereiter et Scardamalia (1998). Celle-ci repose sur l’analogie du récipient pour définir tout processus par lequel des objets sont déposés dans la pensée. Selon ces chercheurs, cette théorie serait la plus familière aux enseignants, ce que la recherche sur les pratiques d’enseignement en histoire (Bouhon, 2009 ; Martineau, 1997 ; Moisan, 2010) et les représentations des élèves de cet enseignement (Audigier et Fink, 2010 ; Levstik, 2011) tendent d’ailleurs à montrer.

Lesquelles de ces théories fondent les attributions enseignantes à l’APH ? En outre, celles-ci expriment-elles des tendances au sein de l’échantillon ? Nous répondrons à ces questions après avoir précisé la nature de notre méthodologie et la procédure de cueillette et d’analyse des données.

Méthodologie

Nous avons analysé une masse critique d’attributions relatives à trois situations d’enseignement-apprentissage, entendue comme la quantité minimale nécessaire pour autoriser l’identification de propriétés invariantes (Larose, Grenon, Bédard et Bourque, 2009). Elles ont été recueillies auprès d’un échantillon de convenance de sept enseignants, mettant en œuvre le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté (Gouvernement du Québec, 2007). Ces enseignants sont répartis à la grandeur du Québec, allant de Rouyn-Noranda à Rimouski, en passant par Saint-Jérôme dans les Laurentides, Laval et Québec (deux enseignants). Ils présentent des profils socioprofessionnels diversifiés. Majoritairement composé d’hommes, l’échantillon ne comprend que deux femmes. En outre, un seul œuvre au sein d’un établissement d’enseignement privé. Leur expérience professionnelle varie entre quatre et 18 ans, et leur formation initiale rend compte de cheminements également diversifiés. Un peu plus de la moitié d’entre eux détient le baccalauréat en enseignement secondaire actuel spécialisé en histoire et en géographie. Les autres ont accédé à la profession par d’autres voies, dont l’ancien baccalauréat en enseignement spécialisé en français et en histoire et le certificat en enseignement de 30 crédits.

Pour chacun des répondants, des entrevues semi-dirigées ont été effectuées lors des phases préactives et postactives à l’application de trois dispositifs d’enseignement de leur choix associés à l’APH, en suivant le devis proposé par Lenoir, Maubant et coll. (2011) et Araujo-Oliveira (2012), représenté par la Figure 2.

 

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Figure 2. Phases de recueil de données (Araujo-Oliveira, 2012, p. 74, cité dans Lenoir et coll., 2011, p. 106)

Notre démarche se distingue cependant de ce devis par l’absence d’observation directe en classe. Un entretien semi-dirigé au moment préactif, d’une part, a permis d’accumuler des données sur les causes invoquées pour justifier une attribution du dispositif d’enseignement à l’APH. L’entretien au moment postactif, d’autre part, a consisté en un retour sur la phase interactive pour expliquer comment celle-ci a contribué à l’APH.

Les discours recueillis ont été retranscrits et analysés à l’aide de la statistique textuelle, consistant à soumettre les six corpus constitués à des opérations statistiques (Lebart et Salem, 1994), à savoir l’analyse factorielle des correspondances (AFC). La retranscription a donné lieu à un regroupement des lexèmes, indiqué à l’aide d’un dièse (p. ex. « aujourd » et « hui » ou « Baie » et « James », qui devinrent « #aujourdhui » et « #baiejames »). Ce type d’analyse autorise l’identification de « traits structuraux » entre les mots d’un corpus, dépeignant des « systèmes de valeurs » au sein d’un discours commun (Lebart, Piron et Steiner, 2003). Nous avons eu recours au logiciel DTM-Vic pour procéder à la segmentation du corpus de données (décomptage des mots), ainsi qu’à l’AFC et à la validation des données par rééchantillonnage (bootstrap). Ces opérations permettent de générer une représentation multidimensionnelle des éléments sous la forme d’un nuage de points, en calculant la distance algébrique entre eux. Le logiciel autorise le repérage de ces traits structuraux dans le nuage de points en le traversant d’axes, ayant une valeur propre. Oscillant entre 0 et 1, les valeurs propres expriment l’inertie de chacun des axes à l’endroit de la variance totale. L’interprétation de la signification de ces axes a été réalisée par l’identification des mots (ou des formes lexicales) ayant une inertie élevée, laquelle a été complétée par l’examen des concordances relatives à ces mots. Les concordances rendent compte du contexte de ces mots dans un corpus.

La stabilité des axes structurants a été validée — toujours avec le même logiciel — par rééchantillonnage. Cette opération est nécessaire, car il possible qu’une part de la variance puisse fluctuer en fonction d’une modification de l’échantillon (Lebart, Piron et Steiner, 2003). La validation par rééchantillonnage consiste à perturber les données par l’ajout de mots sélectionnés, en tant que variables supplémentaires, à travers l’effectuation de 25 tirages avec remise (Lebart, Piron et Steiner, 2003). En principe, si le mot est stable, il apparaîtra passablement au même endroit qu’à l’origine. Si ce n’est pas le cas, le logiciel tracera une zone de projection. Celle-ci, selon sa taille, permettra alors de porter un jugement qualitatif sur son niveau de stabilité. Ces balises méthodologiques nous ont ainsi permis de mettre au jour des fondements théoriques structurants et stables, présentés dans la prochaine partie..

résultats

Les résultats décrivent les attributions enseignantes à l’APH. Notre objectif est d’identifier des propriétés communes et stables, relatives à l’une ou l’autre des théories de l’apprentissage présentées précédemment. Nous présenterons successivement, pour chacune des phases préactive et postactive des trois situations d’enseignement-apprentissage, les plans factoriels décrivant la structure et la stabilité de l’axe ayant l’inertie la plus élevée. Pour chacun, nous indiquerons les mots les plus structurants et, le cas échéant, les contributions spécifiques de certains sujets. Ces axes permettront d’identifier des théories de l’apprentissage et de dégager des tendances au regard de l’ensemble des attributions analysées.

Première situation d’enseignement-apprentissage : phase préactive

La Figure 3 présente le plan factoriel composé des deux premiers axes. Le premier axe explique 23,4 % de la variance, et il décrit une opposition entre le discours spécifique du sujet 02 comptant pour 64,9 % de l’inertie, d’une part, et les sujets 06 (17,1 %), 01 (8,2 %) et 04 (7,6 %), d’autre part.

 

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Figure 3. Attribution, SEA 1 — phase préactive : mots contribuant à l’inertie du premier axe

À l’autre extrémité de cet axe, les mots structurants on, pas, tout, #aujourd’hui, dire, oui, fait, temps, apprend et mais recoupent les contributions des sujets 06, 01 et 04.4 Ils expriment une attribution par opposition à une théorie de sens commun, pour expliquer en quoi la démarche proposée n’assignera pas les élèves à un rôle de récepteurs passifs : « Ce qu’on fait, on l’apprend. Nous, quand on fait l’enseignement magistral, les élèves apprennent des choses, mais quand ils ont à le mettre en pratique, où ils doivent faire la recherche, ils s’approprient davantage la matière. » (Sujet 06)

Première situation d’enseignement-apprentissage : phase postactive

La Figure 4 présente le premier axe expliquant 25,6 % de la variance. Cet axe décrit une opposition entre les théories socioconstructiviste et cognitivo-rationaliste. Cette opposition polarise la contribution respective des sujets 02 (54,6 %), 06 (10,7 %) et 04 (6,8 %), d’une part, et des sujets 01 (13,9 %), 03 (9,9 %) et 07 (3,9 %) d’autre part.

 

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Figure 4. Attribution, SEA 1 — phase postactive : mots contribuant à l’inertie du premier axe

Les mots structurants quoi, avait, liens, faire, entre, avec, maintenant et époque, situés dans la portion négative (gauche) de l’axe, rendent compte d’une attribution de l’apprentissage à la fonction descriptive de concepts.5 L’APH repose sur l’établissement de liens entre un concept et ce qu’il signifie concrètement dans la durée jusqu’à aujourd’hui : création d’une monnaie commune, de provinces, de liaisons commerciales, etc. Toutefois, à l’exception peut-être de quoi, la validation de l’ensemble des mots structurants donne lieu à d’importantes ellipses de confiance, et ils peuvent donc être considérés instables. À l’autre extrémité de cet axe, les mots pensée, historique, parce, que, cette, activité, on et voir expriment une attribution aux opérations de la pensée historique, relevant d’une théorie cognitivo-rationaliste.6 Ils apparaissent stables, à l’exception peut-être des mots pensée et historique pouvant être considérés relativement stables. Les sujets 01 et 03 attribuent l’activité d’apprentissage effectuée aux opérations de la pensée historique, à savoir l’identification de causes et de conséquences, ainsi que d’éléments de continuité et de changement. Même si la situation d’apprentissage ne s’est pas déroulée comme prévu à cause des connaissances antérieures des élèves (initialement surestimées), le sujet 07 soutient tout de même une attribution de l’APH justement à cause de l’identification d’éléments de continuité et de changement.

Deuxième situation d’enseignement-apprentissage : phase préactive

La Figure 5 présente le plan factoriel composé des deux premiers axes. Le premier axe explique 27 % de la variance. Il illustre deux modulations de la théorie socioconstructiviste, articulées aux contributions — en opposition sur l’axe — des sujets 02 (56,9 %), d’une part, et 03 (19 %) et 06 (14,3 %), d’autre part.

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Figure 5. Attribution, SEA 2 — phase préactive : mots contribuant à l’inertie du premier axe

Les mots structurants vais, #minutedupatrimoine, cours, #pâtéchinois, pouvoir, petit, #aujourdhui et entre, situées dans la portion positive (droite) de cet axe, expriment l’attribution spécifique du sujet 02, de nature socioconstructiviste. Elle décrit une démarche d’apprentissage fondée sur l’analyse du concept de gouvernement — sa fonction explicative — dans le contexte de la mise en place de la fédération canadienne.7 À l’autre extrémité de ce premier axe, les mots oui, rattacher, des, connaissances, mais, peut et beaucoup traduisent également une attribution de nature socioconstructiviste.8 Encore une fois, l’APH est attribué à la mise en œuvre de concepts, dont celui de fédération, qui consiste à contrôler leurs fonctions explicative et descriptive (rattacher).

Ce plan factoriel révèle un portrait contrasté, alors que se côtoie un nombre comparable de mots très stables et de mots relativement instables. La validation de vais, pouvoir, oui, des et connaissances génère des zones de projection perceptibles, mais d’envergure limitée. Ces derniers mots, exprimant une attribution aux fonctions descriptive et explicative des concepts, peuvent être considérés relativement stables. Relativement instables, à la lumière de leurs ellipses de confiance, les mots petit, #aujourdhui, entre, mais, peut et beaucoup donnent à penser que cette attribution est moins stable lorsqu’il est question de l’établissement de liens de causalité à partir de ces concepts. Les formes #minutedupatrimoine, #pâtéchinois et cours, situées dans la portion positive (droite) de cet axe, ainsi que la forme rattacher à l’autre extrémité (gauche) apparaissent très stables, alors que leur validation ne donne pas lieu à d’ellipses de confiance perceptibles. Ce résultat tend donc à confirmer la stabilité de cette attribution.

Deuxième situation d’enseignement-apprentissage : phase postactive

La Figure 6 présente le plan factoriel composé des deux premiers axes. Le premier axe explique 24,1 % de la variance, et il rend compte d’une opposition entre les théories cognitivo-rationaliste et de sens commun. Cette opposition polarise la contribution respective des sujets 07 (59,3 %), d’une part, et des sujets 02 (17,8 %), 03 (8,5 %) et 01 (6,8 %), d’autre part.

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Figure 6. Attribution, SEA 2 — phase postactive : mots contribuant à l’inertie du premier axe

Dans la portion positive (droite) de cet axe, les mots structurants impression, conception, du, temps, ne, sont, pas, même, élèves et encore rendent compte d’une attribution de l’APH aux opérations intellectuelles.9 Exprimée par la contribution spécifique du sujet 07, cette attribution — qui est en fait une attribution négative — explique l’échec de l’APH en fonction de l’opération intellectuelle consistant à identifier des éléments de continuité et de changement. Globalement, ces mots sont relativement instables. Il n’y a que impression et conception qui peuvent être considérés relativement stables. La validation des autres mots structurants donne lieu à des zones de projection relativement plus larges dans le cas de pas, même et élèves, et très importantes pour temps et sont. À l’autre extrémité de cet axe, les mots structurants oui, parce, été, pensée, historique, sur, sources, historiques et expriment une attribution à la théorie de sens commun.10

Ce fondement théorique se retrouve principalement chez le sujet 02, expliquant les difficultés rencontrées par le manque de connaissances des élèves : « Là, c’est sûr que sur le plan de la pensée historique, le manque de connaissances géographiques a été une nuisance. » (Sujet 02) Les mots décrivant cette théorie de sens commun tendent à être un peu plus stables. La validation des mots parce, pensée, historiques et a généré des ellipses de confiance relativement limitées, ce qui permet de les considérer relativement stables. À la lumière de leurs zones de projection, les mots oui et historique apparaissent relativement instables, tandis que sources est considéré instable.

Troisième situation d’enseignement-apprentissage : phase préactive

La Figure 7 présente le plan factoriel composé des deux premiers axes. Le premier axe explique 27,4 % de la variance. Les deux extrémités de cet axe témoignent respectivement de fondements associés aux théories socioconstructiviste et cognitivo-rationaliste, relevant des contributions des sujets 02 (69,7 %) et 07 (12,9 %).

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Figure 7. Attribution, SEA 3 — phase préactive : mots contribuant à l’inertie du premier axe

Les mots structurants vais, faire, liens, entre, et, comme et le, situés dans la portion négative (gauche) de cet axe, décrivent une démarche d’apprentissage de nature socioconstructiviste, principalement décrite par le sujet 02.11 Ce dernier attribue l’APH à la fonction descriptive du concept, celui d’industrialisation, permettant d’établir des liens entre différents contextes d’hier (Ontario et Québec) et d’aujourd’hui (Chine et Bangladesh) : « oui, parce que…je vais faire des liens entre le passé et le présent. C’est l’industrie lourde en Ontario qui existe toujours sous forme automobile, puis l’industrie légère au Québec qui a à peu près disparu à cause des délocalisations. » (Sujet 02) Les mots exprimant cette attribution — soit vais, faire, liens, entre, et, comme et le — apparaissent globalement plus instables. La validation de vais, comme et le donne lieu à des ellipses de confiance passablement importantes, qui invitent à les considérer relativement instables. La validation de la forme liens ne génère pas de zone de projection perceptible. À l’autre bout de cet axe, le sujet 07 propose plutôt une attribution de l’APH aux opérations intellectuelles de continuité et de changement. Les mots structurants on, pense, va, pensée, historique, travers et comment décrivent les contours de cette attribution d’inspiration cognitivo-rationaliste.12 Il s’agit de développer la capacité des élèves d’identifier des éléments de continuité et de changement pour un thème du programme de quatrième secondaire (culture et mouvements de pensée), depuis les Autochtones jusqu’à la mise en place du Régime britannique. Un nombre significatif de mots structurants de cette partie positive (droite) de l’axe apparait relativement stable. C’est le cas des mots pense, on, va, comment et travers, dont la validation donne lieu à des ellipses de confiance d’envergure limitée. Seuls pensée et historique peuvent être considérés relativement instable et instable, respectivement.

Troisième situation d’enseignement-apprentissage : phase postactive

La Figure 8 présente le plan factoriel composé des deux premiers axes. Le premier axe explique 22,1 % de la variance, et rend compte d’une attribution d’inspiration socioconstructiviste, sans opposition, principalement portée par les sujets 05 (68,5 %) et 01 (16,3 %).

Fig8.png 

Figure 8. Attribution, SEA 3 — phase postactive : mot contribuant à l’inertie du premier axe

Les mots structurants liens, concepts, de, des, entre, différents et base décrivent une attribution de type socioconstructiviste, sous l’angle de la fonction explicative des concepts.13 Cette attribution, structurée par les contributions spécifiques des sujets 05 et 01, apporte un nouvel éclairage sur les données analysées jusqu’ici : les attributions respectives de ces sujets divergent pour des raisons similaires, ce qui permet d’isoler un élément causal déterminant. Pour le sujet 05, la situation d’enseignement-apprentissage réalisée n’a pas concouru à l’APH,car elle reposait essentiellement sur la transmission de connaissances qui, dans ce contexte, concernait la fonction descriptive des concepts. Cette fonction pose les éléments permettant de se familiariser avec un domaine de savoir. Cependant, elle ne suffit pas à fonder une nouvelle compréhension, car il manque la fonction explicative permettant de contrôler les liens entre ces éléments : « Non, c’est de l’acquisition de concepts de base » (Sujet 05).

Le sujet 01 décrit également une situation du même type, impliquant la présentation d’éléments descriptifs : « j’ai mis beaucoup beaucoup d’emphase sur les concepts. » Néanmoins, il soutient une attribution à l’APH à cause du travail réalisé ensuite par les élèves autour de sources historiques et de documents : « J’ai travaillé aussi au niveau des textes explicatifs, à amener à faire des liens entre les différents éléments » (Sujet 01). Ces résultats donnent à penser qu’une attribution à la théorie socioconstructiviste implique nécessairement une fonction explicative. Les mots structurants fondant ces attributions sont toutefois passablement instables. La validation des mots liens, concepts, entre, différents et base donne lieu à d’importantes ellipses de confiance. Ces mots sont considérés instables et, au mieux, relativement instables dans le cas de concepts et de base.

Ces résultats mettent en perspective ceux relatifs à la phase préactive, révélant également le caractère structurant des théories socioconstructiviste et cognitivo-rationaliste. Au terme de ces trois analyses, quelles tangentes est-il possible de tracer au regard des fondements théoriques relatifs à l’apprentissage ?

Fondements théoriques de l’APH : tendances générales

L’analyse des attributions à l’APH nous a permis de recenser les théories de l’apprentissage les plus structurantes et d’apprécier leur niveau de stabilité. Le Tableau 1 synthétise ces résultats.

Des théories de l’apprentissage ont été identifiées à 11 reprises. Elles sont de nature socioconstructiviste, cognitivo-rationaliste et de sens commun. La théorie socioculturaliste et celle de la cognition située n’ont pu être identifiées. De ce nombre, plus de la moitié relève de la théorie socioconstructiviste. En effet, ce fondement théorique a été recensé à six reprises. Comparativement, les théories cognitivo-rationaliste et de sens commun ont respectivement été recensées à trois et deux reprises.

La stabilité des axes est également à prendre en considération. Globalement, elle avalise ces tendances structurelles. La théorie socioconstructiviste repose davantage sur des axes stables ou relativement stables. Cette tendance se constate également pour les théories cognitivo-rationaliste et de sens commun, jugées moins stables. Ce phénomène peut exprimer le caractère plus périphérique de ces théories de l’apprentissage, mais il peut également être attribué à la faiblesse de l’échantillon.

Tableau 1. Les fondements théoriques de l’apprentissage et leurs propriétés associées à l’APH — Dépouillement des résultats

SEA

Axe (inertie)

Fondements
théoriques

Propriétés

Sujets

Stabilité

SEA 1

Phase préactive

Axe 1

23,4 %

Socioconstructivisme

Concept

(fonction descriptive)

02

Stable

Sens commun

Rejet du principe d’apprentissage par transmission directe

06, 01 et 04

Stable

SEA 1

Phase postactive

Axe 1

25,6 %

Socioconstructivisme

Concept

(fonction descriptive)

02, 06 et 04

Instable

Cognitivo-rationalisme

Causes / conséquences

Continuité / changement

03 et 07

Stable

SEA 2

Phase préactive

Axe 1

27,0 %

Socioconstructivisme

Concept

(fonction explicative)

02

Relativement instable

Socioconstructivisme

Concept

(fonctions descriptive et explicative)

03 et 06

Relativement stable

SEA 2

Phase postactive

Axe 1

24,1 %

Cognitivo-rationalisme

Continuité / changement

07

Relativement instable

Sens commun

Adhésion au principe d’apprentissage par transmission directe

02, 03 et 01

Relativement stable

SEA 3

Phase préactive

Axe 1

27,4 %

Socioconstructivisme

Concepts

(fonction descriptive)

02

Relativement instable

Cognitivo-rationalisme

Continuité / changement

07

Relativement stable

SEA 3

Phase postactive

Axe 1

22,1 %

Socioconstructivisme

Concepts

(fonction explicative exclusivement)

05 et 01

Instable

 

Discussion

Les théories de l’apprentissage fondant une attribution à l’APH sont principalement de nature socioconstructiviste, cognitivo-rationaliste et de sens commun. Cette tendance ne va pas sans rappeler les fondements épistémologiques foncièrement constructivistes de la discipline historique (Demers, 2011), mais nous croyons que ces résultats rendent compte d’une autre forme de constructivisme, celui des pratiques d’enseignement. Des pratiques dont l’objet est le processus d’apprentissage, qui est irréductible à l’épistémologie des disciplines (Astolfi, 2008). Nous discuterons de ces résultats à la lumière des caractéristiques de ces attributions, exprimant des modulations spécifiques de ces théories.

Pour la théorie socioconstructiviste, les analyses ont mis en exergue le rôle des fonctions descriptive et explicative des concepts, principalement en interrelation. Ce résultat est conforme à la définition de cette théorie, mais également à celle proposée par Cariou (2004). Pour le cas de l’enseignement de l’histoire québécois, Bouvier et Chiasson-Desjardins (2013) ont souligné que les concepts et leur potentiel explicatif sont au cœur des programmes actuels d’univers social. En marge, certaines attributions mettent plutôt en évidence la fonction descriptive des concepts, en lien avec l’apprentissage d’évènements historiques associés à un concept. Cette attribution indique qu’il est ainsi possible d’apprendre à penser historiquement si l’activité est articulée à des connaissances spécifiquement associées à un concept scientifique. Non anticipée par notre cadre de référence, une telle attribution soulève des interrogations, en plus d’être susceptible d’introduire une certaine confusion avec une théorie de sens commun. Nous retrouvons une référence au principe de la balance cognitive, mais la fonction explicative semble être l’apanage de l’enseignant qui, pour ainsi dire, tient en place l’autre extrémité de la balance à la place de l’élève. Ce résultat rejoint celui avancé par Tutiaux-Guillon (1998). Inversement, d’autres attributions fondent l’APH essentiellement — pour ne pas dire exclusivement — sur la fonction explicative des concepts. Dans ce cas-ci, c’est véritablement la fonction explicative assurée par l’élève qui est la condition sine qua non d’une attribution à l’APH. Nous retenons donc de ce résultat équivoque qu’une attribution socioconstructiviste à l’APH est elle-même variable, selon le rapport aux fonctions descriptive et explicative des concepts. Par ailleurs, nous n’avons pas retrouvé de références explicites au raisonnement analogique, sous-tendant un processus d’apprentissage socioconstructiviste (Cariou, 2004, 2006). Il est possible qu’une analyse des autres axes des plans factoriels permette d’identifier une référence à ce raisonnement analogique.

Pour la théorie cognitivo-rationaliste, deux types d’opérations intellectuelles ont été recensées. La première est celle qui consiste à identifier des éléments de continuité et de changement dans la durée. Cette opération apparait à chacun des axes analysés. La deuxième opération relève de l’identification de causes et de conséquences aux énements historiques. Ces opérations rappellent les opérations de la pensée historique définies par le Projet de la pensée historique (Seixas et Morton, 2012). Elles font également écho à celles définies par le Cadre d’évaluation des apprentissages (Gouvernement du Québec, 2011). En principe, l’exercice répété de ces opérations intellectuelles concourt à une restructuration des préconceptions des élèves, par le développement de schèmes cognitifs experts associés à la pensée historique (VanSledright et Limon, 2006). Cependant, nos résultats n’indiquent pas clairement de référence à ces préconceptions, pas plus qu’à une démarche de résolution de problème. Cette dernière est pourtant essentielle à l’apprentissage de ces opérations et au développement des compétences disciplinaires, ponctuant autant d’étapes de cette démarche (Cardin, 2014).

L’attribution à la théorie de sens commun est apparue plus équivoque que ce que nous avions anticipé, alors que, d’une part, elle suscite une adhésion sur la base d’une reconnaissance de l’importance de certains savoirs, impliquant une forme ou une autre de mémorisation. D’autre part, cette théorie sert de repoussoir pour justifier une attribution à l’APH : une situation d’enseignement-apprentissage contribue à l’APH parce qu’elle ne repose pas sur la simple transmission de connaissances. Ce résultat nous semble mettre en perspective celui de Moisan (2010) décrivant un modèle magistrocentré fondé sur « l’empilement des connaissances » (p. 190). Il pourrait rejoindre cette distinction établie par Bouhon (2009) sur le plan des représentations sociales des enseignants, tendues entre un pôle « idéal » et un pôle « réel ». Si ce premier décrit des pratiques fondées sur la réalisation d’une démarche de recherche intégrale dont la valeur est reconnue, le second traduit le contexte de pratique en classe favorable à l’enseignement de connaissances factuelles (Bouhon, 2009 ; Boutonnet, 2013 ; Lévesque et Zanazanian, 2015).

Conclusion

Cette recherche avait pour objectif de mettre en lumière la compréhension des enseignants d’histoire de l’APH en contexte de pratique. Cet objectif a été formulé dans la foulée de recherches identifiant un écart entre certaines finalités poursuivies par les enseignants et les pratiques qu’ils mettent en œuvre pour les concrétiser. Pour ce faire, nous avons eu recours à la théorie de l’attribution et à cinq théories de l’apprentissage. Certes, ces théories n’ont pas fait l’objet d’une présentation très approfondie, pas plus que d’une analyse critique très poussée, l’espace ne permettant pas de le faire. Toutefois, elles ont permis d’éclairer la cognition enseignante relative à l’APH, par le recueil de données auprès d’un échantillon de sept enseignants. Ces données ont été soumises à une analyse factorielle des correspondances pour mettre au jour les principaux traits structuraux, révélant la présence des théories socioconstructiviste, cognitivo-rationaliste et de sens commun. Ces résultats reconnaissent toutefois des modulations différentes de ces théories. Les attributions à la théorie socioconstructiviste sont susceptibles de varier selon l’importance respectivement accordée aux fonctions descriptive et explicative des concepts. Pour certains, la fonction descriptive est suffisante, tandis que pour d’autres, l’APH est indissociable de la fonction explicative. Les attributions à la théorie cognitivo-rationaliste se limitent à l’identification de causes et de conséquences et d’éléments de continuité et de changement. Les attributions à la théorie de sens commun expriment une attitude ambivalente, oscillant entre une adhésion et un rejet du principe de mémorisation de connaissances.

Du point de vue de la recherche, ces résultats invitent à poursuivre cette démarche auprès d’un échantillon d’enseignants plus important. Les traits structuraux identifiés indiquent peut-être des tendances globales, mais leur stabilité est au mieux relativement stable et plusieurs axes se sont avérés relativement instables et instables. À cet égard, il serait intéressant de constater si les modulations de ces théories de l’apprentissage suivent la même tangente que celles constatées par cette recherche. En outre, considérant que l’attitude est une variable du processus d’attribution (Deschamps, 1996), il serait pertinent de procéder à une évaluation de l’attitude enseignante à l’égard des propriétés possibles de l’APH. Une telle évaluation permettrait de comprendre ces modulations et, notamment, l’absence de références aux théories socioculturaliste et de la cognition située.

NOTES

1. Nous avons recours à l’expression « pensée historique » et non pas à celle de « pensée historienne », de plus en plus fréquente dans le champ de la recherche en didactique de l’histoire. Ce choix est justifié par le contexte de la pratique d’enseignement en histoire, marqué par un programme d’études usant de cette première dénomination.

2. La démarche de recherche est prescrite par le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté (Gouvernement du Québec, 2006, p. 366). Elle peut certes faire objet de discussions en classe, mais, en principe, elle doit être enseignée.

3. Les formes Canada, carte et couleur sont oblitérées par lien.

4. Les formes #aujourdhui et oui font l’objet d’un effet de projection. Cela signifie que la qualité de leur représentation graphique trahit leur position réelle. Les formes on, apprend et temps sont oblitérées par tout et dire. La forme fait est oblitérée par par. La forme mais est partiellement oblitérée par oui.

5. Les formes quoi, liens et entre font l’objet d’un effet de projection.

6. La forme on est oblitérée par ce. La forme cette est partiellement oblitérée par un, et la forme activité est partiellement oblitérée par cette.

7. Les formes #minutedupatrimoine, cours et #pâtéchinois sont oblitérées par pouvoir. La forme #aujourdhui est oblitérée par quoi. La forme petit est partiellement oblitérée par y.

8. La forme rattacher fait l’objet d’un effet de projection. La forme des oblitérée par les formes quand et qui. La forme connaissances est oblitérée par non et sont.

9. La forme conception est oblitérée par impression. La forme temps est oblitérée par élèves.

10. Les formes oui, été, sources et historiques font l’objet d’un effet de projection.

11. Les formes faire et liens font l’objet d’un effet de projection.

12. La forme on est partiellement oblitérée par va. La forme comment est oblitérée par travers.

13. Les formes liens, différents et base font l’objet d’un effet de projection. La forme concepts est partiellement oblitérée par la forme n. La forme de est oblitérée par moi. La forme des oblitère partiellement aussi.

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