LA RÉÉCRITURE POUR DÉVELOPPER UNE POSTURE D’AUTEUR CHEZ LES ÉLÈVES


Quelques chercheurs en didactique de l’écriture littéraire, mais également de la lecture littéraire, se sont intéressés à la réécriture en salle de classe, que nous définissons brièvement comme le fait d’écrire à nouveau un texte d’un autre auteur ou de soi-même. En effet, il semblerait que la réécriture, une forme d’écriture littéraire, susciterait chez les élèves un projet d’auteur, signe que ces derniers adoptent une posture d’auteur (Tauveron et Sève, 2005). En France, Bessonnat (2000) a réalisé une étude sur la réécriture en troisième (équivalent de la troisième secondaire au Québec), dans laquelle plusieurs formes de réécriture ont été testées tout au long de l’année auprès des élèves. Il se dégage de ses résultats que les divers exercices de réécriture réalisés ont permis de briser « la représentation classique d’une création ex nihilo et d’un aboutissement intangible » (Bessonnat, 2000, p. 109). Dans une étude réalisée auprès d’étudiants universitaires, Houdard-Mérot (2008) relève quant à elle les avantages de la pratique de la réécriture, notamment pour faire comprendre aux élèves que les textes sont liés entre eux (intertextualité) : « [F]aire écrire un étudiant en lui proposant d’exploiter un processus intertextuel est une manière de lui faire comprendre de l’intérieur, à travers une expérience d’écriture, le lien entre intertextualité et interprétation, entre intertextualité et littérarité d’une œuvre » (p. 129). Ainsi, les relations naturelles qu’entretiennent les textes entre eux pourraient être mises en relief grâce à la réécriture. Au Québec, une étude a été réalisée sur la réécriture avec des élèves du primaire par Chénard-Guay (2010). Plusieurs activités ont été vécues en préconisant une réécriture « à la manière de » en travaillant à partir de textes pour la jeunesse. Tout au long de l’expérimentation, les élèves ont développé leur capacité d’imitation, mais également d’analyse des textes sources.

En plus de susciter une implication plus grande des élèves dans leur rôle d’auteur, Reuter (2009) a montré que l’écriture d’invention — mettant de l’avant la réécriture de même que d’autres pratiques d’écriture fictionnelle innovantes — entrainait à long terme une amélioration de la compétence à écrire. Pour ce faire, Reuter (2009) a comparé l’impact de trois « modes de travail pédagogique » (p. 69) sur les pratiques d’écriture littéraire des apprenants d’écoles primaires différentes. Les résultats des élèves issus de la pédagogie de Freinet, axée davantage sur l’individu, sur la créativité et sur l’investissement personnel, dépassaient le conditionnement du milieu socioéconomique. Ces résultats ont aussi révélé que « la construction de l’imaginaire et l’investissement ne s’effectuent pas au détriment de la gestion textuelle » (Reuter, 2009, p. 77). Ainsi, « l’imaginaire n’est pas l’apanage des enfants de milieux favorisés et… son activation scolaire et son actualisation textuelle sont possibles, pourvu que le milieu pédagogico-didactique le permette, le favorise et l’étaie » (Reuter, 2009, p. 82).

Par ailleurs, quelques recherches ont souligné que le patrimoine culturel littéraire de l’élève a un impact sur la réussite de l’activité de réécriture (Baptiste, 2005 ; Pasa, 2008). Ce patrimoine culturel serait inhérent au concept de la réécriture selon Baptiste (2005) : « La prédominance d’une écriture référée à la littérature et recourant à l’imitation pour produire des écrits narratifs et particulièrement des fictions signifie une primauté des apprentissages culturels sur les apprentissages instrumentaux » (p. 133). En effet, sans « une approche expérientielle de l’écriture littéraire » (Baptiste, 2005, p. 147), le jeune scripteur, c’est-à-dire un élève qui écrit (Tauveron et Sève, 2005) dans un cadre scolaire donné, n’adoptera pas une posture d’auteur pleinement assumée. L’élève ayant été mis en contact avec tous ces textes littéraires riches et variés aura davantage de stratégies à imiter ou à réinvestir dans ses textes, d’où l’importance des échanges en groupe pour enrichir et clarifier les connaissances en lecture de l’élève avant de passer à l’étape de l’écriture elle-même, pour atténuer les différences de connaissance entre les élèves (Baptiste, 2005 ; Pasa, 2008). Ainsi, l’élève extrait « de ses lectures les connaissances littéraires qui lui permettront d’accomplir la tâche d’écriture » (Margallo González, 2009, p. 203) ; il se familiarise entre autres avec les conventions du genre, avec les caractéristiques littéraires communes aux textes lus. Comme le souligne avec justesse Margallo González (2009), « face à l’approche traditionnelle de l’enseignement littéraire, basée sur la transmission des contenus, en articulant l’acquisition de contenus littéraires avec les pratiques de lecture et d’écriture, les projets cherchent à éveiller l’intérêt de l’étudiant pour l’apprentissage littéraire » (p. 203).

Toutefois, bien que la réécriture ait déjà été étudiée par des didacticiens, d’autres études sont nécessaires pour en dégager toutes les retombées (Bessonnat, 2000 ; Houdart-Mérot, 2008 ; Leclaire-Halté, 2009), notamment pour développer la posture d’auteur chez les élèves. À l’ordre secondaire, aucune étude québécoise à notre connaissance n’en a fait l’objet principal de recherche. Il n’y aurait que Beaudry et Huneault (2011) qui ont expérimenté et étudié l’écriture d’invention, à l’aide d’une tâche de réécriture. Cependant, le propos de leur expérimentation portait davantage sur la lecture littéraire. Sorin (2005), quant à elle, a élaboré un dispositif didactique, que nous nommons Hypertextualité, alliant lecture et réécriture dans le but d’enrichir la didactique de l’écriture littéraire au primaire. Nous avons obtenu son autorisation pour utiliser son dispositif didactique au secondaire. Nous avons donc entrepris une recherche exploratoire à visée descriptive afin de tester le dispositif didactique élaboré par Sorin (2005), que nous avons modifié pour l’adapter aux jeunes adultes, une population avec laquelle peu de recherches sont réalisées et pour laquelle de nouveaux outils d’enseignement moins contraignants de l’écriture doivent être créés (Tauveron, 2002a). En effet, les jeunes raccrocheurs ont un profil bien à eux (Janosz, 2002), ce qui mènerait à une différenciation des approches promues par les centres de formation (Lepitre, 2007). Le modèle d’enseignement traditionnel étant très présent dans ce milieu, des pratiques variées gagnent à être expérimentées. De plus, la clientèle des raccrocheurs est très rarement étudiée sous un angle didactique, la plupart des recherches abordant les motifs du décrochage et du raccrochage (Boulanger et Larose, 2013).

Aux fins de cet article, nous n’abordons que le second objectif de notre recherche qui était de vérifier si ce dispositif didactique favorise une posture d’auteur et, si tel est le cas, dans quelle mesure cette posture est présente. Nous nous arrêtons en particulier aux moyens méthodologiques de la circonscrire (Boily, 2014 ; Tauveron et Sève, 2005). Nous présentons d’abord le cadre de référence sur lequel s’appuie notre recherche. Nous poursuivons avec les aspects méthodologiques, et ce, en incluant une description des outils employés pour évaluer la présence ou l’absence de la posture d’auteur chez les sept participants. Enfin, nous présentons et discutons certains des résultats obtenus.

CADRE DE RÉFÉRENCE

Les formes de réécriture

Comme le souligne Le Goff (2006), « la réécriture du texte d’élève est souvent envisagée sous l’angle d’une amélioration de la production » (p. 2) en visant notamment des améliorations d’ordre morphosyntaxique. Pourtant, la réécriture peut être envisagée et définie comme le fait d’écrire à nouveau, mais en le modifiant, un texte de son propre cru ou d’un autre auteur, en allant ainsi au-delà du simple processus de révision (Petitjean, 2003). Plusieurs formes de réécriture peuvent être relevées en contexte d’écriture littéraire. D’abord, une « révision en différé » (Le Goff, 2008, p. 25) permet de donner de nouvelles orientations au texte ou encore des versions très divergentes avec des effets très variés sur le lecteur, propres à la « maturation inhérente à la production d’un écrit de fiction » (Le Goff, 2005, p. 188). Cette forme de réécriture implique un seul auteur qui fait diverses versions d’un même texte. Une autre forme de réécriture met en scène plusieurs auteurs, par exemple un élève qui fait une variation d’un conte de Perrault, auteur connu (Le Goff, 2005, 2008). Dans cette forme-ci, l’élève réécrit un texte « sur le mode de la transposition d’un texte d’auteur » (Le Goff, 2005, p. 185). Petitjean (2003) détaille cette seconde forme de réécriture en traitant de tâche d’imitation ou de transformation textuelle : l’imitation reprend en majorité des éléments du texte source (par exemple, réécrire un passage de l’histoire en changeant de point de vue), tandis que la transformation, quant à elle, modifie le texte ou l’histoire plus en profondeur (ex. : réécrire sur un mode parodique).

En conséquence, la réécriture exige une lecture préalable d’un texte déjà existant. La lecture du texte de départ, l’hypotexte, est orientée en fonction de la tâche à accomplir ; l’écriture d’un nouveau texte, l’hypertexte, suit cette lecture (Petitjean, 2003). Une telle activité devrait amener les élèves à

percevoir que la copie ou l’emprunt [en partie] ne sont pas des actes répréhensibles, mais qu’au contraire le produit narratif d’un auteur est toujours une forme de « compost », le lieu d’entassement, [de] digestion, [de] régurgitation, [de] composition, [de] décomposition d’œuvres antérieures, empruntées, citées, remodelées, détournées. (Tauveron et Sève, 2005, p. 28)

Ainsi, la réécriture implique une relation lecture-écriture extrêmement riche et importante : la lecture sert alors de support à l’écriture. Bessonnat (2000), Leclaire-Halté (2009) ainsi que Tauveron et Sève (2005) soulignent d’ailleurs l’étroite relation entre la lecture et l’écriture dans les tâches de réécriture ; cette relation doit se vivre comme un mouvement interactif et itératif, un alimentant l’autre, et ce, à plusieurs reprises.

La posture d’auteur

La pratique de la réécriture redéfinit le rôle de l’élève dans ce contexte d’écriture littéraire : elle vise à lui faire adopter une posture d’auteur. L’élève doit alors s’assumer en tant qu’auteur :

La notion d’auteur, et pas simplement celle de scripteur, génère le terme posture auctoriale qui signifie une position assumée plus ou moins explicitement par un scripteur qui se porte garant de ses écrits à effet littéraire dans la mesure où il envisage le contexte de réception et qu’il ménage des effets sur son lecteur. (Lebrun, 2007b, p. 384)

Pour Margallo (2009), amener l’élève à adopter des « attitudes » d’auteur signifie l’amener à bien connaître « les œuvres du genre dans lequel son travail s’inscrit » (p. 204), l’amener à dialoguer avec les autres auteurs et à penser aux lecteurs. Ainsi, il est important que l’élève prenne conscience de l’effet qu’il veut produire sur le lecteur et qu’il possède une banque consciente de procédés stylistiques et littéraires, souvent source d’intertextualité, qu’il peut utiliser à bon escient, sauf à être conscient de ses ratés (Lebrun, 2007b ; Tauveron, 2002b ; Tauveron et Sève, 2005). Ainsi, l’élève doit avoir une intention artistique (Genette, 1997 ; Tauveron, 2002b). En outre, il doit assumer ses choix d’auteur et être en mesure de les expliciter à une autre personne ; cela lui permet de clarifier et d’évaluer son projet d’écriture, son projet d’auteur. Il importe cependant que l’élève ait conscience que le lecteur empirique (Eco, 1989) n’est pas toujours un reflet du lecteur modèle (Eco, 1989 ; Tauveron et Sève, 2005) : ce lecteur empirique, réel, a sa propre réception du texte produit.

Dans leurs travaux menés auprès d’élèves du primaire, Tauveron et Sève (2005) identifient deux indicateurs permettant de juger de la présence ou de l’absence de la posture d’auteur chez un élève :

[t]oute explicitation de choix (quelle que soit la pertinence de ce choix)… parait manifester une posture d’auteur, a fortiori quand ce choix est accompagné d’une justification (en relation avec l’effet à produire sur le lecteur ou éventuellement produit chez le scripteur lui-même ; par appui mimétique sur des conduites repérées d’auteurs, par exemple). (p. 35)

Cette notion de choix constitue le premier indicateur de la présence d’un projet d’auteur, que ce choix soit justifié ou non par l’élève. Le second indicateur de l’adoption de la posture relève d’une volonté d’établir un jeu avec le lecteur : c’est la prise en compte, par l’élève qui écrit, du lecteur modèle, entre autres à travers des jeux intertextuels délibérés de la part du scripteur, des allusions à d’autres textes (Tauveron et Sève, 2005). La présence de ces deux indicateurs dans le discours d’un scripteur signifierait, selon Tauveron et Sève (2005), que l’élève a adopté une posture d’auteur. Bien que ces indicateurs aient été dégagés à la suite de travaux menés en écriture littéraire auprès d’élèves du primaire, ils demeurent pertinents pour des élèves du secondaire placés dans une tâche d’écriture littéraire requérant l’adoption d’une posture d’auteur.

Ainsi, en plaçant l’élève dans un contexte d’écriture qui est susceptible de lui faire adopter une posture d’auteur, nous cherchons à l’amener à employer des stratégies que peuvent employer les auteurs, de même qu’à assumer certaines responsabilités qui incombent à l’emploi de cette posture d’auteur. Il ne s’agit pas tant, pour l’élève, de prouver sa maitrise de la langue ou des savoirs scolaires, mais plutôt de « faire l’expérience de créer un monde, de provoquer des émotions, d’égarer ou amuser un lecteur, de projeter des fantasmes, des chimères, de défendre ou de provoquer des valeurs » (Chabanne, 2005, p. 135). Comme le souligne Rancière (1987) à propos de la leçon émancipatrice de l’artiste, adopter une posture d’auteur, de créateur, « ne veut pas dire : faire des tragédies égales à celles de Racine, mais employer autant d’attention, autant de recherche de l’art pour raconter ce que nous sentons et le faire éprouver aux autres à travers l’arbitraire de la langue ou à travers la résistance de toute matière à l’œuvre de nos mains » (p. 120). L’enjeu n’est pas de faire de l’élève un auteur au sens littéraire, mais plutôt d’utiliser cette posture dans une perspective didactique, afin d’engager l’élève dans ses apprentissages (Daunay, 2011), voire de s’approcher d’une expérience esthétique.

MÉTHODOLOGIE

Participants

Notre recherche exploratoire à visée descriptive a été menée auprès d’un groupe participant à un atelier sur l’écriture littéraire d’une durée totale de 25 heures, formé de volontaires et dirigé par l’enseignante chercheuse. La population visée se compose principalement de jeunes raccrocheurs inscrits au secondaire dans une école d’éducation aux adultes de Montréal. Les élèves invités à participer à l’atelier ont à maitriser le texte narratif dans le cadre du cours de français qu’ils suivent. Si 12 élèves se sont inscrits à l’atelier et y ont été admis, seulement sept ont réalisé l’ensemble du protocole de recherche en incluant le prétest et le posttest ainsi que l’entrevue.

Des sept participants, un seul était de sexe masculin. Quatre de ces élèves bénéficiaient de programmes gouvernementaux subventionnant leurs études, ce qui a pu augmenter l’âge moyen de nos participants (24,6 ans) — notre plus jeune élève avait 16 ans et le plus âgé, 36 ans. Trois participants étaient parents d’enfants. Par ailleurs, six participants sont des élèves francophones, de langue maternelle française, et une participante est une élève allophone scolarisée dans son pays (niveau universitaire), mais n’arrivant pas à se trouver un emploi dans le contexte québécois.

Dispositif didactique mis en place

Le dispositif didactique mis en place dans cet atelier a été élaboré à partir de celui de Sorin (2005), qui illustrait son dispositif à l’aide du conte. Nous avons conservé le conte pour travailler la réécriture, d’abord en raison d’une étude qui a soulevé l’absence d’intérêt des élèves du secondaire envers celui-ci lorsqu’il était abordé dans un cadre traditionnel (Dubois Marcoin, 2007). De plus, le conte étant un genre de texte souvent lu dès la petite enfance (Duguay, 2004), cela pouvait contribuer à augmenter les connaissances préalables des élèves à son sujet, surtout intertextuelles, et faciliter la mise en place de notre dispositif (Sorin, 2005 ; Tauveron et Sève, 2005).

Ce dispositif de Sorin (2005) a été créé pour des jeunes du primaire, nous l’avons donc modifié pour l’adapter aux participants et à la logistique de l’atelier dans le centre d’éducation des adultes. Premièrement, nous avons choisi de donner des pistes de réflexion aux élèves pour l’analyse des œuvres lues. Sorin (2005) le suggérait implicitement, car elle souhaitait faire ressortir les traces d’intertextualité dans les œuvres lues. Dans notre cas, nous y avons procédé en amenant les élèves à avoir des discussions orientées par l’enseignante sur les œuvres (Margallo, 2009) en grand groupe principalement, vu la taille réduite de celui-ci, mais aussi parfois en sous-groupes. Les pistes devaient permettre une discussion esthétique, tout comme le prônait Sorin (2005), et non pas amener l’élève à fournir une réponse toute faite attendue par l’enseignant (Dias, 1992).

Deuxièmement, nous avons décidé d’intégrer l’écriture plus tôt dans la séquence et d’augmenter sa fréquence pour favoriser la réussite de la tâche d’écriture de l’élève (Tauveron, 2005). Notre dispositif étant implanté sur une période de sept semaines dans notre cas, à raison de deux cours de deux heures par semaine, prévoir des moments variés d’exercice des compétences scripturales et lectorales était pertinent.

Troisièmement, toujours dans une quête d’une vision esthétique de l’œuvre chez l’élève, et moins scolaire (Dias, 1992), nous avons décidé de faire un retour sur la tâche d’écriture (Tauveron, 2005), pertinente en particulier si la réflexion métalinguistique est plus riche que le texte écrit (Lebrun, 2007a ; Sève, 2004 ; Sorin, 2005). Toutefois, notre retour final s’est plutôt fait de façon individuelle entre l’enseignante et l’élève, et ce, systématiquement pour tous les contes finaux écrits (posttest). D’un point de vue logistique, l’enseignement aux adultes étant individualisé, un retour individuel s’ancre mieux dans la culture scolaire et ne nuit pas au déroulement de plusieurs classes d’où proviennent les élèves de l’expérimentation. D’un point de vue méthodologique, une entrevue un à un entraine moins de gêne et de retenue chez les élèves qu’un retour collectif (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1995). Plus encore, nous ne cherchions pas une information sur le groupe, mais bien sur le sujet, et nous devions donc nous attarder au sujet lui-même et non pas à la réaction du groupe (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1995). À notre avis, ces trois modifications ont permis de tester notre dispositif dans des conditions optimales tout en récoltant les données sur le sujet qui nous intéresse.

Nous avons ensuite procédé à un pilote afin de valider les modifications apportées au dispositif et les outils de collecte de données. Dans le Tableau 1, nous illustrons la démarche générale définitive du dispositif qui a été mis en place, démarche adoptée de Sorin (2005). Les étapes 1 à 6 peuvent se répéter en fonction du temps disponible et des besoins d’apprentissage des élèves. L’atelier s’est déroulé sur un total de 13 cours de deux heures.

TABLEAU 1. Démarche générale du dispositif

Démarche adoptée

Précisions

Étape 0 : L’écriture selon des consignes données par l’enseignant

Écriture d’un conte (prétest)

Étape 1 : Lire la 1re œuvre

Conte connu des frères Grimm

Étape 2 : Analyser l’œuvre lue (avec des pistes)

Analyse personnelle

Discussion en grand groupe des différentes interprétations dirigée par l’enseignant en donnant des pistes de réflexion et de discussion

Ex. : Est-ce l’histoire que vous connaissiez ? Sinon, en quoi diffère-t-elle de celle que vous connaissiez déjà ?

Étape 3 : Réécriture d’une partie d’un conte connu (la fin)

Les élèves doivent choisir un conte de leur enfance et en réécrire la fin à la manière des frères Grimm

Étape 4 et 5 : Lire et analyser les œuvres lues (avec des pistes)

Refaire les étapes 1 et 2 pour le même conte, mais de Perrault

Donner des pistes de réflexion et de discussion

Ex. (étape 5) : En quoi cette version de Perrault ressemble-t-elle à celle des frères Grimm ?

Étape 6 : Retour sur la tâche d’écriture

Retour sur la tâche d’écriture en grand groupe pour favoriser une posture d’auteur (de chaque texte écrit) et de lecteur esthétique (pour les autres élèves et pour l’enseignant)

Étape 7 : La réécriture selon des consignes données par l’enseignant

Écriture d’un conte (posttest)

Étape 8 : Retour sur la tâche d’écriture

Discussion entre l’enseignant et l’élève portant sur son projet d’auteur et les effets recherchés auprès du lecteur, le cas échéant


Une tâche avec la même consigne a été donnée en début et en fin d’atelier (étapes
 0 et 7). Les participants devaient écrire un conte selon les instructions suivantes : « Vous devez écrire un conte merveilleux d’au moins 350 mots en vous basant sur ce que vous savez déjà de ce genre de texte. Vous avez trois heures pour le faire. Bonne rédaction ! »

Instrument de collecte de données

L’un des objectifs poursuivis par cette recherche était de vérifier si le dispositif didactique mis en place favorise une posture d’auteur chez les élèves du secondaire et, le cas échéant, dans quelle mesure elle est présente. Nous présentons spécifiquement l’instrument de collecte de données en lien avec cet objectif. Une entrevue semi-dirigée a été réalisée par l’enseignante chercheuse avec chacun des participants. Lors de cette entrevue, les participants devaient réaliser un retour oral sur la tâche de réécriture donnée à l’étape 7. Chaque participant a donc été questionné sur ses intentions d’auteur, afin de vérifier la présence ou non d’un projet d’auteur. Les questions qui ont été posées à tous les participants sont les suivantes :

1. Parle-moi de ton texte.

2. Peux-tu m’expliquer certains des choix que tu as faits dans ta rédaction ? Quels sont ces choix ? Pourquoi ?

3. Quand tu as retravaillé ta copie, quels sont les éléments sur lesquels tu t’es concentré(e) ? Pourquoi ?

4. T’es-tu inspiré(e) d’autres œuvres que tu connais dans ta rédaction ? Si oui, lesquelles et comment ? Sinon, pourquoi ?

5. Qu’as-tu aimé dans cette activité ? Qu’as-tu moins aimé, trouvé difficile ? Pourquoi ?

6. Quel genre de scripteur es-tu ? Comment écris-tu ?

7. Avais-tu un projet d’auteur clair ? Quel était-il ? Le trouves-tu réussi ? »

De telles questions s’appuient sur les deux indicateurs de Tauveron et Sève (2005) ; la présence ou l’absence du projet d’auteur a donc pu être établie par la suite lors de l’analyse des données.

Analyse des données

Les transcriptions des sept entrevues réalisées ont fait l’objet d’une analyse qualitative, plus précisément une analyse de contenu à partir d’unités de sens (L’Écuyer, 1990). Cette dernière a été employée par Tauveron et Sève (2005) pour déceler les propos des élèves qui révèlent d’une posture d’auteur. En arts, Lemonchois (2003) s’est aussi servi de l’analyse de contenu sur des propos de créateurs pour cerner leur processus de création. Nous avons donc adopté cette méthode.

La grille de codage a été élaborée en fonction de trois catégories de codes. La première catégorie de codes relève du premier indicateur de Tauveron et Sève (2005), soit le choix en tant qu’auteur (Tableau 3 dans l’Annexe). La deuxième catégorie de codes regroupe des codes qui indiquent que l’élève a souhaité établir un jeu avec son lecteur (Tableau 4 dans l’Annexe), deuxième indicateur selon Tauveron et Sève (2005). Enfin, la troisième catégorie de codes regroupe des codes qui soulignent l’absence d’un projet d’auteur (Tableau 5 dans l’Annexe). Toutes les données recueillies ont fait l’objet d’un codage et d’un contrecodage, le taux d’accord interjuge étant de 88,43 %.

RÉSULTATS ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

D’une posture de scripteur à une posture d’auteur

L’analyse des résultats nous permet de distinguer les participants ayant un projet d’auteur de ceux qui n’en ont pas exprimé de manière tangible, reconnaissable dans leur discours. Comme le soulignent Tauveron et Sève (2005), pour considérer qu’un élève a un projet d’auteur et qu’il adopte donc une posture d’auteur, les deux indicateurs doivent figurer dans son discours ; un ou plusieurs codes des deux premières catégories doivent être présents (Tableau 2). Pour être considéré comme n’ayant pas de projet d’auteur, aucun des deux indicateurs ne doit se trouver dans le discours du participant. La présence d’un code relevant de l’absence de projet d’auteur, comme Écrire pour répondre à la consigne (ERC), ne suffit pas.

Pour le premier indicateur (Choix d’auteur), les codes suivants sont apparus dix fois ou plus : INA (26), CCO (33), CDR (34), BPA (18), HABD (10) et HABM (14). Pour le second indicateur (Jeu avec le lecteur), seul le code LMA a été fréquent (16). Il semble que plusieurs codes reliés au premier indicateur, dont le code CCO, soient présents en grand nombre de même que celui primordial pour le second indicateur, LMA. Ainsi, de nombreuses traces de projet d’auteur sont relevées dans les entrevues. Afin de mieux saisir la teneur des propos des participants, nous donnons un exemple pour chacun des codes très fréquents (10 ou plus) à l’Annexe (Tableau 6).

Toutefois, en prenant les résultats individuellement, nous constatons que la forte présence des codes CCO (premier indicateur) et LMA (deuxième indicateur) ne concerne pas tous les participants (voir Tableau 2).

TABLEAU 2. Occurrences des deux principaux codes liés aux indicateurs pour chaque participant

Indicateurs

Élève 1

Élève 2

Élève 3

Élève 4

Élève 5

Élève 6

Élève 7

Indicateur 1 : mentions du code Conscience des choix opérés (CCO)

5

5

12

2

4

2

3

Indicateur 2 : mentions du code Lecteur modèle anticipé et considéré (LMA)

2

2

5

0

5

0

2


En effet, deux participants (les élèves
 4 et 6) ne semblent pas avoir fait mention d’un jeu avec le lecteur (deuxième indicateur). Ils ont néanmoins mentionné des choix qu’ils ont effectués. Ces deux participants seraient ainsi dans une posture de scripteur et non pas d’auteur, puisqu’ils n’affichent pas les deux indicateurs de projet d’auteur de Tauveron et Sève (2005).

Des nuances dans la posture d’auteur

L’analyse des résultats en lien avec les rédactions des élèves nous amène cependant à établir quelques nuances dans la présence ou l’absence de la posture d’auteur. Nous proposons ainsi une classification plus nuancée :

1. Posture d’auteur pleinement assumée et consciente : Pour ce faire, on doit relever la présence des deux indicateurs de Tauveron et Sève (2005) jumelée à une explicitation de la part de l’élève, notamment du motif derrière ses choix, de son style d’écriture ou de ses habitudes (Barthes, 1953/1972 ; Tauveron et Sève, 2005).

2. Posture d’auteur présente : Les deux indicateurs de Tauveron et Sève (2005) sont relevés dans le discours de l’élève, sans que celui-ci ne développe ses choix.

3. Balbutiement de projet d’auteur : Pour considérer qu’un élève a un balbutiement de projet d’auteur, un des deux indicateurs de Tauveron et Sève (2005) est présent dans son discours.

4. Absence de projet d’auteur : Pour considérer que l’élève n’adopte pas une posture d’auteur, mais qu’il reste scripteur, on relève une absence des deux indicateurs de Tauveron et Sève (2005).

En effet, nous constatons que les cinq élèves se classant comme ayant un projet d’auteur, et donc présentant les deux indicateurs de Tauveron et Sève (2005), ne semblent cependant pas avoir le même degré d’investissement dans leur écriture ni le même degré de réflexion sur leur statut d’auteur. Certains participants ont fait montre d’un niveau plus élevé de réflexion sur leur texte, mais surtout sur eux-mêmes en tant qu’auteurs. Pour nous, les élèves 3, 5 et 7 démontraient cette posture d’auteur pleinement assumée et consciente lors de l’entrevue. Bien que certains éléments aient été présents pour tous les élèves comme les habitudes de scripteurs, seuls les élèves 3, 5 et 7 explicitaient presque systématiquement leurs choix et avaient conscience de leur style, ou du moins en faisaient part lors de l’entrevue. Les propos de l’élève 3 sont éclairants quant aux éléments pouvant être retrouvés lors d’une telle posture :

Mes idées, je les trouve par personnage. En fait, dans ma tête, j’ai une banque de 50 personnages de faits. Ensuite, quand je fais une histoire, je vais piger dedans et je fais juste la continuité de ce que le personnage aurait pu vivre s’il avait eu une autre vie, mais j’ai une banque de 50 personnages environ déjà pré… prémontée dans mon petit cerveau. En fait, je monte par personnage et pas par histoire. Elle s’appelle Clémentine. C’est une… une Russe. Voilà ! J’ai juste repris le personnage et je l’ai mis, mais comme on n’a pas beaucoup de caractéristiques, c’était plus facile (Élève 3, question 6).

Une telle complexité méthodique dans les procédures d’écriture n’a pas été relevée chez tous les participants de notre recherche.

Voici ce que dit pour sa part l’élève 2 dans son entrevue :

Bien le fait que le petit garçon ait trouvé un mari pour la fille, je trouve ça quand même original, que ce ne soit pas elle qui l’ait trouvé toute seule, que ce soit un petit garçon qu’elle ne s’attendait [sic] pas. (Élève 2, question 7)

Nous décelons tout de même des traces évidentes de projet d’auteur ici, bien qu’il ne soit pas élaboré. D’ailleurs, nous devons relever une limite de notre recherche en étudiant le cas de l’élève 2. Tout au long du dispositif, mis à part lors du prétest et lors du posttest, cet élève avait des projets d’auteur hors du commun selon l’enseignante chercheuse. L’élève 2 lui-même l’affirme dans son entrevue à la question 7 : « Je voulais juste écrire une histoire. Tout simplement. Il y en a qui ont des buts en partant. Mais habituellement, moi aussi j’ai des buts, mais là aujourd’hui c’était j’écris une histoire, c’est tout ». À d’autres moments dans son entrevue, cet élève a démontré que la conscience de l’évaluation était très forte pour lui. Le texte du posttest n’est donc pas représentatif de la qualité des textes produits par cet élève tout au long du dispositif, et il en est très conscient, ce qui relève aussi d’une posture d’auteur (Tauveron et Sève, 2005).

Il ressort de notre analyse croisée avec les rédactions des élèves 4 et 6 qu’elles présentaient toutes les deux un projet d’auteur. Ainsi, l’élève 6 fait montre d’un balbutiement de projet d’auteur, tandis que l’élève 4 diffère : elle fait plutôt montre d’une posture assumée. Son conte s’avère hors du commun et sa définition de son projet d’auteur est claire et concise, bien que peu développée dans l’entrevue. Elle ne parle pas de façon explicite de son lecteur modèle dans son entrevue, mais il s’agit fort probablement de sa conjointe. Elle est très consciente de vouloir écrire un conte avec deux princesses au lieu du couple traditionnel et elle s’est grandement inspirée de sa conjointe. Voici ce qu’elle affirme à propos son conte : « Bien oui, bien ça parlait de ma copine là. Fait que je l’ai décrit dans le texte. Puis, les chevreuils bien ça vient d’elle parce qu’elle aime la chasse. Puis, c’est ça. » (Élève 4, question 5).

Le manque de métalangage pour exprimer son projet d’auteur est une explication possible au décalage entre l’analyse du conte de cette élève et celle de son entrevue. En outre, plusieurs traces intertextuelles de contes et d’autres genres de texte, comme Le Délire de Somerset (Vachon, 2001), sont relevées. La lecture de son texte combinée à l’entrevue pourrait laisser croire que cette élève n’a tout simplement pas transmis toute la richesse de son projet d’auteur lors de l’entrevue.

Bien que les généralisations ne soient pas possibles, nous pouvons malgré tout affirmer que le dispositif a fait ressortir la présence d’une posture d’auteur chez nos participants, que cette dernière soit pleinement assumée ou en voie de le devenir. Cependant, l’absence d’une entrevue à la suite du prétest, similaire à celle réalisée en fin de parcours, ne nous permet pas de statuer sur un changement de posture chez l’élève entre le début de l’atelier et la fin : nous ne pouvons que nous pencher sur l’état du projet d’auteur chez les participants à la suite du dispositif. Par ailleurs, le manque de métalangage (Beaudry et Huneault, 2011) peut également expliquer certains résultats. En effet, les élèves ne trouvent pas toujours les mots pour parler de leurs processus ou de leur projet d’écriture. Le manque de métalangage a ainsi pu brouiller le classement de l’élève 4. La lecture de son texte a toutefois permis de comprendre toute la richesse de son projet d’auteur, ce que son entrevue ne laissait pas paraitre en entier.

L’entrevue : un outil à intégrer dans la pratique de la réécriture

Alors que nos résultats montrent que tous les élèves avaient un projet d’auteur, plus ou moins élaboré selon le cas, il parait essentiel de soulever l’importance de l’entrevue dans l’établissement de ce constat (Tauveron et Sève, 2005). En plus de permettre d’identifier la présence de la posture d’auteur chez le participant, l’entrevue a permis de cerner des nuances dans les projets, là où une simple lecture du texte de l’élève aurait parfois échoué. Par exemple, pour l’élève 6, l’enseignante chercheuse ne connaissait pas le texte source à la base de la réécriture opérée (le film Percy Jackson de Columbus [2010]). Sans cet échange postrédaction avec l’élève, elle n’aurait pas relevé les nombreuses traces intertextuelles et l’intention artistique derrière le texte. Bien que son projet d’auteur soit à un stade de balbutiements, l’aspect intertextuel délibéré du participant a été révélé par celui-ci à l’enseignante chercheuse. L’entrevue gagne donc, selon nous, à être intégrée à la pratique de réécriture. Le rôle d’évaluateur de l’enseignant est d’autant plus modifié de sa version traditionnelle (Lebrun, 2007a ; Sève, 2004 ; Sorin, 2005) qu’il repose, selon nous, sur un échange enseignant-élève auteur en plus que sur la production écrite de l’élève. Autrefois vue comme un objet figé — donc amenant un jugement immédiat — une fois produite, elle est plus interactive. En ce sens, Sorin (2005) affirme que l’enseignant doit passer du stade de correcteur à celui de « lecteur, voire de l’interprète » (p. 72) du texte littéraire de l’élève. Selon nous, l’entrevue ou la discussion postproduction avec l’élève facilite cette compréhension du texte de l’élève.

En outre, les entrevues ont permis de relever que plusieurs participants sont en mesure de décrire leur style d’écriture (Barthes, 1953/1972). Ils abordent ouvertement leurs habitudes d’auteur (codées HABM) ainsi que les transgressions à ces dernières (codées HABD). L’ensemble des sept participants a abordé le sujet de son écriture en ce sens. Des propos tels que ceux de l’élève 2, « [m]ais habituellement, c’est sûr que j’aime ça aller dans des sujets profonds », ou ceux de l’élève 3, « [f]ait qu’habituellement mes textes sont beaucoup plus… oui… violents et perturbants », dénotent une bonne connaissance de soi en tant qu’auteur. Pour Barthes (1953/1972), certains éléments sont essentiels à l’établissement du style d’un auteur :

La langue est donc en deçà de la Littérature. Le style est presque au-delà : des images, un débit, un lexique naissent du corps et du passé de l’écrivain et deviennent peu à peu les automatismes mêmes de son art. Ainsi, sous le nom de style, se forme un langage autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète de l’auteur dans cette hypophysique de la parole, où se forme le premier couple des mots et des choses, où s’installent une fois pour toutes les grands thèmes verbaux de son existence (p. 16).

Lors de l’étude des verbatims des entrevues réalisées avec nos participants, nous avons noté la forte présence du matériau privé dans les productions écrites, pour quatre d’entre eux plus précisément. L’élève 7 a souvent eu recours à ce matériau au cours du dispositif, et cela inclut le posttest :

Mais attends… mon imaginaire, mais par rapport à Montréal, le Mont-Royal, et ma vie par rapport que je viens du Nord et le père de ma fille venait du Sud. C’est peut-être… un lien personnel, plus qu’un lien historique. Ouais, et il y a la montagne entre les deux. Moi, je viens vraiment d’une ville qui est vraiment de l’autre côté et lui il vient de la Rive-Sud. Fait que c’est vraiment, ça part plus de là (Élève 7, question 4).

Source d’inspiration, le fait vécu permet de personnaliser le texte de l’auteur ; l’élève 7 le fait en employant également la mythologie — et sa conscience de cette combinaison d’éléments récurrente dans son écriture met à nu son style. Tauveron et Sève (2005) écrivent qu’« [ê]tre auteur en classe, ce n’est pas se contenter de reproduire des modèles, c’est aussi trouver sa propre poétique » (p. 20). Plusieurs élèves, comme l’élève 7, en sont capables. Les entrevues permettent ainsi de prendre conscience de la richesse des réflexions sur leurs écrits faites par les participants, ce qu’une analyse seule de la rédaction finale n’aurait pas permis de déceler.

LIMITES ET CONCLUSION

Quelques limites doivent être soulignées. Notre recherche est de type exploratoire ; aucune généralisation ne peut en être tirée à ce stade-ci, mais nos résultats préliminaires montrent l’intérêt de poursuivre l’étude et l’adaptation de notre dispositif didactique. Le faible nombre de participants de notre recherche représente un biais certain que nous avons tenté de limiter. Nous croyons toutefois que le dispositif didactique gagnerait à être remis à l’essai sur un plus grand nombre de participants, en intégrant l’entrevue comme pratique didactique. Cette remise à l’essai permettrait aussi de valider les nuances observées dans les postures d’auteur.

Bien que menée sur sept participants, cette recherche exploratoire a permis de constater que ceux-ci ont adopté une posture d’auteur, et ce, à des degrés différents. Ainsi, nos résultats nous amènent à qualifier davantage la présence du projet d’auteur, sans toutefois nous prononcer sur la qualité littéraire ou linguistique de ces textes, puisque tel n’était pas notre objectif. L’élève peut ainsi adopter une posture d’auteur en faisant mention de son lecteur modèle et en soulignant des choix qu’il a effectués comme auteur, tel que le décrivent Tauveron et Sève (2005). Cette posture peut aussi être pleinement assumée et consciente : non seulement l’élève parle de son lecteur modèle et de certains choix qu’il a effectués, mais en plus il est conscient de ses habitudes d’auteur, de son style. Si nous comprenons mieux comment l’élève peut adopter une posture d’auteur, d’autres recherches demeurent essentielles pour déterminer les impacts de l’adoption de cette posture, entre autres sur la qualité littéraire et linguistique des textes des élèves, de même que sur leurs représentations en écriture et leur motivation à réaliser des tâches d’écriture. De plus, cette étude ouvre la voie à une réflexion plus approfondie sur les pratiques didactiques à utiliser pour développer la compétence à écrire auprès des raccrocheurs à la formation générale des adultes.

Par ailleurs, il ressort également de cette recherche que l’entrevue constitue un outil méthodologique utile, mais qui gagnerait à être intégrée dans une pratique de réécriture. Combinée à des discussions de groupe dans le dispositif, elle favorise grandement l’étayage et la métacognition, ou ce que Reuter (2009) appelle « l’articulation entre faire et réflexion sur le faire » (p. 81). Ce serait selon ce chercheur un des éléments-clés pour dépasser le conditionnement socioéconomique. Qui plus est, intégrée minimalement au début, au milieu et à la fin de l’expérimentation, l’entrevue permettrait à l’enseignant de cerner de manière plus adéquate la posture d’auteur de ses élèves — et même son évolution.

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ANNEXE A

Tableau 3. Codes liés à l’indicateur de choix d’auteur

Définition et abréviation des codes

Fréquence

Conscience des difficultés rencontrées (CDR)

34

Conscience des choix opérés (CCO)

33

Intention consciente d’auteur (intention artistique) (INA)

26

Balbutiements de projet d’auteur (BPA)

18

Parle d’habitudes d’écriture ou d’habitudes d’écriture maintenues (HABM)

14

Déroge à des habitudes d’écriture reconnues (HABD)

10

Limité par le nombre de mots / peur des fautes (MOT)

9

Difficulté à trouver une idée / manque inspiration (INS)

8

Travail sur la langue (LAN)

8

Conscience de la contrainte du temps / limite à l’expression (TEM)

7

Travail sur les éléments magiques / merveilleux (MERV)

7

Avoir beaucoup d’imagination, d’idées (IMA)

5

Fait des liens intertextuels / comparaisons avec d’autres auteurs ou textes (ECRI)

5

Conscience de l’évaluation (EVA)

5

Volonté de ne pas plagier (PLAG)

4

Écriture psychologique / psychologie des personnages (PSY)

4

Amour de l’écriture (AMO)

4

Travail sur la cohérence (COH)

3

Parle de son texte à la première personne du singulier (JE)

3

Consigne vague (VAG)

3

Travail en fonction des commentaires de l’enseignante (ENS)

2

Affirmation de base sur le projet d’auteur : oui (OUI)

2

Affirmation de base sur le projet d’auteur : je ne sais pas (NSP)

2

Met des descriptions (DES)

2

Travail sur les idées (IDE)

2

Conservatrice (COE)

2

Écriture libératrice (LIB)

2

Écrit des histoires en accord avec mes valeurs (VAL)

1

Apprécie plus le fantastique (FAN)

1

Banque de personnages (BAN)

1

Paresseux (PAR)

1

Pas de difficulté rencontrée (0DIF)

1

 

 

Tableau 4. Codes liés à l’indicateur de jeu avec le lecteur

Définition et abréviation des codes

Fréquence

Conscience de l’effet désiré sur le lecteur (réception esthétique) /
Lecteur modèle anticipé et considéré (LMA)

16

Intertextualité : Conte spécifique (CON)

8

Inspiration divine / révélation (REV)

8

Fait vécu (FAIT)

5

Intertextualité : Connaissance commune sur le conte (CCC)

4

Intertextualité : Autres genres de textes (ATT)

4

Aucun texte / mon imagination (AUC)

4

S’inspirer d’une personne connue comme un fils ou une conjointe (PERSO)

3

Intertextualité : Cinéma (CIN)

2

Intertextualité : Chanson (CHAN)

2

Phrase (PHR)

2

Intertextualité qui aide en cas de problem/blocage (BLOC)

1

Intertextualité : Dictionnaire (DIC)

1

 

 

Tableau 5. Codes liés à l’absence de projet d’auteur

Définition et abréviation des codes

Fréquence

Écrire pour répondre à la consigne (ERC)

6

Résume seulement (RES)

5

Parle de son texte à la troisième personne du singulier (IL)

4

Affirmation de base concernant le projet d’auteur : non (NON)

3

 

 

Tableau 6. Codes et exemples de propos pour les codes fréquents

Définition et abréviation des codes

Exemple d’unité de sens correspondante

Intention consciente d’auteur (intention artistique) (INA)

J’aime perturber l’auteur (sic), j’aime quand il lit, il fasse « Oh mon Dieu ! », qu’il soit choqué ou provoquer quelque chose, pas juste qu’il soit neutre en état quand il… quand il le lit. (Élève 3, question 7)

Conscience des choix opérés (CCO)

Euh… J’ai choisi d’incorporer un animal qui parle parce que je trouve que ça met facilement un contexte de conte merveilleux. Un animal qui parle, ce n’est pas courant. (Élève 3, question 2)

Conscience des difficultés rencontrées (CDR)

Puis j’ai toujours beaucoup d’idées. J’ai la tête pleine d’idées, bourrée d’idées alors des fois c’est dur de me lancer. J’ai trop d’idées. (Élève 2, question 6)

Balbutiements de projet d’auteur (BPA)

Bien je me suis déjà dans ma tête en partant… le plan était déjà fait, qu’est-ce qui va arriver. Fait que j’ai écrit comme que je pensais. (Élève 4, question 2)

Déroge à des habitudes d’écriture reconnues (HABD)

Non (pas de projet d’auteur), parce que moi d’habitude j’écris surtout des affaires de princesses, mais là, c’est vraiment le changement. J’avais le gout de faire autre chose, voir qu’est-ce que ça donnerait. (Élève 6, question 7)

Parle d’habitudes d’écriture ou d’habitudes d’écriture maintenues (HABM)

D’ailleurs, c’est… je pense que c’est ça que j’ai un peu fait (comme d’habitude : raccourcir l’histoire). À la fin, j’avais beaucoup de texte à écrire et finalement je me suis dit je vais raccourcir ça, ça va être plus… Oui (j’ai coupé une partie), si on peut dire. Ah, il y avait… il était supposé d’avoir des… des obstacles, mais je ne trouvais pas que c’était assez intéressant. Je trouvais qu’on s’éloignait du sujet. (Élève 1, question 6)

Conscience de l’effet désiré sur le lecteur (réception esthétique)/Lecteur modèle anticipé et considéré (LMA)

… Je me mets à la place du lecteur. C’est ça. Avant, c’était comme normal. Et… et ce cours m’a aidée à découvrir ça, cette sensation, la sensation de… d’être un enfant. De se mettre dans ses yeux, dans sa tête. (Élève 5, question 5)