ÉDITORIAL


La pluralité des savoirs et des démarches est une des caractéristiques du milieu universitaire, notamment en éducation. Elle transparaît encore une fois dans ce numéro de la revue, lui-même le fruit d’une collaboration entre deux institutions montréalaises, l’une anglophone et l’autre francophone.

Cette collaboration est un principe de base de la Revue depuis sa création, en raison de la localisation géographique des deux institutions. Or, au cours de la dernière année, celle-ci a pris une forme plus concrète. Les rédacteurs traversent donc régulièrement le Mont-Royal (grâce au réseau de métro) et se rencontrent parfois sur le campus de McGill, parfois à l’Université de Montréal, pour discuter des manuscrits en processus de révision et des orientations futures.

La plupart des articles que contient ce numéro s’intéressent à trois catégories d’acteurs du monde scolaire (les élèves, les enseignants et les directions d’écoles), mais aussi à des acteurs du monde extrascolaire, c’est-à-dire au personnel des bibliothèques publiques. De même, les auteurs portent-ils leur regard non seulement sur les ordres d’enseignement primaire et secondaire, mais aussi sur les populations d’âge préscolaire (y compris dans les garderies), avec, parfois, un accent sur les milieux socioéconomiques défavorisés. Enfin, ils adoptent des angles d’analyses multiples, aussi bien sociologiques que didactiques, et exploitent tant des démarches qualitatives que quantitatives. Deux des articles abordent le genre comme facteur, en éducation et en administration. En somme, ces neuf articles couvrent un large éventail de cas qui reflètent bien la vigueur de la recherche dans les diverses sciences de l’éducation.

L’article de Myre-Bisaillon, Boudreau, Boutin et Dion s’intéresse aux pratiques visant à favoriser l’éveil à la lecture et à l’écriture (ÉLÉ) d’enfants de zéro à six ans, ainsi qu’aux expériences et perceptions de ceux qui les mettent en pratique dans les bibliothèques publiques desservant les territoires d’écoles primaires ayant un indice élevé de défavorisation socioéconomique. L’article identifie les services et activités offerts pour favoriser l’ÉLÉ, les moyens déployés pour rejoindre les familles visées et pour évaluer l’efficacité de ces moyens, ainsi que la nature et l’importance des partenariats dans ces initiatives. Ces résultats présentent des obstacles auxquels les intervenants qui veulent jouer ce rôle sont confrontés, mais aussi des facteurs qui leur permettent de mieux le remplir, y compris la formation du personnel et la sensibilisation des divers acteurs envers l’importance de cette mission.

La recherche dont Tremblay, Dumoulin, Gagnon et Côté font état dans leur article a aussi pour terrain des milieux où les indices de seuil de faible revenu et de milieu socioéconomique défavorisé sont élevés, c’est-à-dire des MR (« milieux à risque » de décrochage scolaire, notamment). En effet, ses résultats identifient diverses entraves au développement et à la mobilisation des compétences culturelle et métaculturelle des stagiaires : ceux-ci n’ont pas une compréhension critique de leur cheminement culturel — ni des limites de ce dernier — et n’adaptent pas leur pratique au contexte des MR. La recherche dégage des solutions analogues à celles de Myre-Bisaillon et coll., comme la conscientisation des stagiaires et de leurs hôtes aux caractéristiques de leurs propres conditions sociales et culturelles, l’importance et la spécificité d’une action adaptée au contexte des MR et l’adoption d’une posture critique envers leur propre cheminement culturel.

S’appuyant sur les recherches émergentes en netnographie (l’ethnographie dans un contexte de médias sociaux), Lynch a analysé des discussions en ligne (par exemple, sur des babillards électroniques s’adressant aux enseignants) portant sur le programme de maternelle et jardins d’enfants à temps plein (MJTP) et réalisées entre des enseignants à la maternelle travaillant en Ontario. Un élément-clé des discussions — et une source de tension — est le rôle joué par l’éducateur en petite enfance. Celui-ci doit désormais collaborer avec l’enseignant à la maternelle au sein d’une nouvelle équipe éducative créée pour déployer un programme d’apprentissage axé sur le jeu. Dans son article, Lynch jette un regard critique à la fois sur l’utilisation de la netnographie comme outil de recherche qualitative et sur le contenu des discussions entre les enseignants. En effet, l’auteure souligne que les enseignants ont tendance à exprimer leurs opinions plus librement dans les discussions en ligne, en raison de l’anonymat du forum d’échanges.

Roy et Hasni adoptent un point de vue didactique pour analyser le discours d’enseignants de sciences et technologies (S & T) à propos des significations qu’ils attribuent aux modèles et à la démarche de modélisation, notamment ce qui concerne la problématisation, et des raisons pour lesquelles ils recourent à ces modèles et à cette démarche. Ils constatent que les enseignants de S & T interrogés comprennent insuffisamment ces objets disciplinaires et les raisons de leur présence dans les programmes. Comme Tremblay et coll., ils soulignent également l’importance de mieux former les enseignants, la formation visant cette fois l’approfondissement de la compréhension des fondements des modèles et de la modélisation en S & T. Enfin, outre les retombées liées à l’amélioration des programmes de formation à l’enseignement, cet article ouvre aussi des perspectives d’intéressantes recherches en didactique pour les autres disciplines.

L’article de Magnan et Darchinian analyse les récits de vie de jeunes issus de l’immigration récente à Montréal, qui ont fréquenté l’école québécoise francophone et ont choisi d’étudier en anglais au postsecondaire. Les auteurs distinguent deux types de jeunes : ceux issus de l’immigration récente (comme eux) et les francophones québécois. L’expérience scolaire semble ainsi contribuer involontairement à la création ou au maintien de frontières intergroupes entre, d’une part, non-immigrants francophones et, d’autre part, immigrants. Pour certains, cette expérience scolaire et la valeur de la langue anglaise sur le marché de l’emploi, notamment hors du Québec, les amènent à opter pour des programmes postsecondaires en anglais, par exemple. L’article invite à enquêter davantage sur plusieurs questions portant sur la culture d’orientation véhiculée par les pairs et les parents, de même que sur les pratiques des conseillers d’orientation du personnel scolaire. Il soulève aussi, bien sûr, des questions politiques importantes relatives au vivre-ensemble.

Thomas et Mady présentent les résultats d’une étude de cas multiples portant sur l’efficacité de l’enseignement visant un transfert langagier dans un contexte bilingue et multilingue. Les exemples proviennent de trois enseignants ontariens en 3e année, chacun utilisant une approche différente pour aider les élèves à établir des liens entre leur langue maternelle et la langue à apprendre. Un des enseignants se concentre sur la deuxième langue de ses protégés et effectue des transferts vers leur langue maternelle. Un autre met l’accent sur « les possibilités de bilinguisme ». Quant au troisième, il préconise une approche d’alphabétisation globale, impliquant toute l’école. Dans leur article, les auteurs effectuent un parallèle entre le processus de transfert langagier et l’apprentissage d’un instrument à cordes. Chaque corde représente une langue. Lorsqu’une corde est pincée, les autres résonnent. Les auteurs définissent l’enseignant comme un agent facilitateur de l’apprentissage, celui qui aide les étudiants à «faire de la langue une musique», faisant vibrer plus d’une corde à la fois, de manière à favoriser les occasions de transfert.

L’article écrit par Archambault, Grondin et Harnois décrit les tâches accomplies durant dix jours par 12 directions d’écoles primaires de la région de Montréal. Il en ressort entre autres que les tâches administratives occupent deux fois plus de leur temps que les tâches éducatives, bien que les directions d’écoles considèrent l’apprentissage et la pédagogie comme étant importants. Les auteurs soulignent l’importance, pour redresser la situation, de centrer le leadership sur l’apprentissage de tous — ce qui doit se traduire par une augmentation des tâches éducatives et une diminution des tâches administratives confiées aux directions — et de développer chez les directions d’école primaire un mode de gestion participative qui favorise la prise à leur compte, par les enseignants, de leur pratique professionnelle. Les auteurs recommandent aussi de prendre en considération la gestion du temps comme facteur de développement professionnel de ces directions d’écoles.

Alors que les femmes occupent de plus en plus des échelons supérieurs au sein des universités (par ex. : comme directrices ou doyennes, etc.), nous possédons peu d’informations sur les expériences des femmes universitaires en administration scolaire. Wallace et Wallin soulignent que les postes administratifs dans les facultés d’éducation étaient occupés en majorité par des hommes, et ce, jusqu’aux années 1990. Se basant sur une étude plus vaste, cet article présente les préoccupations et les thèmes initiaux et communs au parcours professionnel de dix femmes inscrites dans des programmes d’administration scolaire au Canada. La recherche met en lumière les contributions réalisées par les femmes dans leurs universités et domaines respectifs. Les auteurs s’arrêtent également sur la manière dont ces contributions ont été faites, ces femmes faisant preuve de résilience et demeurant fortes même lorsque rencontrant, dans la plupart des cas, des défis institutionnels et des obstacles à leur leadership et leurs initiatives.

Kukner s’intéresse aussi à la dimension du genre, analysant l’environnement de recherche de trois enseignantes en Turquie, étudiantes graduées, puis nouvelles chercheuses, mettant à profit la théorie de la performativité et une approche narrative-discursive. L’article fait œuvre utile en mettant l’accent sur le temps. Même si les recherches documentent les avantages dont profitent les enseignants activement impliqués dans la recherche portant sur les enseignants, le temps a rarement été systématiquement étudié comme facteur ayant un impact sur ces recherches. L’auteur a découvert que les contraintes temporelles ont un impact central et que les enseignants réagissaient à l’intensification de leur pratique en trouvant un nouveau rythme et en générant un « cycle multitâches ». Quoique la recherche en soi est le but souhaité (Cochran-Smith & Lytle, 2009), celle-ci entre en compétition avec les multiples obligations de l’enseignant et, par conséquent, est analysée avec un préjugé critique et basé sur le genre.

Cette édition présente aussi trois Notes du terrain et deux Critiques de livres. Les Notes exposent en profondeur des visions réfléchies créant un pont entre la recherche, la théorie et la pratique en éducation. Carani, Carani et Strong-Wilson exposent le modèle vraiment inspirant et détaillé d’une réforme scolaire s’articulant autour de partenariats collaboratifs entre les parents et les dirigeants scolaires. Leur modèle, l’Escolo Familia, offre aux communautés locales des opportunités concrètes et pratiques de faire équipe pour mieux répondre aux besoins d’alphabétisation des enfants et des adultes. Même si le modèle a été créé pour les besoins spécifiques des communautés brésiliennes, nous sommes convaincus que celui-ci peut initier des changements en éducation dans d’autres milieux — sur le plan international — et favoriser le développement professionnel et intellectuel des enseignants, éclairer les décisions des leadeurs en éducation et bonifier les réalisations étudiantes.

Reis expose quelques exemples judicieux tirés de son expérience d’enseignant. Ces exemples sont de nature à rendre l’enseignement en sciences plus pertinent et mieux adapté aux défis de nos écosystèmes sociaux et naturels. Il s’intéresse particulièrement aux problématiques socio-environnementales et aux manières dont les futurs enseignants peuvent être inspirés et soutenus dans l’enrichissement de leurs connaissances scientifiques et environnementales. Les formateurs des enseignants peuvent adapter ces idées et stratégies pour favoriser, chez les futurs enseignants, un engagement critique envers ces problématiques et le développement de connaissances et pratiques pédagogiques propres à nourrir une culture environnementale critique auprès de leurs étudiants.

Masson et Foisy révèlent aux professionnels et chercheurs les récentes découvertes en neuroscience pouvant éclaircir les concepts et mécanismes fondamentaux qui nous permettent de mieux comprendre les façons dont le cerveau réagit aux situations d’apprentissage. Nous voyons comment les activités d’apprentissage peuvent produire des changements dans la structure du cerveau et de quelle manière les circuits neuronaux dans diverses parties du cerveau peuvent stimuler ou entraver l’apprentissage. Un exemple, « l’attention », démontre comment les professionnels peuvent favoriser le développement des habiletés de leurs étudiants en dirigeant leur attention au cours de tâches d’apprentissage précises.

Une critique de livre (en anglais) emprunte l’approche inusitée (mais utile) de réviser un manuel de linguistique utilisé au premier cycle, en adoptant le point de vue d’un professeur et de deux étudiants (Kartchava, McMonagle et Romancio). Dans une autre critique de livre, Yelle rend compte (en français) d’un ouvrage écrit en anglais par Nokes et traitant de l’enseignement scolaire et de l’apprentissage de ce qui caractérise l’histoire comme outil de pensée savant, c’est-à-dire sa démarche d’enquête pour problématiser, appréhender et analyser le réel.

MAÉ, TSW et AA