LES ÉTUDIANTS  « SANS TÂCHE » D’ENSEIGNEMENT EN FORMATION À L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL :
UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU ET UNIQUE

PROBLÉMATIQUE

Au Québec, la formation du personnel enseignant des niveaux primaire et secondaire a été confiée, il y a plusieurs années, aux universités. La préparation de ce futur personnel enseignant, au secteur général, implique des apprentissages théoriques préalables à la prise en charge d’un groupe d’élèves par les étudiants en formation à l’enseignement. La logique fondamentale est évidemment de se former avant d’enseigner. Dans le processus actuellement en vigueur, en partenariat avec le système scolaire, ce sont des stages d’une durée minimale de 700 heures dans chaque programme de formation à l’enseignement qui permettent une prise en charge progressive et accompagnée de la classe. Ces prescriptions font partie de la dernière réforme de la formation à l’enseignement, annoncée en 2001 (ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001a) et implantée dans les universités en 2003. Toutefois, même si elles sont moins connues, le MEQ (2001b) a aussi énoncé des orientations de formation à l’enseignement pour un autre secteur, celui de la formation professionnelle. Ce secteur, indépendant de celui de la formation générale, se préoccupe des formations dites professionnelles offertes au niveau secondaire (par exemple l’électricité, la boucherie, la conduite de véhicules lourds, la coiffure) qui sont, dans les faits, les premières sorties qualifiantes du système scolaire québécois. Les enseignants qui y travaillent ne partagent pas les mêmes caractéristiques que leurs collègues du secteur général ni le même parcours de formation. Par ailleurs, c’est la nouveauté du plan de formation à l’enseignement professionnel (MEQ, 2001b) qui a modifié la pratique très largement répandue de l’inscription des enseignants de la formation professionnelle (FP) dans un programme universitaire après avoir débuté en enseignement. Ce plan de formation visant l’instauration des baccalauréats de 120 crédits en 2003 indique « que le baccalauréat en enseignement professionnel s’adresse autant aux enseignantes et aux enseignants déjà en exercice qu’aux personnes qui ont une expérience de travail et qui aspirent à devenir enseignantes ou enseignants » (MEQ, 2001b, p. 163). Cette ouverture a eu un impact sur les programmes de formation à l’enseignement professionnel jusque là dessinés pour répondre aux besoins des enseignants en exercice et explique la présence des étudiants sans tâche d’enseignement dans les programmes offerts depuis 2003.

Un parcours de formation singulier

Entre autres parce que, pour la majorité, leur spécialité ne s’enseigne pas à l’université et surtout parce que l’expérience de métier est fondamentale afin de pouvoir préparer la future main-d’œuvre (Caron et St-Aubin, 1997), afin de compter sur des enseignants reconnus compétents dans leur milieu de travail (Beaudet, 2003) et, selon nous, pour assurer leur crédibilité technique auprès des élèves, les enseignants de la formation professionnelle (FP) sont principalement recrutés dans les milieux de pratique. Ils débutent dans l’enseignement bien souvent avant d’entreprendre une formation universitaire (Balleux, 2006; Deschenaux et Roussel, 2010; Grossman, 2011). Avant 2003, les exigences ministérielles quant à leur formation pédagogique se résumaient en l’obtention d’un certificat de 30 crédits ou, plus rarement, d’un baccalauréat de 90 crédits et, au même titre que les stages, d’une période probatoire de deux ans dans leur milieu d’enseignement (MEQ, 2001b). Dans la plupart des universités, l’admission à un certificat de 30 crédits était conditionnelle à un engagement, comme enseignant, dans un programme de FP offert dans un établissement d’enseignement reconnu, habituellement appelé un centre de formation professionnelle (MEQ, 2001b). Depuis 2003, pour toute personne qui entreprend un programme de formation à l’enseignement professionnel, la réussite d’un baccalauréat en enseignement professionnel (BEP) de 120 crédits est exigée pour l’obtention du brevet, l’autorisation permanente d’enseigner. Toutefois, même s’il partage ses principales caractéristiques avec ceux de la formation à l’enseignement au général (programme de 120 crédits, référentiel de 12 compétences, minimum de 700 heures de stages) (MEQ, 2001a), le programme de formation à l’enseignement professionnel présente plusieurs spécificités qui lui sont propres et il est dispensé de manière bien différente compte tenu de la grande hétérogénéité des parcours et des domaines de la FP.

Parmi les différences majeures entre ces programmes, notons que, dans le cadre du BEP, les compétences développées lors de l’exercice du métier offrent la possibilité d’une reconnaissance des acquis disciplinaires. Une autre différence importante tient au fait que l’étudiant inscrit au BEP chemine de manière individualisée, sans appartenance à une cohorte d’étudiants et, sauf pour quelques exceptions, à temps partiel. Tout ceci est bien différent d’un parcours universitaire divisé en huit sessions à temps complet réparties sur quatre ans, comme c’est le cas pour les futurs enseignants du primaire et du secondaire. La durée du programme de formation est donc variable et étendue dans le temps. Cette caractéristique a été prise en compte par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) qui accorde une période de 10 ans pour compléter les 90 crédits nécessaires à l’obtention d’une licence d’enseignement, un type d’autorisation légale d’enseigner, non permanente, mais renouvelable à certaines conditions. Avant de recevoir la licence, au cours de cette période maximale de 10 ans tout en progressant dans leur formation universitaire, plusieurs étudiants obtiennent une autorisation provisoire d’enseigner renouvelable à certaines conditions, notamment par l’obtention de crédits universitaires, ce qui leur permet l’accès à des contrats d’enseignement dans leur commission scolaire.

Des changements importants conduisant à l’apparition d’un nouveau type d’enseignant en FP

La dernière réforme a introduit deux changements importants dans le programme de formation à l’enseignement professionnel qui le rend un peu semblable aux autres du général. Premièrement, la mise en place des BEP en 2003 s’est faite avec l’exigence, comme dans les autres programmes, des stages d’enseignement. Ils sont cependant organisés différemment des autres programmes du fait que les étudiants en exercice peuvent, à même leurs heures d’enseignement rémunérées, satisfaire aux exigences de stage. Par conséquent, le rôle et surtout la disponibilité des enseignants associés marquent des différences importantes.

Deuxièmement, depuis 2003, des étudiants peuvent être admis en formation à l’enseignement professionnel sans détenir une charge d’enseignement, comme c’est la norme dans les autres programmes, ce qui leur permet de se préparer avant d’être engagés comme enseignants. Ces étudiants sans tâche (ST) d’enseignement doivent, pour être admis dans un programme de formation à l’enseignement professionnel, répondre à certaines exigences, dont celle d’une expérience de travail pertinente et suffisante. Toutefois, ces étudiants ST n’ont pas accès à cette autorisation provisoire d’enseigner, ne répondant pas à la condition de détenir une preuve d’engagement par une commission scolaire. Or, depuis 2003, c’est un nombre croissant de personnes qui entreprend une formation universitaire à l’enseignement professionnel sans détenir une tâche d’enseignement dans un centre de formation professionnelle (Deschenaux et Tardif, 2012). Bien que les orientations ministérielles (MEQ, 2001b) permettent l’arrivée d’étudiants ST dans les universités, ces dernières, de façon générale, ont développé des programmes destinés, en priorité, aux étudiants détenant une tâche d’enseignement. La réalité est que les deux catégories d’étudiants partagent un même programme, se retrouvent dans les mêmes cours, leur nombre respectif ne permettant pas l’offre de deux voies de formation distinctes, malgré des différences évidentes. Même si le nombre d’étudiants ST inscrits dans les BEP est inférieur à celui des étudiants en exercice, leur présence dans les programmes de formation à l’enseignement professionnel constitue une réalité nouvelle, dans un contexte singulier.

L’objectif de la recherche

Au Québec, la FP fait de plus en plus fréquemment l’objet d’écrits scientifiques. Deschenaux et Roussel (2011) ont montré qu’il est possible d’observer trois objets relativement distincts dans les publications sur ce thème. On trouve, d’une part, plusieurs travaux, un peu moins récents, qui s’affairent à décrire cette filière d’études, particulièrement du point de vue de son évolution historique. D’autre part, des écrits touchent différentes formes d’alternance vécue chez les élèves inscrits dans différents parcours de formation professionnelle. Enfin, ces dernières années, on remarque une concentration plus importante de travaux sur la transition vécue par les enseignants entre la pratique de leur métier et son enseignement en mettant l’accent sur le rapport à la profession enseignante, à la formation universitaire et sur la construction de l’identité professionnelle de ces nouveaux enseignants. Toutefois, toutes ces recherches laissent dans l’ombre la réalité des étudiants ST.

En 2009, la Table MELS-Universités a souhaité faire le bilan de l’implantation du BEP de 120 crédits dans six universités québécoises depuis son instauration en septembre 2003. À cet effet, elle a formé le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel qui a mené une vaste enquête à la fin de 2010 et au début de 2011 auprès de cinq groupes de répondants, dont les étudiants. C’est dans ce contexte, et à partir de ces données, que nous avons eu l’opportunité de brosser le portrait de ces futurs enseignants, les étudiants ST, qui n’ont jamais, à notre connaissance, fait l’objet de travaux, étant donné le caractère exceptionnel de leur parcours.

Donc, cet article présente une visée essentiellement descriptive. Il ne prétend pas remettre en cause des décisions ministérielles ni dénoncer une incapacité des universités à répondre à une demande sociale. Il souhaite uniquement mettre en lumière, à partir de données inédites, cette nouvelle réalité en FP.

CADRE CONCEPTUEL

Afin de cerner la réalité des étudiants ST, nous mobilisons un cadre conceptuel autour de la notion de parcours, plus particulièrement autour d’outils théoriques permettant de mieux les comprendre, comme celui d’évènement marquant ou de bifurcation. D’ailleurs, « le terme « bifurcation » est apparu pour désigner des configurations dans lesquelles des évènements contingents, des perturbations légères peuvent être la source de réorientations importantes dans les trajectoires individuelles ou les processus collectifs » (Bessin, Bidart et Grossetti, 2010, p. 9).

Des particularités théoriques des étudiants ST

Le cas des étudiants ST en formation à l’enseignement professionnel présente un certain intérêt théorique, puisque la bifurcation est habituellement définie comme « un processus dans lequel une séquence d’action comportant une part d’imprévisibilité produit des irréversibilités qui concernent des séquences ultérieures » (Grossetti, 2010, p. 147). Or, pour ces étudiants ST, on peut penser que l’imprévisibilité est plutôt marginale, puisqu’ils semblent planifier à long terme leur entrée dans la carrière enseignante, s’inscrivant en formation universitaire avant même d’avoir obtenu une tâche d’enseignement, contrairement à la très grande majorité des enseignants de la FP.

Les reconversions professionnelles volontaires sont souvent appréhendées au moyen d’histoires de vie. Cette méthodologie est mobilisée afin de prendre en compte adéquatement la complexité des processus sociaux et les multiples socialisations vécues par les individus (Lahire, 1998). Dans cette perspective microsociologique, il importe de saisir le portrait intime de la personne pour débusquer les motifs ayant précédé la reconversion professionnelle volontaire. Ce faisant, les auteurs tentent de reconstituer l’ensemble du parcours individuel afin de distinguer la part de l’imprévisible (Grossetti, 2004) de la part du choix rationnel. En effet, Grafmeyer (1994) insiste sur la nécessaire prise en considération de l’hétérogénéité des trajectoires individuelles organisées autour de remises en question, de réorganisations ou de ruptures d’appartenance.

Ainsi, nous aurions pu réaliser une analyse fine du parcours des individus prenant la décision d’enseigner leur métier, à l’instar de Balleux, Beaucher et Saussez (2009) qui énoncent cinq étapes ponctuant le processus de reconversion. En effet, chaque nouvel enseignant en FP a une histoire qui lui est propre, marquée des bouleversements provoqués par cette importante décision. Toutefois, compte tenu des données dont nous disposons et de l’objectif de cet article, il nous semble valable d’augmenter l’amplitude de l’analyse à une conception macrosociologique de l’évènement marquant de leur trajectoire professionnelle. En le considérant de manière large, sans directement interroger les acteurs sur leur reconversion professionnelle, il sous semble toutefois possible de dégager des régularités de cette apparente idiosyncrasie des parcours individuels. D’autres concepts sont alors nécessaires pour tenir en compte le caractère subjectif et objectif de l’action sociale.

La stratégie et l’intérêt : deux moteurs de l’action sociale

Sans faire de l’acteur un être pleinement rationnel comme dans l’individualisme méthodologique de Boudon et sans non plus sombrer dans un déterminisme à outrance, Bourdieu (1994) abandonne la vision mécaniste de la structure pour plutôt se concentrer sur une logique dynamique et ouverte du jeu qui oblige à tenir compte de toutes les actions d’un acteur dans le jeu afin de comprendre pourquoi il agit comme il le fait. L’espace social où se déroule le jeu est un champ. Chaque champ valorise certains types de capitaux qui ne transcendent pas nécessairement tous les champs. Par conséquent, l’acquisition de capital social dans un champ n’est pas nécessairement transférable ailleurs, dans un autre espace de jeu.

Quant aux motivations des acteurs, il est possible de les saisir grâce à la notion de stratégie, qui tient compte autant des contraintes structurales que de la possibilité de réponses actives de la part de l’acteur faisant face à ces contraintes. Ici, l’acception du terme « stratégie » rompt avec l’usage courant qui considère les visées conscientes et à long terme d’un acteur comme des stratégies pour plutôt définir cette notion comme « un ensemble d’actions ordonnées en vue d’objectifs à plus ou moins long terme et non nécessairement posés comme tels » (Bourdieu, 1994, p. 4).

Selon ces nuances, la notion de stratégie pourrait être utilisée au sens faible du terme (Rose, 2000). En effet, Bourdieu et Wacquant (1992) formulent une définition de la stratégie qui semble convenir à ce dessein. Ils définissent la stratégie comme des « lignes d’action objectivement orientées que les agents sociaux construisent sans cesse dans la pratique et en pratique, et qui se définissent dans la rencontre entre l’habitus et une conjonction particulière du champ » (p. 104). Donc, la stratégie est possible quand un acteur possède les capitaux nécessaires et qu’il se trouve en présence d’une situation sociale à laquelle il a un intérêt à participer. Dans le cas des étudiants ST, on peut affirmer qu’ils possèdent une expérience à valoriser, à transmettre par l’enseignement. Dans plusieurs domaines, les candidats intéressés à l’enseignement sont rares, alors que, dans certains autres, les recrues sont trop nombreuses. Dans ce dernier cas, la rareté des places disponibles en enseignement conduirait certains aspirants à adopter le statut de ST. Pour d’autres, le statut de ST est planifié afin d’amorcer, dans un avenir plus ou moins proche, une reconversion professionnelle. Ceci dit, sans égard à la définition prisée de la stratégie, la bifurcation vers l’enseignement ne peut exister sans l’intérêt de l’acteur.

À ce propos, la définition de l’intérêt telle qu’elle a été présentée par Bourdieu est éclairante. La notion d’intérêt est corolaire à la notion de stratégie et n’est pas univoque. En fait, il n’existe pas qu’un seul intérêt, il en existe plusieurs, variables selon le temps et les lieux. « Il y a autant d’intérêts qu’il y a de champs, comme espaces de jeu historiquement constitués avec leurs institutions et leurs lois de fonctionnement propres » (Accardo et Corcuff, 1989, p. 154).

L’intérêt est aussi traversé par un rapport dialectique : en plus d’être une condition de fonctionnement du champ, car il motive les gens à concourir pour l’enjeu, il est aussi le produit du fonctionnement du champ. En jouant le jeu, les agents investissent leurs capitaux dans le champ dans le but de recevoir un dividende et, par conséquent, d’augmenter la valeur des capitaux. Étymologiquement, le mot intérêt provient du latin interesse qui veut dire « en être », témoignant donc d’une forme de consentement à une participation à quelque chose, dans ce cas-ci au jeu qui se déroule dans un champ autour d’un enjeu accepté — tacitement ou explicitement — par les acteurs qui s’y prêtent. C’est ce qui pourrait expliquer la présence des étudiants ST parmi les étudiants actifs dans les programmes de formation à l’enseignement professionnel. Ils souhaitent enseigner et ils consentent à se former pour y parvenir.

MÉTHODOLOGIE

Afin de répondre au mandat qui lui a été confié par la Table MELS-Universités, le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel a mené son enquête auprès de cinq groupes de répondants. Ceux-ci sont les étudiants (actifs, diplômés, ayant abandonné), les directions d’établissement d’enseignement et les intervenants (professeurs, chargés de cours, superviseurs de stage, enseignants associés, mentors, et personnels professionnels dans les universités). En tout, plus de 1 325 personnes ont participé à cette enquête.

Des questionnaires ont été développés pour chacun des groupes interrogés. Lorsqu’un questionnaire était finalisé, il était validé à l’aide d’une préexpérimentation visant à s’assurer de la clarté et la pertinence des questions. À la suite des ajustements nécessaires, chaque questionnaire a été traduit dans un format électronique permettant la cueillette des données à l’aide d’un sondage en ligne administré par la firme SOM, sauf dans le cas des étudiants ayant abandonné leur programme de formation qui ont été joints au téléphone. Dans chaque université, les autorisations relatives à la dimension éthique ont été obtenues avant de procéder à la cueillette des données.

Les questionnaires étaient surtout composés de questions fermées. Celles-ci utilisent, autant que faire se peut, une échelle de type Likert en six points, selon la variable identifiée. Par exemple, chaque personne était invitée à s’exprimer en termes d’accord selon les six niveaux suivants : 1) Entièrement en désaccord; 2) En désaccord; 3) Plutôt en désaccord; 4) Plutôt en accord; 5) En accord; 6) Entièrement en accord. Des variables sociodémographiques ont également été recueillies auprès des répondants de chaque groupe.

En janvier 2012, le rapport du Groupe de réflexion a été déposé aux membres de la Table MELS-Universités (Deschenaux, Monette et Tardif, 2012). Afin d’atteindre l’objectif de cet article, nous avons spécifiquement utilisé les données provenant du fichier des étudiants actifs, c’est-à-dire des personnes qui étaient, à la session d’automne 2010, inscriptibles dans les programmes de formation à l’enseignement professionnel au Québec. Inscriptible signifie que chaque personne concernée avait la possibilité, au cours de cette session d’automne 2010, de s’inscrire à une ou des activités pédagogiques du programme dans lequel elle était considérée comme un étudiant régulier. Puisque les programmes de formation à l’enseignement professionnel sont tous offerts à temps partiel, une personne peut, lors d’un semestre, ne pas s’inscrire à une activité pédagogique et être toujours considérée comme active dans son programme d’études. Les règles précisant le nombre de mois consécutifs pendant lesquels un étudiant peut ne pas s’inscrire à une activité pédagogique et conserver le statut d’actif est variable d’une université à l’autre. Chaque université a fourni la liste de ses étudiants actifs afin de créer une seule liste pour ce groupe.

Ainsi, le sondage a été envoyé à toutes les personnes inscrites sur la liste des étudiants actifs, par le biais du courrier électronique. La date de l’envoi initial a été le 3 novembre 2010, quatre rappels ont été effectués et la cueillette s’est terminée le 28 janvier 2011. Au total, 3 167 adresses de courrier électronique ont été utilisées et 709 personnes ont rempli le questionnaire pour un taux de réponse de 22,4 %. Parmi ces 709 répondants, 102 ont indiqué ne pas détenir de tâche d’enseignement, ni d’autorisation légale d’enseigner, sous quelque forme que ce soit et ils sont ici considérés comme les étudiants ST.

RÉSULTATS1

Les résultats recueillis auprès des étudiants ST sont présentés en trois sections : les principales caractéristiques des étudiants ST, leur perception du programme de formation et de ses composantes et enfin leurs intentions par rapport au BEP. Dans chacune des sections, nous présentons la situation des étudiants ST et nous comparons les données de ces étudiants ST avec celles des étudiants qui détiennent une tâche d’enseignement.

Les caractéristiques des étudiants ST

Concernant les caractéristiques sociodémographiques des étudiants actifs, les données montrent qu’il y a une plus grande proportion de femmes chez les étudiants ST (72,5 %) que chez ceux ayant une tâche d’enseignement (52,0 %). Ces données indiquent aussi que l’âge moyen de tous les étudiants ST est de 35,8 ans alors qu’il est de 40,7 ans pour ceux en exercice. Le tableau 1, qui présente la répartition des étudiants avec et ST d’enseignement selon des catégories d’âge, fait ressortir cette différence. Parmi les étudiants ST, les femmes sont en moyenne légèrement plus âgées (36,09 ans) que les hommes (34,96 ans).

TABLEAU 1. Répartition, en pourcentage, des étudiants avec et sans tâche d’enseignement selon les catégories d’âge

Âge

Étudiants avec tâche (%)

Étudiants sans tâche (%)

Tous les étudiants actifs (%)

29 ans et moins

9,8 %

29,4 %

12,7 %

30 à 39 ans

36,4 %

38,2 %

36,6 %

40 à 49 ans

34,7 %

22,5 %

32,8 %

50 ans et plus

19,1 %

9,8 %

18,0 %

Par ailleurs, le tableau 2 présente la répartition, en pourcentage, des étudiants ST dans les quatre secteurs de formation où ils sont le plus présents. Sachant qu’il existe 21 secteurs d’enseignement qui regroupent, en nombre variable, des programmes d’études appelés Diplômes d’études professionnelles (DEP) et Attestations de spécialisation professionnelle (ASP), on constate que les étudiants ST ne se répartissent pas également dans ces 21 secteurs. Ce sont presque 63 % des étudiants ST qui se retrouvent dans ces quatre secteurs d’enseignement laissant à peine plus du tiers des autres étudiants ST dans les 17 autres secteurs.

TABLEAU 2. Répartition, en pourcentage, des étudiants actifs selon les secteurs de formation

Secteurs de formation

Avec tâche

Sans tâche

Administration, commerce et informatique

14,7 %

18,6 %

Alimentation et tourisme

5,2 %

14,7 %

Santé

25,1 %

13,7 %

Soins esthétiques

6,2 %

15,7 %

Autres secteurs

48,8 %

37,3 %

Total

100 %

100 %

Il est intéressant de noter, en comparant avec la répartition des étudiants en exercice, la plus grande place occupée par les étudiants ST dans 3 des 4 secteurs présentés, seul celui de la Santé affichant un pourcentage moins élevé chez les étudiants ST. Il faut toutefois remarquer que le quart des étudiants en exercice sont du secteur de la Santé où, au cours des dernières années, les DEP qui le composent ont connu une augmentation phénoménale des inscriptions de 45,5 % de 2005-2006 à 2009-2010 (MELS, 2008, 2013).

Quant au tableau 3, il montre que, sur la base de 98 réponses obtenues, presque les deux tiers (63,3 %) des admissions au BEP des étudiants ST ont été faits à partir de 2009. Le corolaire est que plus du tiers des étudiants ST a été admis au BEP de 2003 à 2008 inclusivement et présente encore le même statut d’étudiant en attente d’obtenir une tâche d’enseignement.

TABLEAU 3. Répartition des admissions des étudiants ST selon l’année d’admission au BEP

Année d’admission

Étudiants ST

2003

5,1 %

2004

3,1 %

2005

0,0 %

2006

7,1 %

2007

7,1 %

2008

14,3 %

2009

25,5 %

2010

37,8 %

Total

100 %

La perception du programme et de ses composantes

Invités à se prononcer globalement sur la qualité des programmes offerts, les étudiants ST sont proportionnellement plus enclins à la considérer comme Très bonne ou Excellente mais avec une légère différence avec leurs collègues en exercice (49 % par rapport à 41,4 %). L’écart diminue en y ajoutant la catégorie Plutôt bonne (86,3 % par rapport à 81,8 %).

TABLEAU 4. Qualité du BEP selon les étudiants avec et sans tâche d’enseignement

Qualité des BEP

Avec tâche

Sans tâche

Excellente

11,5 %

10,8 %

Très bonne

29,9 %

38,2 %

Plutôt bonne

40,4 %

37,3 %

Pour ce qui est de la pertinence des diverses composantes des BEP, les pourcentages présentés dans le tableau 5 correspondent au regroupement des degrés d’accord 5 (En accord) et 6 (Entièrement en accord) énoncés par les répondants. Nous présentons la perception des étudiants relativement à 7 des 8 composantes des BEP. En fait, pour la composante intitulée Cours de psychopédagogie, la perception des répondants relative au développement des compétences du référentiel, donc à la dimension psychopédagogique du programme, est traitée plus en détail dans la section traitant de la capacité des programmes à développer ces compétences.

Donc, pour la pertinence, nous remarquons d’abord l’écart important entre les étudiants avec une tâche d’enseignement et ceux ST, à l’avantage de ces derniers, concernant la pertinence de l’activité d’initiation. Il est évident que pour une part des étudiants en exercice, divers aspects du cours d’initiation au programme sont moins pertinents, étant dans le milieu depuis quelque temps, en comparaison avec les étudiants ST. Cet écart se creuse et devient plus important quand il est question des stages avec plus de 18 points de pourcentage, les étudiants ST les trouvant davantage pertinents, ce qui n’est pas plus surprenant. Ce sont leurs premiers contacts réels avec des élèves en FP, situation à laquelle ils aspirent. Mais c’est la composante du perfectionnement dans le métier, que les enseignants en exercice estiment beaucoup plus pertinent, qui affiche l’écart le plus important avec plus 32 points de pourcentage. Il semble que l’éloignement de la réalité du marché du travail pour les étudiants en exercice, jumelé au fait que les étudiants qui sont ST y soient encore présents, puisse expliquer cette si grande différence quant à la pertinence de ce type de perfectionnement.

TABLEAU 5. Pertinence des composantes des BEP selon les étudiants avec et sans tâche d’enseignement

Composantes

Avec tâche

Sans tâche

Cours d’initiation

58,1 %

70,5 %

Stages

59,2 %

78,0 %

Cours en langue d’enseignement

70,8 %

80,0 %

Reconnaissance des acquis

78,2 %

68,0 %

Perfectionnement en enseignement

65,4 %

60,0 %

Perfectionnement dans le métier

69,8 %

37,5 %

Test de langue

58,3 %

64,9 %

Comme mentionné précédemment, plutôt que de se prononcer sur la composante principale des Cours de psychopédagogie, nous avons invité les étudiants à le faire à propos des 12 compétences du MELS, puisqu’ils sont plus familiers avec cette nomenclature. C’est donc au sujet de la capacité des programmes de formation à développer les compétences du référentiel que les étudiants se sont prononcés (tableau 6). Les étudiants ST jugent plus positivement, à une exception près, la capacité des programmes à développer les compétences du référentiel. Le plus haut niveau d’accord, ici encore observé par les pourcentages obtenus par le regroupement des degrés d’accord 5 (En accord) et 6 (Entièrement en accord), s’observe pour les compétences liées à la conception des situations d’enseignement-apprentissage et à l’éthique professionnelle. Un écart important, soit plus de 12 points de pourcentage à l’avantage des étudiants ST, est aussi observé pour la compétence à gérer la classe. Les compétences liées à l’adaptation des interventions aux besoins des élèves en difficulté et à l’intégration des TICS obtiennent des taux d’accord moins élevés pour les deux catégories d’étudiants.

Concernant la composante des stages, l’inscription au stage et la disponibilité d’un milieu de stage distinguent l’opinion des étudiants ST de celle des étudiants en exercice, les pourcentages présentés dans le tableau 7 ayant été calculés en regroupant les réponses aux degrés d’accord 5 (En accord) et 6 (Entièrement en accord). Les étudiants ST sont en plus grande partie d’accord avec le fait que l’inscription au stage ait été possible au moment qui leur convenait le mieux tandis que les étudiants en exercice estiment dans une plus grande proportion que le milieu de stage était disponible au moment où ils étaient prêts à faire leur stage. Cet aspect de la disponibilité d’un milieu de stage pour lequel l’accord des étudiants ST est nettement inférieur à celui des étudiants en exercice, est intéressant. Pour le reste, les variations sont infimes quant à la disponibilité et à la qualité de la supervision des stages.

TABLEAU 6. Capacité des programmes de formation à développer les compétences du référentiel

Compétences

Avec tâche

Sans tâche

Concevoir des situations d’enseignement-apprentissage

62,0 %

74,7 %

Piloter des situations d’enseignement-apprentissage

58,7 %

68,9 %

Gérer la classe

50,6 %

63,0 %

Évaluer les compétences des élèves

57,1 %

62,2 %

Adapter ses interventions aux besoins des élèves en difficulté

47,4 %

45,8 %

Intégrer les TIC

51,3 %

52,9 %

Coopérer avec les partenaires et les collègues enseignants

45,4 %

54,3 %

Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions

64,4 %

72,6 %

Les intentions par rapport au BEP

La préoccupation de la poursuite et de la réussite des études universitaires n’est pas nouvelle. Rappelons que la problématique de l’abandon des études universitaires a été, au début des années 2000, au centre du réinvestissement universitaire dans ce qui a été appelé les contrats de performance entre le ministère de l’Éducation et les universités québécoises. C’est entre autres en lien avec cette préoccupation que les étudiants des programmes de formation à l’enseignement professionnel ont été questionnés.

D’emblée, en observant le tableau 8 qui expose les facteurs pouvant favoriser l’abandon du BEP, on peut mentionner que la durée des études est le facteur le plus susceptible de favoriser l’abandon de leur programme, autant pour les étudiants en exercice que pour ceux ST, ces derniers l’affirmant de manière moins marquée que leurs collègues en exercice. Tous les facteurs ont été présentés aux répondants et les pourcentages représentent la proportion de ceux qui croient que le facteur peut favoriser l’abandon des études en formation à l’enseignement professionnel.

TABLEAU 7. Opinions à propos des stages selon étudiants avec ou sans tâche d’enseignement

Situations liées aux stages

Avec tâche

Sans tâche

L’inscription à un stage est possible au moment où vous êtes prêts à l’effectuer

66,5 %

76,0 %

Un milieu de stage est disponible au moment où vous êtes prêts à faire votre stage

72,3 %

58,0 %

Les superviseurs de stage sont disponibles au moment où j’en ai besoin

68,5 %

66,7 %

Les enseignants associés sont disponibles au moment où j’en ai besoin

68,7 %

67,3 %

L’encadrement fourni par les enseignants associés est de qualité

68,4 %

68,8 %

L’encadrement fourni par les superviseurs de stage est de qualité

68,7 %

67,3 %

En examinant les facteurs pouvant favoriser l’abandon et les pourcentages obtenus, on peut déceler deux ordres de préoccupations, selon que les répondants soient des étudiants en exercice ou ST. Pour ces derniers, les facteurs liés aux perspectives de carrière en enseignement ou aux conditions financières, comme la précarité ou le manque de ressources financières pour étudier, sont plus susceptibles de favoriser l’abandon du programme. Chez les étudiants en exercice, ce sont les facteurs associés à la gestion du temps ou à la conciliation de leurs études et du travail avec leur vie personnelle qui pourraient favoriser l’abandon de leur programme d’études. Il semble qu’ils arrivent difficilement à concilier l’enseignement, la formation universitaire et le reste de leur vie personnelle. À noter enfin que les étudiants, tant en exercice que ST, estiment très peu probable que les aptitudes requises pour réaliser ces études puissent jouer un rôle dans le fait d’abandonner le programme.

TABLEAU 8. Facteurs pouvant favoriser l’abandon des études au BEP

Facteurs pouvant favoriser l’abandon

Avec

Tâche

Sans

tâche

L’intérêt pour la profession enseignante

26,6 %

27,4 %

L’intérêt pour les études

37,8 %

20,8 %

Les possibilités d’emplois en enseignement professionnel

24,9 %

45,5 %

Les perspectives de carrière en enseignement professionnel

29,9 %

43,0 %

Le temps pour poursuivre vos études

55,8 %

33,3 %

La conciliation entre le travail et les études

61,2 %

41,1 %

La conciliation entre la vie personnelle et les études

57,2 %

32,6 %

Les aptitudes requises pour ces études

14,2 %

6,0 %

Les exigences des cours

35,2 %

17,0 %

Les exigences des stages

34,2 %

29,3 %

Le test de certification en français

39,0 %

32,5 %

Lourdeur tâche d’enseignement

37,6 %

23,3 %

Les ressources financières suffisantes

31,3 %

46,1 %

La précarité en enseignement professionnel

37,0 %

45,7 %

La durée des études

67,0 %

50,0 %

L’éloignement du lieu de formation

27,8 %

24,8 %

Enfin, quand on leur demande quels sont leurs plans relativement à leurs études dans le BEP, le tableau 9 montre que les étudiants ST sont plus optimistes de compléter leur programme d’études que les étudiants en exercice.

TABLEAU 9. Intentions des étudiants avec et sans tâche relatives au BEP

Intentions

Avec tâche

Sans tâche

A l’intention d’arrêter les études après l’obtention de la licence

20,5 %

10,4 %

A l’intention de compléter

45,2 %

74,8 %

A l’intention de répondre aux exigences minimales pour le renouvèlement de l’autorisation provisoire

34,3 %

14,8 %

ANALYSE ET DISCUSSION

En fonction du cadre conceptuel et des résultats présentés précédemment, nous analysons ici les données qui apparaissent les plus révélatrices de la situation des étudiants ST.

Concernant les caractéristiques des étudiants ST, c’est d’abord le nombre plus élevé de femmes qui composent le groupe des étudiants ST qui attire l’attention. Cette particularité n’est pas étrangère au fait que les emplois des secteurs de la Santé et des Soins esthétiques sont presque exclusivement occupés par des femmes. En effet, les étudiants ST de ces deux seuls secteurs de formation comptent pour presque 30 % de tous les étudiants ST de cette étude.

L’autre particularité des étudiants ST qui nous préoccupe, liée à la précédente, est leur présence dans un nombre restreint de secteurs de formation. Nous croyons que la bifurcation opérée par ces étudiants est liée aux caractéristiques des emplois que ces personnes ont occupés ou, pour la plupart, occupent encore. En fait, les données recueillies par le Groupe de réflexion montrent que les étudiants ST sont majoritairement concentrés dans quatre secteurs de formation. Or, à l’analyse, ces quatre secteurs connaissent des difficultés sur le plan de l’insertion professionnelle de leurs diplômés comme le montrent les données du tableau 10 tirées des enquêtes La Relance au secondaire en formation professionnelle du Gouvernement du Québec (MELS, 2011). Ces enquêtes visent à faire connaitre la situation des personnes diplômées de la formation professionnelle du secondaire après l’obtention de leur diplôme.

Le tableau 10 présente trois indicateurs (le pourcentage (%) des diplômés de l’année précisée qui sont en emploi, le pourcentage (%) travaillant à temps complet et le salaire, en dollars ($), hebdomadaire brut moyen) pour les diplômés des quatre secteurs concernés (en abréviation) et les mêmes informations pour tous les détenteurs d’un DEP, de tous les secteurs, délivrés selon l’année d’obtention du diplôme.

TABLEAU 10. Indicateurs des diplômés selon les secteurs et l’année d’obtention du diplôme

Secteurs

En emploi (%)

À temps plein (%)

Salaire ($) brut moyen hebdomadaire

2008

2009

2010

2008

2009

2010

2008

2009

2010

Administ.

74,1

70,2

69,3

87,0

85,3

83,3

561

584

603

Aliment.

72,4

70,4

69,3

83,7

83,1

84,4

489

509

502

Santé

85,4

83,6

84,3

74,9

74,6

75,3

572

588

597

Soins Est.

78,6

73,7

72,5

78,4

77,2

73,0

359

395

402

Ens. DEP

77,8

73,5

73,8

88,6

87,9

87,4

611

635

647

Ces indicateurs permettent d’apprécier globalement le contexte d’emploi des nouveaux détenteurs d’un DEP rattaché à un secteur déterminé. Ces indicateurs sont connus comme des facteurs qui peuvent influencer les personnes qui se trouvent dans ces situations, lorsqu’elles sont défavorables, à évaluer la possibilité d’améliorer leur sort. Pour le secteur Administration, commerce et informatique, bien que les pourcentages de ceux qui travaillent à temps plein soient juste en dessous de la moyenne de l’ensemble des détenteurs d’un DEP, le pourcentage des diplômés qui sont emploi et le salaire sont sous la moyenne de l’ensemble des DEP. La situation est encore moins favorable au secteur Alimentation et tourisme alors que les trois indicateurs se retrouvent sous la moyenne de l’ensemble des détenteurs d’un DEP. Pour ce secteur, même si les données ne sont pas ici présentées, il est connu de tout un chacun que les conditions de travail, précisément les horaires de travail, sont difficiles, le travail de soir et lors des fins de semaine étant la règle.

Pour le secteur de la Santé, bien que les médias informent régulièrement qu’on cherche du personnel qualifié dans ce secteur, ce que le pourcentage de diplômés en emploi du tableau 10 confirme, ce sont les conditions de travail peu avantageuses, se traduisant notamment par des horaires de travail de nuit et de fin de semaine pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail, qui pourraient expliquer leur intention de se diriger vers l’enseignement. Pour ce secteur, l’indicateur du pourcentage de travailleurs à temps plein est aussi révélateur de conditions de travail difficiles. Enfin pour le secteur des Soins esthétiques, il apparait comme le pire des quatre secteurs selon les indicateurs présentés, et aussi en fonction des autres conditions de travail considérées comme difficiles.

Or des personnes qui se retrouvent dans ces contextes de travail peuvent identifier l’enseignement de leur métier, la stratégie, comme un moyen d’améliorer leur situation professionnelle, un intérêt. Elles y voient certainement des avantages liés aux horaires de travail et au salaire tout en ayant la possibilité de garder un lien d’emploi, souvent à temps partiel, avec leur métier initial. Ces résultats corroborent les constats de l’enquête qualitative de Deschenaux et Roussel (2010, 2011). Nous croyons que ce sont majoritairement ces personnes qui se dirigent vers l’enseignement puisqu’elles se distinguent des autres étudiants du BEP, notamment parce qu’elles sont plus jeunes. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les étudiants ST sont, en moyenne, plus jeunes (35,8 ans) que ceux en exercice d’enseignement (40,7 ans). En analysant plus à fond les données permettant la composition du tableau 1 qui indique la répartition, selon des catégories d’âge, des étudiants ST par secteur de formation, on peut déterminer l’âge moyen des étudiants ST dans les quatre secteurs concernés, ce que nous présentons au tableau 11. On y constate que les secteurs Alimentation et tourisme ainsi que Soins esthétiques affichent les moyennes d’âge les plus basses.

TABLEAU 11. Âge moyen des étudiants ST selon les secteurs de formation

Secteurs

Âge moyen des étudiants ST

Administration, commerce et informatique

39,7 ans

Alimentation et tourisme

33,5 ans

Santé

36,1 ans

Soins esthétiques

32,0 ans

Autres secteurs

36,2 ans

Tous

35,8 ans

Plus encore, les étudiants ST de ces quatre secteurs représentent 70 % de tous les étudiants ST de moins de 30 ans interrogés dans cette étude. Il s’agit, selon nous, d’une indication très forte du choix de ces jeunes personnes à opérer une bifurcation professionnelle liée aux conditions de travail difficiles dans leur métier initial. Les conditions de travail en enseignement leur apparaissant bien meilleures, ils choisissent de s’y préparer même si des contraintes se présentent dans leur cheminement.

Par ailleurs, une autre particularité soulevée est de la présence d’un fort pourcentage d’étudiants ST admis au BEP lors des années 2009 et 2010. D’une part, nous croyons que son explication réside dans la nouveauté du phénomène puisque ce n’est que depuis 2003 que cette possibilité de se former à l’enseignement professionnel existe et elle est relativement inconnue. Ce n’est donc pas un choix de carrière connu du grand public ni des personnes spécialisées dans les processus d’orientation professionnelle. D’autre part, il nous apparait tout à fait normal et rationnel d’observer une diminution du pourcentage, en fonction de leur année d’admission à leur programme de formation, des étudiants ST au fil des années. En effet, ces étudiants ST se font connaitre par les directions de centre de formation professionnelle lors de leur stage et, normalement, passent à un statut d’étudiant en exercice. La stratégie des étudiants ST serait alors confirmée par ce passage du statut de ST à celui d’étudiants en exercice tout en notant que les diverses contraintes rencontrées, comme celle des stages qui sera traitée plus loin, n’auront pas freiné leur processus de changement.

En fait, nous croyons qu’il serait très intéressant de suivre l’évolution du nombre d’étudiants ST au fil des prochaines années pour voir si un effet d’étranglement du système se produit ou si ce dernier se régularise et que cette façon de faire, soit le passage du statut d’étudiant ST à celui en exercice, devient une tendance. Malheureusement, les données recueillies nous permettent uniquement d’observer la première de ces deux possibilités. Même si les données ne permettent pas d’analyser la seconde possibilité, par expérience professionnelle, mais sans pouvoir l’objectiver, nous savons que des étudiants ont débuté le BEP à titre de ST et sont passés au statut d’étudiants en exercice. Par contre, à partir des données recueillies, en recoupant la présence des étudiants ST dans les 4 secteurs identifiés avec l’année d’admission au BEP de ceux-ci, et en considérant que le pourcentage des étudiants ST admis en 2009 et 2010 qui détiennent toujours ce statut au moment de la cueillette des données ne représente pas une situation problématique, on obtient les données du tableau 12. Un indice de l’effet d’étranglement du système serait lorsque ce dernier ne peut intégrer une partie non négligeable d’étudiants ST, tout en supposant que ces étudiants ST répondent aux attentes des employeurs pour les postes à combler.

TABLEAU 12. Nombre et pourcentage d’étudiants ST de 4 secteurs selon les années d’admission 2003 à 2008

Années

d’admission

Sans tâche

4 secteurs (n)

Sans tâche

Total (n)

% ST des

4 secteurs

2003 à 2008

28

36

77,8 %

Or, on observe que les étudiants ST admis depuis plus de deux ans au moment de la cueillette des données, et qui ne sont pas passés du statut d’étudiant ST à celui en exercice, sont fortement concentrés dans les 4 secteurs identifiés. Nous avions identifié, au tableau 2, que les étudiants ST dans ces secteurs représentaient 62,7 % de tous les étudiants ST à l’étude. Comme le montre le tableau 12, la proportion des étudiants ST, des mêmes quatre secteurs, qui a été admise de 2003 à 2008 et qui a encore le même statut de ST est plus élevée (78 %) que celle des étudiants ST dans les 4 secteurs désignés (62,7 %). On pourrait y voir un effet d’étranglement du système qui implique certainement des contraintes importantes pour plusieurs étudiants ST dans leur projet de devenir enseignant. Il semble que ce phénomène soit concentré sur quelques secteurs de formation.

D’un autre côté, les résultats présentés dans la section de la perception des étudiants ST laissent croire qu’ils sont davantage motivés, car ils évaluent plus positivement les programmes, tant en pertinence qu’en qualité. Ils ont choisi d’étudier dans le but d’enseigner leur métier, ce qui semble faire la différence avec leurs collègues qui peuvent, pour certains, avoir été contraints de le faire pour obtenir leur contrat à la commission scolaire. Toutefois, même s’ils semblent plus motivés que leurs collègues en exercice, les étudiants ST sont confrontés à diverses contraintes dont celle, importante, de l’accès plus difficile à un stage. C’est le nombre de stagiaires à placer, pour les secteurs concernés, qui expliquent cette difficulté.

En effet, la nouveauté des stages dans les BEP implique une plus grande participation du personnel enseignant régulier pour accompagner des stagiaires et avant de recevoir des étudiants ST, plusieurs enseignants devront accompagner des étudiants en exercice, leurs collègues de travail. Ainsi, des centres de formation professionnelle priorisent les stagiaires qui sont en exercice, donc leurs nouveaux enseignants, avant de se préoccuper des futurs enseignants. Cette réaction de centres de formation professionnelle de ne pas accueillir des étudiants ST, souvent basée sur les ressources limitées dont disposent ces centres, pourrait être amplifiée si ces derniers possèdent déjà une liste de suppléants suffisante dans les secteurs concernés. Il s’agit certainement d’une contrainte à laquelle les étudiants ST des secteurs identifiés doivent faire face. C’est, à notre point de vue, cette représentation plus importante d’étudiants ST dans quelques secteurs de formation qui explique cette disponibilité réduite des milieux de stages pour ces étudiants ST.

Enfin, les résultats exposés dans la section des intentions des étudiants semblent confirmer qu’ils sont davantage motivés, car, en plus d’évaluer plus positivement le BEP, ils ont l’intention, en plus grande proportion, de le terminer comparativement à leurs collègues en exercice. Cette intention des étudiants ST renvoie une fois de plus à la notion de stratégie. Cette intention changera peut-être en devenant plus objective, en vivant les difficultés soulevées par un grand nombre de répondants comme la durée des études ou les possibilités d’emplois en enseignement professionnel. Ces contraintes affecteront, peut-être, leur stratégie en retour, mais, pour l’instant, les étudiants ST se démarquent de ceux en exercice.

CONCLUSION

C’est à partir de l’analyse des données recueillies par le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel que nous avons présenté, pour une première fois, certaines particularités d’un tout nouveau type d’étudiants dans les programmes de formation à l’enseignement professionnel au Québec. Cette nouveauté dans la fréquentation de ces programmes de formation a été induite à la suite de nouvelles obligations ministérielles de formation énoncées en 2001 et instaurées en 2003. En concordance avec notre objectif, nous avons donc dépeint la réalité de ces étudiants ST telle qu’observée à la fin de 2010 et au début 2011, particulièrement sous l’angle de leur parcours professionnel.

En ce sens, ce sont des caractéristiques liées au marché du travail qui semblent expliquer, en partie, la décision d’un plus grand nombre de femmes, plus jeunes, en provenance de quelques secteurs de formation, de choisir de se préparer à l’enseignement de leur métier. Nous retenons aussi que les personnes qui vivent cette bifurcation professionnelle rencontrent des contraintes plus importantes dans ces mêmes secteurs de formation, entre autres liées aux stages d’enseignement. En outre, le fait qu’une part non négligeable de ces étudiants ST de ces secteurs ne changent pas de statut, pour devenir, après un certain temps, des étudiants avec une tâche d’enseignement semble indiquer que ces secteurs vivent des situations particulières puisque dans la majorité des secteurs de la FP, les nouveaux enseignants ne demeurent pas longtemps sans tâche une fois qu’ils ont manifesté l’intérêt de vivre cette bifurcation professionnelle.

À ce point, on pourrait se questionner à savoir ce que ces premières indications signifient pour l’avenir de ce nouveau parcours de formation à l’enseignement professionnel. Est-il question de l’émergence d’un nouveau type d’enseignant, au secteur professionnel, formé avant d’enseigner? C’est alors tout le modèle de formation à l’enseignement professionnel qui serait remis en question pour devenir identique à celui des enseignants du secteur général, auquel cas toute la question des stages devient préoccupante. En fait, nous pourrions envisager que, si les universités décidaient, en formation à l’enseignement professionnel, de se lancer dans le recrutement d’un plus grand nombre d’étudiants ST, elles seraient, fort probablement, rapidement confrontées à l’incapacité des centres de formation professionnelle d’accueillir un nombre trop grand de stagiaires. À partir des données présentées, il s’agirait certainement d’une question importante à approfondir.

Enfin, en lien avec notre objectif et le cadre conceptuel utilisé, nous pouvons uniquement prétendre brosser un portrait ponctuel de la situation, sachant que les étudiants qui étaient ST au moment de l’enquête ne le sont peut-être déjà plus. Aussi, même si le nombre de postes d’enseignants en formation professionnelle est en hausse depuis les dernières années au Québec, nous savons que celui-ci est tributaire du marché du travail en termes d’offre et de demande de la main-d’œuvre. Ainsi, un étudiant ayant une tâche d’enseignement au cours d’une année pourrait ne plus en avoir l’année suivante. Ces circonstances ont certainement un impact sur les choix, professionnels et scolaires, des personnes en formation à l’enseignement professionnel. Nous en sommes donc au tout début de l’analyse et de la compréhension de ce phénomène des étudiants ST en formation à l’enseignement professionnel.

NOTE

  1. 1. Il importe de mentionner que les données ont été recueillies par le comité mandaté par la Table de concertation MELS-Universités sur la formation à l’enseignement et financé par le MELS, les universités participantes et l’Association des doyens, doyennes et directeurs, directrices pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ). Toutefois, les calculs, analyses, propos et conclusions ici exposés n’engagent en rien cette instance et demeurent notre entière responsabilité.

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