Éditorial
Ce numéro général comprend six articles en anglais, six en français, que nous avons organisés par thématique, ainsi que deux Notes du terrain. C’est dans ce numéro général que nous faisons nos adieux et exprimons notre immense gratitude à nos cinq rédacteur·rice·s francophones. (Nous présenterons notre nouvelle équipe éditoriale — tant francophone qu’anglophone — dans un prochain numéro.) Commençons par présenter le contenu du présent numéro général.
Les quatre premiers articles examinent de manière critique et créative diverses questions d’iniquité : Rodrigues s’intéresse à l’art de rue lié aux femmes et filles autochtones ; Gillies analyse la science raciale comme élément central de l’éducation antiraciste ; Mackey explore l’intégration de l’éducation décoloniale dans une pédagogie culturellement adaptée ; et Almanssori aborde l’enseignement lié aux violences fondées sur le genre. Nous prenons ensuite du recul avec Bourgeois et Tarif pour réfléchir à la construction de l’identité (initiale) enseignante et à ce qu’elle implique, avant de nous tourner vers Mamprin qui pense, avec les enseignant·e·s, à ce qui constitue le bien-être au travail. Les trois articles suivants traitent d’une situation particulière à laquelle enseignant·e·s (et élèves) ont été confronté·e·s : l’enseignement et l’apprentissage à distance pendant la pandémie — une expérience qui a suscité des questions plus larges sur l’identité enseignante et le sentiment d’appartenance à une communauté (Thurber et al.) ; les pratiques (in)équitables en éducation rurale (Kettley & Mitton) ; et, en revenant à des questions fondamentales, l’examen des outils technologiques pour leur capacité à transmettre une présence cognitive (Petit et al.). Comment engager les adolescent·e·s dans un dialogue philosophique significatif sur des enjeux d’actualité — comme ceux abordés dans ce numéro — ou sur d’autres questions qui leur tiennent à cœur? Aimé et al. proposent des pistes de réflexion à partir de discussions menées avec dix-neuf élèves du secondaire. Tortochot et Moineau s’intéressent à l’impact qu’a eu l’introduction d’un partenaire industriel sur l’enseignement et l’apprentissage en classe. Nous concluons cette série d’articles avec Duval, qui nous ramène à une question essentielle concernant les jeunes enfants et les débuts de leur scolarité : comment les enseignant·e·s peuvent-ils·elles équiper les enfants pour qu’ils·elles développent les fonctions exécutives nécessaires à la transition vers la première année du primaire? Enfin, Allaire, Laferrière et Nadeau-Tremblay, dans leur Note du terrain, proposent quelques réflexions stimulantes sur ce que les chercheurs et chercheuses ont eux-mêmes appris au fil des années à travers le processus de recherche. Pour sa part, Krause évoque le pouvoir de la rétro-ingénierie dans l'enseignement des mathématiques aux futurs enseignants. Des résumés des différents articles et des Notes suivent.
Rodrigues est une personne descendante de deuxième génération de colons d’origine européenne qui, en tant que journaliste, a d’abord été sensibilisée à la manière dont les récits dominants nuisent aux femmes et aux filles autochtones. Son article porte sur la façon dont l’art de rue peut perturber ces récits. S’appuyant sur un projet de recherche de quatre ans ancré dans une pédagogie publique féministe, Rodrigues a interviewé des artistes de rue femmes. L’article sélectionne quatre œuvres de résistance urbaine pour une analyse approfondie : un pochoir de Theresa Spencer, ancienne cheffe de la Première Nation d’Attawapiskat, réalisé par Wall of Femmes lors de sa grève de la faim ; la murale Indigenous Womxn Rising de Chief Ladybird et Mo Thunder Bedard ; la murale « heart berry » de Natalie King (Anishinaabe); et No Silence While My Sisters Suffer de Red Bandit. Rodrigues souligne l’important rôle éducatif que peut jouer l’art de rue dans la remise en question des récits intenables sur les femmes et les filles autochtones.
Gillies s’appuie sur une analyse textuelle de la littérature sur l’histoire du racisme scientifique pour examiner les concepts fondamentaux de la construction raciale : les catégories raciales, les hiérarchies raciales, la supériorité intellectuelle des hommes blancs et la pureté raciale. Gillies explore ensuite les étapes historiques clés ayant mené des scientifiques reconnus à rejeter la science raciale au milieu du 20e siècle. L’argument principal de Gillies est que l’enseignement de l’histoire de la race constitue un volet essentiel de la formation des enseignant·e·s à l’antiracisme, car cette connaissance aide à comprendre et reconnaître qui peut être raciste et qui bénéficie du racisme, comment les pratiques racistes s’enracinent dans le milieu scolaire, et aborder l’antiracisme dans les curriculums scolaires.
En s’appuyant sur une recherche narrative qualitative menée à travers une perspective de la race critique, Mackey comble un manque d’analyse sur les actions mises en œuvre dans le système éducatif en Nouvelle-Écosse et en Amérique du Nord pour instaurer une pédagogie culturellement appropriée (Culturally Relevant Pedagogy [CRP]). En racontant les expériences d’enseignant·e·s en formation et en service, Mackey souligne la nécessité, pour les éducateur·rice·s, les responsables scolaires et les responsables politiques, d’intégrer des démarches de décolonisation dans l’implantation de la CRP, afin de surmonter le racisme systémique en éducation. Selon Mackey, sans ces démarches décolonisantes, les efforts de mise en œuvre de la CRP échoueront.
Almanssori s’intéresse au degré de confort des enseignant·e·s du secondaire en Ontario dans la prévention de la violence sexuelle. Un sondage a été mené auprès de 105 enseignant·e·s d’écoles publiques, dont la majorité des participants étaient des femmes. Almanssori a constaté que, bien que les enseignant·e·s reconnaissent l’importance d’enseigner le respect dans les relations (par exemple, en décourageant les blagues sexistes), la violence fondée sur le genre demeure un sujet délicat. Cela se manifeste notamment dans leur inconfort à l’idée d’être témoins ou d’intervenir dans des scénarios de violence sexuelle en milieu scolaire, en particulier dans les cas graves (comme la coercition sexuelle ou le viol). Almanssori souligne que l’éducation aux pratiques sexuelles saines ne peut être dissociée de l’éducation sur la violence fondée sur le genre.
Bourgeois et Tarif ont examiné la construction de l’identité dans la modernité tardive en lien avec l’engagement professionnel du personnel enseignant en début de carrière, à partir des trajectoires de quatorze nouveaux enseignants québécois. Les résultats font état notamment de la persistance d’un modèle de carrière envisagé sur le long terme.
Pour sa part, Mamprin a procédé à une revue critique de trente publications portant sur le bien-être au travail chez le personnel enseignant afin de mieux comprendre l’ancrage conceptuel. À l’issue de cet exercice, il en ressort treize définitions du bien-être employées pour étudier ce phénomène auprès du personnel enseignant
La COVID-19 semble aujourd’hui loin derrière nous, mais l’article de Thurber, Hirsch et Feldman offre un éclairage précieux sur ce qui peut survenir, à tout moment, lorsque les conditions changent, bouleversant l’éducation et modifiant radicalement la réalité des enseignant·e·s (et des élèves). L’étude se concentre ici sur trois transformations observables chez les enseignant·e·s pendant la pandémie, dans trois écoles différentes du réseau des écoles juives de Montréal, au Québec. Dans ces établissements, comme le soulignent Thurber et al., la dynamique communautaire joue un rôle fondamental. Leur recherche s’est centrée sur la question suivante : de quelle manière un sentiment communautaire préexistant influencerait-il l’enseignement à distance en ligne? Les personnes chercheuses ont conclu que, bien que les enseignant·e·s aient ressenti de l’anxiété et de la frustration, un fort sentiment d’appartenance à un réseau communautaire s’est manifesté — un réseau résolu non seulement à faire face à la crise, mais à la surmonter.
Changement de décor, mais non de sujet : Kettley et Mitton s’intéressent, dans leur revue de portée, à l’impact de l’enseignement à distance en milieu rural, plus précisément en Nouvelle-Écosse. Ils examinent notamment comment la pandémie, selon leurs termes, a à la fois mis en lumière et exacerbé les conditions de vie des élèves ruraux (y compris les élèves racisé·e·s) vivant dans la pauvreté. L’angle adopté — inspiré par l’un des auteur·rice·s, une enseignante en formation ayant grandi dans ces conditions et y étant retournée pour ses stages — est celui du témoignage. Trente-sept études ont été sélectionnées pour l’analyse. Comme la pandémie a permis à la fois de révéler et d’aggraver les inégalités, Kettley et Mitton invitent à utiliser leurs résultats pour améliorer la formation à l’enseignement en contexte rural (infrastructures, communautés professionnelles enseignantes, littératie numérique, pédagogies du soin), afin de mieux préparer les enseignant·e·s aux défis rencontrés durant la pandémie — et toujours vécus — par les élèves en milieu rural.
Dans le même ordre d'idées, Petit, Babin et Desrochers ont choisi d’examiner comment les personnes superviseures universitaires (PSU) au Québec adaptent leurs pratiques de supervision de stage à distance pour favoriser la présence cognitive chez les personnes stagiaires en enseignement. En s'appuyant sur des entretiens avec des PSU et le modèle de la communauté d'apprentissage en ligne, la recherche explore les différentes phases de la présence cognitive dans ce contexte de supervision à distance. Elle identifie également comment des outils comme la vidéo, les forums et les discussions en sous-groupes sont utilisés pour déclencher l'exploration de solutions et l'intégration des connaissances.
Aimé, Gagnon, Leblanc, Gagnon, Trudeau et Léonard ont étudié la perception de l'intimidation liée au poids lié au poids chez les adolescents et les stratégies mises en œuvre. Dix-neuf élèves âgés de 14 à 17 ans ont participé à des entretiens de groupe, explorant la nature, les causes et les conséquences de cette forme de harcèlement. L’analyse des résultats suggère que l'intimidation liée au poids est souvent subtile, mais a des effets importants. Les participants ont souligné l’importance de mobiliser les adultes et les pairs pour apporter un soutien émotionnel aux personnes ciblées, tout en mettant en garde contre les interventions punitives ou fondées sur la surveillance.
Tortochot et Moineau ont examiné l’incidence de l’approche didactique de l’introduction d’un partenaire industriel dans deux situations d’enseignement-apprentissage du design. Les résultats mettent en évidence les représentations des étudiants par les expériences qu’ils ont vécues en plus de caractériser les objets de savoir d’une didactique du design.
Dans leur article, Duval, Montminy, Brault Foisy et Boucher s'intéressent particulièrement aux fonctions exécutives des enfants en transition vers le primaire, ainsi qu'aux perceptions et attentes des enseignantes concernant les habiletés socioémotionnelles, comportementales et cognitives pendant cette période charnière. Les résultats montrent des changements significatifs dans certaines fonctions exécutives et soulignent l'importance pour les enseignantes de considérer les besoins développementaux individuels des élèves pour faciliter une transition harmonieuse.
Dans leur Note de terrain, Allaire, Laferrière et Nadeau-Tremblay se consacrent à expliciter le développement professionnel de chercheurs à travers la tenue d’une recherche participative en contexte d’École en réseau, tandis que Krause explique comment il a réussi à convaincre les futurs enseignants quant à la manière d'enseigner le raisonnement mathématique, en utilisant une approche astucieuse basée sur le jeu qu'il appelle l'ingénierie inverse.
Le travail accompli par les rédacteurs·rice·s francophones au sein du MJE/RSEM est tout simplement remarquable, au point que la revue est véritablement devenue une entreprise collaborative et partagée — un modèle exemplaire, sans doute dans l’histoire même de la revue, peut-être au Québec, voire dans d’autres contextes. Tout ce que nous savons au RSEM/MJE, c’est que nous sommes profondément reconnaissant·e·s de la présence, au cours des dernières années, de : Kevin Péloquin (rédacteur francophone principal), Carl Beaudoin (coéditeur francophone principal), Chantal Tremblay et Thierry Desjardins. Nous saisissons également cette occasion afin de remercier chaleureusement Patrice Cyrille Ahehehinnou. Ensemble, ces cinq rédacteur·rice·s représentaient quatre grandes universités québécoises (Université de Montréal, UQTR, UQAM et Université Laval). Chacune et chacun a laissé son empreinte sur la revue, tout particulièrement les éditeurs principaux, mais nous tenons à remercier tou·te·s les rédacteur·rice·s pour leur engagement généreux, tant en temps qu’en réflexion, et nous leur souhaitons succès dans leurs projets à venir. Nous profitons également de cette occasion pour renouveler notre gratitude au doyen de la Faculté d’éducation de McGill, Vivek Venkatesh, pour son soutien à la revue et, en particulier, pour avoir financé le travail d’une réviseure linguistique dédiée aux articles en français, ce qui a permis de faciliter la publication de plusieurs des textes de ce numéro général. Merci à vous, Vivek, pour votre contribution au rayonnement de la revue!
TERESA STRONG-WILSON, CARL BEAUDOIN, KEVIN PÉLOQUIN,
CHANTAL TREMBLAY ET VANDER TAVARES