ÉDITORIAL : MINI-NUMÉRO SPÉCIAL SUR LE PROJET DE LOI 23



Ce numéro se distingue sur plusieurs points. Il s’agit du deuxième de nos numéros généraux à contenir un mini-numéro spécial. Et ce mini-numéro spécial est véritablement distinctif, voire sans précédent dans les annales des revues, puisqu’il est le fruit d’une préoccupation partagée et d’un appel simultané lancé par trois revues en éducation au Québec : Revue des sciences en l’éducation, Formation et profession et McGill Journal of Education/Revue des sciences de l’éducation de McGill (MJE/RSEM). Cet appel invitait les auteur·rice·s à réfléchir aux implications, tant locales qu’internationales, du projet de loi 23 du Québec (désormais adopté), lequel renforce la concentration des pouvoirs entre les mains du ministre de l’Éducation et accélère la formation des enseignant·e·s. Les rédacteur·rice·s invité·e·s principaux·ales de ce mini-numéro spécial dans le MJE/RSEM étaient Simon Collin (UQAM), Geneviève Sirois (Université TELUQ) et Paul Zanazanian (McGill). Dans leur éditorial du mini-numéro spécial, ils expliquent plus en détail l’orientation du numéro et présentent les trois articles qui y figurent. Nous aborderons d'abord l'éditorial du numéro spécial, puis celui du numéro général.



Ce numéro thématique de la Revue des sciences de l’éducation de McGill/McGill Journal of Education que nous (Simon Collin, Geneviève Sirois et Paul Zanazanian) coordonnons résulte d’une collaboration inédite avec deux autres revues savantes québécoises : La revue des sciences de l’éducation et Formation et profession: revue scientifique internationale en éducation.

Ce partenariat reflète l’ampleur des débats sociaux suscités par la Loi 23, laquelle prévoit entre autres une centralisation accrue de la gouvernance scolaire, l’abolition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement, une réforme du Conseil supérieur de l’éducation et la création d’un Institut national d’excellence en éducation. La Loi 23 soulève en effet des enjeux majeurs liés à l’autonomie institutionnelle des instances de régulation et de la gouvernance scolaire, à la gestion des données scolaires et à l’évaluation de l’efficacité des pratiques d’enseignement et de formation. L’adoption de cette loi a entrainé une mobilisation inédite des chercheurs en éducation et des syndicats d’enseignants, entre autres.

Cette controverse se poursuit, tandis que l’analyse scientifique des effets et implications de cette transformation est encore en cours. En répondant à l’appel à textes, les différents auteurs ont fait œuvre utile, car ils enrichissent ces débats d’une analyse scientifique et critique à propos de politiques publiques qui affectent la gouvernance et la régulation de tout le système éducatif québécois obligatoire, autant que les pratiques professionnelles de ses acteurs.

Les trois articles qui constituent ce numéro thématique explorent la Loi 23 en mobilisant des ancrages théoriques et des angles variés. Basé sur une vaste expertise scientifique des politiques éducatives québécoises et de leur mise en œuvre (voir Maroy, 2021 pour une synthèse), Christian Maroy, professeur titulaire honoraire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, offre un essai critique éclairant de la Loi 23 et de ses implications possibles sur les professionnel.les de l’enseignement. L’auteur souligne notamment que cette loi court le risque d’hyper-réguler les pratiques des professionnel.les de l’enseignement en combinant un monitorage statistique de leur performance et des stratégies de changement basées sur des savoirs scientifiques décontextualisés et standardisés. S’ajoute régalement un risque de sur-responsabilisation des professionnel.les de l’enseignement, sur la base d’une théorie du changement simpliste. Ce faisant, la Loi 23 est susceptible d’amplifier certains travers déjà documentés de la Gestion axée sur les résultats.

Andréanne Langevin, doctorante en sciences de l’éducation à l’Université McGill, propose de décrire les changements graduels introduits récemment en éducation au Québec lors de l’adoption des projets de loi 40 (2020) et 23 (2023). Elle défend la thèse selon laquelle la (re-) centralisation des pouvoirs mise en œuvre dans les deux projets de loi peut être vue comme un aboutissement d’une trajectoire néo-institutionnelle dans l’action publique, qui s’est déployée de manière subtile, par une succession de changements progressifs. Pour ce faire, l’autrice discute de cinq articles précis de ces deux projets de loi, en s’appuyant sur les résultats d’analyse provenant d’une revue exhaustive de la littérature grise produite ou soumise à l’Assemblée nationale du Québec en amont de l’adoption des projets de loi 23 et 40, ainsi que des discussions tenues dans le cadre des consultations particulières et études détaillées de ces lois. Elle met en évidence l’idée selon laquelle la centralisation « par étape », mise en œuvre dans des projets de loi, bien qu’elle vise officiellement à renforcer la cohérence et l’efficacité du système éducatif par la décentralisation des pouvoirs décisionnels vers les écoles et les parents, rend d’autant plus difficile l’émergence d’une opposition marquée, dans la mesure où les changements diffus et graduels tendent à passer sous le radar et à échapper à une prise de conscience collective.

Dans leur essai, Maryse Potvin, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal et cotitulaire de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression (COLIBEX), et Simon Bilodeau, détenteur d’une maitrise en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal, proposent un examen critique de ce qu'ils estiment être les tendances centralisatrices et autoritaires de la Loi 23 à travers la notion de panopticon de Michel Foucault et la théorisation de James C. Scott sur les causes clés de l'effondrement des grands projets étatiques. Leur analyse met en évidence les risques inhérents à l'application de la Loi 23, où la surveillance, le contrôle, la normalisation et la punition des principaux acteurs de l'éducation peuvent facilement empiéter sur leur autonomie professionnelle, limitant leur capacité à exercer pleinement leur expertise acquise. Ce qui est en jeu, soulignent les auteurs, c'est le libre épanouissement de nos institutions démocratiques.

Nous espérons que ce numéro thématique sur la Loi 23 contribue à nourrir la réflexion collective à propos des tenants et aboutissants de ce texte législatif. Nous avons bon espoir que le regard posé par les articles constituant ce numéro aidera à situer cette loi dans des dynamiques plus larges, ainsi qu’à éclairer les enjeux de pouvoir, d’efficacité et d’autonomie au sein du système éducatif. Nous encourageons donc les lecteurs à lire ces trois articles, et à les mettre en conversation avec ceux des deux autres numéros spéciaux sur la Loi 23 dans la Revue des sciences de l'éducation https://revuescienceseducation.ca et dans Formation et profession : revue scientifique internationale en éducation, 32 (3), 2024, https://formation-profession.org/fr/



SIMON COLLIN, GENEVIÈVE SIROIS ET PAUL ZANAZANIAN