Éditorial


Ce numéro se compose de onze articles, d’un forum RSEM et de trois notes du terrain. Certains articles abordent des questions actuelles dans la formation des enseignants, notamment des formes efficaces de mentorat des enseignants associés envers les enseignants en formation (Parks) et de coenseignement durant le stage pratique de l’apprentissage (Fortier et Tremblay). Ils traitent également de l’impact de l’autoréflexion à travers l’écriture sur les enseignants en formation initiale; cette étude apporte une contribution à la discussion dans le contexte belge (Deschepper et Colognesi). Plusieurs articles se concentrent sur le milieu préscolaire : l’influence du marketing transmédiatique des princesses Disney sur le jeu de simulation des jeunes enfants (Valade); la qualité des interactions des enfants dans les garderies (Lachapelle et Lemay) et entre eux pendant la pandémie (Bouchard, Parent, Leboeuf, Couttet et McKinnon-Côté). La pandémie de COVID-19 fait aussi l’objet d’une étude sur les conséquences de la fermeture des écoles pour les élèves ayant des besoins particuliers (Giordano, Kathol et Flanagan), tandis qu’un autre article a étudié la relation entre les familles d’immigrants récents et les écoles du Québec lors de la première vague de la pandémie (Morin et Audet). Une série d’articles axés sur le contexte québécois aborde : l’enseignement intensif de l’anglais langue seconde (Thibeault et Forget), les classes d’accueil centrées sur la langue française (Mamprin et Papazian-Zohrabian), et un outil d’évaluation de la résistance au changement chez les étudiants universitaires (Loi Zedda, Frenette, Thibodeau et Forget). Toujours dans le contexte québécois, Ahehehinnou et Anne analysent les répercussions réelles du projet de loi 105 sur la gouvernance parentale. Cette loi a modifié la loi existante sur l’éducation publique en accordant plus de pouvoir aux commissaires parents.

Dans ce numéro, nous présentons également un échange dans le forum RSEM qui sert de préambule à l'enquête méditative, grâce à une entrevue avec Ashwani Kumar menée par Bonnie Petersen. Le nom d’Ashwani Kumar est désormais synonyme de l’utilisation de l’enquête méditative, que ce soit dans le cadre de la recherche, l’enseignement et la vie quotidienne.

Trois notes du terrain abordent diverses questions, approches ou idées stimulantes : les perceptions des enseignants envers les élèves ayant des besoins particuliers (Di Placido), une approche neurolinguistique de l’enseignement des langues secondes et de la préparation aux examens (Sgueglia), et une réflexion novatrice en intégrant des vidéos dans les déclarations de philosophie pédagogiques des enseignants (Sharmin et Chow).

Comment les enseignants associés peuvent-ils mieux soutenir les enseignants en formation initiale, dont le rôle est crucial dans leur intégration professionnelle? En utilisant une approche d’enquête narrative, Parks a examiné les enseignants en formation initiale au moment où un transfert de responsabilités a lieu dans leur programme. Comment ce transfert de pouvoir, que Parks décrit si adroitement comme un pas à deux, peut-il réussir? Quinze enseignants en formation initiale, inscrits dans un programme de formation des enseignants au Québec, ont pris part à des séances de discussion en groupe. Parmi les stratégies les plus efficaces identifiées figurait la capacité des enseignants associés à savoir quand être présent ou prendre charge et quand se retirer, permettant ainsi aux enseignants mentorés de croître et de se développer. En effet, ce n’est que lorsqu’ils étaient seuls à enseigner aux élèves que les enseignants en formation initiale pouvaient véritablement exercer leur autonomie et leur pouvoir d’action en tant qu’enseignants.

Dans leur étude sur les relations entre les familles d’immigration récente et les écoles durant la première vague de COVID-19 au Québec, Morin et Audet arrivent à la conclusion que la fermeture des écoles a contribué à la construction d’une frontière entre les institutions scolaires et les familles immigrantes. Cette recherche a été menée auprès d’agents école-famille-communauté dédiés à l’établissement de relations entre les écoles, les familles immigrantes et des organismes communautaires. En privilégiant l’analyse de 12 récits de pratique recueillis auprès de ces agents, nous avons l’occasion de mieux saisir les défis rencontrés par ces intervenants et les stratégies employées pour tisser des liens entre les familles et l’école.

L’étude de Deschepper et Colognesi, réalisé en contexte belge, s’intéresse au contenu et à l’évolution du discours d’autoévaluation d’étudiants en formation initiale à l’enseignement en analysant les contenus des rapports de stage de six étudiants, rédigés à la fin de chacun des trois stages de leur programme d’études. Les résultats montrent trois profils d’étudiants que les auteurs relient aux seuils de réflexivité de Jorro (2005). En conclusion, Deschepper et coll. s’appuient sur la variabilité de la capacité d’autoévaluation de ces étudiants pour soutenir le besoin d’améliorer l’accompagnement à l’écriture de textes réflexifs.

L’étude porte sur l’impact du marketing transmédiatique des princesses Disney sur les salles de classe de la petite enfance. Cette étude est menée à travers une perspective féministe et poststructuraliste queer. Le terme «transmédia» désigne l’utilisation simultanée de plusieurs supports médias (films, jeux vidéo, livres, jouets). Cette campagne marketing spécifique de Disney promeut une image collective de la puissance féminine ou « girl power ». Comment les jeunes enfants intègrent-ils les stéréotypes de genre et de sexualité, notamment ceux propagés par l’hyperféminité des princesses Disney, dans leurs jeux de rôle? Pour répondre à cette question, Valade a mené une étude auprès d’enfants âgés de 4 ans dans deux garderies ou centres de la petite enfance du Québec. Les résultats sont nuancés quant à l’influence réelle de ces jeux, qui semblent également contribuer à des espaces plus inclusifs et variés sur le plan du genre. Ce qui inquiète le plus, conclut Valade, est la surveillance des genres et l’hétéronormativité en petite enfance. Pour créer un terrain de jeu plus équitable, il est nécessaire d’établir des directives qui permettront aux jeunes enfants de se sentir libres de s’opposer ou d’incarner des rôles de personnages.

Lachapelle et Lemay se sont intéressées aux conceptions des responsables de service de garde en milieu familial quant à la qualité des interactions. 13 participantes ont été questionnées au cours d’entrevues semi-dirigées, notamment sur les comportements à adopter auprès des enfants. Les données qualitatives obtenues ont été traitées selon l’analyse culturelle ainsi que comparée aux domaines et dimensions du « Classroom Assessment Scoring System » Trottineur, un instrument standardisé conçu pour mesurer la qualité des interactions dans les services de garde en installation. Les résultats montrent des différences dans les conceptions sur les interactions vécues en milieu familial et en installation.

Dans cette étude sur les relations entre six groupes d’enfants et leurs éducatrices en centre de la petite enfance pendant la pandémie de COVID-19, Bouchard, Parent, Leboeuf, Couttet et McKinnon-Côté s’intéressent à la qualité des interactions dans un milieu naturel à proximité de ces centres. En privilégiant l’observation en milieu naturel et les entrevues avec les éducatrices, les autrices arrivent à la conclusion que la qualité des interactions en milieu naturel n’a pas connu de changement pendant la pandémie. Toutefois, le port du masque à l’intérieur des centres a représenté un frein pour la qualité des interactions avec les enfants.

Kathol, Flanagan et Giordano ont étudié les modifications de routine et les émotions vécues par les familles d’enfants ayant des difficultés d’apprentissage ou des limitations en raison de la fermeture des écoles pendant la pandémie de COVID-19 au Québec, Canada. Les auteurs ont remarqué une inquiétude générale quant aux conséquences sociales et émotionnelles des fermetures prolongées des écoles. Les routines familiales après ces fermetures ont inclus une utilisation accrue des technologies, une diminution des interactions sociales, l’interruption ou le déclin des activités parascolaires et des thérapies, ainsi qu’une baisse du bien-être mental chez les enfants d’âge scolaire présentant des troubles d’apprentissage ou des limitations. En réponse, les auteurs suggèrent des services de soutien améliorés pour atténuer les effets négatifs associés aux fermetures prolongées des écoles.

Cette recherche exploratoire menée par Thibeault et Forget nous amène à l’intérieur d’une démarche de coenseignement d’une séquence sur l’écriture de genres textuels dans un programme d’anglais intensif en 6e année du primaire. À partir d’entrevues individuelles réalisées auprès d’une enseignante titulaire et d’une enseignante d’anglais langue seconde, les autrices présentent les points de vue des enseignantes sur les paramètres du dispositif exploré, leur perception de l’expérience vécue par les élèves ainsi que l’intégration des langues dans un contexte de coenseignement.

Comment créer une culture plus accueillante dans les classes d’accueil au Québec — des classes conçues pour initier les nouveaux arrivants à la langue française, mais aussi à la culture et à la société québécoises? Ces classes, qui promettent une intégration scolaire et sociale, sont ouvertes aux apprenants de tous âges, aux niveaux primaire et secondaire, qui ne maîtrisent pas le français. Huit enseignants de langue seconde à Montréal ont pris part à cette étude qualitative, qui s’est appuyée sur le modèle de développement PPCT (processus, personne, contexte, temps) de Bronfenbrenner et Morris. Mamprin et Papazian-Zohrabian ont observé (en accord avec des recherches antérieures) l’émergence d’une mini-école au sein de l’école. Ils recommandent de déployer davantage d’efforts pour établir des liens entre les enseignants et les élèves des classes d’accueil et ceux du curriculum «régulier», afin de prévenir les écarts systémiques qui renforcent l’exclusion au lieu de favoriser une culture accueillante.

Dans cet article, Loi Zedda, Frenette, Thibodeau et Forget présentent les étapes d’un processus visant à adapter, au contexte québécois, un outil pour mesurer la disposition des étudiants universitaires à résister au changement. Après avoir été traduit, évalué par des experts et des enseignants, il a été testé auprès de deux échantillons d’étudiants. La version finale a été soumise auprès de 294 étudiants du 1er cycle. En collectant ces données et en les classant selon les quatre dimensions de l’outil, les auteurs offrent ainsi un portrait de la disposition des étudiants sondés à résister au changement.

Depuis l’adoption du projet de loi 105 en 2016, une modification de la loi sur l’éducation publique qui a accordé aux commissaires parents des droits de vote accrus au sein de divers conseils de gouvernance scolaire, Ahehehinnou et Anne se demandent si ces représentants parentaux ont constaté un changement. Les voix et les perspectives des parents sont-elles entendues, influençant ainsi les décisions politiques? Ahehehinnou et Anne ont mené des entrevues avec 13 personnes exerçant différents rôles décisionnels parentaux au sein de deux centres de services scolaires au Québec. Ils ont constaté que l’impact du projet de loi variait considérablement d’un centre de service scolaire à l’autre. Cette variation est attribuée par les chercheurs aux disparités en termes de leadership et de culture organisationnelle. Ils concluent que, bien que des progrès significatifs aient été réalisés dans certains centres de services scolaires, des écarts importants subsistent. Un modèle de leadership plus participatif, suggèrent-ils, permettrait probablement de combler ces lacunes.

Nous espérons que vous apprécierez la lecture de ces études, riches en réflexion, qui, nous le souhaitons, vous apporteront beaucoup!


TERESA STRONG-WILSON, CARL BEAUDOIN, KEVIN PÉLOQUIN,

CHANTAL TREMBLAY ET VANDER TAVARES