ÉDITORIAL



Lidée de réunir des contributions autour de l’articulation entre l’enseignement et la diversité des publics scolaires est issue d’un Colloque international qui s’est tenu les 12-14 octobre 2017, organisé par l’Université de Corse Pasquale Paoli, intitulé « Diversité culturelle et citoyenneté. Enjeux éducatifs à l’heure de la globalisation », sous la responsabilité de Bruno Garnier, Régis Malet et Jean-Louis Derouet. Six ans plus tard, alors que la question de la diversité est devenue centrale dans les politiques d’éducation, sans qu’on soit parvenu à un consensus sur les moyens ni sur les objectifs de sa prise en compte, il est apparu nécessaire à Bruno Garnier et à Angela Barthes de réactualiser cette problématique en lui donnant une nouvelle ouverture à travers un appel à contributions dans la Revue des Sciences de l’Éducation McGill.

Il s’agit d’étudier la manière dont la diversité au sens large peut être intégrée à l’enseignement pour former le citoyen des temps actuels et futurs. Si les pays l’Amérique du Nord et plus largement ceux de la sphère anglo-saxonne reconnaissent l’existence de minorités sur leur sol et leur accordent des droits spécifiques, d’autres pays, comme la France, y opposent une certaine résistance au nom de la fonction d’émancipation de l’école qui doit extraire l’enfant de son milieu pour le rendre capable de s’orienter par lui-même dans la société où il doit être intégré. Pour y parvenir, une équivalence est posée entre un seul peuple, un seul État, une seule langue et une seule nation, ce qui a longtemps fait prévaloir l’indifférence aux différences dans l’éducation. Pourtant, au-delà de ces spécificités nationales, la pluralité des identités culturelles qui composent tous les pays du monde est une donnée universelle. Ce dossier se propose d’en étudier les implications pédagogiques et didactiques.

La formation du citoyen et aujourd’hui de l’écocitoyen, objet principal d’étude de ce numéro, réunit plusieurs aspects sociaux, sociétaux et institutionnels de la question des diversités. La définition de la citoyenneté s’enrichit de dimensions nouvelles dans des sociétés dont les références culturelles sont aussi diverses que les communautés qui les peuplent. Ainsi assiste-t-on au renouvellement du cosmopolitisme correspondant à la conjoncture de globalisation, dans un contexte international marqué par la montée des tensions interculturelles, interreligieuses et des incertitudes sanitaires et environnementales (Garnier, Malet et Derouet, 2020; Malet et Garnier, 2020).

La charnière des XXe et XXIe siècles a été marquée par la prise en compte de la diversité sous différents aspects : genre et orientation sexuelle, origine sociale, ethnie, langue, culture, religion, état de santé, âge, territoires de résidence ou territoires d’origine. Les objectifs de l’éducation s’en sont trouvés reformulés : le projet d’intégration sociale doit désormais se développer dans la reconnaissance des différences. Mais au-delà, la diversité sociétale s’exprime à travers l’accélération de la circulation des savoirs, de la mobilité des femmes et des hommes tandis que la spécification des lieux et des territoires par diverses instances a démultiplié et fragmenté les processus d’intégration sociale et politique selon plusieurs échelles – locales, régionales, nationales, transnationales – et selon plusieurs registres de normes, civiques, religieuses, linguistiques, sociales.

En matière d’éducation, la diversité nécessaire à la prise en charge des grandes évolutions sociétales telles que la mondialisation et la reconnaissance des diversités s’accommode partiellement de la forme scolaire et des disciplines telles qu’elles se présentent traditionnellement. En France, une des réponses a semblé résider dans le développement des « éducations à » (« à l’environnement et au développement durable », « à la santé », « à la sexualité », etc.), qui apparaissent dans les années quatre-vingt (Barthes, Lange et Tutiaux, 2017). Au Canada, une séparation trop étanche entre les disciplines paraît incompatible avec la préparation des futures générations à devenir des êtres humains vivant en société, socialement émancipés, aptes à réfléchir et à porter des regards critiques sur la société et à comprendre la complexité du monde (Lenoir, Larose et Lessard, 2005; Turner 2000). Dans cette perspective, les acteurs éducatifs proposent le développement de l’interdisciplinarité. Du coté anglo-saxon, les champs des « cultural studies » (Ang, 2008) ou « political studies » (Håkansson et al., 2017) ou encore les « controversial issues » (Levinson, 2017) viennent compléter le panel.

Aujourd’hui, pour répondre aux diversités et faire sens, il apparaît nécessaire de diversifier les approches didactiques, d’intégrer et d’écologiser les disciplines à des questions qui ouvrent vers le sociétal et le territoire, de confronter les approches théoriques et méthodologiques diverses. Nombre de contributeurs du présent dossier préconisent de mobiliser les capacités d’initiative des acteurs de l’éducation formelle et non formelle, mais aussi la diversité des besoins de formation et d’accompagnement, d’intégrer la question de la diversité des publics en didactique et in fine de montrer les possibles de la diversité des didactiques.

Les articles ici réunis appartiennent à trois catégories.

Dans la catégorie de la didactique des diversités, les contributions étudient la façon dont certaines questions vives ou sensibles sont abordées devant un public pluriculturel, pluriconfessionnel, pluriethnique.

Xavier Saint-Pierre, dans un article intitulé « De l’essentialisation au sein des représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration et de leur famille au Québec », s’attache à la manière dont se manifeste l’essentialisation au sein des représentations sociales du personnel enseignant à l’égard des élèves identifiés comme étant issus de l’immigration et de leur famille. Trois procédés illustrés empiriquement conduisent à des préconisations en matière de formation des enseignants. Angela Barthes porte son regard sur l’enseignement supérieur en s’intéressant à l’« Internationalisation de l’enseignement supérieur par les objectifs de et développement durable (ODD) : enjeux, risques et problématiques autour de la diversité ? ». Cet article examine les curricula des universités européennes, tenues de s’adapter à de nouveaux publics et à de nouvelles problématiques, et il valorise la transversalité disciplinaire dans la prise en charge des grands enjeux de société, et particulièrement les objectifs du développement durable. Enfin le texte de Hasheem Hakeem, sous le titre « Entre performance et fragilité : analyse des discours de garçons du secondaire au sujet de la diversité de genre », clôt cette première rubrique par la présentation d’une étude de cas qualitative sur les perceptions de garçons du secondaire au sujet de la diversité de genre et leurs implications pédagogiques.

Dans la catégorie de la diversité des didactiques, les articles explorent les modalités de reformulation des approches didactiques classiques du fait de la diversité des publics ou des savoirs mobilisés.

Tout d’abord, Laurent Hen, Nadege Doignon-Camus, Maria Popa-Roch et Odile Rohmer, dans une contribution intitulée « Le développement de la conscience phonologique. Comparaison des pratiques enseignantes en et en dehors de l’éducation prioritaire », observent les pratiques enseignantes pour développer la conscience phonologique des élèves prélecteurs, qui varient en fonction de leur origine socio-économique. Il s’avère que les enseignants privilégient des modalités peu efficaces, surtout dans les écoles relevant de l’éducation prioritaire. Marc-André Éthier et David Lefrançois proposent un article intitulé « L’histoire à l’école, deux pas en arrière ou un pas en avant? Nature de la pensée historienne et attitude didactique à adopter pour prendre en compte la diversité dans l’éducation citoyenne ». Ils étudient l’articulation entre la pluralité des identités culturelles, les registres de connaissances et les normes épistémologiques qui suscitent des débats dans l’enseignement de l’histoire. L’article soutient le développement de la pensée historienne en classe au service de l’autonomie intellectuelle, de la pensée critique et de l’esprit de tolérance. Mais l’état actuel de l’institution scolaire le permet-il ?

Enfin, l’ambition de ce dossier conduit à proposer une troisième catégorie de contributions, l’éducation à la diversité, qui étudient les complémentarités entre la didactique des diversités et la diversité des didactiques pour aller vers la compréhension de ce que pourrait être une éducation à la diversité.

Dans cette perspective, Virginie Boelen signe une contribution intitulée « Une didactique transversale centrée sur le Sujet, pour une éducation à la diversité, à la fois biotique et épistémologique ». Au-delà de l’humanité, c’est pour l’ensemble du vivant que la crise environnementale appelle une éducation à la diversité. À partir de là, l’article développe une proposition éducative axée sur le vivre-ensemble écologique et sur l’accueil d’une diversité épistémologique pour développer une compréhension plus fine de notre rapport au monde. Ensuite, Laure Moretti, dont l’article s’intitule « Expérimentation d’une stratégie éducative développant un territoire apprenant sur le territoire insulaire corse : impacts sur le profil d’écocitoyenneté des élèves », étudie une stratégie éducative basée sur la construction d’un territoire apprenant comme un levier de développement éducatif pour une éducation à une écocitoyenneté de qualité, entendue comme une écocitoyenneté émancipée, responsable, désireuse et capable d’engagements. Enfin, sous le titre « Les compétences interculturelles dans la formation des enseignants : une réponse polyphonique à la diversité culturelle », l’article de Marie Lucy et Karima Gouaïch discute la didactique des diversités sur la base des enseignements à l’interculturel en contexte pluriel. L’étude interroge la notion de compétences interculturelles et propose des pistes pour la formation des enseignants mettant en œuvre de pédagogies participatives et innovantes. La diversité culturelle s’avère un enjeu à la fois scientifique et éthique pour l’enseignement supérieur et la recherche.

BRUNO GARNIER et ANGELA BARTHES

RÉFÉRENCES

Ang, I. (2008). Cultural Studies. Dans T. Bennett et J. Frow (dir.), The Sage handbook of cultural analysis (p. 227-248). Sage.

Barthes, A. (dir.). (2017). Dictionnaire critique des enjeux et concepts des « éducations à ». L’Harmattan.

Barthes, A. et Alpe, Y. (2018). Les « éducations à », une remise en cause de la forme scolaire ? Carrefours de l’éducation, 45(1), 23.

Garnier, B., Derouet, J.-L. et Malet, R. (2020). Sociétés inclusives et reconnaissance des diversités : le nouveau défi des politiques d’éducation. PUR.

Håkansson, M., Kronlid, D. O. O. et Östman, L. (2019). Searching for the political dimension in education for sustainable development: Socially critical, social learning and radical democratic approaches. Environmental Education Research, 25(1), 6-32.

Lenoir, Y., Larose, F. et Lessard, C. (2005). Le curriculum de l’enseignement primaire : regards critiques sur ses fondements et ses lignes directrices. Éditions du CRP.

Levinson, R. (2017). SAQs as a Socio-political programme: Some challenges and opportunities. Sisyphus - Journal of Education, 5, 25-39.

Malet, R. et Garnier, B. (2020). Éducation, mondialisation et citoyenneté. Enjeux démocratiques et pratiques culturelles. Peter Lang.

Turner, S. (2000). What are disciplines? And how is interdisciplinarity different? Dans N. Stehr et P. Weingart (dir.), Practising interdisciplinarity (p. 46-65). University of Toronto Press.