1

Éditorial


Nous voulons ouvrir ce numéro en célébrant les rédacteurs en chef, dont le travail reste largement invisible, mais un travail qui est absolument vital pour la publication de revues. Nous nommons les nôtres : Ann Keenan (qui était largement responsable de notre stabilité lorsque nous étions une revue imprimée par abonnement), Stephen Peters (2010-2015), Sylvia Wald (2015-2019), Philippe Paquin-Goulet (2019-2021), Marianne Filion (2019-2021), Catherine Bienvenu (2021-2022), Rahema Imtiaz (2022/23), et actuellement, Emma Dollery (2022 —) et Isabel Meadowcroft (2023 —). Les rédacteurs en chef sont le principal (souvent, le premier) point de contact avec la revue — ses auteurs, ses critiques et ses rédacteurs/rédacteurs invités — même lorsqu’ils sont responsables de ce qui se passe dans l’ombre, à l’arrière de la revue et, surtout, le progrès des manuscrits à travers l’édition, à la mise en page PDF et HTML jusqu’à la publication. Leur œil d’expert doit être très varié, allant de la tenue d’une vue synoptique sur les manuscrits au fur et à mesure qu’ils progressent dans le processus d’évaluation par les pairs et de publication, à une bonne connaissance des détails minutieux liés à l’édition, à la mise en page et à la formation de réviseurs de copies dans les mêmes compétences. Ils sont souvent férus de la technologie, en équilibre sur la pointe numérique de la revue et ils jouent un rôle déterminant dans l’opérationnalisation des flux de travail. Ils deviennent les gardiens des archives de la revue tout en enseignant la prochaine génération. Depuis 2011, nous avons largement engagé des étudiants diplômés dans ce rôle; ce sont des personnes vivement intéressées par l’écriture et/ou la publication. Ces dernières années, ils ont été aidés dans leur propre travail à temps partiel au RSEM par des réviseurs de copies anglais et français à temps partiel. Ils font avancer les rouages ​​de la revue, même lorsque c’est le plus difficile à faire. Le raccourcissement des années de leur mandat (détaillé ci-dessus) raconte l’histoire des temps difficiles que nous avons vécue, en particulier les effets de la pandémie sur la publication de revues. Pour leur soutien à la revue et à ses rédacteurs en chef, en particulier pendant cette période tumultueuse, nous adressons un immense merci à Jessica Lange et Jennifer Innes de Scholarly Communications à la Bibliothèque de McGill. Nos rédactrices en chef post-pandémie actuelle, Emma Dollery et Isabel Meadowcroft, forment une équipe formidable. Nous accueillons Emma, ​​qui a commencé en août 2022 et a fait un travail absolument remarquable ; nous attendons avec impatience encore plus de cette même qualité de travail. Et maintenant aussi, nous accueillons Isabel, qui promet la même chose. Isabel apporte également des compétences et des connaissances développées en tant qu’assistante éditoriale et réviseuse de copie RSEM. Alors, ça mérite d’être répété! Nous reconnaissons votre place indispensable dans l’édition de revues. Un grand merci aux rédacteurs en chef!

Nous ajoutons encore quelques remerciements, un premier merci à nos réviseurs de copies : Zachary Kay, Vanessa Zamora, Rianna Pain-Andrejin et Charles Dagenais. Pour leurs services et contributions à la revue, nous remercions Melissa McGuire (réviseuse de copies, 2022-23) et Rahema Imtiaz (rédacteurs en chef, 2022/23). Nous tenons à remercier nos partisans — Rassier de la Faculté d’éducation, Lisa Starr, qui a été présidente du Département d’études intégrées en éducation (DISE), ainsi que Simona Lupu et ceux qui ont aidé à l’embauche à la Faculté d’éducation et DISE. L’Aide aux revues savantes du CRSH contribue à soutenir, voire rend possible, le travail des revues savantes au Canada. Nous sommes très reconnaissants du soutien du CRSH qui finance nos rédacteurs en chef d’une importance vitale.

C’est avec un grand plaisir que nous vous présentons ce numéro général qui propose une sélection particulièrement éclectique de dix articles ainsi qu’un Forum RSEM bilingue sur le métier d’enseignant au cégep et un relevé de recherches RSEM qui invite à la réflexion (en éducation de l’art) sur les contenus du tiroir à ordures. Exceptionnellement dans ce numéro les articles sont tous en anglais alors même que, exceptionnellement, tous les articles du numéro général à suivre (57:3) seront en français. Les sujets abordés dans le présent numéro portent sur : la santé mentale et l’épuisement professionnel des enseignants, en particulier à la suite de la pandémie (Sokal et Eblie Trudel; les effets du racisme et de la discrimination systémiques (Nartey et James; Alvarez); lutter contre le décrochage en affinant nos connaissances sur l’engagement étudiant (Lessard); enseignement des mathématiques au secondaire — comportements d’autorégulation (Buzza, Fitzgerald et Avitzur) et « proximités » (Horoks); promouvoir des approches proactives du comportement en classe dans les classes du préscolaire et du primaire (Nadeau, Massé, Verret, Gaudreau et Leblanc); une approche épistémologique de la formation initiale, préservice, des enseignants (Hill); la pratique de la recherche-action dans le contexte éducationnel nigérian (Olayiwola); et rouvrir la question de la relation entre la correction, la notation et l’apprentissage, ici dans les classes postsecondaires (Brook). Laissez-nous vous présenter tour à tour chaque article.

Les recherches sur l’épuisement professionnel des enseignants, accélérées par la pandémie, ont incité Sokal et Eblie Trudel à revoir le concept d’épuisement professionnel. Revenant aux travaux de Santoro (2011), Sokal et Eblie Trudel ont comparé l’épuisement professionnel à la démoralisation. Alors que les enseignants épuisés ont tendance à se retirer de l’enseignement, a expliqué Santoro, les enseignants démoralisés restent, mais agonisent, privés des « récompenses morales » de se sentir « bien » dans l’enseignement. En y regardant de plus près, Sokal et Eblie Trudel soutiennent que la démoralisation fait déjà partie intégrante du concept d’épuisement professionnel des enseignants ; cependant, porter attention à l’un tout en considérant l’autre peut produire un ensemble d’implications plus nuancées : au-delà de l’autorégulation pour créer des environnements propices à une force de travail enseignant en bonne santé.

Basées sur des entrevues avec vingt étudiants-athlètes noirs canadiens de dix universités ontariennes (recherche faisant partie d’une étude plus vaste), Nartey et James ont découvert que les étudiants-athlètes démontraient qu’ils étaient à la fois des athlètes et des étudiants qui réussissaient sur le plan scolaire. Les étudiants ont donc résisté et défié les stéréotypes qui leur étaient imposés en tant qu’athlètes et en particulier en tant qu’athlètes noirs. Alors qu’une combinaison de facteurs — sociaux, culturels, historiques et socio-économiques — a finalement contribué à leur succès, Nartey et James attribuent la plus grande part de leur succès à l’exercice d’agence des étudiants-athlètes dans la navigation du système éducatif, même s’ils ont été confrontés au racisme et à la discrimination.

Alvarez fournit une étude de cas fascinante sur le locuteur natif ; précisément, sur la discrimination secrète contre les enseignants anglophones non natifs (NNEST) dans les pratiques d’embauche des écoles de langue anglaise en ligne. Alvarez, d’Argentine, est un locuteur multilingue de l’anglais, de l’espagnol, du français et du chinois avec une vaste expertise dans l’enseignement de l’anglais. Il a étudié les pratiques en ligne de l’iTutorGroup, (l’une des plus grandes plateformes d’éducation en ligne, basée en Chine), et souhaite savoir comment le profil du candidat influence l’offre de salaire. Il a trouvé des preuves de discrimination et de racisme et suggère que l’association internationale TESOL (qui s’engage pour des pratiques non discriminatoires) réexamine ses partenariats avec des entreprises comme iTutor.

Comment s’attaquer de manière proactive à la forte incidence du décrochage scolaire au Québec? Lessard s’est engagé dans la validation interculturelle d’un instrument d’auto-évaluation appelé Student Engagement Instrument (SEI) (Appleton et al., 2006), qui évalue l’engagement cognitif et psychologique/affectif selon six facteurs. L’instrument a été traduit en français puis revu de manière indépendante avant d’être administré à 919 élèves francophones du secondaire dans une école publique urbaine. Soumis à une analyse factorielle exploratoire (AFE) et à une analyse factorielle confirmatrice (AFC), la validité et la fiabilité de l’instrument ont été confirmées ainsi que son utilité comme outil de prévention contre le décrochage chez les élèves francophones du secondaire au Québec.

Les comportements d’autorégulation sont de puissants prédicteurs de la réussite scolaire. Buzza, Fitzgerald et Avitzur ont étudié le rôle important que jouent les enseignants dans le développement de soutiens, en se concentrant sur l’échafaudage d’un enseignant de mathématiques du secondaire de quinze élèves de 9e année peu performants dans une classe canadienne. Des prétests et des post-tests ont été effectués, en examinant des variables telles que la métacognition et la motivation. Parmi les stratégies de soutien les plus efficaces figuraient l’auto-évaluation, la rétroaction et la création de fiches d’étude par les élèves. Buzza et al. suggèrent que des recherches supplémentaires sont nécessaires sur comment équilibrer l’enseignement en classe entière avec l’encadrement individualisé — le comment, le quand et le pourquoi du soutien ciblé — afin d’obtenir les changements de comportement souhaités.

« Teacher telling in the mathematics classroom » offre une analyse passionnante de « moments of teacher telling » (MTT). L’étude d’Horoks a examiné l’impact potentiel du discours des enseignants sur l’activité et l’apprentissage mathématiques des élèves. S’appuyant sur la zone de développement proximale (ZPD) de Vygotsky comme perspective théorique, cette étude a analysé la façon dont les enseignants échafaudent l’apprentissage des élèves. Horoks a construit un outil spécifique, nommé « proximities», afin d’analyser la façon dont les enseignants ont expliqué un nouveau concept mathématique et la manière dont ils ont lié les connaissances et les activités antérieures des élèves à de nouvelles connaissances. L’étude offre un outil utile pour opérationnaliser ZPD dans un cadre de classe entière.

Dans quelle mesure les enseignants du préscolaire et du primaire du Québec encouragent-ils des comportements proactifs/positifs chez leurs élèves? Les pratiques fondées sur les données favorisent l’utilisation de stratégies proactives. Ou bien, les enseignants s’appuient-ils sur des pratiques coercitives et punitives, autrement connues sous le nom de pratiques réductrices, ceci en réponse à des comportements dérangeants? Nasdeau, Massé, Verret, Gaudreau et Leblanc ont effectué un sondage de 1373 enseignants. L’étude est la première du genre à fournir un portrait aussi extensif des pratiques comportementales en classe au préscolaire et au primaire au Québec. La recherche a découvert que les enseignants préféraient les pratiques proactives aux pratiques réductrices, établissant des règles et des routines claires et utilisant le renforcement positif; les stratégies d’autorégulation des élèves seraient un domaine à améliorer.

Intéressé par la façon dont les enseignants en formation (préservice) développent un sens de soi en tant qu’enseignants, Hill a étudié leurs modes de connaissance structurés. Baxter Magolda a théorisé quatre modes de connaissance épistémologique : absolu, transitionnel, indépendant et contextuel, ceci basé sur ses recherches avec des étudiants au baccalauréat. Ces quatre modes de connaissance se manifestent dans cinq domaines, que Hill a adaptés au contexte d’apprentissage à l’enseignement, en tenant compte des rôles de : soi, les pairs, les instructeurs, l’expérience de stage et les croyances sur l’enseignement. En utilisant la théorie de Baxter Magolda comme perspective, cette étude à petite échelle a produit des résultats importants sur les façons de devenir enseignant. Hill suggère que les programmes de formation des enseignants devraient adopter une approche plus explicite au développement des croyances épistémologiques.

Olayiwola a revisité la co-construction des connaissances dans le contexte éducatif nigérian en analysant les questions liées à la répartition du pouvoir dans le changement éducatif. Olayiwola soutient que la recherche-action ne peut être véritablement participative que lorsque les chercheurs et les participants collaborent de manière équivalente. Le point de départ de l’analyse est l’enseignement secondaire nigérian, qui a subi des réformes depuis 1969, lorsque les Nigérians ont délibéré pour la première fois sur l’avenir de l’éducation pour une nation nouvellement indépendante. Les résultats politiques provenant de la dernière réforme reflètent toujours principalement la perspective des chercheurs nigérians. Olayiwola a proposé que si une enquête coopérative avec les participants avait été utilisée, certains des écarts entre l’intention de la politique et sa mise en œuvre auraient pu être évités.

Quelles sont les relations entre la notation et l’apprentissage? C’est loin d’être une nouvelle question; cependant, Brook l’investit avec une urgence renouvelée, liant la question à la montée de l’université néolibérale, que la pandémie a rendue plus importante avec ses effets délétères sur la santé mentale des étudiants. Brook fournit une perspective utile sur le montant de littérature existant liée à l’éducation postsecondaire, y compris en utilisant des exemples d’évaluation non corrigée ou sans note tout en considérant les effets négatifs et positifs. Brook conclu avec des stratégies pour une évaluation efficace comme des commentaires narratifs détaillés non accompagnés (initialement) d’une note, une réflexion métacognitive guidée avec des pistes d’amélioration identifiées, ou la création d’un contexte dialogique pour le partage de commentaires. Les stratégies peuvent ne pas fonctionner pour tous ni dans toutes les matières, mais ils fournissent des points de départ efficaces pour revisiter les liens entre la notation et l’apprentissage.

Ce numéro présente également un forum MJE sur le thème d’être (et de devenir) enseignant au cégep. Le forum a été lancé par l’article stimulant de Maggie McDonnell dans lequel, réfléchissant à ses près de deux décennies d’enseignement au cégep, elle a demandé : « Qui suis-je, vraiment? » Le cégep, l’abréviation de « collège d’enseignement général et professionnel », est le niveau d’enseignement supérieur au Québec qui suit l’école secondaire (qui se termine avec la 11e année) et précède l’université. Le système des cégeps est à la fois un résultat et un héritage de la Révolution tranquille au Québec au cours duquel, après la grande noirceur sous Maurice Duplessis, premier ministre pendant près de deux décennies de 1936 à 1939 et 1944 à 1959, la société et l’éducation s’ouvrent aux nouvelles idées et au changement social. L’enseignement collégial est donc bien distinct de l’enseignement secondaire et universitaire, même s’il partage des caractéristiques avec ces deux établissements d’enseignement. McDonnell profite de cette occasion pour réfléchir de manière critique sur ce qu’elle a appris ainsi que sur ce qu’elle croit que l’avenir réserve aux enseignants du cégep.



Nous avons publié une version préimprimée de l’article de McDonnell sur notre site web, ainsi qu’un appel invitant les autres à répondre. Nous étions particulièrement intéressés d’obtenir l’opinion des enseignants du cégep. Nous incluons deux réponses. Dans « On In-ness : ce que l’enseignement au cégep continue de m’apprendre », Olszanowski (écrit en anglais) réfléchit sur une entrée abrupte suivie d’une « plongée profonde » dans le niveau d’ouverture des salles de classe du cégep, tandis que Provost (écrit en français) considère le ressentit d’essayer de décoloniser le curriculum : « derrière le lutrin — place de pouvoir, de vulnérabilité, d’humilité et de transcendance, je me sens quelque peu déséquilibrée, assumant le triple rôle de professeure, d’animatrice et d’apprenante. » Un aspect commun entre les trois pièces nommé ci-dessus est l’accent mis sur l’enseignement au cégep en tant qu’espace flexible — un espace dans lequel les étudiants, et également les enseignants, apprennent.

Nous avons tous des tiroirs à ordures. Ce sont des endroits où s’accumulent divers objets moins utilisés ou sur le point d’être jetés. Dans un relevé de recherche, Stendel utilise avec brio la métaphore du tiroir à ordure afin d’accorder l’importance à l’éducation artistique éthiquement et socialement responsable. Dans l’intérêt du changement climatique, Stendel demande : comment pourrions-nous aller au-delà de la « réutilisation créative » afin d’envisager ce que la ficelle, les élastiques et les boules de polystyrène du tiroir à ordures peuvent nous apprendre sur nos pratiques « pétroculturelles » ? Autrement dit, comment peut-on plutôt imaginer l’idée de « l’art pour l’art »?

Nous espérons que la lecture du numéro vous fera plaisir!

TERESA STRONG-WILSON, ANILA ASGHAR ET VANDER TAVARES