Internationalisation de l’enseignement supérieur par les objectifs de développement durable : pluriculturalisme, diversité, interculturalité?

ANGELA BARTHES Aix-Marseille Université



Dans les politiques internationales actuelles, l’éducation est mobilisée pour préparer les individus aux enjeux globaux des sociétés. Les grands organismes internationaux indiquent les orientations curriculaires à suivre. À titre d’exemple, la banque mondiale et l’UNICEF organisent de vastes programmes d’« éducation pour tous » (EPT), l’UNESCO, instaure l’agenda « Éducation 2030 » pour mettre en œuvre les dix-sept objectifs de développement durable de la planète, l’OCDE propose un programme pour « l’éducation à la citoyenneté »; l’OMS en propose un pour « l’éducation à la santé », etc. Les gouvernances étatiques et supranationales emboitent le pas et mettent en place des stratégies d’adaptation. Les formations tendent alors à s’internationaliser. Bien que tous les secteurs, les espaces géographiques et niveaux méritent une analyse approfondie, nous centrons ici nos propos sur l’enseignement supérieur européen afin de dégager quelques récurrences et problématiques.

En Europe, plusieurs stratégies d’internationalisation des curricula se dessinent appuyées par le processus de Bologne (Charlier et Croche, 2022). Parmi elles, on retrouve celle de l’ajout de plus de dimensions internationales dans les curricula, par les langues, la mobilité, le numérique, les contenus, les collaborations transversales ponctuelles. Une autre stratégie consiste en l’adaptation des curricula locaux vers une culture commune globale telle qu’elle est définie dans les textes internationaux. Parmi ceux-ci on retrouve en bonne place les objectifs de développement durable (Unesco, 2017) et les principes prospectifs du « nouveau contrat social pour l’éducation, repenser nos futurs ensembles » (Unesco, 2021).

Parmi les outils, les grands programmes d'échanges d'étudiants et d'enseignants entre universités et grandes écoles européennes sont aujourd’hui considérés comme piliers majeurs de l’internationalisation des curricula. Le programme « European Action Scheme for the Mobility of University Students », plus connu sous le nom d’ERASMUS contribue aux stratégies de la coopération européenne pour l’éducation et la formation et certains programmes de recherche poursuivent les mêmes objectifs. Les curricula évoluent avec pour objectifs le devenir de l’Union Européenne comme espace d’excellence académique, la contribution de l’enseignement supérieur au développement durable de l’enseignement supérieur, la promotion des valeurs européennes et l’offre de bonnes perspectives de carrière aux étudiants. Les curricula sont, ou bien mis en commun sur des sujets précis afin de les proposer à une large palette d’étudiants européens, ou bien transversalisés et associés à des formes d’entreprenariats et d’innovation. En ce cas, un seul curriculum devient commun à plusieurs universités, sur des sujets précis idéalement liés à la recherche. La genèse des grandes universités européennes, telles que Civis1, relève de ce processus.

Quoi qu’il en soit et au-delà d’elles, sous cette dynamique, les curricula sont tenus de s’adapter aux nouvelles demandes sociales liées à l’internationalisation, y compris à l’échelon local, par exemple en intégrant partout les objectifs de développement durable. Deux grandes problématiques se profilent alors : penser les curricula autrement et articuler les curricula localement en cohérence (au sens d’Audigier, 2024). Penser les curricula autrement tient à la nature même des injonctions supranationales des organismes internationaux, externes aux situations locales, pour la prise en charge des enjeux globaux de société. Articuler les curricula autrement renvoie à trois processus curriculaires différents : la transversalité, l’interdisciplinarité et la cohérence, puisque les attendus sont transversaux et non uniquement disciplinaires. Les universités européennes s’organisent alors en réseaux, l’association européenne des universités par exemple, pour penser les mises en œuvre curriculaires selon ces principes.

D’un point de vue épistémologique, il est utile de rappeler que deux grands systèmes de production des savoirs coexistent et ont une fonction de légitimation institutionnelle puissante : les sciences, parce que la modernité s’est construite sur un postulat rationaliste, et les institutions éducatives, parce qu’il leur a été confié la mission de transmettre des savoirs politiquement validés et hiérarchisés, qui complètent, se différencient et parfois en contestent d’autres formes (celles transmises par le contexte culturel par exemple). L’enseignement supérieur concentre ces deux grands systèmes puisqu’il est à la fois le siège d’une grande part de la recherche scientifique publique, mais également le cœur de leur transmission via les diplômes habilités, et donc celui de leur validation institutionnelle. En ce sens, l’enseignement supérieur joue un rôle de transformations sociétales majeures, et les politiques internationales s’adressent donc particulièrement à lui pour prendre en charge les enjeux globaux des sociétés en mutations profondes.

Du côté de la cohérence politique, on retrouve en bonne place l’intégration et la promotion des objectifs de développement durable (ODD) comme leviers, guides d’action et inducteurs de bonnes pratiques de l’internationalisation des curricula (EUA, 2021). À ce titre, les ODD constituent a priori un vecteur prescriptif de cohérences politiques et curriculaires dans les universités européennes tant au niveau local, qu’au niveau des transversalités européennes. Ils posent ceci dit des défis majeurs en ce sens que n’étant pas disciplinaires, les ODD remettent en question d’une certaine manière le modèle cumulatif vertical d’empilement de savoirs et donc l’organisation classique ancrée en diplômes disciplinaires. Au-delà de ce constat, la cohérence édictée depuis les instances internationales présente des risques et des opportunités.

Nous nous proposons d’examiner concrètement comment la démarche descendante contribue aux problématiques de diversité et de pluriculturalisme. Il sera examiné dans un premier temps les textes et dispositifs qui encadrent les transformations de l’enseignement supérieur européen via les objectifs de développement durable considéré comme l’un de ses vecteurs majeurs, puis notre analyse portera sur les enjeux et risques à travers des masters (4 et 5ème année d’université) méditerranéens avant d’examiner leurs incidences en termes de diversité et de pluriculturalisme.

ANALYSE DES PRESCIPTIONS CURRICULAIRES.

Corpus et méthodes

La méthode utilisée ici est celle de l’analyse des écarts entre différents éléments du système curriculaire. (Barthes, 2022b). Dans le cas présent, il s’agit d’identifier les contenus des prescriptions curriculaires, puis de voir comment ils sont reçu par les enseignants-chercheurs qui produisent des contenus réels dans des programmes transversaux européens. L’analyse porte spécifiquement sur les enjeux, risques et problématiques perçus autour de la diversité et non sur les contenus eux-mêmes.

Les prescriptions sont ici matérialisées par les principaux textes internationaux, puis par les adaptations françaises qui en sont faites. Nous effectuons donc l’inventaire des cadres internationaux actuels qui constituent le panel de référence communément admis comme vecteur des transformations universitaires liées au développement durable et à la diversité. Parmi ceux-ci on retrouve le classique texte de l’UNESCO (2017), « L’éducation en vue des objectifs de développement durable. Éducation 2030 », mais également « Repenser nos futurs, un mouvement social pour l’éducation » (UNESCO, 2021), et « Repenser l’éducation, alternatives pédagogiques du Sud ». (UNESCO, 2021 b)

Du point de vue des déclinaisons françaises, nous retenons (1) le fameux rapport piloté par Jouzel (MESRI, 2022), « Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur », (2) le texte « Transition 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », de l’ADEME, (2021) agissant en tant qu’agence gouvernementale pour la transition, et (3 a,b,c) ceux du « Carbon transition Think Tank » ou « Shift Project », (2019(a), 2019(b), 2022). Ils s’intitulent « Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat. Former les étudiants pour décarboner la société ». (Shift Project, 2019). « Appel pour former tous les étudiants du supérieur aux enjeux climatiques et écologiques » (Shift Project, 2019), et « Former l’ingénieur du XXIe siècle ». (Shift Project, 2022).

Nous procédons ensuite à une analyse de contenus (Mucchielli, 2006; Bardin, 2013, Lejeune, 2014; Paillé et Mucchielli, 2021), en calculant les occurrences lexicales (ou fréquence de mots) des textes sélectionnés (avec le logiciel libre Tropes). Après nettoyage de mots non signifiants dans le cadre de notre analyse (petits mots — des, et, la —, noms propres, verbes — être, avoir — etc.) nous opérons une catégorisation selon les épistémologies des « éducations à » avec toutes les limites et approximations que cela suppose comme fréquemment décrites dans les analyses de contenus. Par exemple le mot « prospective » est regroupé avec « possibles, futurs et monde de demain ». Ne sont ensuite gardées que les occurrences apparaissant dans les 50 premières transversales aux différents textes.

Résultats

Les résultats se présentent sous forme d’occurrences regroupées en 12 catégories dominante, alors considérées comme des indicateurs de dynamiques qu’il nous convient de décrypter. Ces catégories sont (1) penser les changements et (2) mener une action, (3) en tenant compte de l’incertitude, (4) des vulnérabilités et risques, (5) des problèmes (problématisation), (6) qu’il convient de penser la prospective (les futurs, les possibles, les mondes de demain, scénarios, stratégies), (7) les systémiques et complexités (temps, espaces, sociétés), (8) l’affirmation de finalités (repenser les missions, répondre à un ordre mondial) (9) de normes et valeurs (équité, démocratie, solidarité, bien être, engagement, justice). On retrouve également des (10) principes opérationnels (transformer l’école, penser autrement, coopération, dialogue), (11) des moyens (travail, développer des compétences, développement professionnel, pédagogies, curricula, droit) et (12) des dispositifs (numérique, intelligence artificielle, innovation, contrat, inclusion).

Comme on le voit, les résultats des calculs des occurrences lexicales menés sur les différents textes et regroupés en catégories relatives aux épistémologies portent bien les caractéristiques transversales, comme déjà repéré dans le champ des « éducations à » (Barthes et al., 2024). Ils posent des défis majeurs en ce sens qu’ils sont thématiques et non disciplinaires et ils remettent en question le modèle cumulatif vertical d’empilement de savoirs comme on l’a annoncé plus haut. Cela confirme également que les objectifs de développement durable constituent a priori un vecteur prescriptif des cohérences politiques et curriculaires dans les universités européennes. Au-delà de ses constats, nous nous interrogeons donc sur la réception des prescriptions curriculaires.

RECEPTION DES PRESCRIPTIONS CURRICULAIRES

Corpus et méthodes

Il est un peu tôt pour statuer ce qui se passe aujourd’hui dans la transversalisation des curricula des universités via les objectifs de développement durable. Partout, de grands programmes se sont structurés (Plan d’investissement avenir (PIA) en France) que les ministères ont relayés sous forme de textes cadres nationaux (par exemple le plan climat-biodiversité-transition écologique de novembre 2022 en France) et il conviendra de suivre ce processus dans les trois ans à venir. Néanmoins, nous pouvons émettre des hypothèses en nous appuyant sur les programmes européens transversaux, qui peuvent servir ici de précurseurs analytiques.

Pour cela nous avons mobilisé quatre programmes européens réalisés entre 2017 et 2022 comprenant au moins un pays tiers, et ce dans l’objectif de mener par la suite une réflexion sur la question de la diversité. Les programmes concernés par l’analyse sont (1) Erasmus Edubiomed (pays tiers, Maroc, Liban), (2) Erasmus Eulagtech (Pays tiers, Argentine, Pérou), (3) Erasmus Consens (Pays tiers, Uruguay), (4) H2020 Rise MCA Geopark (pays tiers : Maroc). Ils comprennent tous au projet d’élaborer un diplôme commun de niveau master en lien avec l’idée de transversalité des objectifs de développement durable. Ils sont respectivement appliqués (1) à l’internationalisation de la formation des gestionnaires de réserves de biosphère, (2) à la promotion de l’innovation autour des objectifs de développement durable, (3) à l'internationalisation des programmes de troisième cycle concernant les objectifs de développement durable et (4) à l’internationalisation des formations des futurs gestionnaires des Unesco-Geoparc mondiaux. Tous ces programmes sont visibles sur la toile.

Dans le cadre de ces programmes, 36 enseignants-chercheurs participants ont été interrogés. L’objectif des entretiens vise à comprendre les risques et enjeux perçus de l’internationalisation du point de vue de la diversité. La première étape de la récolte des données consiste à recueillir les représentations sociales des 36 enseignants-chercheurs impliqués sur le principe de l’évocation spontanée classique (Barthes et Alpe, 2016; Barthes et al, 2023). La question a donc porté sur ce qu’évoquent pour les participants « les risques de l’internationalisation des curricula » dans le cadre explicite et concret de leur projet. Ils ont donné en moyenne 8 mots ou expressions chacun (288 au total). Les mots ont ensuite été catégorisés, au fur et à mesure des entretiens d’explicitations (Vermersch, 2019) permettant de préciser les représentations sociales initialement livrées.

Plusieurs familles de risques sont alors identifiées par recoupements des différentes réponses. Nous les ordonnons selon la fréquence des réponses.

Résultats : L’identification de 3 grands risques : la fragmentation curriculaire, l’affaiblissement des référentiels scientifiques et le modèle unique

La première famille de risques tient au fait que, si les injonctions curriculaires supranationales permettent une cohérence a priori dans les visions partagées, la réalité des articulations curriculaires est toute autre. 80 % des répondants évoquent des freins qui correspondent au découplage entre les priorités, agendas, administrations, procédures, gouvernances, concepteurs curriculaires scientifiques, puis in fine les enseignants. On assiste alors à des juxtapositions d’universités, de diplômes, de parcours avec un risque accru de fragmentations ou d’incohérences curriculaires. Mentionnons également qu’il est fréquemment évoqué que les compétences internationales ne sont pas toujours outillées et que la formation des enseignants est rarement pensée dans ces cadres.

Le deuxième risque exprimé par 60 % des enseignants-chercheurs tient au fait que les modes opératoires ne répondent pas toujours à la mise en place de curricula pertinents au sens sociétal du terme, c’est-à-dire scientifiquement pensés, contextualisés et validés. Il y a deux dimensions à l’expression de ce risque. La première tient aux aspects opérationnels. En effet, les articulations curriculaires peuvent être compliquées soit par les situations locales, soit par le mode fragmenté des « appels à projets ». Le risque est alors la mise en œuvre de « bricolages épistémologiques » qui pourraient concourir à un effacement des référentiels scientifiques, avec des orientations gouvernées par des valeurs et des politiques implicites, non discutées mais à transmettre, une montée en puissance du relativisme. La seconde, tourne autour de la représentation de la discipline de référence portée par l’enseignant chercheur, et ses craintes quant à la validité des curricula au final décidés au profit de techniques telles quela gestion, la conduite de projet, l’innovation, etc.

Le troisième risque exprimé par 40 % des enseignants-chercheurs interrogés plutôt issus des universités européennes est la tendance à adopter un modèle et des critères de jugement uniques. Cela comprend l’idée de coopération, mais aussi de transferts de valeurs et de modèles. Cela est en effet confirmé par des études sur les curricula eux-mêmes : les programmes Erasmus qui intègrent des pays tiers par exemple, donnent lieu à des curricula généralement conçus par les pays du nord (détenteurs des financements) vers les pays du sud. De manière plus générale, il est fréquent aussi que différents modèles ou paradigmes soient mis en concurrence. Un seul émerge au détriment des autres, généralement issu des épistémologies du nord. On dira alors qu’un processus de sélection s’opère via les curricula et que les questions interculturelles, si elles sont traitées, le sont en marge. Il est constaté en effet que dans le cadre de l’internationalisation des élaborations curriculaires, l’enseignement s’adresse à un public de fait culturellement pluriel et que la question du public et des contextes cibles n’est en réalité que très rarement posée.

Il est mentionné en marge la question des « benchmarks » par exemple, qui sont autant des processus d’entraide aux bonnes pratiques que des instruments de compétitivité, mais aussi d’uniformisation des curricula.

PLURICULTURALISME ET DIVERSITE FACE A L’INTERNATIONALISATION DES CURRIULA

Ces clarifications en termes de risques perçus de l’internationalisation des curricula au prisme des objectifs de développement durable, soulignent les principes cohérents des transversalisations en cours mais questionnent également. La discussion s’articule en deux temps. Nous discutons d’abord des enjeux de réorganisation des hiérarchies de pouvoirs, avant d’en discuter les incidences et nous distinguons ici la diversité du pluriculturalisme. Le premier terme est une valeur générale qui renvoie aux grands textes internationaux et pose des enjeux d’inclusion (Garnier et al., 2020). Le second renvoie à des situations objectives de multiréférentialité dans les pays et donc aux enjeux concrets de pouvoir et de transmission de savoirs dans les curricula (Barthes, Tebbaa, 2019; Barthes, 2022a).

Les enjeux de réorganisation des hiérarchies de pouvoirs internationaux et de la concurrence

La remise en perspective systémique sur le plan politique oblige à considérer le fait que les systèmes de production et de transmission des savoirs sont de puissants réorganisateurs des hiérarchies de pouvoir, y compris sur la scène internationale. En effet, les situations géopolitiques des universités permettent les accès parfois inégaux aux instruments de l’internationalisation des curricula, formalisés sous forme de financement. Par exemple, le programme Erasmus s’insère dans une conception globale de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) dans laquelle la réussite à un appel à projet européen sélectif est un indicateur de performance non seulement scientifique, mais aussi de gestion d’un programme selon les normes managériales néolibérales. De l’autre côté du modèle unique se profile la question des inégalités, non pas par manque de capacités, mais par fléchages des moyens assujettis à des épistémologies européocentriques. Parmentier (2020) dira que le curriculum constitue une autre manière de penser l’internationalisation de l’enseignement supérieur. Nous ajouterons qu’il est un indicateur fort des évolutions géopolitiques en cours et que l’internationalisation des curricula est culturellement et politiquement située. Palomba (2020), formulera également un risque « d’appauvrissement intellectuel et culturel (…) en sacrifiant des voix qui ont une contribution importante à apporter à l’avancement global de la connaissance, mais qui manquent d’impact dans le débat global ».

De la même manière l’affaiblissement de la légitimité des savoirs à l’université peut dégager des espaces dans lesquels vont s’exprimer des stratégies variables. Il a été par exemple indiqué des risques de scénarios de légitimation des secteurs de formations supérieurs privés. Ce deuxième point a été plus particulièrement exprimé par les universitaires des pays tiers.

Ceci étant posé, nous rediscutons plus précisément la question.

La question de la diversité et du dialogue interculturels vue par l’UNESCO

La convention de 2005 (UNESCO, 2005) sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et celle de 2009 (UNESCO, 2009) relative à la question de la diversité et du dialogue interculturels reconnaissent la double nature, à la fois culturelle et économique, des expressions culturelles contemporaines produites mais également leur insertion en ce sens dans les ODD. « Les secteurs culturel et créatif font partie des secteurs qui affichent la plus forte croissance au monde. Avec une valeur mondiale estimée de 4 300 milliards $ par an, le secteur de la culture représente désormais 6,1 % de l’économie mondiale ». « Les secteurs culturel et créatif sont devenus essentiels à une croissance économique inclusive, réduisant les inégalités et réalisant les objectifs fixés dans le programme de développement durable pour 2030 ». L’idée même de reconnaissance de la diversité des expressions culturelles s’inscrit dans ce paradigme et l’éducation est alors mobilisée en ce sens. Le rapport de 2009 parle ainsi de la société apprenante et du droit à l’éducation, de l’apprentissage participatif et des compétences interculturelles; un encadré mentionne le rôle des musées en tant qu’espaces d’apprentissages interculturels. Quelques pages sont dédiées à la pertinence des méthodes et des contenus éducatifs (se référant plutôt aux niveaux primaires), lesquelles mentionnent « le manque de pertinence des approches dominantes importées d’Europe » qui « conduisent à un regain d’intérêt pour une définition locale des contenus des programmes scolaires avec une participation accrue des apprenants au choix de leur propres stratégies éducatives ».

Diversité et enjeux du pluriculturalisme dans les curricula

En sociologie du curriculum, le débat sur les enjeux du pluriculturalisme désigne la situation objective de pays dans lesquels il existe des groupes géographiques et/ou ethniques qui ne partagent pas les mêmes modes de vies, ni les mêmes valeurs (Forquin, 2008), nous pourrions rajouter ni même les même intérêts et finalités. Dans le cadre de l’internationalisation des élaborations curriculaires, l’enseignement s’adresse à un public culturellement pluriel, dont les valeurs et finalités ne sont pas obligatoirement conformes aux normes des systèmes internationaux. Cela pose de manière accrue la question du public cible d’une part et, d’autre part, celle des contextes politique des lieux qui accueillent l’internationalisation des curricula selon les objectifs de développement durable, voire celle de la diversité telle que définie dans les instances internationales.

Il peut donc être attendu d’un curriculum international qu’il intègre la pluriculturalité dans ses objets, voire une réflexion sur l’interculturalité (Dervin 2017). Les choix à mettre en œuvre dans ce cas doivent prendre en charge la diversité des appartenances et des références culturelles, y compris les choix éthiques, les valeurs et, le cas échéant, les finalités et les épistémologies. Les « éducations à l’interculturalité » disposent d’outils, tels que le culturoscope (Sauquet, 2017) mobilisables le cas échéant dans une vraie volonté de pluriculturalité.

Ainsi, on constate que la diversité est érigée en tant que valeur quasi injonctive des politiques internationales. Nous pourrions penser que, dans le contexte actuel de compétitivité, elle(?) s’oriente plutôt vers l’individualisation et la spécification des territoires à visée de croissance économique via les secteurs de la culture et du tourisme. Or, au-delà de l’aspect économique, le choix des contenus, les modes d’organisation et les méthodes de l’enseignement peuvent aussi faire référence à la valeur d’émancipation des peuples et donc aux contextes culturels sur lesquels ils reposent. Cette démarche s’exprime dans l’idée de rompre avec l’ethnocentrisme souvent implicite, sous couvert d’un principe de valeurs universelles. Ces dernières sous-entendent historiquement les politiques éducatives assimilationnistes, post-colonialistes, ou plus généralement toute politique de domination. Si les questions des « épistémologies des suds », ou d’autres telles que le « buen vivir » tendant à se faire intégrer dans les grandes alternatives possibles (UNESCO, 2021b), il convient également d’identifier leur réalité et les risques tels qu’il se présentent en réalité.

CONCLUSION

L’internationalisation des curricula de l’enseignement supérieur par les objectifs de développement durable pose des questions multiples, dont celles de la diversité et du pluricuturalisme au-delà des principes déclaratifs. Ses mises en œuvre via les grands textes internationaux et ses déclinaisons nationales, relayées par les programmes européens, montrent l’ampleur des transformations en cours. Le changement de paradigme d’un empilement de connaissances vers le diptyque « penser le changement – agir politiquement » induit de penser les curricula autrement sur des principes de la transversalité, de l’interdisciplinarité et de la cohérence. Rappelons que la cohérence renvoie à celle du projet politique, ici largement piloté par les ODD. L’idée même de cohérence politique renvoie à l’identification de risques curriculaires et ses enjeux de pouvoir en termes de diversité et de pluriculturalisme — les deux n’étant pas équivalents — dans un monde libéral dans lequel les valeurs sont a priori posées comme allant de soi. Des prospectives ou pistes multiples de reconnaissances de la multiréférentialité (Ardoino, 1988/2024) sont alors à explorer, tenant compte des enjeux politiques qu’elles portent (Barthes, 2017; Barthes, 2022a).

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