De l’essentialisation au sein des représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration et de leur famille au Québec


Xavier St-Pierre, Corina Borri-Anadon Université du Québec à Trois-Rivières

Sivane Hirsch Université Laval


Lécole québécoise contemporaine se caractérise par une diversification des publics scolaires à la fois dans la région métropolitaine montréalaise que dans les autres régions du Québec (Hirsch et al., 2021; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014). À une diversité qualifiée d’historique, composée des Premiers Peuples et des groupes colonisateurs, s’ajoutent divers groupes à partir de diverses vagues migratoires plus ou moins récentes. Toutefois, la prise en compte de cette diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans l’espace scolaire est l’objet de divergences et de débats dans les écrits et dans les médias (Potvin, et al., 2015; Potvin, 2018) qui ne seraient pas étrangers aux représentations entretenues à l’égard de cette diversité et se manifestent dans les milieux scolaires (Mc Andrew, 2011; Mc Andrew et Audet, 2013).

Cet article s’intéresse plus particulièrement aux regards que le personnel enseignant porte sur les élèves issu·e·s de l’immigration1 et leur famille et au processus d’essentialisation qui traverse les représentations des acteurs scolaires. Nous présenterons ce processus à partir des données issues d’un projet de recherche portant sur le « climat interculturel » dans les écoles, ainsi que les choix méthodologiques qui nous ont permis de documenter les manifestations de l’essentialisation. Après une définition de ce que nous entendons par essentialisation, nous poursuivrons en décrivant de quelle manière l’essentialisation des élèves issu·e·s de l’immigration prend forme dans le discours du personnel enseignant rencontré à l’égard de leur réussite. Nous discutons des résultats au regard de la formation du personnel scolaire afin qu’au-delà de l’appel à reconnaitre la diversité sans l’essentialiser, la formation puisse contribuer à la compréhension de ce processus et des procédés qui le composent. Nos résultats offrent également des pistes de réflexion pour les chercheur·e·s en faisant une mise en garde quant au possible renforcement de l’essentialisation par les projets s’intéressant à la réussite éducative des élèves issu·e·s de limmigration.

L’importance de documenter le regard du personnel scolaire

Sans diminuer l’importance des politiques et recommandations diverses visant à rendre effective la prise en compte de la diversité en contexte éducatif, la recherche nationale et internationale insiste sur le «  rôle central des attitudes et des comportements du personnel scolaire et, plus spécifiquement, des enseignants » (Mc Andrew et al., 2015, p. 154) sur la réussite scolaire des élèves issu·e·s de l’immigration. Il est ainsi reconnu que les diverses représentations de la diversité, notamment celles qui reposent sur l’interprétation des difficultés scolaires comme relevant principalement de la responsabilité de l’élève et de sa famille ou, au contraire, celles reposant sur des dimensions scolaires et sociales plus larges, ont une incidence sur les pratiques déployées par le personnel scolaire (AuCoin et al., 2019; Castro, 2010; Hohl et Normand, 2000; Pass et Mantero, 2009; Sharkey et Layzer, 2000).

Or, au Québec, des recherches plus générales sur l’intégration et la réussite scolaire des jeunes issu·e·s de l’immigration (Armand, 2013, 2021; Bakhshaei, 2013; Mc Andrew et al., 2004; Murphy, 2014; Sun, 2014; Vatz Laaroussi et al., 2005) tendent à montrer que le personnel scolaire partage une représentation relativement peu complexe des élèves issu·e·s de l’immigration pour au moins deux raisons. D’une part, leurs regards se limitent souvent aux défis rencontrés par les personnes nouvellement arrivées, alors que cette population inclut une diversité de profils (Borri-Anadon et al., 2021). D’autre part, leurs représentations reposent souvent sur une perspective déficitaire, qui attribue la responsabilité des difficultés vécues par l’élève et sa famille à ces derniers — par exemple leurs origines culturelles ou leur éducation à la maison —, au détriment des dimensions systémiques marquant leur expérience scolaire — par exemple la qualité des pratiques d’enseignement-apprentissage ou l’organisation des services (Bauer et al., 2019). Une perspective déficitaire exige de fixer les marqueurs, de les essentialiser, pour pouvoir imputer les manques aux personnes elles-mêmes (Patton Davis et Museus, 2019). En reconnaissant la pluralité des marqueurs traversant l’expérience et leur caractère mouvant, le personnel peut dépasser la perspective déficitaire et adopter une perspective systémique. À cet égard, le Conseil supérieur de l’Éducation (2010) suggère l’expression « zones de vulnérabilité » afin de faire référence aux « aspects du système d’éducation où des situations particulières […] soulèvent des questionnements au regard de l’accès à l’éducation ou de l’accès à la réussite éducative » (Conseil supérieur de l’éducation, 2010, p. 65).

Ainsi, le personnel scolaire est de plus en plus appelé à reconnaitre la diversité dans toute sa complexité. Pour ce faire, il importe, comme l’affirment Magnan et al. (2021) de poursuivre la formation afin d’amener le personnel scolaire à :

« prendre conscience des privilèges, de s’éloigner de l’essentialisation des caractéristiques des familles immigrantes, de prendre en compte l’expérience migratoire, de comprendre la construction de la différence et des processus d’exclusion à l’école, de valoriser la diversité linguistique et ethnoculturelle, et ce, pour ensuite questionner les pratiques de manière à instaurer des transformations menant vers la réelle inclusion dans l’espace scolaire » (p. 11, notre emphase).

REPÈRES CONCEPTUELS

Pour atteindre cette visée, cette section présentera d’abord ce qui est entendu théoriquement par essentialisation puis par représentation.

De l’essentialisme au processus d’essentialisation : trois procédés interreliés

D’après Juteau (2015), l’essentialisme renvoie à une conception immuable de l’identité. L’identité, dans une perspective essentialiste, renvoie ainsi « à des données figées de l’existence qui peuvent être rattachées à la nature ou à la culture » (p. 97). Ces données, qui peuvent correspondre à des marqueurs ethnoculturels, religieux et linguistiques, sont des éléments qui marquent les frontières en tant que « lignes de démarcation qui impliquent l’existence de systèmes distincts de relations sociales et des mécanismes destinés à les maintenir » (Juteau, 2015, p. 23). Ces marqueurs sont utilisés par différentes personnes pour se définir ou pour définir les autres, c’est-à-dire pour construire les groupes sociaux dans une perspective constructiviste, voire non substantialiste (Juteau, 2018). Comme nous le verrons, le refus de cette perspective constructiviste fait partie intégrante du processus d’essentialisation2.

Dans une perspective essentialiste, un groupe ethnique « correspondrait alors à la somme des individus possédant une essence ethnique, ou encore une culture qui se manifeste dans des coutumes et des traditions, alimentaires, vestimentaires, artistiques, folkloriques, etc. » (Juteau, 2015, p. 66). L’essentialisation reviendrait ainsi à restreindre la définition d’un groupe à cette essence (Juteau, 2015). Pour sa part, Amiraux (2017) précise qu’il s’agit d’un processus de réification et de typification d’un ensemble de caractéristiques anhistoriques et réputées être partagées naturellement par un groupe. En effet, ces caractéristiques anhistoriques renvoient à l’idée que « [l]’élément mis en catégories […] est alors vidé de sa complexité et notamment de la possibilité de s’incarner avec complexité, au gré des individus et des circonstances. » (Amiraux, 2017, p. 24).

À partir de ces définitions, nous considérons l’essentialisation comme un processus composé de trois procédés interreliés. Un premier procédé constitue la simplification de l’identité à partir de caractéristiques fixes anhistoriques permettant l’identification des « qualités véritables » (Juteau, 2015, p. 70). Ensuite, un deuxième procédé implique la généralisation de ces caractéristiques à l’ensemble d’un groupe, attribuant à ces dernières un caractère essentiel à l’appartenance à ce groupe. Puis, un dernier procédé propose une explication de l’action et du monde social à partir de ces mêmes caractéristiques, invitant à tirer une conclusion sur la réussite d’un·e élève à partir des procédés précédents.

Les représentations sociales : lieu d’expression de l’essentialisation

En tant que processus de réification et de typification, l’essentialisation se manifeste dans le regard que les individus portent sur leur réalité sociale. Le concept de représentation sociale, en tant que « forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 2003, p. 53), permet de nous rapprocher du regard du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de limmigration et de leur famille. En effet, cette définition met de l’avant que les représentations prennent forme et sens dans les discours et qu’elles orientent les pratiques des acteur·rice·s. Il s’agit ainsi d’une « connaissance [qu’on] emploie dans [notre] vie quotidienne » (Moscovici, 2004, p. 48). Ces représentations sont dites sociales, parce qu’elles sont collectives et se construisent dans un rapport aux choses et aux autres, mais aussi parce qu’elles ont des conséquences sociales qui peuvent être, notamment, de communication, de légitimation d’une situation ou d’orientation des conduites (Jodelet, 2003). À la lumière de ces considérations, l’objectif du présent article est de documenter la manière dont se manifeste l’essentialisation au sein des représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration et leur famille, à travers leurs discours.

MÉTHODOLOGIE

Démarche générale du projet et collecte de données

Les données qui font l’objet de la présente analyse sont issues d’un projet de recherche portant sur l’impact du climat interculturel au sein des établissements scolaires sur la réussite éducative des élèves issu·e·s de l’immigration3. Huit écoles secondaires publiques québécoises — diversifiées sur le plan de l’indice de milieu socioéconomique (Ministère de l’Éducation, 2003) — ont participé à ce projet. Cinq sont situées dans la grande région montréalaise où la population scolaire est composée de 50 % et plus d’élèves issu·e·s de l’immigration, tandis que trois sont situées hors de la région montréalaise et leur population scolaire est composée de moins de 50 % d’élèves issu·e·s de l’immigration. Dans toutes ces écoles, nous avons rencontré des membres du personnel enseignant, non enseignant, de la direction et des organismes communautaires qui collaborent avec les écoles. L’ensemble des données a permis de tracer un portrait du climat interculturel des établissements participants à partir de 5 dimensions (Archambault et al., 2018), soit : l’engagement en faveur d’une culture d’équité et d’ouverture à la diversité dans les rapports avec les élèves, les familles et la communauté; le statut et la légitimité des cultures et des langues d’origine dans l’école et dans les pratiques en classe; les relations interculturelles impliquant les élèves et le personnel d’origines diverses; le soutien à la construction identitaire des jeunes issu·e·s de limmigration; les attitudes du personnel à l’égard de la diversité, des élèves et des familles.

Le présent article se penche plus précisément sur cette dernière dimension à partir de données issues de 25 entretiens de groupe (2 à 5 personnes) et de 3 entretiens individuels avec le personnel enseignant, soit trois ou quatre entretiens par école4. Le choix de l’entretien de groupe avait pour fonction de faire émerger la négociation des représentations du personnel enseignant et, ainsi, documenter des positions contrastées (Baribeau et Germain, 2010; Morissette et Demazière, 2019) et le « sens partagé » (Duchesne et Haegel, 2008, p. 37). Toutefois, afin d’être sensible à la réalité du terrain, le projet a permis à certain·e·s enseignant·e·s de réaliser l’entretien de manière individuelle. Ces entretiens semi-dirigés, qui ont permis de rencontrer 77 enseignant·e·s, ont été menés avec un canevas d’entretien permettant dans un premier temps de brosser le portrait des personnes participantes ainsi que de l’école où elles travaillent. L’entretien abordait également leur perception de la réussite éducative des élèves issu·e·s de l’immigration dans leur école, notamment en lien avec le cheminement, la diplomation, l’engagement scolaire et le rapport à la scolarité ainsi que leur définition du climat interculturel et son rôle dans la réussite des élèves issu·e·s de l’immigration. Tout au long de l’entretien, les enseignant·e·s ont été amené·e·s à expliquer les distinctions perçues entre les élèves issu·e·s de l’immigration et l’ensemble des élèves et au sein des élèves issu·e·s de l’immigration. De plus, les enseignant·e·s ont été appelé·e·s à se prononcer spécifiquement sur le rôle de la région d’origine des élèves issu·e·s de l’immigration dans l’explication de leur réussite ou de leur échec5.

Ces choix méthodologiques engendrent certaines limites qui méritent d’être mentionnées ici. D’abord, les entretiens de groupes se sont déroulés avec un temps limité, ce qui a parfois restreint l’exploration approfondie de l’ensemble des aspects du canevas d’entretien. De plus, les conditions de l’entretien de groupe impliquent que toutes les personnes participantes n’ont pas nécessairement répondu à toutes les questions : c’est plutôt une conversation autour de ces thématiques qui a été engendrée. De même, la dynamique de l’entretien de groupe fait en sorte que certaines personnes peuvent se sentir plus ou moins à l’aise de parler et de se positionner sur ces objets relativement sensibles.

Démarche d’analyse des données

À la lumière de nos choix théoriques et méthodologiques, nous avons procédé à une analyse thématique transversale (Alami, et al., 2013; Combessie, 2007). Cette dernière consiste à analyser les données dans leur ensemble, en nous attardant à des éléments relativement partagés par les participant·e·s et non aux particularités individuelles. Malgré le risque d’uniformisation encourue, cette stratégie s’inscrit en toute cohérence avec le concept des représentations sociales dans la mesure où nous cherchons à voir ce qui est partagé et contribue à la construction de la réalité du personnel enseignant en tant que groupe. Il est important de souligner que l’analyse ne porte pas sur la construction de ces représentations sociales et ne s’intéresse donc pas à la façon dont les discussions ont eu lieu dans les entretiens de groupe. C’est plutôt la manière dont ces représentations se manifestent dans le discours et leur influence qui nous intéressent ici.

Nous avons divisé la démarche d’analyse en trois étapes. La première étape a permis de circonscrire le corpus d’analyse en le limitant aux données qui contribuent à la dimension « attitudes du personnel à l’égard de la diversité, des élèves et des familles » du climat interculturel et plus particulièrement aux représentations sociales des enseignant·e·s à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration et de leur famille. Deuxièmement, nous avons cherché à caractériser les représentations des participant·e·s en fonction des marqueurs autour desquelles elles se construisent. La troisième étape a permis de repérer les trois procédés du processus d’essentialisation présents à travers le corpus, par le biais d’une analyse thématique déductive. Cette dernière étape d’analyse nous a ainsi permis d’identifier certains extraits qui pouvaient être considérés comme mobilisant ou non l’essentialisation ainsi que de contribuer à la compréhension de chacun de ces procédés et à leur imbrication.

Cette démarche d’analyse a permis d’atteindre l’objectif de cet article soit de documenter la manière dont se manifeste l’essentialisation au sein des représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de limmigration et leur famille. Soulignons que la visée poursuivie ici n’est pas d’identifier des milieux scolaires ou des membres d’équipe scolaires où l’essentialisation est plus ou moins présente. D’une part, nous estimons que personne n’est à l’abri de ce processus et que son recours est contextualisé. D’autre part, le canevas et le type d’entretien utilisés ne permettent pas ce type d’analyse. Dans la prochaine section, nous présentons les résultats de cette démarche qui nous a permis de dégager l’essentialisation dans les représentations des personnes participantes et d’en identifier les procédés.

DÉBUSQUER L’ESSENTIALISATION DANS LES REPRÉSENTATIONS DU PERSONNEL ENSEIGNANT À L’ÉGARD DES ÉLÈVES ISSU·E·S DE L’IMMIGRATION ET DE LEUR FAMILLE

Cette section donne à voir comment l’essentialisation traverse les représentations du personnel enseignant en mettant en lumière les manifestations des trois procédés qui la constituent, soit la simplification, la généralisation et l’explication de l’action et du monde social. De plus, nous terminons la section en analysant comment certains discours des personnes participantes reposent sur une essentialisation contrariée.

La simplification et la généralisation : des procédés qui déterminent « l’essence » de l’élève

Dans le contexte scolaire, le procédé de simplification met de l’avant une vision figée de « la culture » d’un·e élève en particulier à partir de caractéristiques spécifiques. La généralisation permet ensuite d’inférer ces caractéristiques à l’ensemble d’un groupe, de sorte que l’élève les présentant est considéré·e comme appartenant à ce groupe. Parce qu’au sein de nos données, les deux procédés — simplification et généralisation — sont souvent concomitants, nous les présentons ensemble. Le prochain extrait en témoigne :

« Il peut y avoir des élèves par exemple qui sont très forts […] je pense à un élève en particulier qui a en ce moment [a] cent pour cent en math SN [sciences naturelles]. Un élève d’origine asiatique, mais évidemment lui la difficulté euh […] quand il arrive en français, là pour lui c’est […] même pas une langue seconde je pense que c’est troisième ou quatrième langue. […] Donc là, là. Là c’est difficile. Là. Pis dans leur culture, parce qu’hier c’était la rencontre de parents, ben euh, dans la culture, dans leur culture, avoir 74 % c’est désastreux là. » (E1, groupe, École G)

Dans cet extrait, la simplification apparait lorsque la personne aborde les attentes de certains parents comme émanant de « leur culture », alors que la généralisation se donne à voir dans l’usage de l’adverbe « évidemment », qui marque le passage d’un cas spécifique (l’élève en particulier) à une réalité « culturelle » qui concerne l’ensemble de son groupe d’appartenance, sous-entendant qu’il y a une seule manière d’exister selon cette « culture ». C’est le cas également de l’extrait qui suit, qui témoigne d’une représentation à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration basée sur l’idée qu’habituellement, il est possible d’attribuer des caractéristiques, des comportements, des pratiques (ici la réussite scolaire) à un·e élève sur la base de son groupe présumé d’appartenance, bref de généraliser :

« Par contre, tsé quand je regarde les Colombiens, tsé y me mêlent eux autres, parce que j’en ai vu des wow, des ultras performants pis j’en ai eu d’autres qui trainaient les savates. » (E2, groupe, École G)

Dans l’ensemble des données analysées, ces deux procédés s’opèrent à partir d’un ou des traits « culturels », tels que l’ethnicité, la nationalité, le continent ou la région d’origine, la langue, la religion, etc. Ces traits, qui se présentent à la fois de manière explicite : « origine asiatique » ou « Colombiens », mais également de manière plus implicite : « dans leur culture », permettent d’identifier l’« essence » de l’élève, c’est-à-dire ce à partir de quoi il devient possible d’élaborer une explication sur sa réussite.

L’explication : un procédé qui accorde à l’essentialisation un vernis d’objectivité

Le troisième procédé que nous dégageons de l’essentialisation implique une association entre des caractéristiques supposément partagées par le groupe et d’autres éléments associés à la réussite scolaire, tels que des intérêts, des comportements et des attitudes particulières dans le rapport à l’école, comme l’illustre cet extrait :

« […] moi la grosse différence que je vois chez mes élèves musulmanes voilées versus mes élèves musulmanes non voilées, c’est que systématiquement et je le vois depuis plusieurs années mes élèves musulmanes voilées ne parlent pas en classe, ne lèvent pas la main, ne font pas de commentaires, ne donnent pas leur opinion. Mes élèves musulmanes non voilées, elles, parlent autant que les autres. C’est pas juste… Je peux me tromper mais j’ai l’impression que le voile vient aussi avec une espèce d’obligation de discrétion. Mais qui les empêche en même temps de participer pleinement à l’activité en cours, c’est beaucoup plus ça qui m’inquiète. » (E1, groupe, École A)

Dans cet extrait, un·e participant·e explique la réussite de certaines élèves à partir du port du voile qui ferait en sorte que les filles ne parlent pas en classe. Il y a ainsi une association qui est établie entre un trait religieux et une manière de participer dans le cadre scolaire. Ce processus d’essentialisation de l’élève permet, à la suite de la simplification et de la généralisation, d’accorder aux traits « culturels » mobilisés le statut de facteurs explicatifs de sa réussite.

Ce faisant, le procédé d’explication accorde au processus d’essentialisation un vernis d’objectivité. En effet, nos données tendent à montrer que grâce à lui, les représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de limmigration et de leurs familles se présentent comme étant des vérités. Les participant·e·s font référence à leurs expériences en tant que preuves empiriques pour attester de la justesse de leurs représentations à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration et de leur famille. Ceci se manifeste notamment par le recours à l’expression « systématiquement » dans l’extrait précédent. Dans l’extrait suivant, la personne participante dit s’appuyer sur ses observations pour justifier sa représentation des élèves arabophones comme étant démotivés :

« Moi, je ne suis pas la direction, et je ne m’avancerai pas en termes de statistiques et peut-être que [la direction] vous en a parlé. Mais moi je regarde dans mes classes, puis des élèves qui en arrachent un peu. Puis ce n’est pas des élèves qui manquent d’intelligence, c’est des élèves qui ont un potentiel énorme mais qui sont particulièrement démotivés, c’est souvent nos élèves arabophones. […] depuis les 3 dernières années parce que l’islam, les extrémistes, les attentats puis c’est un peu dans le monde entier qu’on en parle » (E1, individuel, École A)

Ainsi, le procédé de l’explication établit des liens présentés comme indéniables entre divers traits « culturels » des élèves et leur réussite. Le prochain extrait s’appuie sur les témoignages entendus de la part d’élèves défini·e·s comme « d’Afrique » quant aux pratiques éducatives vécues pour expliquer leur rapport teinté de « peur » avec le personnel enseignant :

« Bien oui, ce n’est pas si bête comme question parce que juste le milieu d’où ils viennent, le rapport à l’enseignant n’est pas le même partout. Nos élèves d’Afrique nous disent qu’il y a encore des punitions corporelles donc, des élèves arrivent ici qui ont peur de nous! Mais vraiment peur de nous parce qu’ils pensent qu’on va les frapper. Là tu as un élève qui a peur de toi, qui en classe ne participe pas souvent, ne lève pas la main, ne veut rien dire. » (E1, groupe, École F)

Dans l’extrait suivant, l’usage du « tout simplement » vise à renforcer le poids de la causalité proposée, à lui attribuer un caractère véritable, à en faire un fait objectif.

« Je m’adapte, disons, je dois m’adapter beaucoup plus pour un Turc, que pour un hispanophone. Pourquoi? Tout simplement. La langue turque est complètement différente, puis les enfants, (ordinairement), sont beaucoup plus stressés et perdus au début, que l’hispanophone qui trouve des mots similaires, des… choses qui peuvent l’orienter. » (E2, groupe, École D)

Ce vernis d’objectivité fait en sorte que les représentations des élèves issu·e·s de l’immigration permettent d’appréhender leur réussite de manière véridique. Ce caractère perçu comme véridique fige les observations dans les corps des élèves : leurs comportements et attitudes scolaires deviennent des manifestations de leur essence, ce qui témoigne de l’imbrication des procédés de l’essentialisation.

Des procédés de l’essentialisation imbriqués

Comme on a pu voir plus haut, les données tendent à montrer que les procédés qui constituent l’essentialisation se manifestent souvent de façon imbriquée. Nous l’avons montré dans la première section d’analyse concernant la simplification et la généralisation, mais c’est tout aussi présent pour les trois procédés, comme en témoigne l’extrait suivant :

« Dans une école où j’ai travaillé, dans un avenir pas si lointain que ça, je parlais de cette école-là, moi je peux les reconnaître les ethnies [simplification] qu’il y a dans mon école, parce que quand je suis en surveillance dans les salles d’enseignement ou dans les gymnases, dans les palestres, on les voit nos groupes d’Haïtiens passer avec un ballon de soccer, puis on les voit nos groupes d’Arabes passer avec un ballon de basket, [généralisation] puis on les voit nos groupes d’Arabes avec un ballon de soccer. Puis, je me suis posé une question : pourquoi ils ne se mélangent pas? Pourquoi ils ne sont pas ensemble? Y a cette notion-là de clanocratie […] C’est encore le cas [aujourd’hui], c’est encore le cas! Puis, là c’est encore un peu plus grave parce que nos jeunes se mettent en groupe, mais il y a aussi l’échec scolaire qui accompagne ce regroupement-là. [explication» (E1, individuel, École A)

La simplification se manifeste dans l’usage du terme « ethnie » qui réfère de manière implicite aux élèves n’appartenant pas au groupe majoritaire. La généralisation se traduit ensuite par l’identification du mode de regroupement des élèves comme un trait caractéristique de leur groupe d’appartenance. Enfin, l’explication s’opère lorsque la personne associe le fait de se regrouper à leur échec scolaire, procédé qui s’appuie sur ses observations réelles : « on les voit ». Ainsi, le processus d’essentialisation telle que documenté dans les représentations des enseignant·e·s à l’égard des élèves issu·e·s de limmigration et de leur famille ne se limite pas à lun des procédés. C’est leur imbrication qui fait en sorte que la réussite ou l’échec scolaires des élèves se fonde sur ce qui constitue leur essence.

Alors que les extraits présentés ici ont été choisis pour leur exemplarité, l’essentialisation est un processus qui traverse l’ensemble du corpus, c’est-à-dire que ses procédés sont présents dans tous les entretiens. Toutefois, ce ne sont pas tous les participant·e·s qui ont recours à ces procédés ni dans toutes les circonstances, ainsi une même personne peut y recourir à certains moments seulement. La prochaine section s’attarde spécifiquement aux données permettant de rendre visible une essentialisation contrariée.

Lorsque l’essentialisation est contrariée

Nous parlons d’une essentialisation contrariée lorsque, dans le discours des participant·e·s, au moins un des procédés est mis en doute ou que les liens entre les marqueurs ethnoculturels, linguistiques et religieux et la réussite des élèves issu·e·s de l’immigration sont éludés ou réfutés6.

Dans plusieurs cas, une considération du contexte social de l’immigration gêne la simplification sur des marqueurs ethnoculturels en nuançant leur contribution, comme l’illustre l’extrait suivant :

« Pour avoir été ici dans les années 95, […] les Serbes et les Bosniaques croates qui sont arrivés ici à l’école eux autres ils étaient souvent issus d’un [statut] socioéconomique intéressant, on peut dire intéressant entre guillemets parce qu’ils ont réussi à sortir du pays, déjà-là, économiquement ça parle. Puis quand ils arrivaient ici à l’école, il y en a plusieurs qui performaient. Puis ça occasionnait des problèmes d’insertion à l’époque, par contre mélanger tout ce beau monde-là dans la même école… Ça se battait souvent dans le corridor on va dire ça comme ça là. Mais eux autres je pense que le socioculturel avait un impact parce qu’ils étaient tous d’un niveau… Les parents étaient motivés puis ça paraissait sur les enfants. Moi, en tout cas de cette vague-là bosniaque, ex-Yougoslavie plutôt je dirais, ça parlait. Tandis que l’immigration que l’on a présentement, celle des Syriens, sous-scolarisée, ça cause d’autres problèmes, alors chaque… Je pense que chaque vague a ses particularités. » (E1, groupe, École F)

Le recours aux caractéristiques socioéconomiques ne signifie pas qu’il y ait une absence de simplification, en effet, il peut s’avérer tout aussi déterministe d’expliquer la réussite uniquement par ces caractéristiques. Ainsi, dans l’extrait précédent, se construit une opposition entre deux groupes où l’on associe la motivation des élèves et des parents à leur statut socioéconomique. Or, cette interprétation peut occulter d’autres enjeux, notamment liés au racisme.

Une autre stratégie utilisée par les personnes participantes a consisté à refuser ou à contourner l’invitation d’établir des différences entre les sous-groupes d’élèves. Par exemple, dans le prochain extrait, on nous rappelle que les élèves issu·e·s de l’immigration sont avant tout des élèves comme les autres :

« Tsé moi l’idéal c’est, tsé y en n’a pas d’histoire de couleurs ou de cultures, tsé. Moi quand je rentre dans ma classe, j’ai des élèves, c’est tout. Tsé pis je ne m’enfarge pas dans les particularités […] Tsé je ne m’enfargerais pas si j’avais trente québécois. » (E2, groupe, École G)

L’extrait précédent témoigne d’un aveuglement aux différences, à savoir cette idée qu’il vaudrait mieux ne pas « s’enfarger7 » dans les particularités ethniques. Cela est aussi présent dans les propos de cette participante, qui excluent les variables réputées « culturelles » de l’explication de la réussite des élèves pour en intégrer d’autres :

« Moi je pense que ça dépend beaucoup du socioéconomique. C’est le travail qui a été fait à la maison, ou pas fait, qui se reflète ici à l’école. […] qu’ils soient immigrants ou non, parce qu’ils ont fait la distinction, c’est vraiment le travail du père, le revenu familial qui a le plus d’importance. Ce n’est pas l’origine ethnique, ça, ça ne change rien. Quand on regarde le climat socioéconomique d’où ils sortent, ça a beaucoup plus d’impact. » (E3, groupe, École F)

Le refus d’essentialisation : vers une représentation complexe des élèves issu·e·s de l’immigration et de leur famille

Dans d’autres cas, les discussions entre les participant·e·s permettent à certain·e·s dapporter des nuances et de remettre en question les traits « culturels » qui font lobjet de la simplification, ce qui vient entraver la généralisation par la reconnaissance de différences intragroupe. Dans lextrait suivant, un·e enseignant·e (E1) répond à lexplication de son·sa collègue quant à la « performance » des élèves défini·e·s comme « Chinois » en donnant un contrexemple :

« E1 : Non, moi ce que j’ai vu c’est un groupe arabe avec un groupe d’Haïtiens qui chialaient contre les Chinois ou qui mettaient… Ils sont ensemble contre [les Chinois] mais c’est tout bas donc c’est subtil, je ne peux pas vous dire ce qu’il se passe, je sais pas, ça m’a juste surprise.

E2 : Il y a peut-être un peu de jalousie, parce que justement c’est souvent des élèves plutôt performants.

E1 : Moi, ce n’est pas le premier de classe. » (E1 et E2, gr, École A)

Nous avons aussi identifié dans le corpus analysé un discours qui va se centrer sur la responsabilité de l’école dans l’explication de la réussite des élèves issu·e·s de limmigration, en questionnant les dispositifs et pratiques institutionnels. Cest le cas notamment de cette personne participante qui est préoccupée par la façon dont sorganisent les services de soutien à lapprentissage du français :

« Oui, je pense que il y a encore du chemin à faire à ce niveau-là, que le fossé est encore très grand, puis, juste un exemple : on sait que les élèves allophones ont besoin de discuter, ça les aide énormément de travailler en équipe, pouvoir négocier le sens, pouvoir traduire, mais, là ce qu’il y a encore dans les classes c’est le français est obligatoire à 100 %, que c’est interdit de parler dans la langue maternelle, c’est interdit de discuter avec un pair, bien je pense qu’on ne met pas en place nécessairement toutes les conditions réunies pour l’élève allophone. […] C’est comme si on n’adapte pas complètement pour eux, en fait, encore. On est, je pense qu’il y a une ouverture, [mais] il y a encore un pas à faire. » (E1, groupe, École H)

Enfin, dans l’extrait suivant, un·e enseignant·e (E3) refuse d’établir un lien de causalité entre l’apprentissage et une langue en particulier en affirmant qu’il s’agit plutôt du « cas par cas », ce qui sous-entend que d’autres facteurs entrent en jeu dans la réussite.

« E1 : Moi je trouve que les... les Arabes ont plus de difficultés. Probablement parce que la langue aussi est complètement différente, là. Mais, je ne sens pas nécessairement le même investissement, là. […]

E3 : Parce que, moi non plus, je ne vois pas une grande différence rendu en [secondaire] trois. C’est vraiment du cas par cas parce que ça pas nécessairement de corrélation. » (E1 et E3, groupe, École G)

En synthèse, nos résultats donnent à voir la présence de l’essentialisation par le biais des procédés de simplification, généralisation et d’explication qui la composent dans le discours du personnel enseignant d’écoles secondaires situées dans diverses régions québécoises. Bien que ces procédés se présentent bien souvent de façon imbriquée, nous avons cherché ici à les décortiquer dans un souci de clarté et de compréhension de ce processus. Il est d’ailleurs intéressant de constater que lorsque l’essentialisation est contrariée ou même remise en question, c’est notamment par le fait que les discours éludent ou réfute un ou des procédés.

DISCUSSION

C’est à la lumière de l’incidence des représentations du personnel scolaire sur les pratiques déployées qu’il nous semble particulièrement pertinent d’examiner ces résultats. En effet, l’essentialisation constitue un obstacle à une représentation complexe des élèves issu·e·s de l’immigration et de leur famille. En centrant l’explication du social à travers un prisme avant tout « culturel », l’essentialisation participe à l’occultation des dynamiques systémiques et par le fait même à la déresponsabilisation de l’école dans la réussite des élèves dans une logique méritocratique. La construction des groupes selon leurs caractéristiques « culturelles » qui accompagne ce processus favoriserait également des pratiques inscrites dans une perspective déficitariste dans le cadre de laquelle « la culture » est conçue comme expliquant, ou du moins participant à l’explication des difficultés. Patton Davis et Museus (2019) avancent que ces deux processus opèrent de façon imbriquée :

« Deficit thinking ignores systemic influences that shape disparities in social and educational outcomes (Chambers et Spikes, 2016; Ford, 2014; Valencia, 1997, 2010). In doing so, it leaves the focus on individual and cultural “deficiencies” intact while simultaneously disregarding the powerful forces that produce and perpetuate challenges for historically oppressed populations. In some cases, deficit thinking even suggests and reinforces the notion that dominant structures are the primary solution to the aforementioned social inequalities. For example, deficit thinking perpetuates dominant narratives that education lifts people out of poverty and is the solution to addressing inequalities (Aikman et al., 2016) while ignoring the role that educational systems also play in reinforcing social inequities » (p. 122).

Cependant, une nuance s’impose ici. Comme nous l’avons vu dans certains des extraits qui témoignent d’une essentialisation contrariée, l’absence d’essentialisation peut également conduire à un aveuglement aux différences, contribuant aussi au renforcement d’une perspective déficitaire. S’inscrivant dans l’idéologie color-blind, cet aveuglement s’appuie sur le mythe que la société ne serait plus structurée par les rapports sociaux de race (Bonilla-Silva, 2017; Eid, 2018), jouissant d’une égalité formelle où l’ensemble des élèves sont définis comme ayant les mêmes chances de réussite sans égard aux rapports sociaux de race qui traversent le champ scolaire et plus particulièrement leur expérience en tant qu’élève. S’en suit une absence ou même un refus de prendre en compte des expériences différentes des élèves issu·e·s de l’immigration, notamment des élèves racisé·e·s, ce qui constitue un obstacle au déploiement de pratiques dites équitables, et ce, même s’il y a une intention de reconnaitre les élèves issu·e·s de limmigration.

Nos résultats offrent également des pistes de réflexion pour la recherche. En effet, la recherche québécoise a, dans les dernières décennies, contribué à différencier les profils de réussite éducative de la population, rappelons-le, large et hétérogène, des élèves issu·e·s de l’immigration. Pour ce faire, des études quantitatives ont cherché à cerner l’impact de divers facteurs, dont des caractéristiques ethnolinguistiques telles que la région d’origine, le lieu de naissance, la langue maternelle et la langue d’usage, sur divers indicateurs de performance scolaire (Mc Andrew et al., 2015). Celles-ci ont notamment abouti à la création de portraits d’élèves par « région d’origine »8. Or, nos résultats indiquent que les sous-groupes issus de l’immigration perçus comme plus vulnérables par les personnes participantes concordent grandement avec ces données. Ceci nous amène alors à nous questionner sur le rôle joué par la recherche elle-même dans le processus d’essentialisation traversant les représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration, alors que trop peu de recherches arrivent à voir le personnel scolaire comme étant lui-même pluriel. Comme l’affirment Magnan et al. (2021) :

« Cet angle d’approche, bien qu’éclairant, axe la focale sur les processus liés aux individus et à leur « origine », et peut comporter le risque d’essentialiser les inégalités selon les caractéristiques migratoires. Il permet, certes, de faire des constats sur l’écart entre l’école et certains individus, mais il limite l’avancement des connaissances scientifiques et sociales sur les politiques et l’action de l’institution scolaire et de ses agents dans la production d’une école inclusive ou dans la reproduction des inégalités et des discriminations » (p. 4).

CONCLUSION

L’objectif de cet article était de documenter la manière dont se manifeste l’essentialisation au sein des représentations du personnel enseignant à l’égard des élèves issu·e·s de l’immigration et leur famille. Notre analyse fait ressortir que l’essentialisation traverse l’ensemble du corpus du personnel enseignant, en s’appuyant de manière explicite ou implicite sur différentes caractéristiques réputées « culturelles » et proposant une explication de la réussite des élèves issu·e·s de l’immigration qui se présente comme un discours objectif. Ce processus d’essentialisation témoigne du défi rencontré par le personnel scolaire de considérer la complexité et la pluralité des expériences scolaires de ces élèves. Notre analyse montre aussi comment le personnel enseignant arrive à contrarier ou même dans certains cas à refuser l’essentialisation en considérant d’autres éléments pouvant contribuer à leur réussite éducative.

Ainsi, dans la visée de soutenir le développement d’une représentation complexe des élèves issu·e·s de limmigration et de leurs familles, notre démarche nous amène à réaffirmer limportance des espaces de réflexion et déchanges collectifs en formation initiale et continue où ces représentations se confrontent et se négocient (Larochelle-Audet, et al., 2021; Tatum, 1994). Nos résultats sont susceptibles de contribuer d’abord aux pratiques de formation du personnel scolaire afin qu’au-delà de l’appel à reconnaitre la diversité sans l’essentialiser, celles-ci puissent contribuer à la compréhension de ce processus et des procédés qui le composent. En outre, il nous parait important de développer une réflexion critique au sein de la communauté de recherche quant aux écueils d’une analyse différenciée par le biais de caractéristiques réputées « culturelles » qui persiste à concevoir la réussite comme un phénomène strictement individuel. Nos résultats mettent en garde contre l’usage qui peut être fait de telles données et contre leur incidence dans le renforcement de l’essentialisation dans les représentations du personnel scolaire à l’égard des élèves issu·e·s de limmigration et de leur famille. Ces pistes sont selon nous prometteuses pour contribuer à débusquer l’essentialisation et à la prévenir.

Notes

  1. L’expression « élèves issu·e·s de limmigration » est utilisée au Québec pour référer aux élèves né·e·s à l’extérieur du Canada (première génération) ou dont l’un des parents est né à l’extérieur du pays (deuxième génération).

  2. Afin de rappeler cette perspective constructiviste, le recours au terme marqueur sera maintenu et celui de culture apparaitra entre guillemets.

  3. Le projet de recherche, qui a bénéficié d’un soutien financier du Fonds de recherche du Québec- Société et culture (FRQSC) de même que le MEES (Archambault et al., 2019), a obtenu l’approbation éthique par un Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Montréal.

  4. Les extraits des entretiens présentés dans le cadre de cet article précisent la personne participante (ex : E1), le mode de collecte (entretien individuel ou de groupe) et l’école (ex : École A).

  5. Voici des exemples de questions posées : Lorsque nous avons évoqué les différences des caractéristiques selon les élèves, vous vous êtes parfois / souvent / jamais référés à leur région d’origine. Pouvez-vous expliciter le rôle de ce facteur dans la réussite ou l’échec des élèves? Quelle importance accordez-vous aux différences culturelles dans la réussite ou l’échec scolaire?

  6. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le canevas d’entretien invitait les personnes participantes à comparer les élèves issu·e·s de limmigration entre eux et elles et avec les élèves non issu·e·s de limmigration.

  7. S’enfarger signifie trébucher. La personne veut dire ici qu’il ne faut pas s’arrêter aux particularités des élèves, qui sont ici – dans l’extrait – conçues comme des obstacles à son travail si elles sont prises en compte.

  8. Les portraits sont disponibles ici : http://ofde.ca/publications/publications-des-chercheurs-de-lofde/

Références

Alami, S., Desjeux, D., et Garabuau-Moussaoui., I. (2013). Les méthodes qualitatives. La Découverte.

Amiraux, V. (2017). Penser les droits culturels au risque de l’essentialisation? Revue de la ligue des droits et libertés, 36(1), 24-26. https://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/revue_droits_libertes_printemps_2017.pdf

Archambault, I., Mc Andrew, M., Audet, G., Borri-Anadon, C., Hirsch, S., Amiraux, V. et Tardif-Grenier, K. (2018). Vers une conception théorique multidimensionnelle du climat scolaire interculturel. Alterstice, 8(2), 117–132. https://doi.org/10.7202/1066957ar

Archambault I., Audet G., Borri-Anadon C., Hirsch S., Mc Andrew M. et Tardif-Grenier K. (2019). L’impact du climat interculturel des établissements sur la réussite éducative des élèves issus de l’immigration. Québec : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement. https://frq.gouv.qc.ca/histoire-et-rapport/limpact-du-climat-interculturel-des-etablissements-sur-la-reussite-educative-des-eleves-issus-de-limmigration/

Armand, F. (2013). Accompagner les milieux scolaires : les enjeux de la prise en compte de la diversité linguistique en contexte montréalais francophone. Dans M. Mc Andrew, M. Potvin et C.

Bonilla-Silva, E. (2017). Racism without racists: Color-blind racism and the persistence of racial inequality in America. Rowman & Littlefield Publishers.

Borri-Anadon (dir.), Le développement d’institutions inclusives en contexte de diversité. Recherche, formation, partenariat (p. 137-152). Presses de l’Université du Québec.

Armand, F. (2021). L’enseignement du français en contexte de diversité linguistique au Québec : idéologies linguistiques et exemples de pratiques en salle de classe. Dans M. Potvin, M.-O. Magnan, J. Larochelle-Audet et J.-L. Ratel (dir.), La diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en éducation. Théorie et pratique (2e éd., p. 220-233). Fides Éducation.

AuCoin, A., Borri-Anadon, C. Huot, A., Ouellet, S., Josée Richard, J., Rivest, A-C. et Saumure, V. (2019). Le bien-être et la réussite en contexte de diversité : un cadre pour le RÉVERBÈRE. Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite. https://reverbereeducation.com/wp-content/uploads/2021/12/Bien-etre-et-reussite-en-contexte-de-diversite-cadre-pour-le-REVERBERE.pdf

Bakhshaei, M. (2013). L’expérience socioscolaire d’élèves montréalais originaires de l’Asie du Sud : dynamiques familiales, communautaires et systémiques [Thèse de doctorat, Université de Montréal]. Papyrus. http://hdl.handle.net/1866/10117

Baribeau, C. et Germain, M. (2010). L’entretien de groupe : considérations théoriques et méthodologiques. Recherches qualitatives, 29(1), 28–49. https://doi.org/10.7202/1085131ar

Bauer, S., Borri-Anadon, C. et Laffranchini Ngoenha, M. (2019). Les élèves issus de l'immigration sont-ils des élèves à besoins éducatifs particuliers? Revue hybride de l'éducation3(1), 17–38. https://doi.org/10.1522/rhe.v3i1.855

Borri-Anadon, C., Audet, G., Lemaire, E. (2021). Regards d’acteurs et d’actrices scolaires quant à l’engagement en faveur d’une culture d’équité dans des écoles secondaires québécoises. Recherches en éducation, (44), 57-71. https://journals.openedition.org/ree/3352

Castro, A.J. (2010). Themes in the research on pre-service teachers view of cultural diversity : implication for researching millennium teacher. Educational Researcher, 39(3), 198-210.

Combessie, J. (2007). La méthode en sociologie. La Découverte.

Conseil supérieur de l’éducation. (2010). Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2008-2010 : Conjuguer équité et performance en éducation, un défi de société. Gouvernement du Québec. https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2010/11/50-0192-RF-conjuguer-equite-et-performance-REBE-2008-2010.pdf

Duchesne, S. et Haegel, F. (2008). L'enquête et ses méthodes : l'entretien collectif. Armand Colin.

Eid, P. (2018). Les majorités nationales ont-elles une couleur? Réflexions sur l’utilité de la catégorie de « blanchité » pour la sociologie du racisme. Sociologie et sociétés50(2), 125–149. https://doi.org/10.7202/1066816ar

Hirsch, S., C. Borri-Anadon, Gélinas, K. et Guizani, W. (2021). S’intéresser aux spécificités régionales pour mieux prendre en compte la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique. Dans M. Potvin, M.-O. Magnan, J. Larochelle-Audet et J-L. Ratel (dir.), La diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en éducation. Théorie et Pratique (2 éd., p. 37-47). Fides Éducation.

Hohl, J. et Normand, M. (2000). Enseigner en milieu pluriethnique dans une société divisée. Dans M. Mc Andrew et F. Gagnon (dir.), Relations ethniques et éducation dans les sociétés divisées, Québec, Irlande du Nord, Catalogne et Belgique (p. 169- 181). L’Harmattan.

Jodelet, D. (2003). Représentations sociales : un domaine en expansion. Dans D. Jodelet (dir.), Les représentations sociales (p. 45-78). Presses universitaires de France.

Juteau, D. (2015). L'ethnicité et ses frontières (2e éd.). Presses de l'Université de Montréal.

Juteau, D. (2018). Au cœur des dynamiques sociales : l’ethnicité. Dans D. Meintel, A. Germain, D. Juteau, V. Piché et J. Renaud (dir.), L’immigration et l’ethnicité dans le Québec contemporain (p. 12-39). Presses de l’Université de Montréal.

Larochelle-Audet, J., Borri-Anadon, C. et Potvin, M. (2021). Une démarche collective pour favoriser la formation interculturelle et inclusive des futurs enseignants au Québec. Dans F. Lorcerie (Dir.), Éducation et diversité : Les fondamentaux de l’action (p. 325-338). Presses universitaires de Rennes.

Magnan, M-O., Gosselin-Gagné, J., Audet, G., et Conus, X. (2021). L’éducation inclusive en contexte de diversité ethnoculturelle : comprendre les processus d’exclusion pour agir sur le terrain de l’école. Recherches en éducation, (44), 43-56. https://doi.org/10.4000/ree.3300

Mc Andrew, M., Éphraïm, S., Lemire, F. et Swift, M. (2004). La réussite scolaire des jeunes Noirs anglophones dans les écoles de langue française à Montréal : un bilan. Centre d'études ethniques des universités montréalaises.

Mc Andrew, M. (2011). Le débat sur le voile à l’école à la lumière des diverses conceptions de l’ethnicité et des rapports ethniques. Alterstice, 1(1), 19-33. https://doi.org/10.7202/1077588ar

Mc Andrew M., et Audet, G. (2013). La réussite scolaire des élèves issus de l’immigration : les écoles et les enseignants font une différence ! Centre d’études ethniques des universités montréalaises. https://www.cipcd.ca/wp-content/uploads/2014/10/mcandrew-audet-enjeux-2013.pdf

Mc Andrew, M., Balde, A. Bakhshaei, M., Tardif-Grenier, K., Audet, G., Armand, F., Guyon, S., Ledent, J., Lemieux, G., Potvin, M., Rahm, J., Vatz Laaroussi, M., Carpentier, A. et Rousseau, C. (2015). La réussite éducative des élèves issus de l’immigration : dix ans de recherche et d’intervention au Québec. Presses de l’Université de Montréal.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014). Cadre de référence. Accueil et intégration des élèves issus de l’immigration au Québec. 1. Portrait des élèves. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/diversite/AccueilIntegration_1_PortraitEleves.pdf

Ministère de l’Éducation du Québec (2003). Bulletin statistique de l’éducation. La carte de la population scolaire et les indices de défavorisation (publication no26). Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/statistiques_info_decisionnelle/bulletin_26.pdf

Morrissette, J. et Demazière, D. (2019). Un apport des entretiens collectifs : saisir les processus de vulnérabilisation en faisant émerger préjugés et tabous. Recherches qualitatives, 38(2), 47–70. https://doi.org/10.7202/1064930ar

Moscovici, S. (2004). La psychanalyse, son image et son public. Presses universitaires de France.

Murphy, T. (2014). Représentations d’enseignants quant à l’intégration linguistique, socioscolaire, scolaire et sociale d’élèves allophones immigrants dans trois écoles secondaires montréalaises [mémoire de maitrise, Université de Montréal]. Papyrus. http://hdl.handle.net/1866/11886

Pass, C. et Mantero, M. (2009). (Un)covering the ideal: Investigating exemplary language Arts teachers based and instruction of English language learners. Critical Inquiry and Language Studies, 6(4), 269-291. https://doi.org/10.1080/15427580903313520

Patton Davis, L., et Museus, S. D. (2019). What is deficit thinking? An analysis of conceptualizations of deficit thinking and implications for scholarly research. Currents: Journal of Diversity Scholarship for Social Change, 1(1). http://dx.doi.org/10.3998/currents.17387731.0001.110

Potvin, M., Larochelle-Audet, J., Campbell, M.-É., Kingué Élonguélé, G. et Chastenay, M-H. (2015). Revue de littérature sur les compétences en matière de diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans la formation du personnel scolaire, selon différents courants théoriques. Observatoire sur la formation à la diversité et l’équité. https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs2494740

Potvin, M. (2018). Médias, discours d’opinion et montée du racisme au Québec : de la crise des accommodements à aujourd’hui. Dans S. Lefebvre et G. St-Laurent (dir.), Dix ans plus tard : La Commission Bouchard-Taylor, succès ou échec? (p. 63-74). Québec Amérique.

Sharkey, J. et Layzer, C. (2000). Whose definition of success: Identifying factors that affect English language learners’ access to academic success and resources. TESOL Quarterly, 34(2), 252-368. https://doi.org/10.2307/3587961

Sun, M. (2014). The Educational Success of Chinese Origin Students in a French-Speaking Context: The Role of School, Family, and Community [Thèse de doctorat, Université de Montréal]. Papyrus. http://hdl.handle.net/1866/10889

Tatum, B. (1994). Teaching White students about racism: The search for White allies and the restoration of hope. Teachers College Record, 95(4), 462-476. https://doi.org/10.1177%2F016146819409500412

Vatz Laaroussi, M., Rachédi, L., Kanouté, F. et Duchesne, K. (2005). Favoriser les collaborations famille immigrantes/école en soutien à la réussite scolaire. Guide d’accompagnement. Université de Sherbrooke.