ENTRE PERFORMANCE ET FRAGILITÉ : MÉCANISMES DE CONSTRUCTION DE LA MASCULINITÉ CHEZ DES GARÇONS DU SECONDAIRE
HASHEEM HAKEEM Northwestern University
Dans un article paru le 1er février 2023 dans L’Actualité, Marie-Hélène Proulx fait état des changements importants en cours en ce qui concerne la visibilité et l’acceptation croissantes de la diversité de genre au sein des institutions publiques canadiennes. Que ce soit à l’école, dans les établissements de la santé, sur les réseaux sociaux ou dans le recensement de la population, le genre, comme le précise Proulx (2023), est bel et bien en train d’être « réinventé ». Selon Martin Blais, titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres à l’Université du Québec à Montréal, les jeunes n’évoluent plus vraiment dans une « manufacture à personnes hétérosexuelles et cisgenres » (cité par Proulx, 2023).
Bien que l’on puisse se réjouir de cette reconnaissance inédite de la diversité de genre1, il est important de rappeler que les écoles canadiennes constituent encore aujourd’hui un vecteur idéologique du binarisme de genre. Comme le constate Richard (2019) : « L’un des rappels à l’ordre omniprésents dans les apprentissages scolaires est celui de la bicatégorisation des sexes, c’est-à-dire la réitération de l’existence de deux sexes et de deux genres qui leur correspondraient » (p. 62). Ce modèle binaire domine dans la majorité des curriculums et des manuels scolaires au Canada, contribuant jusqu’à un certain point à l’exclusion et à l’effacement des réalités trans, non binaires et intersexuelles.
Précisons que des politiques éducatives existent au Canada — pensons notamment au programme SOGI 1 2 3 (Sexual Orientation and Gender Identity) en Colombie-Britannique2 — afin de promouvoir la valorisation, le respect et l’inclusion de la diversité sexuelle et de genre au sein de toutes les écoles publiques et indépendantes. Bien que SOGI constitue un pas dans la bonne direction, il s’apparente à une forme d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) performative dans la mesure où il projette une image d’ouverture tout en ménageant les sensibilités d’un lectorat hétéronormé et conservateur (Hakeem, 2020). À une politique éducative doivent s’ajouter une intégration critique (et non performative) de ces enjeux dans les différents programmes d’études ainsi qu’une formation compréhensive des enseignant·e·s3. Malgré des évolutions notables au sein des institutions scolaires en matière de diversité sexuelle et de genre, les personnes trans et non binaires demeurent les plus susceptibles de subir du harcèlement à l’école et de souffrir de troubles mentaux (Navarro et coll., 2021; Peter et coll., 2021; Proulx, 2023).
D’après le dernier sondage national sur l’homophobie, la biphobie et la transphobie dans les écoles canadiennes, 62 % des répondant·e·s 2SLGBTQ4 ont signalé ne pas se sentir en sécurité à l’école (Peter et coll., 2021). En ce qui concerne les répondant·e·s trans, 79 % des élèves qui avaient été victimes de harcèlement physique ont indiqué que les enseignant·e·s étaient inefficaces dans la lutte contre le harcèlement transphobe (Peter et coll., 2021). D’ailleurs, Peter et coll. (2021) expliquent que les élèves trans et non binaires constituent le groupe le plus susceptible de déclarer avoir subi presque toutes les formes de harcèlement et de victimisation, non seulement en lien avec leur identité et leur expression de genre, mais aussi par rapport à leur identité sexuelle réelle ou perçue. De ce fait, l’école demeure largement un espace hostile pour les élèves trans et non binaires (Chamberland et coll., 2011; Haskell et Burtch 2010; Peter et coll., 2021) ainsi que pour tout·e élève ne correspondant pas à l’image socialement construite de la masculinité et de la féminité cisgenres.
Cette dernière conclusion est notamment confirmée par un sondage mené auprès de 5469 élèves du secondaire dans quatre commissions scolaires américaines. Gordon et coll. (2018) ont trouvé que la non-conformité au genre correspondait à un risque accru d’intimidation à l’école ou en ligne, et d’absences à l’école en raison d’un sentiment d’insécurité. Gordon et coll. (2018) ont également observé un risque légèrement accru de batailles (combats), de blessures et d’absences à l’école en raison d’un sentiment d’insécurité chez les élèves qui déclarent se conformer le plus aux normes de genre. S’appuyant sur un ensemble de recherches, Gordon et coll. (2018) précisent néanmoins que ce résultat confirme que la conformité aux normes masculines est un indicateur important d’agression, de perpétration de la violence et de victimisation entre hommes. En effet, les hommes qui déclarent se conformer aux normes de la masculinité sont plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé mentale (Wong et coll., 2017). Il est finalement intéressant de constater que la majorité des répondant·e·s au genre non conforme étaient hétérosexuel·le·s, soulignant d’ailleurs l’importance des enjeux liés à la diversité sexuelle et de genre pour tou·te·s les jeunes (Gordon et coll., 2018, p. 311). Cette étude révèle que la violence et la victimisation par les pair·e·s à l’école sont associées de manière significative à la non-conformité aux normes de genre, indépendamment de l’orientation sexuelle. Cela pourrait expliquer en partie pourquoi en milieu scolaire, la légitimité de la masculinité hétérocisnormative passe principalement par la performance des normes masculines et du rejet de la diversité sexuelle et de genre (Bastien Charlebois, 2011; Hakeem, 2021; Pascoe, 2012; Richard, 2019). Par hétérocisnormativité, nous entendons un système d’oppression qui impose l’hétérosexualité et le binarisme de genre comme étant les seules sexualité et identité de genre légitimes, et qui privilégie les personnes hétérosexuelles et cisgenres en tant que groupe dominant. Nous qualifions ce binarisme de cisgenre afin d’insister sur le fait que ces deux genres (homme / femme) doivent également correspondre au sexe (mâle / femelle) assigné à la naissance par l’institution médicale.
Nous basant sur les résultats d’une étude qualitative des perceptions d’élèves du secondaire à propos de la diversité sexuelle et de genre, nous proposons de nous pencher sur les discours de certains participants garçons afin de mieux comprendre le rapport entre la construction de la masculinité et la diversité de genre. À l’aide d’un mode d’investigation qualitatif, notre étude tend à répondre aux questions de recherche suivantes : (1) Comment certains garçons du secondaire appréhendent-ils le genre? (2) Quelles stratégies (performatives et discursives) emploient-ils pour construire leur masculinité?
CADRE THÉORIQUE
Les théories de Butler (1990) sont d’une importance majeure pour repenser les conceptions de la masculinité et de la féminité, c’est-à-dire de ce qui constitue un homme et une femme. Cela est d’autant plus pertinent à l’école secondaire où ces conceptions sont souvent définies de manière normative et restreinte, et ce, à un moment où les adolescent·e·s sont en pleine construction de leur sexualité, de leur identité de genre et de leur expression de genre. D’un point de vue pédagogique, Butler nous permet de déconstruire l’idée selon laquelle le genre (les identités « homme » et « femme ») seraient naturels, puisqu’elle le définit comme une construction sociale découlant d’une série de performances répétées des normes hétérosexuelles : « Gender is the repeated stylization of the body, a set of repeated acts within a highly rigid regulatory frame that congeal over time to produce the appearance of substance, of a natural sort of being » (p. 45). Ainsi, le genre n’a pas d’origine : il est une copie d’une copie. Prenons l’exemple de la masculinité : il n’existe pas de masculinité authentique ou originelle, mais seulement une performance de la masculinité qui copie ou qui imite un idéal fantasmatique de la masculinité.
Cette masculinité idéale correspond à ce que Connell (2005) a appelé la masculinité hégémonique, soit une série de pratiques qui renforcent et qui légitiment une forme dominante de la masculinité, notamment hétéronormative et cisgenre. Parce que cette masculinité est hégémonique, elle est définie et construite uniquement par rapport à d’autres masculinités soi-disant subordonnées (ou à d’autres identités de genre perçues comme étant féminines). Conséquemment, les hommes qui se positionnent vis-à-vis de cette masculinité hégémonique intériorisent des pratiques et des comportements qui vont reproduire et ultimement pérenniser cet idéal de la masculinité. Précisons néanmoins que cette masculinité n’a pas de vérité absolue et naturelle (Butler, 1990; Halberstam, 1998), mais à force d’être (re)produite par des hommes qui y adhèrent aveuglément, elle devient hégémonique et sa domination est ainsi maintenue dans la sphère sociale.
La réflexion d’Ahmed (2004) sur la politique des émotions est centrale pour comprendre la logique de cette adhésion à la masculinité. Comme l’explique Ahmed, les émotions ne sont pas inhérentes au sujet, mais sont plutôt produites par les relations entre individus. En d’autres mots, les émotions constituent des performances sociales qui fonctionnent pour faire adhérer des individus à un groupe et créer ainsi l’effet d’une collectivité : « Emotions provide a script, certainly: you become the “you” if you accept the invitation to align yourself with the nation, and against those others who threaten to take the nation away » (Ahmed, 2004, p. 12). C’est donc en performant des comportements, des manières de penser et des émotions précises dans l’espace public que les garçons construisent leur identité et montrent leur adhésion à la masculinité hégémonique ainsi que leur solidarité à la communauté hétéromasculine cisgenre.
Étant donné l’intensité affective de l’attachement que développe le sujet à cette collectivité et à ses valeurs, toute tentative de la défier ou de la déstabiliser se heurte à la résistance. S’inspirant de la théorie de DiAngelo (2011), nous pouvons considérer cette résistance comme une forme de fragilité. DiAngelo (2011) conceptualise la fragilité blanche de la manière suivante :
White Fragility is a state in which even a minimum amount of racial stress becomes intolerable, triggering a range of defensive moves. These moves include the outward display of emotions such as anger, fear, and guilt, and behaviors such as argumentation, silence, and leaving the stress-inducing situation. These behaviors, in turn, function to reinstate white racial equilibrium5. (p. 57)
La fragilité blanche décrit le stress, l’attitude défensive et le déni des personnes blanches lorsque leur « vision raciale du monde » est mise en doute (DiAngelo, 2020). Le moindre inconfort découlant d’une conversation sur le racisme devient intolérable, d’où la fragilité. Mais comme le précise DiAngelo (2020), « la fragilité blanche n’est pas une faiblesse en soi. C’est, en réalité, un moyen extrêmement puissant de contrôle racial et de protection des avantages des Blancs » (p. 24). Ainsi, la fragilité constitue un mécanisme de défense très efficace pour renforcer et maintenir le statu quo. Dans le cadre de notre analyse des discours de garçons, la transposition de la notion de fragilité, telle que définie par DiAngelo, nous permettra de mieux comprendre l’effet de la remise en question des idéologies binaires du genre sur lesquelles est fondée la masculinité hétérocisnormative.
Compte tenu de la transphobie ambiante dans les institutions scolaires canadiennes, la sous-représentation des réalités trans, non binaires et intersexuelles dans le curriculum ainsi que les recherches montrant les effets pernicieux de la masculinité toxique sur la santé mentale des hommes qui y adhèrent, il nous semble impératif en milieu scolaire d’aider à créer et à renforcer les conditions de possibilité pour l’émergence consciente et visible de la diversité de genre.
MÉTHODOLOGIE
Les participant·e·s (n = 24) âgé·e·s de 17 à 18 ans provenant d’une classe de Français langue immersion 12 dans le Grand Vancouver ont pris part à trois séances pédagogiques portant sur la sexualité, l’identité de genre et l’expression de genre. Ils·Elles ont répondu à des questions basées sur des œuvres francophones traitant des enjeux liés à la sexualité et au genre. Les données ont été recueillies aux mois de mai et juin 2019 au moyen d’un questionnaire, d’enregistrements sonores de discussions en petits et en grands groupes réalisées en classe, de journaux de bord et de huit entretiens individuels semi-dirigés. Nous avons procédé à une analyse critique du discours des participant·e·s, c’est-à-dire que nous nous sommes attardé tout particulièrement aux relations de pouvoir opérant dans leur discours et dans leurs interactions mutuelles (Catalano et Waugh, 2020). Les données présentées dans cet article concernent uniquement la deuxième séance, celle sur l’identité de genre6. Vu que l’objectif de cet article est de mieux comprendre la manière dont les garçons (tous les neufs s’identifiaient comme hétérosexuels et cisgenres) appréhendent le genre et construisent leur masculinité, seuls leurs discours seront analysés. Certains discours parmi les 15 participantes seront néanmoins évoqués comme contre-discours aux perceptions défendues par les garçons.
Dans le cadre de cette deuxième séance, tenue le 27 mai 2019, les participant·e·s ont d’abord répondu en petits groupes à des questions générales sur l’identité de genre (par exemple, « Comment définiriez-vous l’identité de genre? »). Ils·Elles ont ensuite analysé deux bandes dessinées intégrales de l’écrivaine et de la militante transgenre montréalaise, Sophie Labelle : la première, intitulée « Les vestiaires »7 et la deuxième, intitulée « Jour du Souvenir trans »8. Une mise en contexte a été fournie aux participant·e·s avant la lecture des bandes dessinées, mais nous avons évité d’en résumer l’intrigue afin de ne pas influencer leur compréhension et leurs discours. Pour assurer la lecture de l’intégralité de chaque bande dessinée, nous l’avons distribuée et nous l’avons lue à haute voix avec les participant·e·s. Le rôle des participant·e·s était simplement de suivre la lecture et de poser des questions sur le vocabulaire, le cas échéant. Après la lecture, les participant·e·s ont discuté en petits groupes d’une série de questions portant sur le contenu thématique de la bande dessinée (par exemple, pourquoi l’espace des vestiaires en particulier n’est-il pas sécuritaire pour le personnage principal?). Cette discussion en petits groupes a été suivie par une discussion en grand groupe à laquelle nous n’avons pas participé. Notre rôle en tant que chercheur était d’assurer le bon déroulement des discussions et de recueillir les données. La séance s’est achevée avec une réflexion dans un journal de bord sur la diversité d’identités de genre. Il s’agit d’un questionnaire personnel dans lequel les participant·e·s devaient d’abord se prononcer sur ce qu’ils·elles considéraient être le message le plus important de la séance et ensuite partager des impressions ou des commentaires généraux.
Il convient enfin de souligner le potentiel pédagogique de la bande dessinée comme méthode pour susciter des réflexions critiques sur le genre et la masculinité. Plusieurs recherches ont démontré que les bandes dessinées constituent un outil efficace pour développer, entre autres, le raisonnement déductif des élèves (Cary, 2004; Cohn, 2012), leur compréhension des procédés littéraires (Dallacqua, 2012) ainsi que leur esprit critique et de synthèse (Krusemark, 2015; McCloud, 1993; Rapp, 2011). Dans une étude connexe, nous avons également montré que quelques participant·e·s avaient réussi, à partir d’une discussion de l’expérience trans dans les bandes dessinées de Labelle, à articuler une réflexion relativement sophistiquée sur des concepts importants, tels que l’oppression, le privilège et le binarisme de genre, sans que ceux-ci ne soient évoqués explicitement (Hakeem, 2022). En nous penchant à présent sur les propos de certains garçons, nous nous intéressons à ce que leur analyse de ces mêmes bandes dessinées nous révèle sur les mécanismes de construction de la masculinité hétérocisnormative.
RÉSULTATS
Cette section synthétise les résultats de l’analyse des discours de certains garçons sur la diversité d’identités de genre. Précisons que nous avons analysé les occurrences en fonction de leur pertinence et que le discours de tous les garçons (n = 9) ne reflète pas nécessairement les résultats présentés. Nous reviendrons sur les limites de cette approche dans la discussion-conclusion. Pour faciliter la compréhension de l’article, les citations ont été légèrement reformulées sur le plan de la forme. Un code unique a été attribué à chaque participant·e.
Conception biologique et binaire du genre
Si la conception biologique et binaire du genre est problématique, c’est parce qu’elle est souvent invoquée pour justifier l’exclusion des personnes trans et intersexuées et pour étayer des connaissances scientifiques erronées. Plusieurs participant·e·s, notamment garçons, soutiennent que le genre est binaire et relève de la biologie, c’est-à-dire que celui-ci est une donnée naturelle et non sociale. Le cas des personnes intersexuées et non binaires est seulement évoqué pour souligner les cas extrêmes :
Oui, donc la prochaine question est est-ce qu’il y a plus que deux genres. Ou est-ce que c’est seulement mâle et femelle? Et ça ne compte pas les personnes qui ont des conditions médicales, comme les personnes intersexuées et les autres, car c’est un très petit pourcentage de la population, donc ce sont des exceptions. (discussion en petits groupes-D-mai-2019)
À l’instar de la tendance observée chez des enseignant·e·s de science (voir Cyr, 2016), il s’agit d’une instrumentalisation des personnes intersexuées qui, en étant définies comme un exemple de cas extrême, sont utilisées afin de justifier une conception essentialiste de la binarité cisgenre. Cette pathologisation des personnes intersexuées est souvent apprise et intégrée à l’école : « Les rares évocations de ces sujets semblent se faire dans un langage pathologique, reconduisant un discours sur les corps atypiques qui est non nécessaire, non validé empiriquement, et largement stigmatisant pour les personnes concernées » (Richard, 2019, p. 77). Bien que le nombre de personnes intersexuées ne puisse pas être quantifié, Richard (2019) rappelle que « les situations d’intersexuation montrent hors de tout doute qu’il n’y a pas de lien “naturel” entre les attributs physiques et l’identité de genre » (p. 15). La conversation aboutit à la conclusion selon laquelle l’identité de genre d’un individu ne pourrait pas se situer en dehors du binarisme homme-femme. Rappelons néanmoins que cette négation des réalités trans, fluides, intersexuelles et non binaires n’est pas naturelle, mais le produit d’une socialisation hétérocisnormative.
Dans le contexte de notre étude, ce sont surtout les participants garçons qui protègent et défendent les préjugés sur le genre, notamment l’idée que le sexe assigné à un individu doit être en phase avec son identité de genre pour qu’il ait le droit de se définir en tant qu’homme ou femme. La possibilité que certaines personnes se situent en dehors du binarisme homme-femme ne s’inscrit pas dans l’ordre du pensable. La validité de l’identité trans est ainsi soumise à un débat :
La partie gauche pense comme ça, alors que la partie droite pense de cette façon. Il y a beaucoup de différents points de vue sur cette discussion, mais je pense qu’en tout, l’important c’est ce que vous pensez, pas ce que les autres pensent. Et je pense que c’est une chose excellente dans la vie. (discussion en petits groupes-V-mai-2019)
Le participant V, d’un ton sarcastique, reconnaît tout simplement la diversité des points de vue, sans pour autant réfléchir de manière critique sur leur validité respective, particulièrement quand il s’agit d’enjeux liés au genre. Comme l’expliquent Sensoy et DiAngelo (2017), cette position relève de la culture populaire qui normalise l’idée selon laquelle toutes les opinions seraient valides. Elles précisent : « Although popular culture is not an educational space per se, it does play an important role in normalizing the idea that all opinions are equally valid » (p. 33). Le consensus implicite qui émerge de cette discussion est que la position en faveur des droits trans serait équivalente à celle qui remettrait en question la légitimité de l’existence trans. Bien que ce ne soit peut-être pas l’intention du participant, ce nivellement des points de vue a pour effet de réduire systématiquement, et même de camoufler sous le couvert de la neutralité, des positions haineuses, et surtout erronées, à une différence d’opinions.
D’ailleurs, un autre participant va jusqu’à défendre, dans un souci d’exprimer son point de vue à tout prix, son droit de nier la validité de l’existence trans :
Je pense que pour moi, évidemment si moi je débattais avec une personne LGBTQ transgenre, si moi je ne pense pas que ce soit quelque chose de naturel d’être transgenre, évidemment je vais les blesser. Parce que je ne crois pas en leur genre, oui. Donc, je pense que les débats, même s’ils peuvent blesser quelqu’un, je pense que c’est nécessaire pour moi parce qu’il faut que j’exprime mon point de vue. Et même si je ne suis pas d’accord avec qui tu es en tant que personne, si tu ne me laisses pas parler, c’est comme me censurer. (entretien-A-mai-2019)
D’après la logique de ce participant, le droit à la liberté d’expression l’emporte sur les droits des personnes trans de se sentir et d’être en sécurité. C’est notamment le message qui a été véhiculé par la présidente de Wilfrid Laurier University quand elle a décidé de présenter ses excuses à Lindsey Shepherd — une aide-enseignante en communications à qui on avait d’abord reproché d’avoir légitimé des points de vue transphobes en salle de classe — et non à la communauté trans de l’université (voir McQuigge, 2017). Nous constatons à quel point, notamment en milieu scolaire et universitaire, la liberté d’expression est instrumentalisée à des fins politiques pour réduire au silence les voix minorisées. De plus, cela montre que l’on accorde plus d’importance aux opinions d’une personne cisgenre qu’à la discrimination et la violence concrètes dont les personnes trans sont réellement victimes9.
Nous constatons donc la prépondérance du déterminisme biologique (le sexe et le genre ne forment qu’une seule et même catégorie) en tant que conception entretenue par plusieurs participants garçons. Soulignons qu’à l’intérieur de notre société fortement patriarcale, la valeur des hommes est fondée sur leur capacité de se marier à une femme, de se reproduire et de construire une famille hétéronormative. Comme nous le verrons dans ce qui suit, la diversité de genre fragilise ce scénario hétéropatriarcal.
Fragilité cisgenre
Si dans le cadre de notre étude, les participants garçons étaient plus susceptibles de défendre des conceptions binaires et biologiques du genre, ils avaient également tendance à réagir négativement à la remise en question du paradigme binaire cisgenre. Selon Richard (2019), « comme l’existence d’autres identités remet en question la présumée complémentarité des sexes et des genres et la nécessaire hétérosexualité, elle met en péril les assises même de nos sociétés » (p. 17). La réticence d’un garçon à accepter la dimension constructiviste et fluide du genre est vive lors d’une discussion au sujet des personnes intersexuées :
A : Moi je dirai que, à mon avis, je ne pense pas que biologiquement quelqu’un puisse être … donc la question c’est si quelqu’un pourrait être ni homme, ni femme. Mais je pense que oui avec les expériences différentes, chacun peut être différent des autres, oui je suis d’accord. Mais je ne crois pas qu’il soit possible d’être ni homme, ni femme. Je crois que même avec différentes expériences, il faut que chaque individu soit l’une de ces deux options.
S : Je vous demande une question, alors croyez-vous peut-être qu’il y a des personnes qui sont les deux, comme biologiquement elles sont « intersex ». Alors, elles possèdent des parties d’homme et des parties de femme.
A : Oui, c’est une bonne question. « Intersex » est un défaut de naissance qui représente moins de 1 % de la population. C’est vraiment un cas très, très rare. Mais quelqu’un qui est « intersex » beaucoup de fois, il va recevoir des opérations pour être l’une des deux options, homme ou femme. Donc je ne crois pas que quelqu’un, même s’il est entre les deux, je pense qu’il va soit être un homme ou une femme après sa naissance.
S : Vous parlez à propos de comment c’est 1 % de la population. Mais s’il y a des milliards de personnes sur la planète, alors il y a des millions de personnes qui sont « intersex ». Et pas tout le monde a accès à des opérations ou à quelque chose qui peut enlever l’un ou l’autre, ou peut-être ils ne veulent pas avoir une autre opération, car il y a un risque qu’ils peuvent mourir. Alors que croyez-vous de ça?
A : Honnêtement, je ne pense pas que même si quelqu’un est « intersex » comme tu as dit, je ne pense pas qu’ils vont, avec les cas que j’ai pu voir … [Pause de quelques secondes] … « Why, why you grimacing »?
S : Pour voir.
A : « What? I’m asking you. Can you let me answer the question? »
S : « Yeah go for it, I’m not saying anything ».
A : « Then why are you grimacing then? » [Il élève le ton de la voix]
S : « I’m looking at you. Calm down ». [Elle parle d’une voix plus basse]
A : « No, you’re not. I’m not going to answer your question if you’re gonna grimace at me like that ».
A : « Ok ». (discussion en petits groupes-mai-2019)
Ainsi, l’existence des personnes intersexuées fragilise le binarisme cisgenre et suscite chez le participant A une réaction émotionnelle intense, voire agressive. Suivant la théorie de DiAngelo (2011) sur la fragilité blanche, nous pouvons interpréter le discours du participant A sous le prisme de ce que nous appelons la fragilité cisgenre, c’est-à-dire un mécanisme de résistance caractérisé par des comportements défensifs visant à maintenir l’ordre social cisnormatif, surtout lorsque les conceptions essentialistes du genre sont remises en question.
Dans le contexte de cet échange, nous observons cette attitude défensive au moment où le participant A, faute d’arguments contre la réflexion de S, clôt la discussion et refuse de la poursuivre au moment où son point de vue sur la prétendue binarité du genre est mis en doute. Bien qu’il dise ne plus vouloir répondre à la question soulevée par S, à cause de sa grimace qu’il juge offensante, c’est plutôt toute défiance – si minime soit-elle – à l’encontre de son point de vue qu’il ne peut pas supporter. La participante S devient en quelque sorte un « feminist killjoy » (voir Ahmed, 2010) parce qu’en faisant objection aux arguments de A qui s’inscrivent dans le discours dominant, elle est rejetée et réduite à une rabat-joie. La grimace n’est donc qu’un prétexte pour justifier le retrait de la discussion engendrant l’inconfort et la colère, étant donné que celle-ci risquerait de remettre en question les assises même du genre en tant que conception naturelle et binaire. De plus, à partir des données issues de leurs discussions et de leurs entretiens individuels, nous savons que les autres membres du groupe (les participant·e·s B et J) soutenaient la même position que S, alors que personne n’est intervenu pour la défendre, choisissant plutôt de rester silencieux. Cela montre à quel point certain·e·s participant·e·s (dont l’une se définit comme queer et bisexuelle) sont réticent·e·s à défier directement des visions cisnormatives du monde, même en sachant que la position de A va à l’encontre d’un raisonnement logique basé sur les faits. Si nous nous référons à la réflexion de DiAngelo (2011), les comportements de A ont pour fonction de réinstaurer l’équilibre cisnormatif en réduisant au silence la voix de ceux et celles qui risquent de le déstabiliser. Le silence semble aussi suggérer l’inconfort que ressentent certain·e·s participant·e·s à s’exprimer publiquement contre le discours dominant (celui de A), d’autant plus que J est issue d’un groupe marginalisé et que B est un garçon hétérosexuel dont la légitimité masculine pourrait être remise en question s’il choisissait de prendre la défense de S. Comme le soutiennent DiAngelo et Sensoy (2019), le silence n’est jamais apolitique parce que tout mode d’engagement avec un sujet est lié aux dynamiques intergroupes. Il est également intéressant de constater que le participant A a précédemment fait l’éloge d’une forme de liberté d’expression absolue, alors qu’au moment où cette même liberté est utilisée pour s’attaquer à la cisnormativité, elle est muselée. Le silence fonctionne à cet égard comme un mécanisme de renforcement et de maintien du statu quo.
De plus, le participant A considère la réalité intersexuelle comme étant un défaut de naissance qui peut et doit être corrigé par une opération chirurgicale. Bien que son discours soit déconcertant, ce participant reproduit la violence contre les personnes intersexuées qui s’inscrit dans le discours social. Pensons notamment aux athlètes intersexué·e·s à qui on a interdit la participation aux Jeux olympiques parce que leur corps biologique ne répondait pas à la définition sociale de ce qui constitue une femme. C’est notamment ce qui est arrivé à la coureuse ougandaise Annet Negesa qui affirme qu’elle s’est fait opérer, sur recommandation d’un médecin de la fédération sportive internationale World Athletics, pour diminuer son taux de testostérone par l’ablation de ses testicules internes (Abdul, 2019). Depuis l’opération – qui l’a laissée avec des séquelles physiques et psychologiques profondes — Negesa souffre de douleur articulaire et de dépression. Elle n’est jamais retournée à la compétition. Faisant écho à la logique réductrice du World Athletics, l’argument du participant A découle de l’imaginaire social binaire cisgenre et non de la biologie, car il naturalise la construction sociale de la masculinité et de la féminité dans le but de l’imposer à tout prix à des corps qui ne correspondent pas à la binarité mâle / femelle. Si l’on opère des personnes intersexuées, c’est alors pour les faire rentrer dans cette construction sociale qui se veut naturelle. Vue sous cet angle, la réticence du participant A à accepter la réalité intersexuelle s’inscrirait dans cette fragilité cisgenre qui se sent défiée par les personnes intersexuées, notamment parce que leur existence remet en question la prétendue naturalité du binarisme cisgenre.
Performance sociale de la transphobie
Une autre tendance problématique que nous avons observée chez certains garçons était leur ignorance, indifférence, confusion et mépris face aux expérience trans. Nous montrerons cependant que ces émotions s’inscrivent dans une performance sociale de la transphobie, qui, elle, semble être liée à la construction de la masculinité hégémonique (Connell, 2005). Autrement dit, c’est en performant publiquement ces émotions transphobes — que nous pouvons considérer comme des actes d’expression et d’affirmation publique de formes de rejet des personnes trans dans l’espace social — que certains garçons légitiment leur masculinité cisgenre pour les autres membres de leur groupe et de leur communauté. Pour illustrer la manière dont cette transphobie est performative, examinons le rapport entre le savoir et la performance sociale du non-savoir sur le genre10 du participant V. Précisons que ses propos font référence au personnage principal de la bande dessinée « Les vestiaires », de Sophie Labelle :
Savoir sur le genre : Je pense que c’est un espace qui n’est pas sécuritaire parce qu’elle s’identifie comme une personne qui devrait être dans le vestiaire pour les filles, mais elle est forcée d’être dans les vestiaires pour les garçons. C’est pourquoi elle ne se sent pas en sécurité. (discussion en petits groupes-V-mai-2019)
Performance sociale du non-savoir sur le genre : Il y a beaucoup de personnes qui jugent ce qu’elle fait ou ce qu’il fait. « I don’t know » [Il rit]. (discussion en petits groupes-V-mai-2019)
Bien que conscient de l’identité féminine du personnage principal dans la bande dessinée sur les vestiaires, le participant V choisit de la mégenrer11 (en riant) ou de prétendre qu’il ne connaît pas son identité de genre. Notons qu’au début, V n’utilise que le pronom féminin « elle » pour la décrire, mais à la fin, il emploie le pronom masculin « il » et ajoute qu’il ne sait pas s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. Son rire suggère qu’il est conscient de ce mégenrement. D’ailleurs, il va encore plus loin lorsqu’il suggère dans une autre discussion, en faisant référence au personnage principal, qu’il « ne sait pas ce que c’est », propos déshumanisant qui est suivi par le rire d’une participante. Bien qu’il sache que le personnage principal s’identifie comme une fille et qu’elle a été victime de transphobie précisément en raison de son identité de genre, V déshumanise son expérience et la tourne en ridicule.
Il appert donc que la performance de la masculinité hégémonique dans l’espace public est liée à la performance du savoir sur le binarisme cisgenre — ce qui va de soi sans grande surprise — mais aussi d’un non-savoir sur la construction du genre et les expériences trans. Ce mécanisme performatif est en soi plus complexe et retors, car derrière sa prétendue ignorance de l’identité de genre du personnage principal, se cache un savoir. Ce non-savoir constitue donc un acte performatif qui lui permet de prouver sa masculinité, dont la légitimité dépend d’une certaine performance publique de l’ignorance et de l’indifférence face aux enjeux trans. Si nous revenons à la théorie d’Ahmed (2004), cette performance sociale de la transphobie permet d’assurer la construction de la masculinité cisgenre dans l’espace public. En d’autres termes, pour faire partie du groupe des garçons masculins et hétérosexuels cisgenres, ce participant doit performer certaines émotions, notamment l’indifférence, l’ignorance, la confusion et le mépris, et ces émotions sont liées à des savoirs performés qui sont présentés au premier niveau de leur signification sociale comme des non-savoirs. C’est cette performance de la transphobie qui fonde, dans l’espace public et privé, l’ordre affectif hétéromasculin cisgenre qui est présenté comme étant un commun nécessaire et obligatoire. La performance sociale du rejet public du personnage trans est donc préétablie par cette communauté imaginée – pour reprendre le terme d’Anderson (1983) – hétérocisnormative. De plus, malgré les propos transphobes de V, la seule réaction que cela provoque est le rire. Aucun·e participant·e n’a réagi pour condamner ou pour remettre en question cette prise de position. Le renforcement du statu quo passe d’abord et avant tout par la voix masculine cisgenre qui censure et efface de l’espace public les expériences trans ainsi que toute voix qui s’élèverait pour les défendre contre leur stigmatisation sociale.
Cette tendance est notamment observée chez un autre participant qui mégenre de manière délibérée et répétitive (sept fois) le personnage principal dans la bande dessinée sur les vestiaires, bien qu’il soit tout à fait conscient de son identité de genre féminine :
L’espace des vestiaires n’était pas sécuritaire pour le personnage, car il ou elle ne comprend pas exactement où il ou elle devrait entrer, car il ou elle [un peu de rire] se sent comme un garçon ou une fille, mais elle ou il [rire] ne ressemble pas à comment sa biologie détermine son genre, donc il est difficile pour il ou elle de décider dans quel vestiaire il ou elle devrait être. (discussion en petits groupes-D-mai-2019)
À l’instar du sarcasme et du rire, le mégenrement correspond ici à une manière codée de réagir à des œuvres queer, notamment en performant des émotions très précises qui affirment au groupe l’adhésion à l’idée que la masculinité est naturelle. Ce mégenrement est performatif, étant donné qu’il contredit le véritable savoir et la sensibilisation du participant D aux enjeux LGBTQ+. D’ailleurs, lors de la séance pédagogique sur la diversité sexuelle, ce participant a exprimé son engagement et celui de ses pair·e·s à combattre la discrimination :
Et je pense que pour notre groupe et je pense qu’aussi pour la plupart de la classe, nous dirions que nous sommes des personnes qui veulent aider tous, aider ceux qui sont les victimes et ceux qui se sentent ciblés et discriminés. Et nous ne restons pas là avec une bande sous les yeux sachant ce qui se passe et ne faisant absolument rien à propos de cela. (discussion en grands groupes-D-mai-2019).
Ces propos sont en flagrante contradiction avec son mégenrement du personnage principal dans la bande dessinée sur les vestiaires, puisqu’il devient ironiquement l’agent principal de cette même discrimination qu’il prétend ne pas tolérer.
Dans cette optique, rejeter la trans identité constituerait une manière d’acquérir le statut d’homme cisgenre, tel que le reconnaît la participante qui remet en question ces propos :
Je pense que cela doit être lié à la masculinité. Les femmes trans sont originellement des mâles, alors je pense qu’il y avait de la discrimination contre les femmes trans, parce qu’il est plus important de préserver la masculinité d’un mâle, oui? (discussion en petits groupes-E-petit-mai-2019)
De ce fait, comme l’existence de la trans identité souligne la fluidité des genres, elle déstabilise jusqu’à un certain point la conception naturelle et essentialiste de l’identité masculine cisgenre. D’un point de vue statistique, les personnes assignées garçons à la naissance qui effectuent une transition vers la fémininité sont de 2,5 à 7,1 fois moins nombreuses, ce qui pourrait suggérer un certain tabou pour les personnes assignées comme garçon de se considérer comme filles (cité dans Proulx, 2023) en raison de l’importance sociale accordée à la préservation de la masculinité. C’est peut-être précisément cette fragilité masculine cisgenre qui provoque un sentiment d’insécurité chez certains participants qui rejettent catégoriquement l’identité trans, sans pour autant comprendre les raisons de leur inconfort face à cette identité :
Je dirais qu’aussi, quand on parle des définitions, comme par exemple, cisgenre ou transgenre… Pour moi honnêtement, être transgenre pour moi, c’est quelque chose qui est, honnêtement, je n’aime pas beaucoup ça. Parce que je pense que le monde a été créé de cette façon pour une raison. Je pense que quand quelqu’un est né, leur genre est… Même s’il peut s’identifier comme quelqu’un d’autre, je pense qu’il n’est pas naturel de faire une chirurgie ou une opération pour changer ses parties du corps. (entretien-A-mai-2019)
Ce n’est pas que la subjectivité trans ne s’inscrit pas dans l’ordre du pensable, mais c’est que l’admettre risque de remettre en question les assises mêmes de la société cisnormative. Il est intéressant que le participant A note qu’il n’aime pas l’idée d’être transgenre, mais il n’arrive pas véritablement à articuler son raisonnement. Il faudrait aussi analyser de plus près le fait que ce ne sont que des participants garçons qui défendent le déterminisme biologique et qui rejettent la subjectivité trans. Le fait que ce phénomène soit presque systématique parmi notre petit échantillon semble peut-être suggérer que la reconnaissance publique de l’identité trans fragilise d’une certaine façon la masculinité cisgenre. Une autre participante problématise cet inconfort face aux enjeux LGBTQ :
Si quelqu’un d’autre est transgenre, pourquoi est-ce que ça m’affecte? Donc, ce sont plus ou moins des sentiments que les personnes ne peuvent pas expliquer. Parce que si je n’aime pas quelqu’un qui est transgenre, pourquoi? Parce que l’autre personne ne m’affecte pas. Donc, je crois que c’est ça l’idée sur laquelle nous avons besoin de nous concentrer : pourquoi certaines personnes sont inconfortables si ça ne les affecte pas? (entretien-L-mai-2019)
Cette participante insinue que le rejet de la différence de l’autre (notamment de celle d’une personne trans), étant donné qu’il ne semble pas pouvoir être expliqué de manière logique et rationnelle, cache un inconfort plus profond qu’il faudrait analyser et tenter de comprendre. Pourquoi les garçons performent-ils publiquement ce rejet des personnes trans? Et pourquoi défendent-ils fermement le binarisme cisgenre? Si nous nous référons à Foucault (1975), cette performance est produite par la discipline sociale binaire cisgenre. En d’autres termes, la dévalorisation des personnes, des expériences, des subjectivités et des existences queer est intériorisée par certains garçons afin qu’ils suivent les normes homophobes et transphobes qui servent à renforcer l’hétérocisnormativité. Ajoutons que la performance de la masculinité va souvent de pair avec la misogynie, puisque le fait de se féminiser ou d’être simplement une femme trans est perçu, surtout par les garçons cisgenres hétérosexuels, comme étant un danger, voire une atteinte au binarisme homme-femme.
Nous pouvons alors considérer que la transphobie performative correspond à une pratique qui renforce et qui légitime une forme dominante de la masculinité, notamment cisgenre. Cette performance sociale de la transphobie est aussi révélatrice d’une certaine fragilité, son but étant de protéger et surtout de pérenniser dans la sphère sociale cet idéal cisnormatif de la masculinité.
DISCUSSION — CONCLUSION
Nos résultats mettent en lumière le travail qu’il reste à faire en milieu scolaire pour amener les élèves, et surtout les garçons, à penser l’identité de genre au-delà d’une conception binaire et biologique. Conçu comme un phénomène immémorial et irréfutable d’un point de vue scientifique, le binarisme cisgenre empêche la prise de conscience d’une diversité d’identités de genre et s’avère donc un prétexte pour exclure et délégitimer les réalités trans, intersexuelles et non binaires. En plus d’exclure et de pathologiser les réalités des personnes trans, intersexuées et non binaires, cette réduction de la diversité des corps humains à deux sexes et à deux genres opposés est erronée d’un point de vue scientifique. Plusieurs recherches ont démontré, de manière claire et concluante, que le sexe n’est pas binaire, car déterminé par des situations génétique, chromosomique, hormonale et anatomique variables d’un individu à l’autre (Fausto-Sterling, 2018; Richard, 2019; Sun, 2019). Autrement dit, ce que l’on peut appeler le sexe biologique peut être extrêmement complexe, bien que ceci soit réduit dans le discours populaire et dans les cours de science à l’école secondaire (Cyr, 2016) à deux possibilités claires et nettes : mâle / femelle, homme / femme, masculin / féminin.
Une pédagogie queer12 remet en question la naturalisation du binarisme cisgenre et problématise la manière dont celle-ci contribue, sous prétexte de la liberté d’expression et d’opinion, à l’effacement et à la délégitimation des réalités trans, non binaires et intersexuelles. Pour cette raison, suivant la réflexion de Sensoy et DiAngelo (2017), les enseignant·e·s doivent éviter de valider, à travers leurs pratiques pédagogiques, des points de vue non seulement oppressifs, mais qui ne sont guère fondés sur une véritable pensée critique :
Critical thinking is not simply having different opinions; critical thinking results in an informed perspective after engaging with new evidence and accounting for multiple layers of complexity. Simply having an opinion is not predicated on any accounting for new information or understanding of complexity; popular opinions tend to be superficial and anecdotal and do not require that we understand an issue at all. (p. 33)
La pensée critique n’équivaut pas simplement à la reconnaissance d’une diversité d’opinion ; elle implique de comprendre la complexité des enjeux qui se posent à la société et de nous amener à remettre en question nos croyances préexistantes, plutôt que de s’entêter à vouloir les maintenir à tout prix. À l’instar de la fragilité, le discours de l’opinion constitue lui aussi un processus sophistiqué de résistance qui a pour but de réduire la recherche critique à une opinion et ensuite de la nier en lui opposant un point de vue de valeur égal et non contestable (DiAngelo et Sensoy, 2009). Ainsi, nous remettons en question le caractère sacré de l’opinion dans la salle de classe (« J’ai le droit d’avoir ma propre opinion »), vu que cette approche contribue à maintenir les relations de pouvoir existantes et empêche l’analyse critique des normes.
Compte tenu de la faible taille de l’échantillon (n = 24) utilisé dans le cadre de notre étude, la portée des conclusions peut être limitée, surtout en ce qui a trait à l’extrapolation des tendances observées. Il convient de souligner que la raison de ce choix méthodologique a été due à la nature bureaucratique de plusieurs commissions scolaires en Colombie-Britannique, dont quatre ont refusé d’approuver cette recherche. Cela dit, l’analyse de propos exemplaires nous a permis de mieux comprendre le particulier en profondeur, d’autant plus que nos résultats s’inscrivent dans des conclusions de recherche sur la construction de la masculinité en milieu scolaire. Par exemple, dans une étude ethnographique, Pascoe (2012) montre la manière dont l’emploi de l’épithète fag s’avère un dispositif disciplinaire afin de contrôler la sexualité et la performance du genre des garçons : « Fag talk and fag imitations serve as a discourse with which boys discipline themselves and each other through joking relationships » (p. 49). Le discours du fag est donc intériorisé et performé par les garçons afin de prouver leur masculinité, et ce, devant le regard masculin cisgenre et hétérosexuel. Ainsi, les conclusions de notre étude corroborent celles de Pascoe, dans la mesure où la performance de l’ignorance, de l’indifférence, de la confusion et du mépris face aux expériences trans est liée à la construction de la masculinité hégémonique. Par conséquent, l’homophobie et la transphobie font partie des règles et des limites qui doivent être intériorisées pour construire l’identité masculine. Et elles doivent guider la performance sociale de la masculinité hégémonique.
En ce qui concerne la fragilité cisgenre, bien que cette catégorie d’analyse repose sur un seul cas, ce dernier cerne parfaitement, d’après la théorie de DiAngelo (2011), le processus d’utilisation de l’inconfort, du silence et de l’argumentation pour repousser toute remise en question du discours dominant. Si l’on part du principe que la fragilité cisgenre vise à maintenir l’équilibre hétérocisnormatif, alors elle est liée jusqu’à un certain point au renforcement social de l’homophobie et de la transphobie dans les écoles. Une pédagogie queer entre en conflit avec l’hétérocisnormativité, ou bien avec le racisme, le sexisme et d’autres systèmes d’oppression, afin d’amener les élèves à entamer une pensée critique et réflexive. En revanche, une pédagogie qui contourne le conflit et l’inconfort épargne l’ordre établi sous couvert de l’illusion de la neutralité.
Ce conflit, une réponse nécessaire pour déstabiliser l’ordre social hétérocisnormatif qui domine en milieu scolaire, a pour but de faire de la salle de classe un endroit propice à l’affrontement de nouvelles idées, au développement de la pensée critique et à la transformation du statu quo. Compte tenu de nos résultats, cette approche est d’une importance fondamentale pour l’éducation des élèves, particulièrement les garçons qui ne semblent pas toujours pouvoir se séparer de la discipline hétérocisnormative profondément inscrite en eux. Cela pourrait expliquer, en partie, le taux de suicide nettement plus élevé (3 fois plus) chez les hommes que chez les femmes (Collie, 2019). Rappelons que l’hétérocisnormativité a un impact considérable sur la santé mentale et sur le bien-être des hommes qui adhèrent fortement à une masculinité extrêmement rigide (voir Wong et coll., 2017). Cette masculinité devient en fait toxique pour les hommes qui s’y identifient et qui constamment la performent sans aucun esprit critique face aux normes sociales qu’elle leur impose de suivre aveuglément. Une pédagogie queer remet en question la construction sociale de la masculinité et le fonctionnement de cette dernière afin de pouvoir réduire les effets néfastes de l’homophobie et de la transphobie.
Notes
Bien que sa reconnaissance soit nouvelle, la diversité sexuelle et de genre, comme le rappelle Michel Dorais, professeur retraité de l’Université Laval, « est présente depuis toujours, presque partout dans le monde » (cité par Proulx, 2023).
SOGI 1 2 3 (Sexual Orientation and Gender Identity) est une série de politiques, de procédures et de ressources pédagogiques élaborées par ARC Foundation, en collaboration avec le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique. Voir : https://www.sogieducation.org/
Précisons néanmoins que le ministère de l’Éducation du Québec (2021) a développé un guide pour une meilleure prise en compte de la diversité sexuelle et de genre en milieu scolaire. Bien que cette politique éducative soit bien encadrée légalement et fasse appel à des contenus obligatoires en éducation à la sexualité, il n’est pas clair jusqu’à quel point la diversité sexuelle et de genre est intégrée de manière transversale à travers les différents programmes d’études. Voir : http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/Guide-diversite.pdf
Sigle faisant référence aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queer, en questionnement ou bispirituelles. Ce sigle est utilisé dans le cadre du rapport publié sur l’homophobie, la biphobie et la transphobie dans les écoles canadiennes. Précisons que les chercheur·e·s n’ont pas inclus « intersexe/I » dans ce sigle car aucun·e participant·e au sondage ne s’est identifié·e comme tel (Peter et coll., 2021).
DiAngelo développe en plus de détail le concept de fragilité blanche dans son livre White Fragility : Why It’s So Hard For White People To Talk About Racism (2018). Ce titre s’est positionné parmi la liste des meilleurs vendeurs du New York Times pendant plus d’un an après sa publication.
Pour une présentation des résultats relatifs à la séance sur la diversité sexuelle, voir Hakeem (2021).
Pour accéder à la bande dessinée dans son intégralité : http://assigneegarcon.tumblr.com/post/102552095635
Pour accéder à la bande dessinée dans son intégralité : http://assigneegarcon.tumblr.com/post/103111386410/jour-du-souvenir-trans-la-violence-envers-les
Pensons notamment aux femmes trans racisées qui sont victimes du taux d’agressions et d’homicides le plus élevé au Canada (Conseil québécois LGBT, 2017 ; McInnes, 2017).
Nous définissons le savoir sur le genre comme étant les connaissances véridiques du participant en ce qui concerne les enjeux liés au genre, alors que la performance sociale du non-savoir sur le genre renvoie à ce que le participant prétend ne pas savoir ou ne pas saisir. Le savoir est donc performé comme un non-savoir.
Le mégenrement consiste à utiliser des pronoms, des accords grammaticaux ou un vocabulaire qui ne correspondent pas à l’identité de genre d’une personne.
Une pédagogie queer (critique et anti-oppressive) va au-delà de l’inclusion en amenant les élèves à déconstruire les rapports de pouvoir hétérocisnormatifs ainsi que les normes qui les sous-tendent, et à penser la sexualité et le genre de manière plus libre (voir Hakeem, 2021).
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